Courteline, précurseur du théâtre de l’absurde.
Quelques saynètes de Courteline portent les germes du théâtre de l’absurde, mettant en scène les difficultés de communication entre les êtres ou les dérèglements du langage. Nous en avons sélectionné quelques-unes…
Dans la saynète Gros chagrins, une femme trompée vient conter ses malheurs chez une amie. Tout le dialogue est une alternance de pleurs déchirants et de remarques totalement futiles.
Dans 26, un militaire n’arrête pas de répéter qu’il sait où habite Marabout : c’est au 26, mais il ne sait pas quelle rue, ni même quelle ville… La difficulté de communication entre les deux personnages rappelle Ionesco : peu à peu la situation bascule dans l’absurde.
A voir sur le site de l’INA, la saynète avec Daniel Russo et Jérôme Deschamps (promotion 1973 du Conservatoire d’Art Dramatique).
Dans Les Boulingrin, la scène débute dans un intérieur bourgeois habité par un couple charmant. Le pique-assiette Des Rillettes est témoin du dérèglement de cet univers tranquille, à l’occasion d’une scène de ménage : les meubles sont brisés, les insultes et les cris fusent, des coups de revolver partent. La scène s’achève par un incendie.
Le non-sens est au cœur de L’honneur des Brossarbourg. Madame de Brossarbourg craint pour son honneur car quelqu’un lui a mis la main aux fesses. Elle raconte à son mari que pour s’assurer de l’identité de l’auteur de ces attouchements, elle a couché avec tous ses invités : Monsieur de Proutrépéto, Monsieur de Poilu-Boudin, le général baron de la Rossardière… M. de Brossarbourg rit de la bêtise de sa femme : c’est lui qui en était l’auteur…
Dans le Gora, Bobechotte discute avec Gustave dit Trognon. La discussion devient difficile car Bobechotte a quelques difficultés avec les liaisons. La situation bascule vers une scène de ménage et le sujet passe de la liaison grammaticale à la liaison amoureuse :
Bobéchotte.
Je n’aime pas beaucoup qu’on s’offre ma physionomie, et si tu es venu dans le but de te payer mon 24-30, il vaudrait mieux le dire tout de suite.
Gustave.
Tu t’emballes ! tu as bien tort ! Je dis : « On dit un angora, un petit angora ou un gros angora » ; il n’y a pas de quoi fouetter un chien, et tu ne vas pas te fâcher pour une question de liaison.
Bobéchotte.
Liaison !… Une liaison comme la nôtre vaut mieux que bien des ménages, d’abord ; et puis, si ça ne te suffit pas, épouse-moi ; est-ce que je t’en empêche ? Malappris ! Grossier personnage !
Entre absurdité et folie, Courteline met en scène dans le Commissaire est bon enfant le personnage de Floche. Il est ainsi décrit par sa femme : … »il s’enferme dans les cabinets pendant des fois deux et trois heures pour déclamer tout haut contre la société, hurler que l’univers entier a une araignée dans le plafond, une punaise dans le bois de lit, et un rat dans la contrebasse !… Il voit des fous partout, monsieur !… »
Plus tard, Floche devant le commissaire affirme :
« Je suis bon enfant, mais je n’aime pas les fous !… Le fou, c’est mon ennemi d’instinct, entendez-vous ?… c’est ma haine, c’est ma rancune ! La vue d’un fou suffit à me mettre hors de moi, et quand je tiens un fou à portée de ma main, je ne sais plus, non, je ne sais plus, de quoi je ne serais pas capable ! »
Plus tard, Floche s’en prend au commissaire : « Je sais ! Vous êtes le fou traditionnel, classique, celui qui prêche et qui vend la sagesse. Mais, pauvre idiot, tout, en vous, tout respire et trahit la démence !… depuis la bouffonnerie de votre accoutrement jusqu’à l’absurdité sans nom de votre visage ! »
Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :