« Molière, le jeu du vrai et du faux » : une exposition passionnante de la BnF et la Comédie-Française sur le site Richelieu
À l’occasion du 400 ème anniversaire de la naissance de Molière, la BnF et la Comédie-Française présentent une exposition consacrée à la construction du mythe Molière à travers un ensemble exceptionnel de peintures, sculptures, manuscrits, éditions originales, maquettes de décors mais aussi photos et vidéos de spectacles. Une exposition passionnante qui fait aussi le point sur les derniers travaux de recherche consacrés à cette figure emblématique du théâtre.
L’exposition se déroule dans les galeries Mansart et Pigott, construites entre 1646 et 1658 dans le palais de Mazarin alors que Molière parcourait les routes de France avec sa troupe itinérante. Ce quartier est très imprégné du souvenir de Molière puisque l’on y trouve le lieu de résidence de sa famille (il est né au 96 rue Saint-Honoré), la maison où il est décédé (40 rue de Richelieu) et le premier théâtre du Palais-Royal où il a travaillé…
L’exposition développe en trois parties la thématique du vrai et du faux.
Une vie de légendes
La mort de Molière
Le prologue de l’exposition est consacré à la mort de Molière. L’historiographie de Molière, fortement renouvelée ces dernières années, remet en question un certain nombre de récits mythiques liés à la vie et à la mort de ce grand dramaturge. Le 17 février 1673, Molière est pris d’un malaise sur scène lors de la quatrième représentation du Malade Imaginaire. Cependant, contrairement à la légende, il n’est pas mort sur scène mais dans son lit. Il est décédé, entouré de ses proches, d’une grippe foudroyante qui a fait de nombreuses victimes en 1673, et non pas d’une longue maladie. Le Malade imaginaire n’est donc pas une pièce autobiographique. S’il n’a pas reçu les derniers sacrements, il a bien été enterré à l’issue d’une cérémonie religieuse menée par huit prêtres. La mort brutale de Molière a contribué à l’immense succès de sa dernière pièce. L’exposition présente des éditions pirates, dont les retranscriptions sont pour le moins approximatives voire lacunaires mais qui offrent de très intéressantes remarques sur la mise en scène originale de la pièce, informations qui ne figurent pas dans les didascalies des éditions ultérieures.
Le registre de Charles La Grange (mine inépuisable pour les chercheurs et les passionnés de l’histoire du théâtre) relate précisément la mort de Molière.
« Ce même jour, après la comédie sur les dix heures du soir, Monsieur de Molière mourut dans sa maison rue de Richelieu, ayant joué le rôle dudit Malade imaginaire fort incommodé d’un rhume et fluxion sur la poitrine qui lui causait une grande toux de sorte que dans les grands efforts qu’il fit pour cracher il se rompit une veine dans le corps et ne vécut pas demi heure ou trois quarts d’heure depuis ladite veine rompue. Son corps est enterré à Saint-Joseph, aide de la paroisse Saint-Eustache. Il y a une tombe élevée d’un pied hors de terre. »
La salle expose également quelques « reliques » dont le bonnet de Molière pour le rôle d’Argan et la montre de Molière. Il ne subsiste aucun manuscrit de pièce, ni aucune lettre. Seules restent quelques signatures sur des actes notariés.
Le Molière raconté
La légende naît du vivant de Molière, avec les controverses autour de l’Ecole des Femmes et de Tartuffe : admirateurs et contempteurs dressent un portrait forcément déformé de l’auteur.
Extrait de Le Roi glorieux au monde, ou Louis XIV, le plus glorieux de tous les rois du monde, de Pierre ROULLÉ, 1664
Un homme, ou plutôt un Démon vêtu de chair et habillé en homme et le plus signalé impie et libertin qui fut jamais dans les siècles passés, avait eu assez d’impiété et d’abomination pour faire sortir de son esprit diabolique une pièce toute prête d’être rendue publique, en la faisant monter sur le Théâtre, à la dérision de toute l’Église, et au mépris du caractère le plus sacré et de la fonction la plus divine, et au mépris de ce qu’il y a de plus saint dans l’Église, ordonné du Sauveur pour la sanctification des âmes, à dessein d’en rendre l’usage ridicule, contemptible, odieux.
La première biographie de Grimarest qui prétend avoir fréquenté Molière, est riche de nombreux épisodes souvent inventés. Elle fournit la matière à de multiples romans (Mikhaïl Boulgakov par exemple), pièces de théâtre, films (Ariane Mnouchkine) ou bandes dessinées. L’exposition rétablit la vérité historique, tout en rassemblant de multiples illustrations et différents témoignages de la construction collective de ce mythe national. Ainsi l’inventaire après décès de Molière prouve qu’il n’était pas un comédien marginal désargenté mais un bon bourgeois de Paris.
Au XXème siècle naît une autre légende : Pierre Corneille serait le véritable auteur des œuvres de Molière. Les travaux d’humanités numériques démontrent aujourd’hui sans conteste qu’il y a bien deux auteurs distincts : Corneille n’a pas écrit les pièces de Molière, mais a seulement collaboré à Psyché.
Molière chef de troupe
Molière est l’héritier d’une culture européenne et plus particulièrement italienne. La proximité avec les Comédiens Italiens a influencé sa création mais il a rapidement créé des personnages originaux : Sganarelle remplace Mascarille.
L’exposition met aussi en avant le chef de troupe et l’influence des comédiens de l’Illustre Théâtre dans la distribution et la caractérisation des personnages de Molière. L’Illustre Théâtre est une compagnie solidaire qui rassemble des personnalités variées répondant à la diversité des rôles. À sa fondation en 1680, la Comédie-Française hérite de ces principes, sept ans après la mort de Molière.
Des spectacles pour le roi
Contrairement à la légende, Molière n’a jamais dîné à la table du roi, mais il est sans conteste un des principaux protagonistes des grandes fêtes royales données en 1664. Les comédies-ballets données dans leur intégralité ces dernières années, notamment par les Arts Florissants, ont rendu plus tangible le lien étroit de Molière avec la monarchie absolue de Louis XIV. La plupart des comédies de Molière ont été jouées à la cour, à la demande du roi. Mais cet attachement à la monarchie ne l’a pas empêché des années plus tard d’être apprécié par les révolutionnaires puis par les enseignants de la Troisième République.
Molière classique ou moderne
La figure du comédien s’efface rapidement au profit de celle du dramaturge. Molière devient un auteur classique dès le XVIIIème siècle, une figure majeure de la littérature française ; il est inscrit dès le XIXème siècle dans les programmes scolaires, la langue française se définit comme « la langue de Molière » et la Comédie-Française comme la « maison de Molière ». L’exposition montre les différentes facettes de la « canonisation » du patron laïc du théâtre.
Molière auteur universel
Au-delà de la multiplicité des hommages qui sont rendus à Molière, un des aspects les plus passionnants du remarquable travail des commissaires est la juxtaposition et la mise en relation de montages historiques ou contemporains (Jouvet, Vitez, Planchon, Lassalle, Roussillon, Savary…) : des dessins originaux, des maquettes de décors, des maquettes de maquillage, des notes d’intention ou des extraits de spectacles illustrent les multiples lectures (esthétiques, sociales, politiques…) qu’une même pièce autorise.
La force de Molière est d’avoir inventé la comédie de caractères, et le rire qu’il suscite en singeant nos travers et nos défauts traverse les siècles et les frontières. C’est également un excellent observateur des rapports de force au sein des familles ou de la société et le maître incontesté de la dénonciation de toutes les formes d’hypocrisie. Certaines interrogations sur l’identité dans Amphitryon ont une véritable portée philosophique. De même Molière, dans L’Impromptu de Versailles ou la Critique de l’Ecole des Femmes, à travers la mise en abyme du travail des comédiens et des controverses auxquelles il doit faire face, développe une réflexion passionnante sur le jeu entre le vrai et le faux.
L’exposition se clôt avec le BOT°PHONE, une installation interactive de l’artiste Rocio Berenger qui permet au visiteur de dialoguer avec Dom Juan pendant cinq minutes. Ce système, résultat de recherches en matière d’intelligence artificielle, est programmé pour parler comme Dom Juan : des phrases originales sont générées à partir de ce que le système a appris du théâtre du XVIIème siècle, des textes de Molière et notamment de Dom Juan.
Des spectacles pour le roi
Contrairement à la légende, Molière n’a jamais dîné à la table du roi (et encore moins d’une cuisse de poulet), mais il est sans conteste un des principaux protagonistes des grandes fêtes royales données en 1664. Les comédies-ballets données dans leur intégralité ces dernières années, notamment par les Arts Florissants, ont rendu plus tangible le lien étroit de Molière avec la monarchie absolue de Louis XIV. La plupart des comédies de Molière ont été jouées à la cour, à la demande du roi. Mais cet attachement à la monarchie ne l’a pas empêché des années plus tard d’être apprécié des révolutionnaires puis des enseignants de la Troisième République.
Cette exposition est l’occasion de découvrir également le site Richelieu, rouvert au public depuis le 17 septembre, avec son superbe jardin composé de plantes qui interviennent dans l’élaboration de supports d’écriture et d’impression, comme le papyrus ou le palmier à chanvre, sa célèbre salle ovale de lecture, ouverte à tous, et son remarquable musée, qui recèle également une multitude de trésors.
À partir du 27 septembre 2022 et jusqu’au 15 janvier 2023
BNF Richelieu, 5 rue Vivienne
Commissaires de l’exposition : Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle (BnF) et Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française.
À noter une autre exposition consacrée à « Molière en musiques » à quelques centaines de mètres, à la Bibliothèque-musée de l’Opéra.