Dernières recommandations de Libre Théâtre
Inspiré du roman La Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils, l'opéra La Traviata est un chef-d'œuvre intemporel. La fascination qu'il suscite réside dans le talent de Verdi à traduire en musique toute la complexité et l'humanité de personnages confrontés aux diktats d’une société conservatrice. L'interprétation de La Traviata proposée à l'Opéra Grand Avignon pour l'ouverture de la saison intulée « Femmes ! », s'inscrit d'ores et déjà parmi ces moments d'exception qui marquent les esprits et demeurent gravés dans les mémoires.
Poursuivant leur réflexion sur l'Art Brut, Gustavo Giacosa et son compagnon de route et accompagnateur Fausto Ferraiuolo, nous proposent un spectacle en forme d'hommage au très singulier destin de Melina Riccio, artiste hors norme au sens propre du terme. D'abord styliste, mariée et mère de famille, Melina Riccio, après une révélation, finira par tout abandonner afin de tenter de sauver le monde à sa façon, en un parcours à la fois christique, politique et artistique d'une extrême radicalité qui, après d’innombrables condamnations, la conduira à plusieurs reprises à l'internement en psychiatrie.
Lieu de spectacle, de création et de formation déjà profondément ancré dans le paysage culturel avignonnais et plus largement provençal, La Scala Provence nous proposait hier Les gros patinent bien, primé aux Molières 2022 en tant que meilleur spectacle de théâtre public. Avec ce titre énigmatique, Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan nous proposent un duo burlesque, hommage à la grande tradition de l’humour anglo-saxon, mais qui en est aussi une irrésistible parodie. S’il y a un message derrière cette avalanche de gags et de trouvailles en tous genres, c’est qu’on peut faire un grand spectacle avec des bouts de ficelles et de cartons… et en faire un véritable carton auprès du public. À condition bien sûr que ce spectacle soit porté par des artistes de talent, avec un engagement total. La performance repose entre autres sur le fait que le récit de cette histoire absurde est porté d’un côté par des pancartes à la manière de celles des films muets, et de l’autre par un hilarant monologue dans une langue inventée n’ayant de l’anglais que la sonorité. Un pur divertissement qui fait du bien en ces temps moroses.
Dans le cadre de la désormais célèbre Semaine Italienne d'Avignon, la Compagnie Rocking Chair Theatre nous proposait hier soir au Théâtre du Balcon un concert marionnettique. Un spectacle qui tout d'abord relève d'une prouesse technique, deux jeunes comédiennes et chanteuses prêtant leurs mains et leurs voix pour animer leurs doubles plus âgées en forme de marionnettes à taille humaine, tandis qu'une troisième manipule les têtes et les visages de ces personnages de commedia dell'arte. Le tout pour un récital de chansons populaires siciliennes, accompagnées à la guitare, au synthétiseur et au tombasse. Il émane de ce numéro burlesque mettant en scène deux vieilles dames plus ou moins indignes mais profondément attachantes un sentiment d'intense humanité. C'est la magie du spectacle vivant et de l'art de la marionnette, quand il est maîtrisé à ce point, que de conférer à une simple poupée de bois, de cuir ou de tissu une présence scénique plus importante encore que celle d'un simple acteur en chair et en os. Ce spectacle est aussi un pied de nez très poétique à la vieillesse, à la déchéance et à la mort. Le discret hommage à Brigitte Fontaine, autre vieille dame indigne de la chanson française devenu icône nationale, allait donc tout à fait de soi. Courez voir ces deux divas décrépies et déjantées, elles vous feront perdre la tête.
Le Rouge Gorge nous proposait ce dimanche, à l’initiative de l’Association Un Vent de Jazz, un voyage aux temps mythiques de la prohibition dans l’Amérique des années folles et des « speakeasies », ces bars clandestins où, bravant les interdits, on pouvait à la fois boire de l’alcool et écouter une musique émergente participant d’une certaine contre-culture. Explorant un répertoire ragtime, charleston, black bottom ou swing, ancré dans les cabarets des grandes villes du Nord plutôt que dans les clubs de la Nouvelle Orléans, ce talentueux et sympathique quintet nous transporte avec ce spectacle dans l’univers interlope des bars légendaires où s’est forgée autour du jazz une culture populaire empreinte d’un esprit de liberté qui allait révolutionner l’Amérique et le monde.
Les Midis à l’Opéra nous proposent, une fois par mois à l’heure du déjeuner, une parenthèse musicale enchantée. Un rendez-vous plébiscité par le public d’Avignon et des alentours. Ce vendredi, les Marx Sisters nous invitaient à un joyeux périple à travers l’Europe à la découverte de la musique et de la culture klezmer. Avec le violoniste Charles Rappoport, l’accordéoniste Raphaël Setty et le contrebassiste Benjamin Chabert, les sœurs Judith et Leah Marx, au chant et à la guitare, ont rassemblé autour d’elles une formation à la fois traditionnelle et originale. Ces jeunes artistes interprètent le répertoire des chansons yiddish et de la musique klezmer avec une douceur mêlée de fantaisie, invitant aussi bien à la joie qu’à la mélancolie, la musicalité et la richesse des harmonies vocales résonnant par ailleurs à merveille dans la très intimiste salle des Préludes de l’Opéra Grand Avignon. Un spectacle complet, plein d’humour, qui a vite emporté l’enthousiasme d’un public conquis. Si vous n’avez pas encore eu la chance d’entendre les Marx Sisters, ne manquez pas Drom’n’Klez, le festival de musique klezmer, qu’elles organisent ce week-end à Dieulefit.
Café Müller, créé par Pina Bausch en 1978, est une œuvre emblématique dans l'histoire de la danse contemporaine. Chaque mouvement, chaque déplacement et chaque interaction semble constituer les éléments constitutifs d’une bible originelle à laquelle se réfèrent tous les chorégraphes depuis. Boris Charmatz, le nouveau directeur artistique du Tanztheater Wupertal, nous invite avec Forever à une immersion totale dans Café Müller. Pendant sept heures, vingt-cinq danseurs se relaient pour interpréter cette pièce mythique, dans une transe, envoûtante et cathartique. L’interprétation a cappela des airs de Purcell par Julien Ferranti décuple l’émotion. Chaque performance est accompagnée de témoignages d’auteurs et de danseurs, figures historiques ou nouveaux interprètes, offrant des éclairages singuliers, parfois pleins d’humour, sur cette œuvre majeure. Le public participe aussi à sa façon à cet atelier imaginaire : inconfortablement installés à dessein sur des praticables au contact direct des danseurs, debout sur les passerelles ou plus classiquement assis dans des fauteuils, les spectateurs sont invités à se déplacer afin de varier les points de vue. Tentant parfois maladroitement de se mouvoir avec la même grâce que les artistes, le public devient partie intégrante de cette expérience unique. Un spectacle coup de cœur de Libre Théâtre.
