Dernières recommandations de Libre Théâtre
Loin d'être seulement (et c'est déjà beaucoup) cet écrivain régionaliste qui a enchanté notre enfance, et ce dramaturge de génie qui a si bien su mettre en scène la Provence, Marcel Pagnol est aussi un merveilleux cinéaste. Le Schpountz est d'ailleurs au départ un film écrit et réalisé par Pagnol juste avant-guerre, avec pour vedette principale l'inoubliable Fernandel. Arthur Cachia et Delphine Depardieu nous en proposent une version théâtrale très réussie, servie par une distribution étincelante. Inspirée d'une anecdote réelle survenue lors du tournage d'un précédent film de Pagnol, Le Schpountz est un hommage à tous ceux qui, comme disent les chansons, auraient « voulu être un artiste », et se voyaient déjà en haut de l'affiche. Un éloge de tous ces ratés magnifiques qui ont au moins le mérite de ne pas abandonner leurs rêves d'enfant. Cette comédie est aussi un plaidoyer pour le comique, trop souvent décrié aujourd'hui par l'institution théâtrale. Comme le rappelle pourtant cette pièce à la fois drôle et touchante, le rire est le propre de l'homme, et le vrai comique est souvent teinté de tragédie et d'émotion. On saluera tout particulièrement dans le rôle-titre la prestation d'Arthur Cachia, que nous avions déjà eu le bonheur d'applaudir dans Naïs. Merci à lui de faire vivre le théâtre de Pagnol et de le servir avec autant de fidélité et de passion. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
Au cœur du Festival d’Avignon, le lieu intimiste et chaleureux du Délirium accueillait hier un concert d’exception.Depuis la disparition d’Anne Sylvestre, on mesure plus que jamais l'importance de ses chansons dans la construction de générations de femmes et d’hommes nourris aux idéaux féministes et humanistes.Le spectacle Des Sorcières comme les autres réunit cinq autrices, compositrices et interprètes de talent, Garance, Lily Luca, Louise O’sman, Nawel Dombrowsky et Yoanna, autour du répertoire de cette grande figure de la chanson française. Sur scène, ces jeunes artistes, aux personnalités singulières entremêlent, avec une joyeuse énergie, les titres emblématiques d’Anne Sylvestre avec leurs propres compositions. Les combats portés par la chanteuse résonnent aujourd’hui avec une acuité toujours brûlante. La sororité prend corps, s’incarne, se chante et se transmet, sur scène comme dans la salle.Un moment de grâce, de mémoire et de lutte partagée, à ne pas manquer.Prochaine représentation : le 23 juillet à 21h30, à l’Arrache-Cœur (Avignon).
Mireille est pour tous les Provençaux, de naissance ou de cœur, bien plus qu’un poème : c'est une œuvre emblématique et un chant d’amour à la terre provençale. À travers le destin tragique de Mireille et Vincent, Mistral parvient à saisir avec une rare justesse l’âme profonde de son pays, et donne vie aux paysages dans toute leur diversité, de Vallabrègues aux Saintes-Maries-de-la-Mer, en passant par les Alpilles et la Crau. Avec Mirèio, un rêve de Mistral, Gérard Gélas propose une interprétation fidèle du poème épique, en mettant en scène l’auteur lui-même, incarné magistralement par Nicolas Dromard. Mistral devient ici le narrateur de son œuvre, et sous ses yeux, comme sous les nôtres, s'animent les figures de cette tragédie. La mise en scène épurée, accompagnée par la musique discrète de Philip Glass, laisse toute sa place à la force du verbe mistralien et à l’émotion brute qui s’en dégage, pour atteindre l’universel. Un spectacle à ne pas manquer, pour redécouvrir ce chef-d’œuvre absolu, fondateur de l'identité provençale.
L'Europe est un cercle fragile dont la circonférence n'est nulle part mais dont le Nombril est peut-être à Prague ou à Budapest. Sur des textes de Kundera et sur les écrits des héros qui ont donné leur vie pour que ne meurt pas la liberté, les 13 artistes accomplis de la Dusan Hegli Company nous offrent une performance poignante et époustouflante, mêlant danses traditionnelles et musique, empruntant à la fois au répertoire folklorique, au classique... et à Pink Floyd.Un spectacle magnifique, courageux et rassembleur, qui aurait mérité la Cour d'Honneur, encombrée cette année par des provocations stériles.Le plus gros Coup de Cœur de Libre Théâtre depuis le début du Festival.
Et la lumière fut par les Swing Cockt’Elles Peut-on raconter une histoire pleine d’humanité et d’espoir uniquement à travers des reprises de chansons populaires ? Le défi était audacieux, mais il est brillamment relevé par les Swing Cockt’Elles. Ce trio féminin éblouissant, accompagné d’un pianiste aussi à l’aise à l’accordéon qu’en beatbox, mêle virtuosité vocale et fantaisie musicale avec un talent rare. L’originalité et l’humour du spectacle tiennent avant tout à l’interprétation décalée de morceaux parmi les plus emblématiques du répertoire français et international, du baroque à Patrick Sébastien ! Fondatrice du trio, Annabelle Sodi-Thibault signe des arrangements inventifs, portés par la finesse des harmonies. Mais au-delà du plaisir et de la légèreté, l’émotion affleure lorsque les voix s’entrelacent pour faire passer subrepticement, à travers des mélodies familières, des messages de tolérance et de paix. Un spectacle musical joyeux et pétillant, à ne pas manquer.
Génération Barber : un cabaret musical et burlesque virtuose. Le Barber Shop Quartet, que nous avions déjà applaudi dans deux de ses cinq précédents spectacles, revient à Avignon sous le nom de Génération Barber, avec une distribution partiellement renouvelée et un spectacle tout aussi réussi. Né dans les échoppes de barbiers à Chicago au début du XXème, le Barbershop est un style musical basé sur des chants a capella et une grande richesse harmonique. Ce quartet vocal très français s’empare de ce genre populaire anglo-saxon en lui donnant une coloration franchement burlesque, pour nous offrir un numéro d'une extrême virtuosité, mêlant prouesses vocales et humour. Brillamment mis en scène par Sophie Forte, ces quatre comédiens et musiciens accomplis nous livrent une performance aussi époustouflante qu'hilarante, en parvenant à créer sans accessoires ni artifices un univers très original et extrêmement attachant. N'hésitez pas à pousser la porte de ce Barber Shop pour assister (voire qui sait participer) à ce spectacle tout sauf barbant.
