XIXe siècle

Chronique sur des pièces ou des auteurs dramatiques du XIXème siècle.

La Nouvelle Idole de François de Curel

Pièce en trois actes, représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre Antoine, le 11 mars 1899. Représentée à la Comédie-Française le 26 juin 1914.
Distribution : 4 hommes, 4 femmes
Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition du Théâtre complet de Françoise de Curel (tome 3) : textes remaniés par l’auteur avec l’historique de chaque pièce, suivi des souvenirs de l’auteur. (Source : Gallica)
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
Lien vers le Théâtre de François de Curel

Argument

Albert Donnat, médecin réputé et professeur à l’Ecole de médecine, a commis un acte irréparable. Travaillant sur le cancer et soignant une jeune religieuse phtisique dont le diagnostic laisse présager sa mort prochaine, il lui inocule une tumeur pour en pouvoir suivre l’évolution. Le scandale de ses expérimentations humaines est dévoilé par la presse. Sa femme le rejette violemment, dans un premier temps, et essaie de trouver du réconfort auprès d’un jeune psychologue expérimental. La jeune fille guérit miraculeusement de sa phtisie, après avoir bu de l’eau de Lourdes, sans savoir qu’elle va bientôt mourir d’un autre mal : le savant constate que le cancer « inoculé » se développe à grande vitesse dans le corps de la patiente. Albert décide alors de s’injecter à son tour les cellules cancéreuses.


À propos de la pièce

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9030893j/
M. de Curel, académicien / Agence Meurisse. Source : Gallica

Les pièces de François de Curel sont des « pièces à thèses ». Elles s’inscrivent dans la veine naturaliste et mettent en scène des problèmes philosophiques et moraux : les rapports familiaux, la réalité sociale, les questions morales…

François de Curel, dans la Nouvelle Idole, oppose trois Idées qui permettent, selon lui, à l’homme de s’élever : la Science (incarnée par Albert Donnat), la Foi (incarnée par la jeune religieuse Antoinette Milat) et l’Amour (incarnée par la femme d’Albert Donnat, Louise).


La création

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10501855q/f13.item
Caricature d’André Antoine par Camara (vers 1905). Source Gallica

La pièce est crée le 11 mars 1899 au Théâtre Antoine, par André Antoine, qui signe la mise en scène et interprète le rôle principal d’Albert Donnat.
Les réactions de la presse sont très positives comme se plaît à le rappeler François de Curel dans la préface introduisant la pièce dans l’édition de ses œuvres complètes (consultable sur Gallica)
Dans le Journal Catulle Mendès écrit : « pour la première fois sur la scène française, des idées abstraites en opposition sont devenues des êtres réels en conflit, réels et vivants, d’une humanité si douloureuse qu’elles créent, dans la sublimité spirituelle, un poignant drame sensuel. »
Léon Kerst dans le Petit Journal : « J’ai bien dit un chef-d’oeuvre. Et j’entends maintenir le mot ; car jamais, si j’interroge mes souvenirs, je n’ai éprouvé sensation pareille ni émotion comparable… Que cela est beau ! Et quelle puissance détient le penseur qui peut vous faire ainsi vibrer par la seule force de l’Idée et du Verbe qui l’exprime. »
Robert de Flers dans la Liberté : « À peu près seul en ce temps où l’ironie, le scepticisme et la rosserie se partagent les scènes parisiennes, M. de Curel a eu la noble audace de porter à la rampe les conflits des plus graves problèmes contemporains. »
Seul le célèbre critique Sarcey émet des réserves mais François de Curel retient les aspects positifs le concernant : « Il a des qualités indéniables d’homme de théâtre. Il y a, dans la Nouvelle Idole, une scène dont l’idée, au point de vue purement dramatique, est géniale. »


La mise en scène d’André Antoine

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Une_le%C3%A7on_clinique_%C3%A0_la_Salp%C3%AAtri%C3%A8re.jpg
Une leçon clinique à la Salpêtrière, André Brouillet, 1887. Source : wikimedia.