Alexis HK et Benoît Dorémus nous proposent un tour de chant théâtralisé, composé de chansons à thème et d'intermèdes en forme de sketchs faussement ou parfois vraiment improvisés. L'univers est à la fois poétique et humoristique. Ce duo comique et romantique fonctionne à merveille, la voix chaude et la nonchalance du premier se combinant parfaitement avec la voix plus perchée et le caractère plus mordant du deuxième. Le spectacle dans son ensemble apparaît comme un éloge de la modestie, l'apparente superficialité du propos cachant une profonde sensibilité aux petites choses de la vie, qui en font tout le sel. On est vite conquis par cet irrésistible duo aux allures de Simon and Garfunkel sous Prosac, dissertant dans leur loge avant un concert sur la vanité de l'existence en général et du showbiz en particulier. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
Il est de grands écrivains comme Céline, dont on admire l'œuvre en dépit de la petitesse de leur vie, qui les disqualifie en tant qu'homme par des compromissions nauséabondes. Il en est d'autres dont l'œuvre est en parfaite harmonie avec une vie exemplaire, vouée toute entière au service de l'Homme et du Peuple. Hugo et Zola sont de ceux-là. Située au moment de "l'Affaire", cette pièce est un duel verbal sans merci entre Zola, le génie littéraire que tout le monde connaît, qui sa vie durant paya le prix de ses engagements, et un pamphlétaire à succès de l'époque, complètement oublié aujourd'hui : Léon Daudet, le fils d'Alphonse. L'Affaire Dreyfus est la la fois la honte et l'honneur de la France. La honte des obscurs motifs de la condamnation de cet honnête homme, en pleine montée de l'antisémitisme dans notre pays. L'honneur de son éclatante réhabilitation, rendue possible par le courage d'une poignée d'intellectuels et par la liberté de la presse. Ce spectacle s'inscrit dans la lignée des grandes confrontations verbales au théâtre, comme "Le Souper" ou "Diplomatie". Il est solidement basée sur l'écriture ciselée de Didier Caron, servie par l'interprétation étincelante de Pierre Azéma et de Bruno Paviot. Il nous livre avec brio et souvent avec humour un message humaniste, en ces temps troublés où ressurgissent partout dans le monde les vieux démons qui ont déjà causé tant de souffrances par le passé. Oui, tout simplement, cela fait du bien d'entendre parfois un très beau texte, superbement interprété, et porteur d'espoir. Alors pourquoi s'en priver ? Cette pièce, en effet, nous rappelle aussi qu'il n'y a pas de bon spectacle sans un bon auteur... à une époque où, à Avignon notamment, trop de comédiens ou de metteurs en scène pensent pouvoir se passer d'un auteur tout court. Avec des œuvres comme celle-ci, mais aussi Fausse Note, ou encore Un Cadeau Particulier, cet auteur discret, qu'on peut croiser tous les jours en train de tracter lui-même dans les rues d'Avignon, bâtit une œuvre à la fois brillante et engagée, s'adressant néanmoins à un très large public. Le théâtre que l'on aime et que l'on défend. Un Coup de Cœur de Libre Théâtre.
Mères. Un chant pour temps de guerre. Les filles et les mères font partout dans le monde l'objet de violence. En temps de paix dans tous les compartiments de la société, mais aussi, voire surtout, dans les foyers. En temps de guerre où le viol est élevé au rang d'arme de destruction massive. Il est des spectacles pour lesquels on ne peut distinguer la dimension esthétique et la portée politique. C'est le cas de cette performance collective chantée et parfois même criée à la face du public et du monde. Marta Górnicka a rassemblé pour l'occasion un groupe de femmes principalement ukrainiennes, victimes de ces violences utilisées comme une continuation de la guerre par d'autres moyens. Quand dire c'est faire, quand crier c'est agir, le spectacle vivant devient un défi à la barbarie et un combat pour l'émancipation. Un combat qui semble hélas sans fin tant les fragiles victoires sont souvent suivies d'impitoyables contre-attaques. Oui, l'invasion de l'Ukraine tient au sens figuré comme au sens propre d'un viol collectif. Et au cri de révolte de ces femmes violentées mais toujours debout, le public de la Cour d'Honneur a répondu par une longue "standing ovation" en marque de soutien. Soutien à l'Ukraine, aux femmes, aux femmes ukrainiennes, et à toutes les femmes partout dans le monde.
Pour tous les amateurs de musique classique, la mention Köchel qui sert à identifier les œuvres de Mozart est souvent une énigme. C’est à la résolution de ce mystère que nous invite ce spectacle, à travers l’exploration des œuvres de Mozart et de la sonate pour piano n° 11 (K331), célèbre pour son troisième mouvement dit « alla turca ». Entre burlesque et récital, Camille de Léobardy illustre le difficile processus créatif, même chez un génie, en faisant dialoguer les personnages de Mozart et de Ludwig van Köchel, tout en interprétant des extraits de la sonate dans sa version originale, mais aussi dans de multiples variations passant avec facilité du tango au jazz. Une prouesse musicale et théâtrale, non dénuée d’humour puisqu’elle propose une version inédite pour harmonica et djembé. Un spectacle rafraichissant pour vos soirées avignonnaises.
Un hommage à Charles Gentes, chanteur de l'après-guerre aujourd'hui oublié, en forme de comédie musicale empruntant aux nombreux tubes de la chanson populaire de cette époque... qui apparaîtrait presque de nos jours comme un âge d'or. Ce spectacle plein d'humour mais aussi d'émotion nous raconte l'histoire familiale épique et tourmentée de ce chanteur surnommé "La voix d'or", mais il le fait d'une façon très originale par une habile mise en abyme, le spectacle étant comme conçu comme le récit de sa propre élaboration. Les six comédiens et comédiennes sur le plateau, accompagnés par un musicien, chantent à la perfection et dansent à merveille. On ne résiste pas longtemps à leur bonne humeur et à leur enthousiasme. Un spectacle qui fait du bien et dont on ressort ragaillardi.