L’Opéra Grand Avignon, en coproduction avec l’Opéra de Limoges proposait les 6 et 8 juin Les Mamelles de Tirésias, opéra bouffe d’une inventivité éblouissante, aussi bien dans son propos que dans sa fantaisie musicale. L’interprétation de l’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction de Samuel Jean, souligne toute l’ironie malicieuse et espiègle de la partition de Francis Poulenc, qui multiplie les pastiches musicaux. Portée par un ensemble de solistes inspirés, notamment Sheva Téhoval, éblouissante Thérèse, et Jean-Christophe Lanièce, savoureux Mari, l’interprétation rend un bel hommage à l’esprit facétieux de l’œuvre, mais également à sa richesse harmonique et mélodique. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon n’est pas en reste en proposant une prestation vocale et scénique superbe. Enfin, la mise en scène inventive de Théophile Alexandre et la scénographie poétique de Camille Dugas multiplient les références au surréalisme, offrant une lecture métaphorique subtile et ludique de cette œuvre, à la fois légère et joyeusement iconoclaste.Un superbe spectacle longuement applaudi par le public.
Festival d’Avignon 2025 : Sélection Libre Théâtre dans le IN et le OFF Cette page …
Avec United Dances of America, l'Opéra Grand Avignon présentait hier trois œuvres de jeunes chorégraphes d'outre-Atlantique, magistralement interprétées par le Ballet de l'Opéra. Le titre même du spectacle, qui renvoie malicieusement aux États-Unis d'Amérique aujourd'hui plus divisés que jamais, résume son propos : un bouleversant appel à la liberté et à la tolérance, notamment mais pas seulement en matière d'orientation sexuelle.
L’Opéra Grand Avignon a une nouvelle fois attiré un public nombreux et conquis lors du Midi à l’Opéra ! de ce vendredi 16 mai. Runpu Wang, soprano et artiste du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, accompagnée au piano par le chef de chœur Alan Woodbridge, proposait un programme original autour d’histoires de femmes, nous entraînant des paysages du Sud de la Chine jusqu’au Paris de Francis Poulenc, en passant par l’Auvergne de Joseph Canteloube. Ce voyage musical, illustré par des projections d’aquarelles réalisées par Runpu Wang elle-même, a révélé les multiples nuances de sa voix expressive de soprano. Très élégante dans l'interprétation exigeante d'un extrait de Don Giovanni, Runpu Wang sait aussi se montrer pétillante et espiègle dans J'ai deux amants, un air issu de l’opérette L'Amour masqué de Sacha Guitry et André Messager. Ce concert a également permis de découvrir une autre facette du chef Alan Woodbridge, qui a interprété avec sensibilité les Deux Arabesques de Debussy. Son approche mélodique, marquée par une grande fluidité de la ligne musicale, a offert une lecture personnelle et vivante de ces pièces impressionnistes.
C'est une salle bondée qui à L'Étoile de Châteaurenard a applaudi debout à la fois l'œuvre de Marcel Pagnol, la belle mise en scène de Frédéric Achard et la remarquable prestation de l'ensemble des comédiens. Sans prétendre nous faire oublier la distribution légendaire de la pièce lors de sa création, immortalisée par le film, mais sans la pasticher non plus, la Compagnie Biagini a pendant plus de deux heures régalé le public de l'Étoile en servant avec brio ce monument de la culture provençale et ce chef d'œuvre du théâtre français.
C’est une Bohème à la fois sobre et émouvante que nous propose Frédéric Roels à l’Opéra Grand Avignon, reprenant la production qu’il avait conçue en 2019 avec la regrettée Claire Servais, aujourd’hui disparue. Ces trois représentations lui sont dédiées. Dans cet opéra de Puccini où l’on retient souvent la dimension tragique, le metteur en scène réussit à mettre en lumière les touches d’humour présentes dans le livret, accentuant par contraste la puissance dramatique du dénouement. Débarrassée de tout artifice spectaculaire, la scène symbolise la misère qui caractérise la vie des artistes. Dans ce décor minimaliste, où les costumes rappellent cependant le contexte historique, le jeu des chanteurs prend toute sa place et offre un regard plus direct sur l’essence du récit. Les solistes sont dirigés avec justesse et brillent par leur engagement vocal et dramatique. Gabrielle Philiponet incarne une Mimì bouleversante, sa voix chaude et expressive donnant une intensité particulière à Mi chiamano Mimì et à l'ultime Sono andati? qui arrache les larmes à une audience conquise. Diego Godoy, en Rodolfo, charme par la clarté de son timbre et par sa puissance dans le célèbre Che gelida manina. Charlotte Bonnet illumine le rôle de Musetta, notamment dans Quando m’en vo’, où elle se montre à la fois piquante et rayonnante. Aux côtés de Diego Godoy, Geoffroy Salvas (Marcello), Mikhael Piccone (Schaunard) et Dmitrii Grigorev (Colline) incarnent avec talent les artistes bohèmes, formant un quatuor parfaitement équilibré. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon et la Maîtrise donnent une belle ampleur aux scènes de foule. Malgré l’étroitesse du plateau, la chorégraphie des mouvements de foule est fluide et parfaitement maîtrisée, apportant une dynamique scénique lors des scènes de rue. L’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction inspirée de Federico Santi, déploie une richesse de nuances qui souligne les contrastes entre comédie et tragédie. Une mise en scène intelligente et sensible, qui apporte un regard renouvelé sur cette histoire d'amour intemporelle.
Si la musique baroque suscite un vif intérêt depuis de nombreuses années, le répertoire de la guitare baroque à cinq cordes demeure méconnu. Le guitariste Bruno Helstroffer nous invite à découvrir l’œuvre d’Henry Grenerin, musicien du Roi dès 1641. À travers un récit fantasmé mêlant la figure d’Henry Grenerin et l’histoire, entre ombres et lumières, du Roi-Soleil, il insuffle une nouvelle vie à cette musique injustement oubliée, dans une mise en espace poétique portée par le mime Stefano Amori. Un instant suspendu, empreint de grâce et propice à la rêverie.
