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Le Rouge Gorge lançait ce samedi 23 septembre sa première saison musicale avec le concert exceptionnel d'un duo venu d'Argentine : Océano Dúo. Une parenthèse enchantée pendant laquelle Silvana Turco (à la flûte traversière et à la quena) et Sebastián Pérez (à la guitare et au chant) ont convié leur auditoire à un voyage aux confins de l'Argentine et du Brésil, en alternant musiques traditionnelles et compositions personnelles. Sans oublier cette touche d'improvisation qui rend unique chacun de leur spectacle. En tournée dans toute l'Europe, ce couple (à la scène comme à la ville) très attachant donnait à Avignon son dernier concert avant de regagner Buenos Aires.

L’usine Plastac va fermer. Cette délocalisation, motivée par de cyniques raisons de rentabilité, poussera vers le chômage des centaines d’employés. Face à cette injustice, trois amis, une ouvrière, un artisan et un prof, basculent sur un coup de tête dans la radicalité politique, en enlevant le journaliste qui, à la télé, défend systématiquement le point de vue de la direction. Avec cette sympathique comédie à la Ken Loach, la Compagnie des Barriques parvient à éviter toutes les caricatures qu’un tel sujet auraient pu susciter. Ici, pas de misérabilisme, de discours militant ou de leçon de morale. On vit surtout cette aventure rocambolesque au plus près de ces trois pieds-nickelés du terrorisme politique, et même de leur otage qui finira par se rallier à leur cause tout en condamnant les moyens utilisés. Le message humaniste, cependant, est clair. Nous vivons dans une société profondément inégalitaire, dans laquelle la richesse des uns résulte directement de la misère des autres. Point n’est besoin d’être marxiste pour le constater. Tout le monde le sait, mais les plus privilégiés d’entre nous excusent leur passivité en rendant responsable de cette situation un système qui s’imposerait à tous, pour le meilleur et hélas souvent pour le pire. Cette pièce habilement écrite est défendue par trois comédiens au jeu très réaliste, presque cinématographique. Cependant la mise en scène, brillante, apporte une dimension visuelle et sonore qui font de cette proposition un véritable spectacle théâtral. Derrière le drame, par ailleurs, l’humour n’est jamais loin. Cette comédie ne changera pas le monde cruel qui nous entoure, mais elle contribuera peut-être à changer un peu le regard que nous portons sur lui, et à considérer avec un peu plus d’empathie ceux qui souffrent vraiment des injustices sociales. Un spectacle à ne pas manquer.

Les populismes identitaires font généralement peu de cas de la culture. Sauf à convoquer un folklore ancien pour exalter les traditions nationales. La création contemporaine et multiculturelle, pour sa part, est délaissée, quand elle n'est pas tout simplement censurée par ces partis politiques d'extrême-droite, souvent élus démocratiquement, mais rétrogrades et réactionnaires. Ce mouvement de repli sur soi est hélas à l'œuvre un peu partout dans le monde, y compris en Europe, et jusque dans notre propre pays. S’emparant à bras le corps de cette problématique très actuelle, la compagnie Dusan Hégli nous propose un spectacle qui, en convoquant à la fois le théâtre, la musique et la danse, prend à revers cette politique culturelle délétère qui voudrait faire de la légitime célébration des traditions une négation de toute invention et de toute évolution. Au départ, il y a le texte puissant de Samuel Beckett, Catastrophe. Écrite en 1982 et créée au Festival d'Avignon la même année, cette pièce est un hommage au dramaturge tchèque Václav Havel, alors emprisonné. Lajos Parti Nagy s’inspire de ce texte pour en densifier le propos. Sous la seule forme d'une voix off, il présentifie sur le plateau et dans la salle un metteur en scène à la fois démiurge et tyran, d'autant plus terrifiant qu'on ne voit de lui que ses mains, en vidéo. Cette sorte de Big Brother s’adresse directement aux neuf danseurs, héritiers de la tradition folklorique d’Europe centrale, pour les diriger, mais surtout pour les dominer et leur imposer sa vision totalitaire. La force de cette proposition est précisément de célébrer ces danses traditionnelles, exécutées à la perfection par des danseurs d'exception, pour dénoncer la célébration du passé lorsqu'elle se veut une négation de l'avenir. La partition musicale de ce spectacle est jouée en direct par un quatuor remarquable, qui fascine par son habileté à mêler mélodies folkloriques, œuvres de Béla Bartok et créations originales. En arrière plan, un mur de vidéos évoque toutes les formes du totalitarisme, de manière symbolique ou réaliste. Un spectacle à la fois magnifique dans sa forme et essentiel dans son propos. Un coup de cœur de Libre Théâtre

