Le Misanthrope et l’Auvergnat d’Eugène Labiche, Lubize et Paul Siraudin

Comédie en un acte mêlée de couplets, représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 10 août 1852.
Distribution : 4 hommes, 3 femmes
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L’argument

M. Chiffonnet est un misanthrope qui déteste le mensonge, le vol et la fourberie. Quand il rencontre Machavoine, un auvergnat  intègre et sincère, il est aussitôt séduit, mais la vérité est parfois difficile à supporter au quotidien…

Un extrait

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Le misanthrope et l’auvergnat : portrait de Sainville / par Lhéritier 1852. Source : BnF/ Gallica

Chiffonnet.
Trente mille francs ! Mais plutôt que de te les donner, j’aimerais mieux… fonder une société pour la destruction des animaux nuisibles… y compris les porteurs d’eau !… Et dire que j’en ai pour neuf ans !… Trois, six ou neuf, à sa volonté… pas à la mienne !… Ah ça ! mais je suis dans la position de Laocoon… avec un Auvergnat qui me serpente autour du cou… qui m’étrangle… qui m’étouffe !… Comment faire pour le renvoyer dans ses sales montagnes, dans son savoyard de Puy-de-Dôme ? (Tout à coup.) Oh ! je conçois un vaste dessein !… une idée machiavélique… mais tellement machiavélique, que je n’ose pas me la confier à moi-même… Si je pouvais trouver sous ma main un ange assez déchu… pour lui dire… Ah ! Prunette !
Prunette, à part.
J’ai reporté l’ombrelle !… elle est sauvée !…
Chiffonnet.
Prunette… tu as fait un coup de maître tout à l’heure ; je t’en sais bon gré… Regarde-moi… je dois avoir quelque chose de méphistophélistique dans l’œil ?
Prunette.
Il vous est entré quelque chose dans l’œil ?

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64009104
Le misanthrope et l’auvergnat : portrait de Jules Brasseur  par Lhéritier, 1852. Source : BnF/ Gallica

Chiffonnet.
Comment trouves-tu le petit ami que je me suis procuré ce matin ?
Prunette.
Machavoine ?
Chiffonnet.
Oui.
Prunette.
Dame… monsieur… je le trouve bel homme.
Chiffonnet.
Très bien… Prunette, il faut croiser les races… J’ai envie de te le donner en mariage.
Prunette.
À moi ?
Chiffonnet.
Mais à une condition.
Prunette.
Laquelle ? parlez…
Chiffonnet.
Ecoute-moi… Prunette, tu es de l’étoffe des Lisette et des Marton dont fourmille le répertoire du Théâtre-Français (édition Dabo, soixante-sept volumes, très mal imprimés). Ces démons femelles… pas de mouvement ! ça me gêne dans mes narrations… sont le type de la fourberie et de la duplicité.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400912z/f1.item
Le misanthrope et l’auvergnat : portrait de Sainville / par Lhéritier, 1852. Source : BnF/ Gallica

Prunette.
Mais, monsieur…
Chiffonnet.
Pas de mouvement !… Elles ont été inventées pour tendre des pièges, des embûches, disons le mot, des traquenards… aux hommes assez simples pour se laisser prendre à leurs douces paroles… Eh bien, si toi, Prunette… toi que j’estime assez pour te placer au rang de ces délicieuses coquines, de ces charmantes effrontées… pas de mouvement ! si je te donnais la mission de conduire ce primitif Machavoine sur le chemin que tu parcours si noblement, si je te chargeais de l’amener à ce degré de fausseté que tu possèdes…
Prunette.
Ah ! mais permettez…
Chiffonnet.
Je ne permets pas… je continue… Si, enfin, je te donnais un homme franc, trop franc… ami, trop ami de la vérité… pour en faire un menteur… bref, si je te confiais un Auvergnat, te sens-tu de force à me rendre un Gascon ?
Prunette.
Un Gascon ? Dame, monsieur… je tâcherai.
Chiffonnet.
Cela me suffit… Tope !… Machavoine est à toi… mais, je te le répète, déteins sur lui, ma mignonne… rends-le câlin, flatteur, ma toute belle.
Il lui tape sur la joue.
Prunette.
Monsieur est bien bon…
Chiffonnet.
Va, ma colombe, va… et ta fortune est assurée ! Rends-le câlin, flatteur, menteur ! Courage, Prunette !
Prunette.
Oui, monsieur.

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