La compagnie Les Pieds Nus propose une version adaptée et « modernisée » du Bourgeois Gentilhomme de Molière. C’est avec quelque appréhension que nous allions voir ce spectacle, car pourquoi revisiter cette pièce dont le message malgré les siècles reste d’une actualité brûlante : l’obsession des apparences et du statut social mène à l’aveuglement et à la manipulation. Nos craintes furent vite dissipées par la cohérence de la mise en scène de Bastien Ossart, qui incarne aussi également Monsieur Jourdain, et la virtuosité de l’ensemble des interprètes. Légèrement resserrée, la pièce de Molière est interprétée suivant les codes exigeants du théâtre baroque : une déclamation emphatique, une diction claire et rythmée soulignant la musicalité du texte et une gestuelle proche de la pantomime, sans oublier la mise en abyme et la rupture du quatrième mur. Ainsi les scènes originales sont commentées lors d’intermèdes burlesques qui éclairent les enjeux de l’intrigue, facilitant ainsi la compréhension des plus jeunes spectateurs. Les costumes, et singulièrement les chapeaux et coiffes, sont à la fois spectaculaires, colorés et délirants, évoquant l’univers fantasmagorique de Tim Burton. L’ensemble respecte à merveille l’esprit des comédies de Molière où texte, danse et chant s’entrelacent dans un rythme échevelé, déclenchant de nombreux éclats de rire. Un spectacle tout public, drôle, intelligent et surprenant, à ne pas manquer.
Le spectacle propose le récit de cette vie d’engagement et dresse un portrait sensible, porté par deux voix féminines, Marie-Christine Barrault et Hinda Abdelaoui. Chacune incarne tour à tour Gisèle Halimi, révélant les différentes facettes de cette personnalité emblématique, dont la force motrice fut une indignation viscérale face à l’injustice. La sobre mise en scène laisse toute la place à la parole, rythmée par des archives sonores où résonne la voix même de l’avocate, faisant naître une intense émotion. La grande salle de la Scala Provence était comble, rassemblant un public varié, avec de nombreux jeunes, attentifs et séduits. Au delà de l’hommage, le spectacle Gisèle Halimi, une farouche liberté est un spectacle essentiel qui invite à la réflexion et nourrit le débat toujours actuel sur les droits des femmes et la justice sociale.
Chaque année, l’Opéra Grand Avignon propose un opéra participatif, l’occasion de faire découvrir une œuvre emblématique à un jeune public, appelé à travailler plusieurs chants avant la représentation, dans le cadre scolaire ou lors d’ateliers d’apprentissage ouverts à tous, puis à participer depuis la salle lors de la représentation. La qualité et la variété des documents pédagogiques, disponibles en ligne ou en version papier, méritent d’être soulignées. Ces ressources, riches et adaptées, jouent un rôle clé dans le succès de cette initiative, ayant pour but de populariser l’opéra auprès du grand public, et notamment auprès des plus jeunes, en le rendant inclusif et participatif. Pour la saison 2024-2025, l’Opéra Grand Avignon, en coproduction avec l’Opéra de Rouen Normandie et le Teatro Sociele di Como-AsLiCo a choisi Turandot, présenté en version française. L’adaptation, particulièrement ingénieuse, offre une mise en abyme de l’histoire de Turandot : Calaf est un jeune homme d’aujourd’hui qui tombe éperdument amoureux du portrait de Turandot lors de la visite d’un musée. L’adaptation dramaturgique signée Andrea Bernard et le remaniement musical de la partition de Puccini par Enrico Minaglia mettent cet opéra grandiose à la portée d'un public familial, sans aucunement le dénaturer. L’histoire mêlant passion et enjeux tragiques se déploie dans une Chine légendaire, évoquée par des éléments visuels tels que les gongs, lanternes, dragons, masques ou jeux d’ombre. Ces symboles dialoguent subtilement avec la musique de Puccini, dont les orchestrations et motifs mélodiques évoquent un Orient imaginaire, empreint de mystère.
Le Bibliothécaire par la Compagnie du Gros Orteil Spectacle vu le 19 décembre 224 à …
Fondé en 2019 à Avignon par la compositrice Elisabeth Angot, l’Ensemble 44 a relevé le défi de populariser la création contemporaine auprès du grand public. Ce dimanche 8 décembre, le Théâtre du Balcon accueillait le troisième volet de la Saison Contemporaine en Avignon avec un concert intitulé Bagatelle : un voyage musical à travers des œuvres des XXe et XXIe siècles.
La quête des origines est un sujet inépuisable dans la littérature en général et au théâtre en particulier. Avec cet étonnant seul en scène, Kelly Rivière (alias Kelly Ruisseau) nous emmène avec elle dans la quête de ses racines irlandaises, à la recherche de son grand-père, exilé en Angleterre avant de disparaître complètement, sans que sa famille sache vraiment s'il est mort ou encore vivant. Cette enquête existentielle prend la forme d'un road-movie familial et drolatique, mettant en scène une galerie de personnages hauts en couleur, s'exprimant tantôt en français et tantôt en anglais. Kelly Rivière nous offre avec ce spectacle inspiré de sa vie une performance scénique exceptionnelle, aux allures d'introspection psychanalytique, mêlant émotion et humour. Bien entendu, cette quête de la vérité posera plus de questions qu'elle n'apportera de réponses. Mais comme chacun le sait, le voyage est toujours plus important que la destination. "Une histoire irlandaise" qui nous prouve qu'en effet, les petits ruisseaux font les grandes rivières...
Martin Harriague s'est emparé de ce motif mythique du rêve ou du cauchemar américain, non pas pour le caricaturer car tout leader populiste est déjà une caricature de lui-même, mais pour en extraire les structures, les mouvements et les rythmes sous-jacents, afin de démonter la mécanique hypnotique de Ia redoutable machine médiatique qui a conduit à la réélection de Donald Trump. Il en résulte une œuvre chorégraphique étonnante qui, loin d'être un plaidoyer ou un réquisitoire, souligne le pouvoir fascinant de la rhétorique de l'outrance, arme de ceux qui prétendent apporter une réponse simple à la complexité des problèmes du monde. Porté par l'enthousiasme et le talent des jeunes artistes du Ballet de l'Opéra Grand Avignon, et empruntant à l'iconographie et à la discographie éternelle de l'Amérique, America nous interroge sur le processus qui a conduit un homme seul, par un discours incantatoire, à plonger tout un pays dans une transe primitive pour le conduire, tel un joueur de flûte, au bord du précipice. Oui, hélas, tout totalitarisme comporte aussi une facette esthétique voire ludique qui peut fasciner. Et c'est aussi le propos, en forme de mise en garde, de cette œuvre exceptionnelle, avec laquelle Martin Harriague, qui vient d'être nommé directeur du Ballet de l'Opéra Grand Avignon, ouvre cette saison chorégraphique qui promet d'être magnifique.
