Peter Grimes de Benjamin Britten par l’Opéra Grand Avignon

Vendredi 15 octobre à 20h30 et Dimanche 17 à 14h30
Opéra Grand Avignon

Après quatre ans de fermeture pour des travaux de rénovation, le public du Grand Avignon était au rendez-vous, à l’Opéra, pour la première de Peter Grimes, chef d’œuvre de Benjamin Britten. Un opéra tout d’abord remarquable par l’originalité de son argument.

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Peter Grimes vit en paria dans la petite ville de pêcheurs dont il est pourtant originaire et où il exerce son activité. On lui reproche un caractère asocial et on le soupçonne d’être violent. Pour sa part, il espère accéder à la respectabilité en faisant fortune par des pêches miraculeuses. Mais le destin ne l’entend pas ainsi. Son mousse succombe en mer et on l’accuse d’être responsable de sa mort. Une institutrice de la ville, avec laquelle il espère se marier, prend sa défense, et il est finalement acquitté au bénéfice du doute. Un doute, cependant, qui ne fait qu’accentuer sa mauvaise réputation. D’autant que le nouveau mousse de Peter Grimes, qu’il maltraite comme le premier, meurt lui aussi dans des circonstances obscures. Rejeté par tous, Peter Grimes est acculé au suicide et se saborde au large avec son bateau.

L’argument de cet opéra frappe d’abord les esprits par son ancrage très réaliste et très populaire. Le décor est celui d’une petite ville de province et le milieu celui des classes laborieuses. Il étonne ensuite par l’originalité et la complexité du récit. Point ici de manichéisme. Loin d’être un héros sans tache qui servirait de bouc émissaire à une populace prompte au lynchage, Peter Grimes serait plutôt un sale bonhomme, misanthrope, ambitieux et violent. Et s’il n’est pas directement coupable des crimes dont on l’accuse, il porte pour le moins une part de responsabilité dans la disparition des deux orphelins qui lui avaient été confiés pour lui servir d’apprentis.

Si le thème principal de cet opéra est bien la difficulté pour un être considéré comme marginal à s’intégrer dans la société, l’exploitation et la maltraitance des enfants est aussi au cœur de cet argument. Cette œuvre de Benjamin Britten comporte donc clairement une dimension naturaliste. C’est bien en raison de sa nature, une nature dont il n’est pas directement responsable, que Peter Grimes est condamné au malheur. Et ses efforts pour conjurer ce funeste destin n’y feront rien.

Pour ce qui est de la forme, par ailleurs, cet opéra nous transporte par une succession de tableaux dans un monde tourmenté où les hommes vivent sous la menace permanente d’une nature divinisée prête à se déchaîner à tout instant et au moindre motif. C’est l’autre dimension, romantique, de cet opéra, avec l’omniprésence de la marée, intervenant ici comme un véritable personnage allégorique, qui à la fois apporte avec le poisson les nourritures terrestres, tout en menaçant d’emporter les pauvres pêcheurs. À la manière de Shakespeare, cependant, l’humour et la grivoiserie ne sont jamais très loin du drame dans cette œuvre majeure de Benjamin Britten, par le biais d’une langue fleurie et de personnages hauts en couleur.

La mise en scène remarquable de Frédéric Roels, actuel directeur de l’Opéra Grand Avignon, met en valeur toute la finesse et la force de l’œuvre de Britten. L’atmosphère des villages de pêcheurs du Suffolk est évoquée de façon très picturale par une toile de fond figurant des ciels marins changeants et inquiétants, d’une beauté envoûtante, et par un dispositif scénique ingénieux, en forme de toile là aussi mais cette fois d’un noir absolu, symbolisant tour à tour les éléments déchaînés, la taverne qui fait également office de tribunal populaire… et de bordel, ou encore la misérable cabane de pêcheur du tourmenté Peter Grimes et de ses malheureux mousses.

L’ensemble de la distribution est d’un très haut niveau. Uwe Stickert incarne un Peter Grimes émouvant malgré sa rudesse. Il est entouré de nombreux solistes, traduisant tous avec brio les différents états d’âme de leurs personnages, tour à tour touchants, truculents et parfois même libertins. La puissance évocatrice du chœur est tout à fait saisissante voire bouleversante.

La richesse de la partition symphonique de cette œuvre est brillamment portée par tous les pupitres de l’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction de Federico Santi, notamment lors des magnifiques interludes, où les arpèges chatoyants et les mélodies harmonieuses flirtent avec les dissonances.

Le public a longuement ovationné tous les artistes qui ont participé à cette création audacieuse. Un très beau spectacle, à ne manquer sous aucun prétexte, qui ouvre une saison riche et variée qui, n’en doutons pas, nous réserve encore bien des surprises.

Critique de Jean-Pierre et Ruth Martinez

Distribution

Opéra en deux actes avec prologue (1945)
Livret de Montagu Slater d’après le poème The Borough de George Crabbe

Direction musicale Federico Santi
Études musicales Thomas Palmer
Mise en scène Frédéric Roels
Scénographie Bruno de Lavenère
Costumes Lionel Lesire
Lumières Laurent Castaingt
Assistante à la mise en scène Nathalie Gendrot
Peter Grimes Uwe Stickert
Ellen Orford Ludivine Gombert
Captain Balstrode Robert Bork
Auntie Cornelia Oncioiu
First niece Charlotte Bonnet
Second niece Judith Fa
Bob Boles Pierre Derhet
Swallow Geoffroy Buffière
Mrs. Sedley Svetlana Lifar
Reverend Adams Jonathan Boyd
Ned Keene Laurent Deleuil
Hobson Ugo Rabec
Fisherman Jean François Baron
Fisherwoman Clelia Moreau
A lawyer Julien Desplantes
1° et 4° burgess Saeid Alkhouri
2° et 6° burgess Pascal Canitrot
3° et 5° burgess Gentin Ngjela
Voice Zyta Syme

Orchestre National Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Chef de Chœur Christophe Talmont
avec la participation du Chœur de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, Directrice Valérie Chevalier, Cheffe de chœur Noëlle Gény

Production de l’Opéra Grand Avignon En coproduction avec l’Opéra de Tours et Theater Trier

 

Lien vers le site de l’Opéra Grand Avignon

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