Lettre d’information n°9
27 mars 2016
Octave Mirbeau sur Libre Théâtre
Editorial
Après Feydeau et Courteline, nous continuons l’exploration du théâtre de la fin du XIXème siècle. Ayant délaissé provisoirement la comédie, nous avons choisi de mettre à disposition sur Libre Théâtre l’ensemble des pièces d’Octave Mirbeau.
C’est l’occasion de redécouvrir cet auteur, dramaturge mais aussi romancier et journaliste engagé qui n’a cessé de dénoncer les injustices de la société de la fin du XIXème siècle et du début du XXème.
Octave Mirbeau a tout d’abord entamé une carrière de journaliste dans la presse nationaliste et antisémite, par nécessité économique, mais a rapidement mis sa plume au service des causes qui lui étaient chères. Il a été, aux côtés d’Emile Zola, un des plus fervents défenseurs du capitaine Dreyfus, rédigeant de superbes articles, incitant notamment les ouvriers à embrasser la cause dreyfusarde (« Passe ton chemin, prolétaire, et si le cœur t’en dit, passe en chantant », A un prolétaire L’Aurore, 8 août 1898 sur Gallica).
A travers l’exploration du théâtre de Mirbeau, on pourra également découvrir le talent du journaliste reporter. Ainsi les éléments qui font la force de la courte pièce l’Epidémie ont été rassemblés lors du reportage qu’il a effectué à Brest sur la fièvre typhoïde pour Le Figaro le 12 juin 1888 (A lire sur Gallica).
Un théâtre, hélas trop peu joué actuellement alors même que certains dialogues sont d’une étonnante modernité et que l’on est frappé des résonances des sujets abordés avec le monde d’aujourd’hui : l’arrivisme sans scrupule dans Les Affaires sont les Affaires, l’exploitation de la classe ouvrière dans Les Mauvais Bergers, l’exploitation sexuelle des enfants dans Le Foyer, l’irresponsabilité des politiques face aux drames sanitaires dans l’Epidémie, le danger de la presse à scandales dans Interview…
Au-delà de la découverte du théâtre de Mirbeau sur Libre Théâtre, nous vous invitons également à explorer toutes les facettes de cet étonnant auteur engagé sur l’excellent site mirbeau.asso.fr.
On célèbrera en 2017 le centenaire de la mort de Mirbeau, l’occasion de mettre en scène ses différentes pièces !
Ruth Martinez
Le Théâtre d’Octave Mirbeau
Avant de mettre sa plume au service du théâtre, Octave Mirbeau a d’abord été critique théâtral dans différents journaux : il a notamment contribué à faire découvrir le théâtre scandinave, soutenu Henry Becque et Maurice Maeterlinck et défendu la vision du théâtre d’André Antoine. Mais il a également écrit de très nombreux articles polémiques, condamnant la censure, mettant en cause le pouvoir des comédiens du Français face aux auteurs ou annonçant même la mort du théâtre, faute d’auteurs renouvelant le genre, de producteurs ambitieux ou de comédiens qui ne soient pas des cabotins.
Biographie d’Octave Mirbeau
La vie d’Octave Mirbeau apparaît comme le reflet des espoirs et des drames de la France de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. L’anarchiste Mirbeau s’engage dans des combats éthiques, politiques, artistiques et littéraires. L’image du justicier et de l’imprécateur sera malheureusement ternie par l’ignoble trahison de sa femme…
Un destin humain, trop humain…
Les Mauvais Bergers
La première pièce d’Octave Mirbeau est l’histoire tragique d’une grève ouvrière, lancée par Jean Roule, ouvrier anarchiste, et Madeleine Thirieux, qui vient de perdre sa mère morte d’épuisement. Malgré les tentatives de conciliation du fils du patron, Robert Hargand, le gouvernement envoie la troupe.
La pièce est créée au Théâtre de la Renaissance le 15 décembre 1897, avec Sarah Bernhardt dans le rôle de Madeleine, et Lucien Guitry, dans le rôle de l’anarchiste Jean Roule.
Octave Mirbeau a regretté certains passages trop emphatiques, apparement écrits à la demande de Sarah Bernhardt. Cette pièce reste malgré tout une très belle tragédie sociale et un témoignage poignant sur la lutte des ouvriers. Elle évite tout manichéisme : le patron Hargand apparaît très humain, son fils Robert prend le parti des ouvriers, les ouvriers sont versatiles voire violents envers leur propre camp. On comprend que les « mauvais bergers » sont tous les politiques, et notamment les députés socialistes qui utilisent les grèves ouvrières, mais également Jean ou Madeleine qui entraînent les ouvriers à la mort, avec leurs discours exaltés.
Les Affaires sont les affaires
Le personnage principal est un homme d’affaires sans scrupule, Isidore Lechat, qui vit avec sa femme et sa fille Germaine dans son château de Vauperdu, symbole de la domination qu’il exerce sur les êtres comme sur la nature. A la tête d’une fortune colossale, propriétaire d’un journal, il a décidé de se présenter aux élections pour devenir député et entame les manoeuvres pour arriver à ses fins. Pour agrandir sa propriété, Isidore Lechat souhaite marier sa fille Germaine au fils du marquis de Porcellet, son voisin, qu’il tient à sa merci. Germaine qui souffre de l’attitude criminelle de son père refuse ce mariage et décide de fuir avec l’homme qu’elle aime, le chimiste Lucien Garraud, employé de son père. Parallèlement, Isidore Lechat reçoit deux ingénieurs, Gruggh et Phinck, qui tentent de l’embobiner. Malgré le départ de sa fille et l’annonce du décès de son fils dans un accident de voiture, Isidore Lechat ne se laisse pas faire.
Octave Mirbeau connaît un véritable triomphe avec la création de cette pièce à la Comédie-Française en avril 1903. Cette pièce rencontre également de grands succès à l’étranger. Elle est régulièrement mise en scène en France.
Le Foyer d’Octave Mirbeau
A la suite du succès des Affaires sont les Affaires, Jules Claretie, l’administrateur de la Comédie Française, demande à Mirbeau une nouvelle pièce : après avoir imprudemment accepté le Foyer fin décembre 1906, il exige une réécriture des passages les plus polémiques et arrête brusquement les répétitions, début mars 1908. Mirbeau lui intente alors un procès qu’il gagne : les répétitions reprennent et la pièce est créée le 7 décembre 1908 à la Comédie Française. La polémique continue après la création et plusieurs représentations sont annulées lors de la tournée en province.
Le personnage central du Foyer est le baron Courtin, sénateur bonapartiste d’opposition et académicien, auteur de nombreux ouvrages sur la charité chrétienne. Il préside un foyer charitable pour adolescentes. Plusieurs scandales le menacent : il a détourné l’argent du Foyer, la directrice sadique flagelle les pensionnaires, parfois sous le regard de vieux messieurs, et une fillette vient de décéder, oubliée dans un placard. Pour échapper à la prison et à la ruine, Courtin se résout à demander de l’aide à l’ancien amant de sa femme Thérèse, Biron, qui lui propose un marché. Biron récupère de manière indirecte le Foyer, pour exploiter encore davantage le travail des fillettes. Contre le silence de Courtin dans un débat important à la Chambre, le gouvernement ne le poursuit pas. Enfin, Thérèse se dévouera pour renouer avec son ancien amant.
Cette pièce garde aujourd’hui toute sa force : la dénonciation de l’exploitation des enfants est d’autant plus percutante que la noirceur des principaux personnages est atténuée par une certaine humanité.
Farces et moralités
Mirbeau fait aussi jouer entre 1894 et 1904 six petites pièces en un acte, rassemblées ensuite dans un recueil intitulé Farces et moralités (1904) :
Vieux Ménage : un vieux couple se déchire dans un face à face haineux.
L’Epidémie : le conseil municipal est réuni car une épidémie de typhoïde commence à frapper les casernes et les quartiers pauvres de la ville. Totalement insensibles au sort des militaires et des pauvres, les conseillers refusent tous les crédits destinés à l’assainissement de la ville, jusqu’à ce qu’ils apprennent qu’un bourgeois vient de décéder de la fièvre typhoïde. Les éloges grotesques à ce bourgeois anonyme se succèdent et les crédits sont débloqués…
Les Amants : dialogue caricatural et stéréotypé entre deux amants. Cette pièce, en démystifiant l’amour, préfigure l’incommunicabilité du théâtre de l’absurde. Les codes du langage amoureux sont détournés faisant apparaître les deux amants comme des personnes stupides et égoïstes.
Le Portefeuille : de retour du théâtre, un Commissaire de police auditionne Flora Tambour, amenée dans son bureau avec brutalité par deux agents alors qu’elle faisait le trottoir devant le commissariat. Il s’agit en réalité de la maîtresse du commissaire. Les deux agents introduisent ensuite un mendiant, Jean Guenille, qui vient de trouver un portefeuille bourré de gros billets. Il est d’abord salué comme un héros, puis le Commissaire, comprenant qu’il a affaire à un sans-domicile le traite comme un voleur et l’envoie au dépôt. Flora Tambour, choquée de cette attitude, proteste en vain et se fait aussi embarquer.
Scrupules : un Voleur, qui est en réalité un homme du monde accompagné de son valet de chambre, est surpris en plein travail par le Volé, réveillé en sursaut.. En attendant l’arrivée du commissaire de police, le Volé entame une conversation de salon avec son Voleur lui demandant les raisons du choix de cette profession. Le Voleur répond que c’est par excès de scrupule : après avoir essayé plusieurs professions (le commerce, la finance, le journalisme, la politique…) et s’être aperçu que le vol règne partout, il a choisi de voler loyalement et honnêtement. Convaincu, le Volé éconduit le commissaire et raccompagne le Voleur par la grande porte.
Interview : un journaliste vient interviewer un marchand de vin : une charge contre l’alcoolisme, avec un premier dialogue mettant en scène le marchand de vin et une mère de famille pauvre et alcoolique, contre la presse à scandale et contre les théories absurdes de Cesare Lombroso sur le « criminel né ».
Mirbeau sur scène
Une sélection de quelques spectacles en 2016.
Les Affaires sont les affaires
Théâtre des Célestins (Lyon) du 3 au 7 mai 2016 (et également à La Rochelle, Marseille, Namur, Amiens)
Mise en scène Claudia Stavisky
Reportage sur CultureBox
Interview de François Marthouret sur France Culture
Farces et moralités
Mise en scène : Patrick Sow
Comédie Nation (Paris), du 13 avril au 25 mai 2016, le mercredi à 20h30.
L’Epidémie
Mise en scène Jacques Durbec
Allauch le 30 avril à 15h et 20h30.
Prochaine intervention de Libre Théâtre
Libre Théâtre interviendra lors d’une table ronde intitulée « Opendata : promesses, prouesses et compromis« , animée par Jean-Marie Bourgogne au Forum des archivistes, le 30 mars à Troyes. Programme en ligne.
Merci aux 43 KissBankers qui ont soutenu ce projet et permettent aujourd’hui de lui donner vie.
N’hésitez pas à nous faire part de retours : vos propositions d’amélioration, vos suggestions de textes, de ressources…
data.libretheatre.fr recense aujourd’hui 716 oeuvres théâtrales du domaine public. Le chargement du texte intégral se poursuit. Après Feydeau, Courteline et Mirbeau, nous nous attaquons à Eugène Labiche !
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