Dans le monde du trafic de drogue comme dans celui des affaires en général, ce sont les plus pauvres qui paient le prix de la prospérité des nantis. Et plus grande est la misère, plus le prix à payer est élevé. Lola Arias a choisi de mettre en lumière celles qui, par leur origine sociale et par leur orientation sexuelle, sont tout en bas de l'échelle, et peinent à trouver leur place, jusque dans un système carcéral répartissant les détenus par genre. La vie de ces damnées de la Terre est un aller-retour permanent entre le dedans et le dehors. La prison, et ce monde hostile qui les rejette encore un peu plus pour avoir fait de la prison. Comme les alcooliques qui comptent leurs jours de sobriété, ces condamnées à vivre comptent leurs jours de liberté, rythmés par la crainte de la rechute. Mais cette sombre médaille a son revers étincelant. Avec ce très beau spectacle aux allures de comédie musicale, Lola Arias offre à ces ex-détenues argentines la possibilité d'une reconversion, et l'espoir d'une rédemption. Le public est saisi dès le départ par l'irrésistible énergie et l'extraordinaire envie de vivre de ces victimes du système résolues à reprendre leur destin en main, en faisant de leur histoire non pas une complainte mais un show flamboyant et un hymne à la vie, à la tolérance, à la liberté et à la fraternité. Dans le cadre somptueux de l'Opéra d'Avignon, voir le public applaudir debout cette résurrection est une expérience exceptionnelle et un motif d'espoir. Un spectacle magnifique, émouvant et nécessaire. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
"La Véritable Histoire de Saint-Genest" de Jean de Rotrou raconte l'histoire d'un acteur païen du IIIème siècle, Genest, qui se convertit au christianisme, tout en jouant un martyr chrétien sur scène. Face au public et à l’empereur romain, le comédien transcende l'imitation pour devenir l'incarnation même de son rôle, et il est finalement exécuté pour avoir refusé d'abjurer sa foi. Cette œuvre a marqué l’histoire littéraire par son exploration métathéâtrale, par ses multiples mises en abyme, et par ses considérations sur le doute, la liberté de croire, et l'affirmation que le mérite est indépendant de la naissance. Cette réflexion sur le théâtre et la condition de comédien a bien sa place dans l’effervescence d’Avignon et c’est tout à l’honneur de la troupe de Bourbon de proposer cette pièce exigeante. Avec dix comédiens sur le plateau, la mise en scène sobre mais efficace, met en valeur la langue poétique et expressive de Jean de Rotrou. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un classique injustement délaissé du répertoire.
Ernest, Désiré et Stanislas reçoivent un faire-part un peu particulier, puisqu'il leur annonce l'imminence de leur propre mort. Mais ces trois petits vieux ne l'entendent pas de cette oreille, et ils vont faire de la résistance... avant d'accepter finalement avec philosophie cette inéluctable fatalité : la vie n'est pas éternelle. Reste cependant une question beaucoup plus importante : qu'ont-ils fait de leur vie ? Un spectacle burlesque qui nous vient du Québec, mettant en scène trois personnages masqués en révolte contre le destin tragi-comique qui est le leur, comme il est aussi le nôtre. Y a-t-il une vie avant la mort ? Telle est la véritable question. Le décor, très sobre, participe à créer une esthétique très graphique. Un spectacle poétique et drolatique. Pour tout public.
Les réunions de famille constituent un sujet inépuisable pour les comédies de boulevard. Ici, c'est une fratrie qui se retrouve à l'occasion du décès de leur père pour organiser les funérailles. Bien sûr, tout le monde n'est pas d'accord, et les caractères différents de chacun s'opposent en une perpétuelle joute oratoire. Les bons mots fusent du début à la fin. Sans oublier quelques révélations et autres surprises. Car c'est bien connu, quand quelqu'un meurt, on découvre souvent bien d'autres cadavres dans les placards. Une comédie bien ficelée, teintée d'humour noir.
Dorante, un jeune étudiant fraîchement arrivé de province, ne cesse de mentir pour impressionner deux jeunes filles, entraînant une série de quiproquos dont il deviendra finalement la victime. Chef d’œuvre comique en alexandrins, « le Menteur » est une pièce très atypique de Corneille. Marion Bierry accentue la méta-théâtralité déjà présente dans « le Menteur » en intégrant dans le spectacle des extraits de la pièce « Les Suites du Menteur ». Les mensonges de Dorante apparaissent comme autant d’actes théâtraux qui mettent en lumière le pouvoir de la fiction. Elle transforme certaines répliques en passages musicaux, chantés sur des mélodies bien connues, à la manière des vaudevilles du XIXe siècle. Le public est emporté par le rythme de la pièce et l’énergie des comédiens, qui maîtrisent à la perfection les alexandrins. Une très belle mise en scène d’un classique du théâtre français.
Il est impossible de séparer l'œuvre, la vie, et la mort tragique de Lorca, car comme dans toutes les tragédies, son destin semblait scellé d'avance, comme la seule voie possible vers l'immortalité. En effet, si les dictateurs peuvent assassiner les poètes, ils ne pourront jamais assassiner la poésie. Cet hommage au destin christique de Lorca, orchestré par Jessica Walker, a des allures de messe noire, avec pour officiant la figure de la mort, empruntée à la mythologie populaire mexicaine. Ce Mexique où Lorca avait prévu de se rendre et qu'il ne put jamais connaître. L'engagement total de l'ensemble des comédiens est, avec la flamboyance du visuel, l'un des principaux arguments de ce spectacle époustouflant. L'aspect industriel du lieu et l'économie de moyens ajoutent encore à la puissance exceptionnelle de cette proposition unique, et elle est parfaitement en accord avec son propos : faire naître le sublime du presque rien et l'offrir en partage n'importe où. En cette année où la langue invitée dans le IN est l'espagnol, ces jeunes espoirs de la scène ibérique auraient mérité la Cour d'Honneur. Le plus gros coup de cœur de Libre Théâtre depuis le début du festival.
Avec ses faux airs de crooner des Balkans, le virtuose Paul Staïcu nous invite à une plongée pianistique et humoristique dans la Roumanie de Ceausescu. Avec une irrésistible autodérision, il nous raconte comment la musique, sous toutes ses formes, lui a permis de survivre à la dictature, puis même d'y échapper... trois mois avant la chute du mur de Berlin, qui entraîna aussitôt celle du régime totalitaire dans le pays dont il venait à peine de s'évader. Au-delà de cette fresque historique brossée avec drôlerie et élégance, ce pianiste hors pair, doté aussi d'un grand talent comique, tente de réconcilier les musiciens que nous avons été, ou que nous aurions pu être, avec une discipline d'apprentissage musicale dont il est néanmoins difficile de nier le caractère aride. Reste que la musique, si elle ne suffit pas hélas à adoucir les mœurs, est à l'évidence une ouverture sur le monde et sur les autres. Ainsi qu'une invitation au rêve et à la fraternité. Un spectacle porté par un artiste très attachant et au parcours étonnant. Pour tous les publics, musiciens d'active ou réservistes, repentis ou sympathisants. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
Le spectacle moliérisé qui, il y a une dizaine d'années, fit connaître Alexis Michalik, revient à Avignon au Chêne Noir. Sur une trame de feuilleton à la manière d'Alexandre Dumas, ce récit haletant entrelace habilement plusieurs intrigues, mêlant fiction et réalité historique, pour conduire le spectateur jusqu'à la surprise du dénouement final. Cinq acteurs de talent incarnent une trentaine de personnages dans un décor réduit au minimum. Mais par la magie du théâtre, l'auditoire est transporté à travers les continents à diverses époques. Un spectacle illustrant à merveille la capacité éternelle du récit à créer un monde plus vrai que nature. À ne pas manquer.