Inspiré du roman La Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils, l'opéra La Traviata est un chef-d'œuvre intemporel. La fascination qu'il suscite réside dans le talent de Verdi à traduire en musique toute la complexité et l'humanité de personnages confrontés aux diktats d’une société conservatrice. L'interprétation de La Traviata proposée à l'Opéra Grand Avignon pour l'ouverture de la saison intulée « Femmes ! », s'inscrit d'ores et déjà parmi ces moments d'exception qui marquent les esprits et demeurent gravés dans les mémoires.
Poursuivant leur réflexion sur l'Art Brut, Gustavo Giacosa et son compagnon de route et accompagnateur Fausto Ferraiuolo, nous proposent un spectacle en forme d'hommage au très singulier destin de Melina Riccio, artiste hors norme au sens propre du terme. D'abord styliste, mariée et mère de famille, Melina Riccio, après une révélation, finira par tout abandonner afin de tenter de sauver le monde à sa façon, en un parcours à la fois christique, politique et artistique d'une extrême radicalité qui, après d’innombrables condamnations, la conduira à plusieurs reprises à l'internement en psychiatrie.
Lieu de spectacle, de création et de formation déjà profondément ancré dans le paysage culturel avignonnais et plus largement provençal, La Scala Provence nous proposait hier Les gros patinent bien, primé aux Molières 2022 en tant que meilleur spectacle de théâtre public. Avec ce titre énigmatique, Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan nous proposent un duo burlesque, hommage à la grande tradition de l’humour anglo-saxon, mais qui en est aussi une irrésistible parodie. S’il y a un message derrière cette avalanche de gags et de trouvailles en tous genres, c’est qu’on peut faire un grand spectacle avec des bouts de ficelles et de cartons… et en faire un véritable carton auprès du public. À condition bien sûr que ce spectacle soit porté par des artistes de talent, avec un engagement total. La performance repose entre autres sur le fait que le récit de cette histoire absurde est porté d’un côté par des pancartes à la manière de celles des films muets, et de l’autre par un hilarant monologue dans une langue inventée n’ayant de l’anglais que la sonorité. Un pur divertissement qui fait du bien en ces temps moroses.
Dans le cadre de la désormais célèbre Semaine Italienne d'Avignon, la Compagnie Rocking Chair Theatre nous proposait hier soir au Théâtre du Balcon un concert marionnettique. Un spectacle qui tout d'abord relève d'une prouesse technique, deux jeunes comédiennes et chanteuses prêtant leurs mains et leurs voix pour animer leurs doubles plus âgées en forme de marionnettes à taille humaine, tandis qu'une troisième manipule les têtes et les visages de ces personnages de commedia dell'arte. Le tout pour un récital de chansons populaires siciliennes, accompagnées à la guitare, au synthétiseur et au tombasse. Il émane de ce numéro burlesque mettant en scène deux vieilles dames plus ou moins indignes mais profondément attachantes un sentiment d'intense humanité. C'est la magie du spectacle vivant et de l'art de la marionnette, quand il est maîtrisé à ce point, que de conférer à une simple poupée de bois, de cuir ou de tissu une présence scénique plus importante encore que celle d'un simple acteur en chair et en os. Ce spectacle est aussi un pied de nez très poétique à la vieillesse, à la déchéance et à la mort. Le discret hommage à Brigitte Fontaine, autre vieille dame indigne de la chanson française devenu icône nationale, allait donc tout à fait de soi. Courez voir ces deux divas décrépies et déjantées, elles vous feront perdre la tête.
Le Rouge Gorge nous proposait ce dimanche, à l’initiative de l’Association Un Vent de Jazz, un voyage aux temps mythiques de la prohibition dans l’Amérique des années folles et des « speakeasies », ces bars clandestins où, bravant les interdits, on pouvait à la fois boire de l’alcool et écouter une musique émergente participant d’une certaine contre-culture. Explorant un répertoire ragtime, charleston, black bottom ou swing, ancré dans les cabarets des grandes villes du Nord plutôt que dans les clubs de la Nouvelle Orléans, ce talentueux et sympathique quintet nous transporte avec ce spectacle dans l’univers interlope des bars légendaires où s’est forgée autour du jazz une culture populaire empreinte d’un esprit de liberté qui allait révolutionner l’Amérique et le monde.
Les Midis à l’Opéra nous proposent, une fois par mois à l’heure du déjeuner, une parenthèse musicale enchantée. Un rendez-vous plébiscité par le public d’Avignon et des alentours. Ce vendredi, les Marx Sisters nous invitaient à un joyeux périple à travers l’Europe à la découverte de la musique et de la culture klezmer. Avec le violoniste Charles Rappoport, l’accordéoniste Raphaël Setty et le contrebassiste Benjamin Chabert, les sœurs Judith et Leah Marx, au chant et à la guitare, ont rassemblé autour d’elles une formation à la fois traditionnelle et originale. Ces jeunes artistes interprètent le répertoire des chansons yiddish et de la musique klezmer avec une douceur mêlée de fantaisie, invitant aussi bien à la joie qu’à la mélancolie, la musicalité et la richesse des harmonies vocales résonnant par ailleurs à merveille dans la très intimiste salle des Préludes de l’Opéra Grand Avignon. Un spectacle complet, plein d’humour, qui a vite emporté l’enthousiasme d’un public conquis. Si vous n’avez pas encore eu la chance d’entendre les Marx Sisters, ne manquez pas Drom’n’Klez, le festival de musique klezmer, qu’elles organisent ce week-end à Dieulefit.
Café Müller, créé par Pina Bausch en 1978, est une œuvre emblématique dans l'histoire de la danse contemporaine. Chaque mouvement, chaque déplacement et chaque interaction semble constituer les éléments constitutifs d’une bible originelle à laquelle se réfèrent tous les chorégraphes depuis. Boris Charmatz, le nouveau directeur artistique du Tanztheater Wupertal, nous invite avec Forever à une immersion totale dans Café Müller. Pendant sept heures, vingt-cinq danseurs se relaient pour interpréter cette pièce mythique, dans une transe, envoûtante et cathartique. L’interprétation a cappela des airs de Purcell par Julien Ferranti décuple l’émotion. Chaque performance est accompagnée de témoignages d’auteurs et de danseurs, figures historiques ou nouveaux interprètes, offrant des éclairages singuliers, parfois pleins d’humour, sur cette œuvre majeure. Le public participe aussi à sa façon à cet atelier imaginaire : inconfortablement installés à dessein sur des praticables au contact direct des danseurs, debout sur les passerelles ou plus classiquement assis dans des fauteuils, les spectateurs sont invités à se déplacer afin de varier les points de vue. Tentant parfois maladroitement de se mouvoir avec la même grâce que les artistes, le public devient partie intégrante de cette expérience unique. Un spectacle coup de cœur de Libre Théâtre.
