Le Théâtre de Henry Becque
Henry Becque est principalement connu pour deux pièces, Les Corbeaux et La Parisienne, mais nous vous invitons à découvrir l’ensemble de son œuvre : la causticité et le mordant dans la description de la petite-bourgeoisie du XIXème siècle gardent encore aujourd’hui toute leur force.
Présenté comme le dernier des classiques ou le premier des modernes, Henry Becque a exploré différents genres : vaudeville (L’enfant Prodigue, La Navette), mélodrame (Michel Pauper), drame bourgeois (Les Corbeaux), comédie (La Parisienne, Veuve !) … Il n’a jamais voulu être rattaché à une école littéraire même si certaines de ces pièces ont été rapprochées du courant naturalisme. On a parlé également du précurseur des comédies « rosses » ou « cruelles », créées sur la scène du Théâtre-Libre.
Octave Mirbeau écrit dans un article en 1886, à propos de Michel Pauper
M Becque lui, a des mots terribles, des motifs qui troublent, qui vous forcent à penser, à réfléchir, qui ouvrent, tout d’un coup, sur les caractères, des gouffres abominables… Avec lui, je ne me sens pas à l’aise ; il me secoue violemment sur mon fauteuil, me prend à la gorge, me crie : « Regarde-toi dans ce personnage. Voilà pourtant comment vous êtes faits, tous ! » Est-ce humain, je vous le demande ?… Il a des raccourcis qui terrifient, des sensations impitoyables sur les êtres et sur les choses, il vous oblige à descendre avec lui dans le mystère de la vie profonde.
On soulignera les effets comiques présents dans toutes ces pièces, y compris les pièces les plus noires permettant une certaine distanciation (Michel Pauper, Les Corbeaux). Certaines pièces débutent comme des drames et finissent comme des comédies (L’Exécution, L’Enlèvement), d’autres commencent comme des comédies et finissent comme des tragédies (Les Corbeaux). La construction des pièces est également remarquable avec des jeux de miroir, très élaborés entre les premières et les dernières scènes.
Dans toutes les pièces, la profondeur psychologique des personnages permet de dépasser la caricature, tout en explorant des contextes sociaux variés et en révélant notamment la cruauté du monde petit-bourgeois grâce à des dialogues ciselés.
De nombreuses pièces mettent en scène des femmes qui prennent en main leur destin, en dehors des conventions sociales et des préjugés.
Résumé des pièces
L’Enfant Prodigue : vaudeville de 1868. Le jeune Théodore est envoyé à Paris où il tombe amoureux de Clarisse, l’ancienne maîtresse du notaire Delaunay, ami de son père. Les quiproquos s’enchaînent quand Théodore veut épouser Clarisse alors que le notaire Delaunay puis son père viennent à Paris. Lien vers le texte sur Gallica.
Michel Pauper : drame représenté en 1870. M de la Roseraye, un industriel, exploite les découvertes de Michel Pauper, un simple ouvrier, chimiste autodidacte un peu frustre, qui boit pour se donner du courage. Michel tombe amoureux d’Hélène, la fille de l’industriel, et la demande en mariage. Mais celle-ci, romantique et exaltée, s’est éprise du comte de Rivailles, un jeune homme cynique et amoral, qui ne veut pas l’épouser. M. de la Roseraye apprend qu’il est ruiné et se suicide. Michel, transformé par sa rencontre avec Hélène ne boit plus, se consacre à son travail et dirige une fabrique. Mme De la Roseraye apprécie son intelligence et sa bonté, mais il est toujours méprisé par sa fille. Hélène révèle à l’oncle du comte de Rivailles que celui-ci a abusé d’elle. Le vieil oncle lui propose de l’épouser. Poussée par sa mère, Hélène épouse Michel, qui est devenu un patron très respecté. Le soir de ses noces, Hélène lui avoue qu’elle a aimé avant lui. Dévasté, Michel est pris d’un accès de violence. Hélène s’enfuit et se réfugie chez le comte. Michel retombe dans la boisson et sombre dans la folie.
L’Enlèvement : comédie représentée en 1871. La jeune Emma, choquée par la conduite de son mari Raoul De Sainte-Croix, a quitté Paris et s’est installée dans leur maison de campagne, accompagnée de sa belle-mère. Antonin De la Rouvre vient souvent lui tenir compagnie. Raoul, pressée par sa mère, tente une réconciliation, mais Emma ne le supporte plus et n’a pas l’espoir de le voir changer. Antonin annonce son départ pour les Indes. Arrive alors Antoinette, comtesse Bordogni, la maîtresse de Raoul, qui se trouve être la femme d’Antonin, qu’elle a trompé et dont il s’est séparé. Après une ultime dispute, Raoul retourne à Paris. Emma décide de partir avec Antonin pour les Indes.