George déteste le prénom que lui ont imposé ses parents à sa naissance, comme le signe anagrammatique prémonitoire d'un avenir funeste. Pire encore, les prénoms des futures conquêtes de George semblent également être écrits à l'avance. Dans un élan de révolte contre la fatalité, George refuse de connaître le prénom de la femme qu'il vient de rencontrer, de crainte que le prénom de sa bien-aimée ne corresponde pas à celui que le destin a déjà choisi pour lui. Mais comme chacun sait, se révolter contre le destin, c'est ouvrir la porte à la tragédie... On l'aura compris, cette tragédie tournera vite à la farce. Une comédie burlesque et romantique servie par cinq comédiens et comédiennes totalement investis dans leurs personnages, et magnifiée par un décor habilement modulable, donnant à l'ensemble des allures de bande dessinée. Une tragi-comédie onomastique très originale et résolument désopilante. À ne pas manquer.
Une jeune fille retourne au domicile d’une vieille dame excentrique récemment disparue. Mais cette maison douce est encore hantée par le fantôme de son amie, qui vient lui raconter les épisodes marquants de sa vie, à travers quelques chansons emblématiques de son époque. La pianiste Susanna Tiertant et la contrebassiste Claire Mazard revisitent avec une musicalité rare les œuvres d’Anne Sylvestre, Brigitte Fontaine, Barbara, Yvette Guilbert, Dalida ou Juliette. Leur interprétation, à la fois sensible et humoristique, constitue sans aucun doute le principal attrait de ce spectacle à fleur de peau. L'occasion peut-être pour la jeune génération de découvrir ou de redécouvrir les chansons qui ont accompagnées leurs grands-mères et leurs mères dans leurs luttes. N'hésitez pas à faire un tour dans cette maison douce en cette période trouble où les droits des femmes sont partout remis en cause. Simone de Beauvoir prévenait déjà en 1974 : "Rien n'est jamais définitivement acquis. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes."
Après Issue de Secours, qui se déroulait dans une cabine de pilotage en folie, le duo comique Benjamin et Hadrien nous revient dans un nouveau spectacle où ils incarnent cette fois deux policiers complètement déjantés aux prises avec une enquête totalement foutraque. La recette de cet incroyable numéro burlesque reste la même, et le succès est encore au rendez-vous. Jeux de mots potaches et gags à répétitions, pastiches en tout genre et postiches de tout poil. Ces deux artistes de cabaret hors pair ne s'économisent pas dans ce show endiablé au rythme frénétique. Une véritable performance comique qui ne laissera personne indifférent. On en sort épuisé pour eux mais requinqué pour la journée. C'est aussi cela Avignon. Le théâtre dans toute sa diversité. Courez voir ce spectacle en fin d'après-midi ! Vous serez complètement détendus pour affronter la Cour d'Honneur en soirée...
Dans l'URSS de l'après-guerre, Lidia, une femme d'un certain âge, rencontre Rodion, un homme d'un âge certain, dans la maison de repos où elle doit passer quelques jours. Lidia est une patiente du genre impatiente. Rodion est un médecin bougon et un brin misogyne. Ensemble, ils vont remettre en cause les certitudes dans lesquelles ils sont l'un et l'autre installés, et retrouver la joie de vivre, voire renouer avec des sentiments qu'ils pensaient ne plus devoir éprouver. Jusqu'à embarquer tous les deux sur le même bateau pour un dernier voyage ? L'émotion procurée par ce spectacle vient d'abord de la présence scénique de ces deux grands comédiens, issus de la Comédie Française, qui parviennent à sublimer un texte au charme un peu désuet. Dans la fournaise avignonnaise, une comédie romantique à savourer comme un bonbon acidulé.
La vie de Gomidas, prêtre, compositeur et ethnomusicologue arménien est à de nombreux égards extraordinaire, marquée à la fois par son talent et par les soubresauts de l'Histoire. Né en 1869 dans l'Empire ottoman, parlant le turc, il a contribué au rayonnement de la musique arménienne en collectant, harmonisant et diffusant des milliers de chansons populaires, à travers notamment la fondation de chœurs. Comme tant d’autres, son destin est tragiquement bouleversé en 1915, quand il est arrêté et déporté. Bien que libéré alors que ses compagnons périssent dans le terrible génocide, il n’arrive pas à surmonter le traumatisme des atrocités et termine sa vie dans des asiles psychiatriques en France. Le metteur en scène Ahmet Sami Özbudak a choisi de situer l’histoire au crépuscule de la vie de cette figure emblématique de la culture arménienne. Dans des délires hallucinés, dialoguant avec un mouton imaginaire, Gomidas, incarné formidablement par Fehmi Karaarslan, se remémore les principaux moments de sa vie. Le récit poétique est ponctué de chants liturgiques et populaires interprétés par une chorale arménienne, dont l’écho résonne magnifiquement dans la Chapelle des Italiens. La vidéo sera remplacée pendant trois dates par le choeur arménien de Marseille Sahak Mesrop, les 5, 13 et 19 juillet. Un spectacle marquant, d’autant plus remarquable qu’il est proposé par la compagnie franco-turque teatrINO. Un message d’espoir en ces temps troublés.
En mettant en scène encore une fois de jeunes artistes en devenir, Ahmed Madani poursuit son exploration de la difficile mais nécessaire et salutaire intégration de la jeunesse dans le monde pas toujours accueillant qui l'entoure. Une intégration plus problématique encore lorsque cette jeunesse est éloignée de ce que les élites autoproclamées ont coutume d'appeler, avec quelque condescendance pour ceux qui en sont exclus, le monde de la culture. Or l'art en général, et singulièrement le théâtre, reste pour nous tous sans exclusive un extraordinaire outil pour s'accepter soi-même, et pour conduire les autres à accepter la différence de chacun. La scène, en effet, est le lieu par excellence où en rêvant sa vie on peut faire de ce rêve une vérité plus tangible encore que la simple réalité de notre quotidien. Palliant les travers voire les perversités de l'éducation parentale et scolaire, le théâtre est donc une formidable école de la vie. Même si cette école de la liberté est hélas souvent dirigée aussi par des tyrans. Au-delà de ce message d'espoir, dénué de tout angélisme, on saluera la performance de ces sept comédiennes et comédiens qui parviennent à nous donner l'illusion de la fragilité des personnages qu'ils incarnent grâce à la force que leur confère un savoir-faire déjà très accompli. La mise en scène, dans sa sobriété très graphique, s'efface pour mettre en lumière l'humanité qui transpire de ces jeunes artistes, nous invitant comme eux à faire encore et toujours de nos rêves les plus fous un projet de vie pour demain. Notre premier coup de cœur du festival.