Alexis HK et Benoît Dorémus nous proposent un tour de chant théâtralisé, composé de chansons à thème et d'intermèdes en forme de sketchs faussement ou parfois vraiment improvisés. L'univers est à la fois poétique et humoristique. Ce duo comique et romantique fonctionne à merveille, la voix chaude et la nonchalance du premier se combinant parfaitement avec la voix plus perchée et le caractère plus mordant du deuxième. Le spectacle dans son ensemble apparaît comme un éloge de la modestie, l'apparente superficialité du propos cachant une profonde sensibilité aux petites choses de la vie, qui en font tout le sel. On est vite conquis par cet irrésistible duo aux allures de Simon and Garfunkel sous Prosac, dissertant dans leur loge avant un concert sur la vanité de l'existence en général et du showbiz en particulier. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
Il est de grands écrivains comme Céline, dont on admire l'œuvre en dépit de la petitesse de leur vie, qui les disqualifie en tant qu'homme par des compromissions nauséabondes. Il en est d'autres dont l'œuvre est en parfaite harmonie avec une vie exemplaire, vouée toute entière au service de l'Homme et du Peuple. Hugo et Zola sont de ceux-là. Située au moment de "l'Affaire", cette pièce est un duel verbal sans merci entre Zola, le génie littéraire que tout le monde connaît, qui sa vie durant paya le prix de ses engagements, et un pamphlétaire à succès de l'époque, complètement oublié aujourd'hui : Léon Daudet, le fils d'Alphonse. L'Affaire Dreyfus est la la fois la honte et l'honneur de la France. La honte des obscurs motifs de la condamnation de cet honnête homme, en pleine montée de l'antisémitisme dans notre pays. L'honneur de son éclatante réhabilitation, rendue possible par le courage d'une poignée d'intellectuels et par la liberté de la presse. Ce spectacle s'inscrit dans la lignée des grandes confrontations verbales au théâtre, comme "Le Souper" ou "Diplomatie". Il est solidement basée sur l'écriture ciselée de Didier Caron, servie par l'interprétation étincelante de Pierre Azéma et de Bruno Paviot. Il nous livre avec brio et souvent avec humour un message humaniste, en ces temps troublés où ressurgissent partout dans le monde les vieux démons qui ont déjà causé tant de souffrances par le passé. Oui, tout simplement, cela fait du bien d'entendre parfois un très beau texte, superbement interprété, et porteur d'espoir. Alors pourquoi s'en priver ? Cette pièce, en effet, nous rappelle aussi qu'il n'y a pas de bon spectacle sans un bon auteur... à une époque où, à Avignon notamment, trop de comédiens ou de metteurs en scène pensent pouvoir se passer d'un auteur tout court. Avec des œuvres comme celle-ci, mais aussi Fausse Note, ou encore Un Cadeau Particulier, cet auteur discret, qu'on peut croiser tous les jours en train de tracter lui-même dans les rues d'Avignon, bâtit une œuvre à la fois brillante et engagée, s'adressant néanmoins à un très large public. Le théâtre que l'on aime et que l'on défend. Un Coup de Cœur de Libre Théâtre.
Mères. Un chant pour temps de guerre. Les filles et les mères font partout dans le monde l'objet de violence. En temps de paix dans tous les compartiments de la société, mais aussi, voire surtout, dans les foyers. En temps de guerre où le viol est élevé au rang d'arme de destruction massive. Il est des spectacles pour lesquels on ne peut distinguer la dimension esthétique et la portée politique. C'est le cas de cette performance collective chantée et parfois même criée à la face du public et du monde. Marta Górnicka a rassemblé pour l'occasion un groupe de femmes principalement ukrainiennes, victimes de ces violences utilisées comme une continuation de la guerre par d'autres moyens. Quand dire c'est faire, quand crier c'est agir, le spectacle vivant devient un défi à la barbarie et un combat pour l'émancipation. Un combat qui semble hélas sans fin tant les fragiles victoires sont souvent suivies d'impitoyables contre-attaques. Oui, l'invasion de l'Ukraine tient au sens figuré comme au sens propre d'un viol collectif. Et au cri de révolte de ces femmes violentées mais toujours debout, le public de la Cour d'Honneur a répondu par une longue "standing ovation" en marque de soutien. Soutien à l'Ukraine, aux femmes, aux femmes ukrainiennes, et à toutes les femmes partout dans le monde.
Pour tous les amateurs de musique classique, la mention Köchel qui sert à identifier les œuvres de Mozart est souvent une énigme. C’est à la résolution de ce mystère que nous invite ce spectacle, à travers l’exploration des œuvres de Mozart et de la sonate pour piano n° 11 (K331), célèbre pour son troisième mouvement dit « alla turca ». Entre burlesque et récital, Camille de Léobardy illustre le difficile processus créatif, même chez un génie, en faisant dialoguer les personnages de Mozart et de Ludwig van Köchel, tout en interprétant des extraits de la sonate dans sa version originale, mais aussi dans de multiples variations passant avec facilité du tango au jazz. Une prouesse musicale et théâtrale, non dénuée d’humour puisqu’elle propose une version inédite pour harmonica et djembé. Un spectacle rafraichissant pour vos soirées avignonnaises.
Un hommage à Charles Gentes, chanteur de l'après-guerre aujourd'hui oublié, en forme de comédie musicale empruntant aux nombreux tubes de la chanson populaire de cette époque... qui apparaîtrait presque de nos jours comme un âge d'or. Ce spectacle plein d'humour mais aussi d'émotion nous raconte l'histoire familiale épique et tourmentée de ce chanteur surnommé "La voix d'or", mais il le fait d'une façon très originale par une habile mise en abyme, le spectacle étant comme conçu comme le récit de sa propre élaboration. Les six comédiens et comédiennes sur le plateau, accompagnés par un musicien, chantent à la perfection et dansent à merveille. On ne résiste pas longtemps à leur bonne humeur et à leur enthousiasme. Un spectacle qui fait du bien et dont on ressort ragaillardi.
