Labiche et le rire : les procédés comiques dans le théâtre de Labiche
Il est illusoire de vouloir en un article détailler l’ensemble des procédés comiques utilisés dans les pièces de Labiche : nous vous proposons quelques pistes de réflexion, à partir de la typologie proposée par Bergson dans son essai sur le Rire : le comique de situation, le comique de caractère et le comique de mot.
Le comique de situation
Le théâtre de Labiche regorge de situations absurdes, de rencontres intempestives et de quiproquos. Quelques exemples à travers le résumé de pièces connues :
Un chapeau de paille d’Italie : le jour de ses noces, Fadinard court à la poursuite d’un chapeau de paille, suivi par son beau-père et l’ensemble de la noce.
La Cagnotte : Un groupe d’amis de La Ferté-sous-Jouarre a accumulé une cagnotte à force de jouer. Ils décident de dépenser cette cagnotte lors un voyage à Paris. Mais ces provinciaux ne connaissent pas les usages de la grande ville et le voyage se transforme en une série de catastrophes, provoquées par leur naïveté : ils sont victimes d’une arnarque au restaurant, accusés de vol et arrêtés par la police, dépouillés de leurs achats…
Célimare le bien aimé : Célimare est poursuivi par les maris de ses anciennes conquêtes
L’Affaire de la rue Lourcine : Lenglumé se réveille avec une gueule de bois et trouve dans son lit un homme dans le même état, Mistingue. Ils se souviennent seulement d’avoir participé la veille à un dîner arrosé. Au cours du déjeuner, la femme de Lenglumé, leur lit un article sur le meurtre d’une jeune charbonnière, retrouvée dans la rue de Lourcine. Lenglumé et Lourcine craignent d’être les meurtriers, car plusieurs détails sont troublants.
La Station Chambaudet : Paul Tacarel, architecte, se rend tous les jours chez madame Champbaudet pour élaborer les plans de la sépulture qu’elle va édifier à la mémoire de son époux. En réalité, Paul utilise ces visites comme prétexte pour se rendre chez Aglaé, qui réside à l’étage du dessus. Dès que son mari Garambois quitte son domicile, Aglaé prévient Paul en jouant au piano J’ai du bon tabac mais celui-ci commence à avoir des soupçons…
Les Chemins de fer : un vaudeville ferroviaire qui se déroule successivement dans une administration des chemins de fer où des actionnaires attendent de percevoir leurs dividendes, un quai d’embarquement, le buffet d’une gare, une chambre d’un hôtel garni et le bureau du chef de gare… Tapiou occupe successivement les fonctions de caissier, graisseur de wagons, employé des chemins de fer, cuisinier…
Labiche, dans certaines pièces, joue avec les tabous et les transgressions. On citera notamment deux pièces où une jeune enfant figure parmi les personnages principaux : Berthe dans La Fille bien gardée et Suzanne dans Maman Sabouleux parlent vulgairement, chantent des chansons paillardes, boivent de l’alcool, fument et dansent avec des adultes…
Les objets interviennent de manière insolite : la montre qui tombe d’un parapluie dans la Cagnotte, la trompette de la Station Chambaudet, le vieux journal de L’Affaire de la rue Lourcine, le morceau de gouttière et la tête de cerf dans Le Plus Heureux des trois…
Le comique de caractère
Dans une lettre adressée au Figaro en 1880, Labiche écrit : «Je me suis adonné presque exclusivement à l’étude du bourgeois, du philistin ; cet animal offre des ressources sans nombre à qui sait les voir. Il est inépuisable. C’est une perle de bêtise qu’on peut monter de toutes les façons. Il n’a pas de grands vices, il n’a que des défauts, des travers, mais au fond, il est bon, et cette bonté permet de rester dans la note gaie ».
- la satire des milieux sociaux :
la bourgeoisie nouvellement enrichie avec la figure du riche commerçant, du banquier et de l’industriel (Le Voyage de Monsieur Perrichon),
les bourgeois de province (La Cagnotte),
les paysans (Maman Sabouleux, Un monsieur qui a brûlé une dame ),
les rentiers (L’Affaire de la rue Lourcine, Mam’zelle fait ses dents, La Femme qui perd ses jarretières…)
les patrons (La Main leste)
l’armée ( Les Vivacités du Capitaine Tic, Un homme sanguin…) - la caricature : l’égoïste (Doit-on le dire, Un pied dans le crime…), l’hypocrite (La Chasse aux corbeaux), l’ingrat (Le Voyage de Monsieur Perrichon)…
Le comique de mot
Quelques exemples parmi des milliers dans le théâtre de Labiche :
- noms des personnages : dans la plupart des pièces de Labiche, et notamment dans la Cagnotte : Champourcy, Fadinard, Colladon, Folleville, Garambois….
- défauts de prononciation : le bégaiement de Vachonnet dans L’Avocat d’un grec…
- exclamations dans toutes les pièces : cristi, sapristi, saprelote, sacrebleu, vertubleu, maugre- bleu, bigre, fichtre, fi !, sacrédié…
- déformations de mots : pipiniériste dans Un chapeau de paille d’Italie, rancuneux dans Vingt-neuf degrés à l’ombre, des nantilles dans Célimare le bien-aimé…
- injures, insultes : « gabelou ! rebut de l’humanité !… » dans Le Voyage de Monsieur Perrichon,
- langue populaire ou argot : dans Deux papas très bien, un père adopte l’argot du Quartier Latin, les expressions paysannes de la jeune Suzanne mise en nourrice pendant 8 ans chez des paysans dans Maman Sabouleux,
- jargons, accents et expressions provinciales : marseillais dans La Perle de la Canebière, auvergnat dans le Misanthrope et l’Auvergnat, alsacien dans la Sensitive, expressions provinciales dans la Cagnotte,
- répétitions : » Embrassons-nous, Folleville ! », « Mon gendre tout est rompu ! » ( Un chapeau de paille d’Italie.), « Ça sent le romain »( La Grammaire)
- jeux de mots et erreurs orthographiques dans Le Voyage de Monsieur Perrichon (la mère de glace) et dans La Grammaire
- sous-entendus, notamment sexuels dans la Sensitive
- la parodie : « je suis venu, j’ai fouillé, j’ai trouvé » ( La Grammaire), le monde du théâtre (La Dame aux jambes d’azur)
- Comparaisons ou métaphores incohérentes : « Tu ignores les mystères de la vie parisienne !… Tu ne sais pas qu’il y a des tigres… qui viennent déposer leurs oeufs dans le ménage des colombes ! » (Les Trente-sept sous de M. Montaudoin),
Extrait de Doit-on le dire ? :
Muserolle
Il y avait une fois un coq qui couvait….un soi-disant ami de la maison lui fourre dans son nid un oeuf de cane ; il amène onze petits poulets… dont un canard ; il élève ce fruit d’une provenance étrangère avec ses propres poussins, il le nourrit de son lait…
Le Marquis.
Les coqs n’ont pas de lait, ce sont les poules.
Voir aussi :
Le philosophe Bergson dans l’ouvrage Le rire : essai sur la signification du comique a consacré plusieurs pages à Labiche. A consulter sur le site de l’Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL http://obvil.paris-sorbonne.fr/corpus/critique/bergson_rire/.
Emelina Jean. Labiche : le comique de vaudeville. In: Romantisme, 1991, n°74. Rire et rires. pp. 83-92. En ligne sur Persée
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Biographie d’Eugène Labiche,
Le mariage chez Labiche