En conclusion sa saison lyrique, l’Opéra Grand Avignon a choisi le grandiose Boris Godounov de Modeste Moussorgski, présenté dans sa première version de 1869, en sept scènes. La mise en scène de Jean-Romain Vesperini convoque l’imaginaire de la vieille Russie, tout en donnant une dimension shakespearienne à cet opéra. L’espace scénique est divisé en deux niveaux : au début du récit, le pouvoir occupe la partie supérieure, illuminée par un Christ orthodoxe rayonnant, tandis que le peuple erre en dessous dans un espace sombre où des troncs, tels des racines, inversées entravent leurs mouvements. Composant de véritables œuvres picturales, grâce à la vidéo, aux jeux de lumières et aux somptueux costumes, les tableaux se succèdent, symbolisant l’évolution psychologique puis la déchéance de Boris Godounov.Luciano Batinic incarne avec talent ce personnage complexe et impressionne par sa voix puissante et expressive, ainsi que par sa présence scénique. À ses côtés, les autres solistes composent également un plateau exceptionnel. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon apporte dans ses interventions une profondeur et une intensité qui subliment l'ensemble, tandis que les voix cristallines de la Maîtrise de l’Opéra évoquent la pureté et la vulnérabilité. Sous la direction de Dmitry Sinkovsky, l’orchestre national Avignon-Provence exprime toutes les couleurs et les nuances de la partition de Moussorgski, alternant des passages très doux et subtils avec des sections énergiques et retentissantes.Un superbe spectacle qui clôt en beauté la saison Magique ! de l’Opéra Grand Avignon.
Superbe concert hier soir dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, avec DEMOS Avignon-Provence, les enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Grand Avignon, la Maîtrise et le Choeur de l’Opéra Grand Avignon, l’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction musicale de la flamboyante Débora Waldman. Ce concert exceptionnel était un aboutissement. Pendant trois ans, plus de 90 élèves de 6 écoles avignonnaises ont participé au projet Démos Avignon-Provence : ils ont reçu un instrument de musique, ont été formés à la pratique de la musique classique et ont été parrainés par les musiciens de l’Orchestre national Avignon-Provence. Par ailleurs, 150 enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Grand Avignon, issus d’écoles et de collèges des quartiers prioritaires de la ville, ont été formés par des musiciens du Conservatoire et de l'Opéra Grand Avignon.
Recommandations de Libre Théâtre pour l’édition 2024 du Festival d’Avignon. Sélection de spectacles relevant de genres très variés, joués dans des théâtres réputés mais aussi dans de très petites salles, par des compagnies connues et d’autres pour lesquelles Avignon est une première.
Douze Cordes, le dernier spectacle proposé par l’Opéra Grand Avignon à l’Autre Scène de Vedène, est le résultat d’un incroyable travail de plusieurs mois avec des détenus du Centre Pénitentiaire du Pontet. Cet opéra boxé interdisciplinaire, orchestré par le chorégraphe et metteur en scène Hervé Sika, donne à entendre la parole rare de ces personnes incarcérées, qui ont pu s’exprimer, sous différentes formes, dans des ateliers de boxe, de danse, d’écriture et de théâtre. La boxe, utilisée comme métaphore de la vie, est au centre du spectacle et symbolise le combat que l’on doit mener pour vivre. C'est aussi une manière de parler de la violence, de l’apprivoiser et de la canaliser. L'opéra se déroule en trois actes, chacun illustrant une étape cruciale du voyage intérieur des interprètes. Le premier acte s’intéresse à la préparation, du travail en solitaire à l’entraînement collectif. Le deuxième acte plonge les interprètes dans une confrontation avec eux-mêmes, face à leur miroir. Ici, la boxe devient une lutte intérieure contre leurs propres peurs et démons. Le dernier acte représente le combat. Vêtus des somptueux costumes de l’Opéra, les interprètes se livrent à un duel métaphorique. Le combat ne se limite pas à la confrontation physique, il illustre également la résilience nécessaire pour continuer à vivre, même après une défaite. Le vaincu doit trouver la force de se relever, tandis que le vainqueur doit également faire face à ses propres défis. Sur scène, l’humanité et l’universalité du propos se traduisent par la symbiose entre les arts mais aussi entre les artistes, professionnels ou non. Transcendant le temps, le quatuor à cordes féminin issu de l’Orchestre national Avignon-Provence et la chanteuse lyrique Aurélie Jarjaye accompagnent les mouvements chorégraphiés en interprétant des airs empruntés à plusieurs époques, de la musique baroque à l’époque contemporaine. D’abord en fond de scène, elles interviennent ensuite au centre du plateau, où évoluent les boxeurs-danseurs entraînés par Careem Ameerally, la danseuse Marina Gomes et le circassien Mawunyo Agbenoo. Le DJ Junkaz Lou, qui domine la scène, joue et mixe avec beaucoup de musicalité les grands airs classiques avant de devenir le véritable arbitre du combat. La beauté des tableaux, la pureté des mélodies et la sincérité des textes écrits et interprétés par les détenus ont touché profondément le public, qui a réservé une véritable ovation aux artistes à l’issue du spectacle.
Rarement représentée en France, "Luisa Miller", composée par Giuseppe Verdi en 1849, raconte l'amour impossible entre Luisa, fille d'un vieux soldat, et Rodolfo, fils du comte Walter. Cet opéra s’inspire de la pièce "Kabale und Liebe" de Schiller et aborde les grandes thématiques du « Strum und Drang », qui inspireront à Verdi ses œuvres majeures. En choisissant un décor très graphique et des costumes de différentes époques, Frédéric Roëls réussit à donner une dimension intemporelle à cet éternel conflit entre les désirs individuels et les contraintes imposées par une société tyrannique et patriarcale. Les deux amants, confrontés aux machinations des puissants, marchent inexorablement vers leur destinée tragique. Cet engrenage fatal est symbolisé non seulement par l’immense horloge brisée au centre du plateau, mais aussi par de superbes jeux de lumière, combinaison savante de clairs-obscurs participant à créer une ambiance crépusculaire. Dès l’ouverture, l’Orchestre National Avignon-Provence, sous la direction de Franck Chastrusse Colombier, plongeait l'auditoire dans l'atmosphère dramatique de la terrible confrontation entre l’innocence et la brutalité, en révélant toutes les nuances mélodiques de la riche partition de Verdi. Axelle Fanyo, qui incarnait pour la première fois le rôle-titre, a su émouvoir le public en livrant une prestation vocale exceptionnelle, exprimant avec intensité les sentiments extrêmes de son personnage. Sehoon Moon, à la voix puissante et nuancée, composait un Rodolfo touchant et pudique. Il s'est révélé bouleversant à chaque intervention, qu’il chante l'amour désespéré, la jalousie ou le désespoir. Autre héros de l’histoire et autre jouet de ces manipulations, le soldat Miller était remarquablement interprété par le ténor Gangsoon Kim, tout en sobriété et délicatesse. Le reste de la distribution proposait une prestation de grande qualité. Totalement intégré à l’histoire, le chœur de l’Opéra Grand Avignon s'est à nouveau montré impressionnant par sa musicalité, son homogénéité et la qualité de la prestation scénique. Cette nouvelle production de l’Opéra Grand Avignon a reçu ce dimanche une ovation bien méritée.