Dans le monde du trafic de drogue comme dans celui des affaires en général, ce sont les plus pauvres qui paient le prix de la prospérité des nantis. Et plus grande est la misère, plus le prix à payer est élevé. Lola Arias a choisi de mettre en lumière celles qui, par leur origine sociale et par leur orientation sexuelle, sont tout en bas de l'échelle, et peinent à trouver leur place, jusque dans un système carcéral répartissant les détenus par genre. La vie de ces damnées de la Terre est un aller-retour permanent entre le dedans et le dehors. La prison, et ce monde hostile qui les rejette encore un peu plus pour avoir fait de la prison. Comme les alcooliques qui comptent leurs jours de sobriété, ces condamnées à vivre comptent leurs jours de liberté, rythmés par la crainte de la rechute. Mais cette sombre médaille a son revers étincelant. Avec ce très beau spectacle aux allures de comédie musicale, Lola Arias offre à ces ex-détenues argentines la possibilité d'une reconversion, et l'espoir d'une rédemption. Le public est saisi dès le départ par l'irrésistible énergie et l'extraordinaire envie de vivre de ces victimes du système résolues à reprendre leur destin en main, en faisant de leur histoire non pas une complainte mais un show flamboyant et un hymne à la vie, à la tolérance, à la liberté et à la fraternité. Dans le cadre somptueux de l'Opéra d'Avignon, voir le public applaudir debout cette résurrection est une expérience exceptionnelle et un motif d'espoir. Un spectacle magnifique, émouvant et nécessaire. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
"La Véritable Histoire de Saint-Genest" de Jean de Rotrou raconte l'histoire d'un acteur païen du IIIème siècle, Genest, qui se convertit au christianisme, tout en jouant un martyr chrétien sur scène. Face au public et à l’empereur romain, le comédien transcende l'imitation pour devenir l'incarnation même de son rôle, et il est finalement exécuté pour avoir refusé d'abjurer sa foi. Cette œuvre a marqué l’histoire littéraire par son exploration métathéâtrale, par ses multiples mises en abyme, et par ses considérations sur le doute, la liberté de croire, et l'affirmation que le mérite est indépendant de la naissance. Cette réflexion sur le théâtre et la condition de comédien a bien sa place dans l’effervescence d’Avignon et c’est tout à l’honneur de la troupe de Bourbon de proposer cette pièce exigeante. Avec dix comédiens sur le plateau, la mise en scène sobre mais efficace, met en valeur la langue poétique et expressive de Jean de Rotrou. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un classique injustement délaissé du répertoire.
Ernest, Désiré et Stanislas reçoivent un faire-part un peu particulier, puisqu'il leur annonce l'imminence de leur propre mort. Mais ces trois petits vieux ne l'entendent pas de cette oreille, et ils vont faire de la résistance... avant d'accepter finalement avec philosophie cette inéluctable fatalité : la vie n'est pas éternelle. Reste cependant une question beaucoup plus importante : qu'ont-ils fait de leur vie ? Un spectacle burlesque qui nous vient du Québec, mettant en scène trois personnages masqués en révolte contre le destin tragi-comique qui est le leur, comme il est aussi le nôtre. Y a-t-il une vie avant la mort ? Telle est la véritable question. Le décor, très sobre, participe à créer une esthétique très graphique. Un spectacle poétique et drolatique. Pour tout public.
Les réunions de famille constituent un sujet inépuisable pour les comédies de boulevard. Ici, c'est une fratrie qui se retrouve à l'occasion du décès de leur père pour organiser les funérailles. Bien sûr, tout le monde n'est pas d'accord, et les caractères différents de chacun s'opposent en une perpétuelle joute oratoire. Les bons mots fusent du début à la fin. Sans oublier quelques révélations et autres surprises. Car c'est bien connu, quand quelqu'un meurt, on découvre souvent bien d'autres cadavres dans les placards. Une comédie bien ficelée, teintée d'humour noir.
Dorante, un jeune étudiant fraîchement arrivé de province, ne cesse de mentir pour impressionner deux jeunes filles, entraînant une série de quiproquos dont il deviendra finalement la victime. Chef d’œuvre comique en alexandrins, « le Menteur » est une pièce très atypique de Corneille. Marion Bierry accentue la méta-théâtralité déjà présente dans « le Menteur » en intégrant dans le spectacle des extraits de la pièce « Les Suites du Menteur ». Les mensonges de Dorante apparaissent comme autant d’actes théâtraux qui mettent en lumière le pouvoir de la fiction. Elle transforme certaines répliques en passages musicaux, chantés sur des mélodies bien connues, à la manière des vaudevilles du XIXe siècle. Le public est emporté par le rythme de la pièce et l’énergie des comédiens, qui maîtrisent à la perfection les alexandrins. Une très belle mise en scène d’un classique du théâtre français.
Il est impossible de séparer l'œuvre, la vie, et la mort tragique de Lorca, car comme dans toutes les tragédies, son destin semblait scellé d'avance, comme la seule voie possible vers l'immortalité. En effet, si les dictateurs peuvent assassiner les poètes, ils ne pourront jamais assassiner la poésie. Cet hommage au destin christique de Lorca, orchestré par Jessica Walker, a des allures de messe noire, avec pour officiant la figure de la mort, empruntée à la mythologie populaire mexicaine. Ce Mexique où Lorca avait prévu de se rendre et qu'il ne put jamais connaître. L'engagement total de l'ensemble des comédiens est, avec la flamboyance du visuel, l'un des principaux arguments de ce spectacle époustouflant. L'aspect industriel du lieu et l'économie de moyens ajoutent encore à la puissance exceptionnelle de cette proposition unique, et elle est parfaitement en accord avec son propos : faire naître le sublime du presque rien et l'offrir en partage n'importe où. En cette année où la langue invitée dans le IN est l'espagnol, ces jeunes espoirs de la scène ibérique auraient mérité la Cour d'Honneur. Le plus gros coup de cœur de Libre Théâtre depuis le début du festival.
