Le Théâtre d’Octave Mirbeau

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k278366j
Le Comédien par Octave Mirbeau. Le Figaro du 26 octobre 1882. Source : Gallica/Bnf

Avant de mettre sa plume au service du théâtre, Octave Mirbeau a d’abord été critique théâtral dans différents journaux : il a notamment contribué à faire découvrir le théâtre scandinave, soutenu Henry Becque et Maurice Maeterlinck et défendu la vision du théâtre d’André Antoine. Mais il a également écrit de très nombreux articles polémiques, condamnant la censure, mettant en cause le pouvoir des comédiens du Français face aux auteurs, désavouant les critiques trop tournés vers le genre du vaudeville, voire annonçant la mort du théâtre, faute d’auteurs renouvelant le genre, de producteurs ambitieux ou de comédiens qui ne soient pas des cabotins.  Une partie des articles relatifs au théâtre a été regroupée dans le recueil Gens de Théâtre, paru chez Flammarion en 1924 (disponible sur Gallica).


http://www.europeana.eu/portal/record/2026109/Partage_Plus_ProvidedCHO_KIK_IRPA__Brussels__Belgium__10136476.html#
Théatre de la Renaissance, Représentations de Mme Sarah-Bernardt: Mauvais Bergers | Mucha, Alfons. © KIK-IRPA, Brussels (Belgium) . Source Europeana CCBYNCSA

La première pièce d’Octave Mirabeau s’intitule Les Mauvais Bergers. C’est l’histoire tragique d’une grève ouvrière, lancée par Jean Roule, ouvrier anarchiste, et Madeleine Thirieux, qui vient de perdre sa mère morte d’épuisement. Malgré les tentatives de conciliation du fils du patron, Robert Hargand, la troupe est envoyée. La pièce est créée au Théâtre de la Renaissance le 15 décembre 1897, avec Sarah Bernhardt dans le rôle de Madeleine, et Lucien Guitry, dans le rôle de l’anarchiste Jean Roule.

Octave Mirbeau a regretté certains passages trop emphatiques, apparement écrits à la demande de Sarah Bernhardt. Cette pièce reste malgré tout une très belle tragédie sociale et un témoignage poignant sur la lutte des ouvriers.  Elle évite tout manichéisme : le patron Hargand apparaît très humain, son fils Robert prend le parti des ouvriers, les ouvriers sont versatiles voire violents envers leur propre camp. On comprend que les « mauvais bergers » sont tous les politiques, et notamment les députés socialistes qui utilisent les grèves ouvrières, mais également Jean ou Madeleine qui entraînent les ouvriers à la mort, avec des discours exaltés.


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Illustration de la comédie d’Octave Mirbeau (1848-1917), « Les affaires sont les affaires », acte II. « L’Illustration », supplément au n° 3139, 25 avril 1903. Source : wikipedia

En avril 1903, Octave Mirbeau connaît un triomphe avec la création, à la Comédie-Française, de la pièce Les affaires sont les affaires, qui rencontre également le succès en Allemagne, en Russie, aux Etats-Unis et dans d’autres pays.

Le personnage principal est un homme d’affaires sans scrupule, Isidore Lechat, qui vit avec sa femme et sa fille Germaine dans son château de Vauperdu, symbole de la domination qu’il exerce sur les êtres comme sur la nature. A la tête d’une fortune colossale, propriétaire d’un journal, il a décidé de se présenter aux élections pour devenir député et entame les manoeuvres pour arriver à ses fins.  Pour agrandir sa propriété, Isidore Lechat souhaite marier sa fille Germaine au fils du marquis de Porcellet, son voisin, qu’il tient à sa merci. Germaine qui souffre de l’attitude criminelle de son père refuse ce mariage et décide de fuir avec l’homme qu’elle aime, le chimiste Lucien Garraud, employé de son père. Parallèlement, Isidore Lechat reçoit deux ingénieurs, Gruggh et Phinck, qui tentent de l’embobiner. Malgré le départ de sa fille et l’annonce du décès de son fils dans un accident de voiture, Isidore Lechat ne se laisse pas faire.


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J.-P. Carré — Octave Mirbeau, Le Foyer. Paris: Arthème Fayard, 1909. Source : Wikimedia Commons

Après le succès des Affaires sont les Affaires, Jules Claretie, l’administrateur de la Comédie Française demande à Mirbeau une nouvelle pièce : après avoir imprudemment accepté le Foyer fin décembre 1906, il exige une réécriture des passages les plus polémiques et arrête brusquement les répétitions, début mars 1908. Mirbeau lui intente alors un procès qu’il gagne : les répétitions reprennent et la pièce est créée le 7 décembre 1908 à la Comédie Française. La polémique continue après la création et plusieurs représentations sont annulées lors de la tournée en province.

Le personnage central du Foyer est le baron Courtin, sénateur bonapartiste d’opposition et académicien, auteur de nombreux ouvrages sur la charité chrétienne. Il préside un foyer charitable pour adolescentes. Plusieurs scandales le menacent : il a détourné l’argent du Foyer, la directrice sadique flagelle les pensionnaires, parfois sous le regard de vieux messieurs, et une fillette vient de décéder, oubliée dans un placard. Pour échapper à la prison et à la ruine, Courtin se résout à demander de l’aide à l’ancien amant de sa femme Thérèse, Biron, qui lui propose un marché. Biron récupère de manière indirecte le Foyer, pour exploiter encore davantage le travail des fillettes. Contre le silence de Courtin dans un débat important à la Chambre, le gouvernement ne le poursuit pas. Enfin, Thérèse se dévouera pour renouer avec son ancien amant.

Cette pièce garde aujourd’hui toute sa force : la dénonciation de l’exploitation des enfants est d’autant plus percutante que la noirceur des principaux personnages est atténué par une certaine humanité.


Mirbeau fait aussi jouer entre 1894 et 1904  six petites pièces en un acte, recueillies  ensuite dans un recueil intitulé Farces et moralités (1904) :

Vieux Ménage : comédie en un acte, créée au Théâtre d’Application le 20 décembre 1894. Un vieux couple se déchire dans un face à face haineux.

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L’Épidémie, par J.-P. Carré, 1913. Source wikipedia

L’Epidémie : farce en un acte, créée au Théâtre Antoine le 14 mai 1898. L’argument : le conseil municipal est réuni car une épidémie de typhoïde commence à frapper les casernes et les quartiers pauvres de la ville. Totalement insensibles au sort des militaires et des pauvres, les conseillers refusent tous les crédits destinés à l’assainissement de la ville, jusqu’à ce qu’ils apprennent qu’un bourgeois vient de décéder de la fièvre. Les éloges grotesques à ce bourgeois anonyme se succèdent  et les crédits sont débloqués…

Les Amants : pièce créée au Théâtre du Grand-Guignol le 25 mai 1901. C’est un dialogue caricatural et stéréotypé entre deux amants qui, en démystifiant l’amour, préfigure l’incommunicabilité du théâtre de l’absurde. Les codes du langage amoureux sont détournés faisant apparaître les deux amants comme des personnes stupides et égoïstes.

Le Portefeuille : farce en un acte, créée le 19 février 1902 au Théâtre de la Renaissance-Gémier, avec Gémier dans le rôle de Jean Guenille. L’argument :  de retour du théâtre, un Commissaire de police auditionne Flora Tambour amenée avec brutalité par deux agents alors qu’elle faisait le trottoir devant le commissariat. Il s’agit en réalité de la maîtresse du commissaire. Les deux agents introduisent ensuite un mendiant, Jean Guenille, qui vient de trouver un portefeuille bourré de gros billets. Il est d’abord salué comme un héros, puis le Commissaire, comprenant qu’il a affaire à un sans-domicile le traite comme un voleur et l’envoie au dépôt. Flora Tambour, choquée de cette attitude, proteste en vain et se fait aussi embarquer.

Scrupules : pièce créée le 2 juin 1902 au Théâtre du Grand Guignol.  L’argument : un Voleur, un homme du monde accompagné de son valet de chambre, est surpris en plein travail par le Volé, réveillé par la chute d’un vase.  En attendant l’arrivée du commissaire de police, le Volé entame une conversation de salon, demandant les raisons du choix de cette profession. Le Voleur répond que c’est par excès de scrupules :  après avoir essayé plusieurs professions ( le commerce, la finance, le journalisme, la politique…) et s’être aperçu que le vol règne partout, il a choisi de voler loyalement et honnêtement. Convaincu, le Volé éconduit le commissaire et raccompagne le Voleur par la grande porte.

Interview : farce en un acte, créée le 1er février 1904 sur la scène du Grand-Guignol. L’argument : un journaliste vient interviewer un marchand de vin : une charge contre l’alcoolisme, avec un premier dialogue mettant en scène le marchand de vin et une mère de famille pauvre et alcoolique, contre la presse à scandale et contre les théories absurdes de Cesare Lombroso sur le « criminel né ».


Chez l’illustre écrivain est un recueil paru après la mort d’Octave Mirbeau, en 1919. Il comporte des dialogues satiriques, des contes et nouvelles. Libre Théâtre a choisi de traiter les oeuvres théâtrales de ce recueil, des saynètes et monologues  autour de la littérature, parus dans le quotidien Le Journal entre 1897 et 1902 :

  • L’illustre écrivain : satire féroce d’un pseudo-littérateur, vaniteux et sans talent qui ne doit sa renommée qu’au génie littéraire de son valet et à l’entregent d’une ancienne bonne amie. La dernière séquence est de nature très différente puisqu’elle évoque l’affaire Dreyfus.
  • Une bonne affaire présente l’illustre écraivain Anselme Dervaux : adultères en tous genres, fabrication, commission, exportation
  • Un grand écrivain met en scène Anselme Dervaux dans un salon, en proie aux sollicitations d’une admiratrice
  • Littérature : le grand écrivain reçoit la visite de Dumoulin, un admirateur éperdu, prêt à défendre l’honneur de son illustre ami
http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/charles-paul-renouard_m-octave-mirbeau_1899?force-download=476577
Dessin de Charles Paul Renouard. (C) RMN-Grand Palais (musée d’art et d’histoire du judaïsme) / Hervé Lewandowski.Lien

Pour aller plus loin :
Biographie d’Octave Mirbeau
Le site mirbeau.asso.fr consacré à Mirbeau
Le Dictionnaire Mirbeau accessible gratuitement sur Internet : http://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/.

2017, année Mirbeau

Dans le cadre de la commémoration du centième anniversaire de la mort d’Octave Mirbeau en 2017, Libre Théâtre s’est associé à la Société Octave Mirbeau pour promouvoir les montages de l’oeuvre de Mirbeau

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