L'Avare : une comédie indémodable portée par un comédien d'exception Les innombrables mises en scène des pièces de Molière conduisent parfois, par une recherche de l'originalité à tout prix, à en dénaturer le propos, jusqu'à faire oublier qu'elles sont d'abord et avant tout, le plus souvent, des comédies de mœurs. Il n'en est rien pour cet Avare d'Olivier Lopez qui, par un dispositif scénique astucieux, mais sans fioritures inutiles, nous donne tout simplement à entendre de façon parfaitement limpide les mots et le propos de Molière, tout en assumant pleinement la dimension comique, satirique, parodique et parfois même un peu potache de ce chef d'œuvre absolu du répertoire français. La modernité du décor et des costumes n'est pas ici un simple artifice pour souligner le caractère avant-gardiste de la mise en scène, mais un moyen parmi d'autres de montrer à quel point cette comédie reste et restera à jamais d'actualité. En cela, avec ce spectacle jubilatoire, on n'est pas loin de l'univers comique d'un Gérard Oury au cinéma, dans la mesure où ce dernier s'inspirait lui-même des comédies de Molière. À ce propos d'ailleurs, même si l'ensemble de la distribution est excellente, il faut rendre un hommage tout particulier à cet immense acteur qu'est Olivier Broche. Éternel second rôle du cinéma et de la télévision depuis sa participation aux Deschiens, il nous montre à nouveau ici qu'il est un grand comédien, à l'instar d'un De Funès qui, lui aussi, connut trop tardivement la reconnaissance qu'il méritait.
La cantatrice chauve... n'a pas pris une ride. Cette première pièce de Ionesco, qui restera son chef d'oeuvre, est interprétée avec beaucoup d'allant par la Compagnies des Beaux Parleurs, composée d'anciens élèves du Conservatoire de Cannes, mis en scène par leur professeur. La jeunesse de la troupe, alors que la pièce est généralement donnée notamment à la Huchette avec une distribution plus âgée, confère au spectacle une fraîcheur inattendue. Ces jeunes comédiens, cependant, dont certains sont aussi danseurs ou musiciens, maîtrisent déjà parfaitement leur art, et nous offrent à cette occasion quelques morceaux de bravoure mémorables. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
Giacomo Puccini s'est inspiré de la pièce de théâtre "Tosca" de Victorien Sardou, écrite à l’intention de la grande tragédienne Sarah Bernhardt, pour donner naissance à un véritable chef-d'œuvre musical et dramatique. L’opéra en trois actes a été créé pour la première fois en 1900 à Rome, où se déroule également l'intrigue, transportant les spectateurs dans l'Italie tumultueuse du début du XIXe siècle. Au cœur de l'histoire, Floria Tosca, une célèbre chanteuse d'opéra, est amoureuse du peintre et révolutionnaire Mario Cavaradossi. Leur amour est mis à l'épreuve lorsque l'impitoyable chef de police Scarpia entre en scène, déclenchant une série d'événements tragiques. La version présentée à l’Opéra Grand Avignon en coproduction avec Theater Trier, portée par une équipe remarquable, a indéniablement su captiver et émouvoir les spectateurs, entraînés dans cette intrigue tourmentée, mêlant amour et trahison. Barbara Haveman, une soprano qui a déjà interprété le rôle de Tosca à plusieurs reprises, brille par sa maîtrise vocale, puissante et passionnée, puis douce et vulnérable. Face à elle, André Heyboer, interprétant le sinistre Scarpia, incarne avec un grand réalisme ce personnage maléfique, sa voix résonnant avec une autorité diabolique à chaque apparition. Cependant, c’est la voix veloutée et expressive de Sébastien Guèze, ardent et touchant Mario Cavaradossi, qui a déchaîné l’enthousiasme du public. Son interprétation poignante de « E lucevan le stelle » restera dans les mémoires. À leur côté, le choeur et la maîtrise de l’Opéra Grand Avignon amplifiaient l’intensité des scènes dans lesquelles ils apparaissent, que ce soit pour célébrer une messe, fêter une victoire ou pour exprimer le désespoir face à l'irrémédiable tragédie. L'impact émotionnel de "Tosca", toutefois, ne repose pas seulement sur les performances vocales des chanteurs, mais également sur la richesse orchestrale de cet opéra. Sous la direction experte de Federico Santi, l'orchestre Avignon-Provence a offert une interprétation magistrale de la partition, mettant en évidence le sens inné de la dramaturgie de Puccini, qui utilise habilement les différentes sections de l'orchestre pour renforcer l'intensité émotionnelle de chacune des scènes. La magie de Tosca a une nouvelle fois opéré : cette œuvre intemporelle a conquis le public avignonnais, ébloui, qui a longtemps ovationné les artistes.
Une Fée, promise à Merlin l'Enchanteur, tombe amoureuse d'Arlequin, un jeune homme aussi beau que niais, qu’elle enlève. Elle échouera à déniaiser cet éphèbe, et c'est une simple bergère qui fera son éducation, l'esprit semblant aussi chez les hommes venir avec l'amour. Par un ultime stratagème, Arlequin s'emparera des pouvoirs magiques de la Fée et finalement, le jeune captif et la bergère deviendront roi et reine. Marivaux nous livre avec cette comédie assez peu jouée une nouvelle réflexion sur la genèse du sentiment amoureux et sur les tempêtes qu'il peut déclencher, la sincérité finissant toujours par l'emporter sur le cynisme, bien sûr. Sans oublier, avec cette allusion à un possible renversement du pouvoir, un discret message pré-révolutionnaire. Thomas Jolly s'empare de ce marivaudage féérique pour en faire un cabaret fantastique, jouant avec merveille de tous les artifices du théâtre. Les cinq comédiens incarnent leurs personnages avec une belle énergie et un grand talent. On assiste à un spectacle complet, donnant toutefois parfaitement à entendre les mots et le propos de Marivaux. On en sort avec des étoiles dans les yeux. Un coup de cœur de Libre Théâtre.