Avec ses faux airs de crooner des Balkans, le virtuose Paul Staïcu nous invite à une plongée pianistique et humoristique dans la Roumanie de Ceausescu. Avec une irrésistible autodérision, il nous raconte comment la musique, sous toutes ses formes, lui a permis de survivre à la dictature, puis même d'y échapper... trois mois avant la chute du mur de Berlin, qui entraîna aussitôt celle du régime totalitaire dans le pays dont il venait à peine de s'évader. Au-delà de cette fresque historique brossée avec drôlerie et élégance, ce pianiste hors pair, doté aussi d'un grand talent comique, tente de réconcilier les musiciens que nous avons été, ou que nous aurions pu être, avec une discipline d'apprentissage musicale dont il est néanmoins difficile de nier le caractère aride. Reste que la musique, si elle ne suffit pas hélas à adoucir les mœurs, est à l'évidence une ouverture sur le monde et sur les autres. Ainsi qu'une invitation au rêve et à la fraternité. Un spectacle porté par un artiste très attachant et au parcours étonnant. Pour tous les publics, musiciens d'active ou réservistes, repentis ou sympathisants. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
Le spectacle moliérisé qui, il y a une dizaine d'années, fit connaître Alexis Michalik, revient à Avignon au Chêne Noir. Sur une trame de feuilleton à la manière d'Alexandre Dumas, ce récit haletant entrelace habilement plusieurs intrigues, mêlant fiction et réalité historique, pour conduire le spectateur jusqu'à la surprise du dénouement final. Cinq acteurs de talent incarnent une trentaine de personnages dans un décor réduit au minimum. Mais par la magie du théâtre, l'auditoire est transporté à travers les continents à diverses époques. Un spectacle illustrant à merveille la capacité éternelle du récit à créer un monde plus vrai que nature. À ne pas manquer.
George déteste le prénom que lui ont imposé ses parents à sa naissance, comme le signe anagrammatique prémonitoire d'un avenir funeste. Pire encore, les prénoms des futures conquêtes de George semblent également être écrits à l'avance. Dans un élan de révolte contre la fatalité, George refuse de connaître le prénom de la femme qu'il vient de rencontrer, de crainte que le prénom de sa bien-aimée ne corresponde pas à celui que le destin a déjà choisi pour lui. Mais comme chacun sait, se révolter contre le destin, c'est ouvrir la porte à la tragédie... On l'aura compris, cette tragédie tournera vite à la farce. Une comédie burlesque et romantique servie par cinq comédiens et comédiennes totalement investis dans leurs personnages, et magnifiée par un décor habilement modulable, donnant à l'ensemble des allures de bande dessinée. Une tragi-comédie onomastique très originale et résolument désopilante. À ne pas manquer.
Une jeune fille retourne au domicile d’une vieille dame excentrique récemment disparue. Mais cette maison douce est encore hantée par le fantôme de son amie, qui vient lui raconter les épisodes marquants de sa vie, à travers quelques chansons emblématiques de son époque. La pianiste Susanna Tiertant et la contrebassiste Claire Mazard revisitent avec une musicalité rare les œuvres d’Anne Sylvestre, Brigitte Fontaine, Barbara, Yvette Guilbert, Dalida ou Juliette. Leur interprétation, à la fois sensible et humoristique, constitue sans aucun doute le principal attrait de ce spectacle à fleur de peau. L'occasion peut-être pour la jeune génération de découvrir ou de redécouvrir les chansons qui ont accompagnées leurs grands-mères et leurs mères dans leurs luttes. N'hésitez pas à faire un tour dans cette maison douce en cette période trouble où les droits des femmes sont partout remis en cause. Simone de Beauvoir prévenait déjà en 1974 : "Rien n'est jamais définitivement acquis. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes."
Après Issue de Secours, qui se déroulait dans une cabine de pilotage en folie, le duo comique Benjamin et Hadrien nous revient dans un nouveau spectacle où ils incarnent cette fois deux policiers complètement déjantés aux prises avec une enquête totalement foutraque. La recette de cet incroyable numéro burlesque reste la même, et le succès est encore au rendez-vous. Jeux de mots potaches et gags à répétitions, pastiches en tout genre et postiches de tout poil. Ces deux artistes de cabaret hors pair ne s'économisent pas dans ce show endiablé au rythme frénétique. Une véritable performance comique qui ne laissera personne indifférent. On en sort épuisé pour eux mais requinqué pour la journée. C'est aussi cela Avignon. Le théâtre dans toute sa diversité. Courez voir ce spectacle en fin d'après-midi ! Vous serez complètement détendus pour affronter la Cour d'Honneur en soirée...
Dans l'URSS de l'après-guerre, Lidia, une femme d'un certain âge, rencontre Rodion, un homme d'un âge certain, dans la maison de repos où elle doit passer quelques jours. Lidia est une patiente du genre impatiente. Rodion est un médecin bougon et un brin misogyne. Ensemble, ils vont remettre en cause les certitudes dans lesquelles ils sont l'un et l'autre installés, et retrouver la joie de vivre, voire renouer avec des sentiments qu'ils pensaient ne plus devoir éprouver. Jusqu'à embarquer tous les deux sur le même bateau pour un dernier voyage ? L'émotion procurée par ce spectacle vient d'abord de la présence scénique de ces deux grands comédiens, issus de la Comédie Française, qui parviennent à sublimer un texte au charme un peu désuet. Dans la fournaise avignonnaise, une comédie romantique à savourer comme un bonbon acidulé.
La vie de Gomidas, prêtre, compositeur et ethnomusicologue arménien est à de nombreux égards extraordinaire, marquée à la fois par son talent et par les soubresauts de l'Histoire. Né en 1869 dans l'Empire ottoman, parlant le turc, il a contribué au rayonnement de la musique arménienne en collectant, harmonisant et diffusant des milliers de chansons populaires, à travers notamment la fondation de chœurs. Comme tant d’autres, son destin est tragiquement bouleversé en 1915, quand il est arrêté et déporté. Bien que libéré alors que ses compagnons périssent dans le terrible génocide, il n’arrive pas à surmonter le traumatisme des atrocités et termine sa vie dans des asiles psychiatriques en France. Le metteur en scène Ahmet Sami Özbudak a choisi de situer l’histoire au crépuscule de la vie de cette figure emblématique de la culture arménienne. Dans des délires hallucinés, dialoguant avec un mouton imaginaire, Gomidas, incarné formidablement par Fehmi Karaarslan, se remémore les principaux moments de sa vie. Le récit poétique est ponctué de chants liturgiques et populaires interprétés par une chorale arménienne, dont l’écho résonne magnifiquement dans la Chapelle des Italiens. La vidéo sera remplacée pendant trois dates par le choeur arménien de Marseille Sahak Mesrop, les 5, 13 et 19 juillet. Un spectacle marquant, d’autant plus remarquable qu’il est proposé par la compagnie franco-turque teatrINO. Un message d’espoir en ces temps troublés.
En mettant en scène encore une fois de jeunes artistes en devenir, Ahmed Madani poursuit son exploration de la difficile mais nécessaire et salutaire intégration de la jeunesse dans le monde pas toujours accueillant qui l'entoure. Une intégration plus problématique encore lorsque cette jeunesse est éloignée de ce que les élites autoproclamées ont coutume d'appeler, avec quelque condescendance pour ceux qui en sont exclus, le monde de la culture. Or l'art en général, et singulièrement le théâtre, reste pour nous tous sans exclusive un extraordinaire outil pour s'accepter soi-même, et pour conduire les autres à accepter la différence de chacun. La scène, en effet, est le lieu par excellence où en rêvant sa vie on peut faire de ce rêve une vérité plus tangible encore que la simple réalité de notre quotidien. Palliant les travers voire les perversités de l'éducation parentale et scolaire, le théâtre est donc une formidable école de la vie. Même si cette école de la liberté est hélas souvent dirigée aussi par des tyrans. Au-delà de ce message d'espoir, dénué de tout angélisme, on saluera la performance de ces sept comédiennes et comédiens qui parviennent à nous donner l'illusion de la fragilité des personnages qu'ils incarnent grâce à la force que leur confère un savoir-faire déjà très accompli. La mise en scène, dans sa sobriété très graphique, s'efface pour mettre en lumière l'humanité qui transpire de ces jeunes artistes, nous invitant comme eux à faire encore et toujours de nos rêves les plus fous un projet de vie pour demain. Notre premier coup de cœur du festival.
En conclusion sa saison lyrique, l’Opéra Grand Avignon a choisi le grandiose Boris Godounov de Modeste Moussorgski, présenté dans sa première version de 1869, en sept scènes. La mise en scène de Jean-Romain Vesperini convoque l’imaginaire de la vieille Russie, tout en donnant une dimension shakespearienne à cet opéra. L’espace scénique est divisé en deux niveaux : au début du récit, le pouvoir occupe la partie supérieure, illuminée par un Christ orthodoxe rayonnant, tandis que le peuple erre en dessous dans un espace sombre où des troncs, tels des racines, inversées entravent leurs mouvements. Composant de véritables œuvres picturales, grâce à la vidéo, aux jeux de lumières et aux somptueux costumes, les tableaux se succèdent, symbolisant l’évolution psychologique puis la déchéance de Boris Godounov.Luciano Batinic incarne avec talent ce personnage complexe et impressionne par sa voix puissante et expressive, ainsi que par sa présence scénique. À ses côtés, les autres solistes composent également un plateau exceptionnel. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon apporte dans ses interventions une profondeur et une intensité qui subliment l'ensemble, tandis que les voix cristallines de la Maîtrise de l’Opéra évoquent la pureté et la vulnérabilité. Sous la direction de Dmitry Sinkovsky, l’orchestre national Avignon-Provence exprime toutes les couleurs et les nuances de la partition de Moussorgski, alternant des passages très doux et subtils avec des sections énergiques et retentissantes.Un superbe spectacle qui clôt en beauté la saison Magique ! de l’Opéra Grand Avignon.
Superbe concert hier soir dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, avec DEMOS Avignon-Provence, les enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Grand Avignon, la Maîtrise et le Choeur de l’Opéra Grand Avignon, l’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction musicale de la flamboyante Débora Waldman. Ce concert exceptionnel était un aboutissement. Pendant trois ans, plus de 90 élèves de 6 écoles avignonnaises ont participé au projet Démos Avignon-Provence : ils ont reçu un instrument de musique, ont été formés à la pratique de la musique classique et ont été parrainés par les musiciens de l’Orchestre national Avignon-Provence. Par ailleurs, 150 enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Grand Avignon, issus d’écoles et de collèges des quartiers prioritaires de la ville, ont été formés par des musiciens du Conservatoire et de l'Opéra Grand Avignon.
Recommandations de Libre Théâtre pour l’édition 2024 du Festival d’Avignon. Sélection de spectacles relevant de genres très variés, joués dans des théâtres réputés mais aussi dans de très petites salles, par des compagnies connues et d’autres pour lesquelles Avignon est une première.
Douze Cordes, le dernier spectacle proposé par l’Opéra Grand Avignon à l’Autre Scène de Vedène, est le résultat d’un incroyable travail de plusieurs mois avec des détenus du Centre Pénitentiaire du Pontet. Cet opéra boxé interdisciplinaire, orchestré par le chorégraphe et metteur en scène Hervé Sika, donne à entendre la parole rare de ces personnes incarcérées, qui ont pu s’exprimer, sous différentes formes, dans des ateliers de boxe, de danse, d’écriture et de théâtre. La boxe, utilisée comme métaphore de la vie, est au centre du spectacle et symbolise le combat que l’on doit mener pour vivre. C'est aussi une manière de parler de la violence, de l’apprivoiser et de la canaliser. L'opéra se déroule en trois actes, chacun illustrant une étape cruciale du voyage intérieur des interprètes. Le premier acte s’intéresse à la préparation, du travail en solitaire à l’entraînement collectif. Le deuxième acte plonge les interprètes dans une confrontation avec eux-mêmes, face à leur miroir. Ici, la boxe devient une lutte intérieure contre leurs propres peurs et démons. Le dernier acte représente le combat. Vêtus des somptueux costumes de l’Opéra, les interprètes se livrent à un duel métaphorique. Le combat ne se limite pas à la confrontation physique, il illustre également la résilience nécessaire pour continuer à vivre, même après une défaite. Le vaincu doit trouver la force de se relever, tandis que le vainqueur doit également faire face à ses propres défis. Sur scène, l’humanité et l’universalité du propos se traduisent par la symbiose entre les arts mais aussi entre les artistes, professionnels ou non. Transcendant le temps, le quatuor à cordes féminin issu de l’Orchestre national Avignon-Provence et la chanteuse lyrique Aurélie Jarjaye accompagnent les mouvements chorégraphiés en interprétant des airs empruntés à plusieurs époques, de la musique baroque à l’époque contemporaine. D’abord en fond de scène, elles interviennent ensuite au centre du plateau, où évoluent les boxeurs-danseurs entraînés par Careem Ameerally, la danseuse Marina Gomes et le circassien Mawunyo Agbenoo. Le DJ Junkaz Lou, qui domine la scène, joue et mixe avec beaucoup de musicalité les grands airs classiques avant de devenir le véritable arbitre du combat. La beauté des tableaux, la pureté des mélodies et la sincérité des textes écrits et interprétés par les détenus ont touché profondément le public, qui a réservé une véritable ovation aux artistes à l’issue du spectacle.