Disons-le tout net, "La poésie de l'échec" est une réussite absolue. Sur le thème éternel de la famille comme source de toutes nos névroses, la Compagnie Marjolaine Minot nous propose un spectacle burlesque d'une extrême modernité et d'une efficacité totale. C'est l'histoire d'une famille ordinaire, avec ses secrets et surtout ses non-dits. L'originalité de cette comédie est de donner vie au sous-texte de ces conversations familiales, volontairement banales jusqu'à l'absurde, en donnant à voir le ressenti des personnages, mimant de tout leur corps ce que la bienséance leur interdit de verbaliser. Les trois comédiens sur scène excellent dans cet exercice expressionniste requérant une très grande maîtrise. Ils sont accompagnés en live par un "beat-boxeur" rythmant ce mimodrame familial tout en ajoutant au comique des situations par ses bruitages incongrus. L'humour passe d'abord par le visuel, mais le texte est également ciselé. Sans oublier quelques répliques savoureuses qui mériteraient de devenir cultes...Un spectacle comme on les aime, d'une grande virtuosité mais sans démonstration excessive, qui sans se prendre au sérieux nous parle de nos échecs pour les conjurer. Un coup de cœur de Libre Théâtre.

La population argentine est principalement constituée d'immigrés... dont les descendants ont à leur tour beaucoup émigré. L'exil est donc inscrit dans l'ADN des Argentins. L'exil qui a conduit les grands-parents à quitter leur patrie d'origine pour les conduire jusqu'à cette terre du bout du monde. L'exil qui sous la dictature a poussé leurs enfants à quitter l'Argentine pour des raisons politiques. L'exil encore qui a contraint leurs petits-enfants à fuir le pays cette fois pour des motifs économiques. C'est cet exil que nous raconte en musique et en chanson Matías Chebel, né à Buenos Aires, accompagné de deux musiciens d'exception qui eux aussi sont des exilés : Élie Maalouf, né au Liban, et Marc Vorchin, né aux Antilles. Étranger partout, jusque dans son pays d'origine lorsqu'il lui est donné d'y revenir, l'exilé est souvent contraint à devenir un citoyen du monde. Les origines de Matías sont en Espagne, en Italie, au Liban... et dans ces terres précolombiennes qu’on n’appelait pas encore l'Amérique. Les peuples autochtones, dont la civilisation a été anéantie, ne sont-ils pas eux aussi en exil sur leur propre terre ? Ex(ODE) est un magnifique et émouvant hommage à tous les exilés d'hier et d'aujourd'hui. Dans cette période aux relents nationalistes qui voudrait faire du migrant un bouc émissaire, ce spectacle est surtout une ode à cette fraternité basée sur la certitude que nous sommes tous si ce n'est des migrants nous-mêmes, du moins de purs produits de l'exil. À un moment ou à un autre, en effet, nos ancêtres ont tous dû quitter leur pays ou leur région de naissance pour une terre inconnue. Un spectacle chargé de beaucoup d'émotions, à célébrer ensemble, et en musique, comme un moment de partage et de communion.

Actualité du répertoire de Jean-Pierre Martinez

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