La Compagnie toulonnaise Hors Surface proposait en accès libre le 13 mars sur la grande scène de La Scala Provence une sortie de résidence, étape de travail pour la création de son spectacle « Face aux murs », mêlant acrobatie et poésie visuelle au service d’un propos résumé dans le titre : la difficulté des hommes à s’inscrire dans une société où l’exclusion du plus grand nombre est devenue la règle. À partir de deux trampolines disposés de part et d’autre d’une cage centrale, jouant avec les trois dimensions pour en ajouter d’autres jusqu’à nous faire perdre la notion de l’espace, du temps et tout simplement du réel (ce que l’on voit en double, ce que l’on ne voit qu’à moitié, ce que l’on ne voit pas du tout), ces voltigeurs de l’extrême ont offert au public avignonnais, venu en nombre et en famille, un spectacle d’une incroyable intensité. Avec un engagement total et une grande générosité. Merci à eux, et merci à La Scala Provence pour ce cadeau. Au vu de la qualité de cette étape de travail, on a hâte de voir le spectacle abouti lorsqu’il sera proposé au public dans quelques mois. À ne manquer sous aucun prétexte. Déjà un coup de cœur de Libre Théâtre. Critique de Jean-Pierre Martinez
Les heureux spectateurs présents à l’Opéra Grand Avignon le 10 mars 2024 se rappelleront longtemps l’émotion ressentie lors de la représentation d’Atys. Nul doute qu'ils auront aussi conscience d’avoir vécu un moment historique, avec la renaissance de ce chef d’œuvre, interprété par des artistes d’exception. C’est en effet à Avignon qu’a été révélée pour la première fois cette nouvelle version d’Atys, fruit de nombreuses années de recherches et d’études musicologiques, sous la direction musicale d’Alexis Kossenko, réunissant Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie et le Centre de musique baroque de Versailles.
On connaît la célèbre tirade de Perdican dans "On ne badine pas avec l'amour" de Musset, par laquelle le jeune homme prétend convaincre sa bien-aimée de renoncer à entrer au couvent, et de prendre malgré tout le risque de vivre, en pariant sur la possibilité d'un amour pur sur une Terre décrite comme un cloaque. C'est l'une des plus belles et des plus tragiques odes à la vie, et c'est aussi le propos de cette pièce poignante écrite et mise en scène par Cliff Paillé : un hommage à cette jeunesse d'aujourd'hui qui, entre pessimisme absolu et totale insouciance, a le courage de choisir la vie, dans un monde semblant plus que jamais courir à sa perte.
Dans une société où l'impossible quête de la conformité à une norme est devenue une impitoyable tyrannie, il était plus que nécessaire de faire l'éloge de la singularité et de la fragilité. C'est ce que nous propose ce magnifique spectacle, mettant en scène quelques jeunes gens qui, en nous racontant avec poésie et humour leurs différences que la société leur renvoie en son miroir comme des handicaps, nous apprennent à apprivoiser nos propres singularités et nos propres faiblesses pour en faire si ce n'est des alliées du moins des compagnons de route.
Un vagabond arrive dans un village où il trouvera asile. Malgré cette chaleureuse hospitalité, cependant, cette âme en peine sera rattrapée par ses démons. Ainsi pourrait-on résumer l'intrigue du dernier jour de Pierre, défini par la compagnie elle-même comme une poétique du désespoir. Imaginé par Baptiste Zsilina, assisté par de nombreux autres membres de cette compagnie avignonnaise, ce spectacle de marionnettes, sans parole, constitue une expérience sensorielle et émotionnelle unique, dans la lignée des précédentes créations de la Compagnie Deraïdenz (Les souffrances de Job, InKarnè ou Byba Youv) qui, en convoquant des univers très singuliers et des sujets très forts, ont durablement marqué tous les spectateurs. L’aspect serein et lumineux des décors et des marionnettes, rappelant l’univers hivernal des santons de Provence, contraste avec l’univers sombre et torturé constituant la marque de fabrique de la Compagnie Deraïdenz, prenant toujours un malin plaisir à nous faire peur pour nous faire réfléchir, en nous donnant à voir la « matière noire » qui nous entoure… On s’attendait donc à ce que ce conte sans histoire tourne au cauchemar. Et ce fut bien le cas avec le surgissement saisissant des « brèches noires » dans ce paysage lumineux exhalant déjà une infinie tristesse.
Paru en 1945, Black Boy, de Richard Wright, est le premier roman écrit par un afro-américain pour décrire de l'intérieur la machine infernale du ségrégationnisme. Refusant de se laisser réduire au statut de victime, cependant, ce jeune homme révolté et héroïque expérimentera une forme de résilience par la lecture, puis par l'écriture, en devenant ainsi, par le pouvoir de la littérature, l'auteur et l'acteur de sa propre vie. Cet étonnant spectacle rassemble sur scène un comédien, un musicien et un illustrateur. Jérôme Imard incarne à la perfection Richard Wright pour nous conter avec malice l'histoire terrifiante de ce jeune Noir dans l'Amérique ségrégationniste de la première moitié du XXème siècle. Olivier Gotti, une guitare posée à plat sur ses genoux et un bottleneck dans la main gauche, nous livre un blues habité, venu tout droit du Mississippi. Tandis que Jules Stromboni illustre ce récit poignant en projetant sur un écran les dessins presqu'animés qu'il effectue en direct avant de les effacer pour faire place à d'autres.
Ouvrir l’opéra à tous les publics, telle est la généreuse ambition de l’Opéra Grand Avignon. L’adaptation de la Flûte enchantée de Mozart en opéra participatif et inclusif en est une des plus belles concrétisations.L’opéra de Mozart s’adresse à tous les âges et son message est universel : en racontant le parcours initiatique du jeune Tamino et de la jeune Pamina, aidés par le personnage comique de Papageno, il dénonce le mensonge et l’ignorance, pour faire triompher la connaissance et la justice. Caroline Leboutte, dans cette adaptation dramaturgique et musicale de l’œuvre, associe le public à cette quête de la vérité et, modifiant un peu le livret, choisit de faire triompher la Paix.Le public est ainsi invité à chanter des extraits de la Flûte enchantée. Des ateliers musicaux proposés à l’Opéra mais aussi dans des écoles d’Avignon et des environs, ainsi que des tutoriels sur le site de l’Opéra ont permis de préparer ces interventions musicales, car interpréter Mozart n’est pas une tâche facile... Sous la conduite précise et bienveillante de la cheffe d’orchestre Débora Waldman, et avec l’aide indispensable de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, l’audience a participé avec enthousiasme à cette aventure musicale et surtout humaine. L’émotion, suscitée par la musique de Mozart interprétée par l’orchestre national Avignon-Provence et par des solistes d’exception, est décuplée lorsque le public est invité à interpréter en langue des signes un air de Tamino, ou lors du final quand les enfants sortent des banderoles et chantent de tout leur cœur pour que cesse la guerre et le mal et que vienne la paix.Lorsque l’art permet une telle communion, on se prend à espérer comme Mozart que l’homme sage triomphera.
Avec "Johnny, libre dans ma tête", Didier Gustin rend un hommage tendre et irrévérencieux à l'homme et à l'artiste. Évitant le piège du "tribute" ou de la simple imitation caricaturale, il a choisi de nous faire entendre les paroles inoubliables des chansons de Johnny à travers les multiples voix des chanteurs et amis avec lesquels il a partagé la scène. Il en résulte un spectacle très original, à la fois drôle et émouvant, cultivant une dérision et une autodérision qui n'auraient sans doute pas déplu à Jojo.