La Navette : comédie représentée en 1878. Antonia est entretenue par Alfred qui couvre ses besoins et ceux de son amant, Arthur. Mais Arthur en a assez de cette situation humiliante, qui l’oblige à se cacher quand Alfred vient rendre visite à Antonia. À la faveur d’un héritage, Arthur propose à la jeune femme de devenir son amant unique, mais a en contrepartie des exigences qui deviennent vite insupportables à cette dernière. Arrive alors Armand, un tout jeune homme qui aime Antonia et lui écrit des vers. Mais Alfred revient piteusement : Armand reprend son rôle d’amant de cœur…
Les Honnêtes Femmes : comédie représentée en 1880. À Fontainebleau, Lambert, un célibataire de trente ans un peu désœuvré, multiplie ses visites chez Mme Chevalier, une mère de famille bourgeoise. Il tente en vain de la séduire, quand arrive Geneviève, une jeune fille qui vient passer quelques jours chez Mme Chevalier. Dans un face à face savoureux, Mme Chevalier va convaincre Lambert d’épouser Geneviève.
Les Corbeaux : drame représenté en 1882. Vigneron, un industriel prospère, coule des jours heureux, entouré de sa femme, de leurs trois filles, Blanche, Marie et Judith, et de son fils. Hélas, Vigneron meurt brusquement. Teissier, l’ancien associé, Bourdon, le notaire, et Lefort, l’architecte, s’entendent pour spolier et ruiner la famille. Le fils s’engage dans l’armée et les quatre femmes se retrouvent totalement démunies. Aucune aide ne viendra, ni du fiancé de Blanche, qui rompt toute relation sous la pression de sa mère, ni du jeune professeur de musique de Judith. La seule issue sera le sacrifice de Marie, qui accepte d’épouser Teissier : le vieux corbeau protégera désormais la famille des rapaces qui continuent à rôder.
Une pièce cynique et cruelle remarquablement construite.
La Parisienne : comédie représentée en 1885. Clotilde du Mesnil est une parisienne libre, avec un mari complaisant, et un amant, Lafont. Mais Lafont est jaloux. Clotilde trompe mari et amant avec Simpson, un jeune homme qui favorise la nomination de Du Mesnil au poste dont il rêvait. La liaison dure quelques mois, puis Simpson s’éloigne et l’amant en titre reprend sa place.
La courte pièce Veuve ! (publiée en 1897) est souvent présentée comme le quatrième acte de La Parisienne.
Clotilde vient de perdre son mari et reçoit un courrier abondant qu’elle commente. Arrive Lafont qui vient présenter ses condoléances…
Féroce avec les personnages masculins, Henry Becque dessine avec finesse le portrait d’une femme libre.
Une exécution : Comédie en un acte, jamais représentée. Le maire d’une petite ville achète un billet pour Paris à la gare. Le billet n’est pas pour lui mais pour Justin qui est banni de la ville. Le maire évoque avec l’employé de la gare, le cafetier, le tailleur et le garde-champêtre les terribles méfaits commis par le fameux Justin : séduction de femmes mariées, braconnage et emprunts non remboursés… Le maire redoute l’émeute sur le passage de Justin. La tension monte tout au long de la pièce… mais il ne se passe rien.
Le Domino à quatre : comédie en un acte, représentée en 1908, après la mort de Becque. Dans un café, trois joueurs attendent le quatrième partenaire de leur partie de domino, Blanchard, mais ils redoutent sa mort car il est mal en point. Blanchard apparaît, souffreteux. Au fil des scènes, ce sont les trois joueurs qui décèdent un à un. Blanchard reste seul…
Le Départ : comédie en un acte, représentée en 1924, après la mort de Becque. Un atelier de couture à Paris un dimanche matin. Les ouvrières s’affairent autour de la finition d’une robe. Blanche est une ouvrière intègre et ambitieuse qui est courtisée par le fils du patron. Elle lui demande d’en parler à ses parents. Si la mère est ravie, le père interdit cette union. Il propose en revanche à Blanche de la prendre pour maîtresse ; elle refuse, il la renvoie. Lorsqu’Auguste, un simple magasinier, la demande en mariage, elle décide de céder aux avances du baron de Saint-Étienne qui lui écrit depuis longtemps.