Jean-François Novelli, que l’on avait eu le plaisir d’entendre fin décembre dans l’opérette Mon bel Inconnu à l’Opéra Grand Avignon, développe toutes les facettes de son talent dans cette pièce de théâtre musicale, consacrée aux grandeurs et misères de la vie d'un chanteur lyrique. Jouant à la perfection le rôle d'un ténor talentueux mais d'une extrême suffisance, Jean-François Novelli nous donne à entendre le style littéraire très caustique d’Hector Berlioz, à travers des extraits des « Soirées de l’orchestre », mais également des textes de Flaubert ou Maupassant. Accompagné par Marie-Christine Goueffon au piano, Jean-François Novelli semble raconter sa propre vie, interprétant de sa voix délicate et lumineuse des airs de Rossini, Tchaïkovski ou Bizet, mais également de superbes mélodies moins connues. La mise en scène d’Olivier Broche est enlevée et on reconnaît avec plaisir dans les voix off des critiques portant aux nues le ténor, quelques personnalités bien connues de l’univers des Deschiens. Un joli spectacle, à la fois drôle et émouvant, à découvrir au Théâtre de la Porte Saint Michel lors de la prochaine édition du Festival OFF d’Avignon
Comment un grand bourgeois aux allures de patriarche peut-il se retrouver potentiellement l'amant non seulement de sa bonne mais aussi de sa femme et même de sa fille ? Sacha Guitry est au sommet de son art avec cette opérette en forme de vaudeville psychanalytique. Détournant le cliché du mari, de la femme et de l'amant, il en fait un voyage initiatique en quête d'une vérité apaisante, au-delà des non-dits, des secrets et des mensonges. Dans cette famille travaillant du chapeau, au sens propre et au sens figuré puisque Monsieur dirige une chapellerie, l'atmosphère est en permanence à l'orage. Usant d'un stratagème, le patriarche en question décide de confondre à la fois les trois femmes de sa vie afin de les ramener à la raison. Finalement, personne ne trompera personne et l'harmonie reviendra dans la famille avec le rétablissement d'une communication bénéfique pour tous. Le tout sous le regard d'un muet prêtant une oreille attentive aux confidences de chacun, et qui retrouvera miraculeusement la parole à l'issue de cette thérapie familiale salutaire. Une évocation à peine voilée, donc, de la figure du psychanalyste...
Tom Volf, à la fois réalisateur du film "Maria by Callas" et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le sujet, est aujourd'hui unanimement reconnu comme l'un des éminents spécialistes de la mythique cantatrice. Parmi d'autres, il nous apporte un vibrant témoignage de la fascination pérenne exercée par la diva non seulement sur les connaisseurs d'opéra, mais également sur les jeunes générations moins versées dans cet art. Accompagné de la pianiste Ayaka Niwano, le talentueux contre-ténor Rémy Brès-Feuillet incarne Tom Volf et évoque quelques fragments de la vie de Maria Callas à travers de nombreuses anecdotes, mais aussi par l’interprétation de quelques grands airs. Peu à peu, il devient la Divina...Un joli moment musical, où l’humour n’est jamais loin.
Ce dimanche 10 décembre, l'Opéra Grand Avignon inaugurait les traditionnelles festivités de fin d'année avec un concert de Noël aussi magique que convivial et chaleureux, interprété par la Maîtrise et le Chœur de l'Opéra. Présenté par le talentueux chef de chœur Christophe Grapperon, le programme mêlait habilement œuvres savantes, chants traditionnels provençaux et chansons populaires. Avec pour objectif assumé de resacraliser les "tubes" les plus universellement connus de Noël, et à l'inverse de rendre plus accessibles les compositions classiques les plus élaborées.
On peut très bien, et on doit même parfois, oublier l'homme pour apprécier pleinement son œuvre. Il n'en reste pas moins que derrière toute œuvre il y a un homme. Et c'est l'un des mérites de ce spectacle de nous le rappeler. Si nous connaissons tous plus ou moins la poésie de Baudelaire, ses écrits en prose nous sont moins familiers, et ses écrits épistolaires sont généralement méconnus. Vers la fin de sa vie, depuis son exil à Bruxelles pour échapper à ses créanciers tout en rêvant d'un retour triomphal à Paris, ces lettres à sa mère nous révèlent un homme conscient de son génie, mais profondément meurtri de ne pas le voir reconnu à sa juste valeur. Des lettres qui font étrangement écho à celles adressées par Vincent van Gogh à son frère Théo, témoignant elles aussi de façon poignante de la douloureuse frustration de l'artiste quand son œuvre, à laquelle il a consacré toute sa vie, reste ignorée voire méprisée du public. L'autre originalité de ce spectacle est de mettre en résonance les mots de Baudelaire avec les notes de Beethoven, en un dialogue intime que n'aurait pas renié le poète qui le premier célébra les correspondances entre les arts et les synesthésies. Baudelaire aimait la peinture et la musique. Il admirait Beethoven, et comme nous le suggère malicieusement Isabelle Krauss, rien n'interdit d'imaginer qu'il écrivit certains de ses poèmes en ayant à l'esprit les sonates de Beethoven. Un spectacle poétique et musical, sensuel et multi-sensoriel, porté par une comédienne habitée et par une pianiste virtuose, liées par une belle complicité. À ne pas manquer dans cette salle chaleureuse du Théâtre des Trois Raisins.
Au lendemain de leur concert à La Scala de Paris, La Scala Provence recevait hier soir NO(W) BEAUTY, un quartet de jazz franco-américain puisant son inspiration à des sources musicales très diverses. Pendant plus d'une heure, ces quatre jeunes musiciens d'exception ont charmé leur auditoire principalement avec les compositions originales de leur dernier album. Ces quatre virtuoses aux parcours impressionnants, qui se sont rencontrés dans les clubs de jazz parisiens, nous proposent avec NO(W) BEAUTY une formation soudée par une grande complicité, sans leader, et au sein de laquelle chacun compose tour à tour les morceaux qu'ils jouent ensuite ensemble. On se contentera de citer, parmi les diverses compositions au programme lors de ce concert mémorable à Avignon, un étonnant hommage à la musique baroque intitulé "Organa", un morceau très original composé par le pianiste Enzo Carniel, et relevant d'une savante fusion entre la musique classique et le jazz. Une jeune formation à suivre, donc. Merci à La Scala de nous avoir permis de la découvrir.
Katia et Marielle Labèque ouvraient hier soir avec éclat la nouvelle saison de la Scala Provence. Telles des magiciennes de contes de fées, pendant plus d'une heure, elles ont emporté leur auditoire dans un univers musical aux accents fantastiques.