Le deuxième acte se déroule chez le psychologue expérimental, Maurice Cormier, où la femme d’Albert Donnat vient se réfugier. Il pratique l’hypnose pour soigner les névroses hystériques de jeunes femmes. Le cabinet permet d’observer sans se faire voir les réactions des jeunes femmes une fois hypnotisées. Mireille Losco-Lena dans un article intitulé «Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887 : trois conceptions de la mise en scène théâtrale » souligne la mise en abyme du dispositif théâtral sur lequel travaille André Antoine avec le Théâtre-Libre : observer depuis le « quatrième mur » les milieux et les gestes (voir aussi sur Libre Théâtre, le théâtre de Zola et le naturalisme) : « Antoine invente un usage nouveau de la mise en scène : il en fait un outil d’observation en faisant glisser dans le champ du spectacle théâtral l’expérience du regard clinique. »


Une histoire inspirée d’articles concernant d’Eugène Doyen

Caricature du docteur Eugène Doyen dans La Vie ardennaise illustrée. Journal artistique et littéraire. Source : wikimedia

Eugène Doyen est considéré comme l’un des rénovateurs de la chirurgie française de la fin du XIXème siècle malgré ses théories inexactes sur le cancer et ses pratiques controversées. Il est l’inventeur de nombreux instruments chirurgicaux et de perfectionnements dans la technique opératoire.
À partir de 1888, il s’engage dans des expériences d’immunisation contre le cancer. En 1891, éclate « l’affaire Doyen » dite de la « greffe cancéreuse » qui fait scandale dans les journaux. Sur deux de ses patientes, il est accusé d’avoir prélevé un fragment tumoral sur un sein malade pour le greffer sur le sein indemne. La justice ouvre une enquête qui, faute de preuves, reste sans suites. Ces travaux l’éloignent de la Faculté et l’isolent dans ses recherches.
Il croit plus tard découvrir le germe en cause dans les cancers et utilise des sérums et un vaccin censé permettre la rémission de certaines tumeurs. Sa renommée internationale lui permet de proposer des traitements très onéreux qui n’aboutissent pas. Il est définitivement discrédité aux yeux de la communauté académique mais continue de faire paraître des articles dans les publications médico-chirurgicales.


La Nouvelle Idole est l’une des premières œuvres littéraires qui mentionne le cancer, au moment où se développe la peur de cette maladie.

Pour aller plus loin :

La Révolte d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam

Drame en un acte publié créé le 6 mai 1870 au Théâtre du Vaudeville et publié en 1870.
Distribution : 1 homme, 1 femme
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84031092
La révolte, drame de Villiers de L’Isle-Adam : estampe de 1870. Source : BnF/Gallica

L’argument

Alors qu’il est presque minuit, Félix, un banquier, et sa femme Élisabeth font le point sur les comptes. La fortune de Félix a presque triplé grâce aux initiatives d’Élisabeth et elle tente de le convaincre Félix de ne pas envoyer d’assignation à de pauvres locataires incapables de payer.  Peu à peu l’attitude d’Elisabeth change : elle annonce à Félix qu’elle le quitte pour toujours. 

Cette pièce est passionnante à plus d’un titre. La critique de 1870 a été choquée par la modernité du sujet : la tentative de révolte d’une femme, intelligente et sensible, dans une société matérialiste et bourgeoise, qui la cantonne au rôle d’épouse et de mère. Le personnage d’Élisabeth se nourrit de sentiments contradictoires: elle est tour à tour soumise, ironique, lyrique, mélancolique, révoltée, désespérée. Dans l’histoire du théâtre, cette pièce marque également une rupture par son audace formelle et son style épuré.

 

Les réactions de la critique lors de la création

Face à ce drame d’un genre nouveau, certains critiques s’enthousiasmèrent ; d’autres réagirent avec violence. Villiers de l’Isle Adam revint sur ces réactions, quelques mois après la création de la pièce  dans la préface de l’édition de la Révolte. (Lien sur l’édition en ligne sur archive.org)

Voici les trois scènes, si simples, qui ont, un instant, mis quelque peu en émoi la Critique de France, et dont l’exécution au Théâtre du Vaudeville a dû être arbitrairement interdite, à la cinquième soirée, comme blessante pour la dignité et la moralité du public de la Bourse
et des boulevards.
J’eusse préféré le silence à tous ces volumineux articles qui ont jeté sur cette œuvre un semblant de célébrité. Merci, toutefois, et « du cœur de mon cœur, » comme dit Hamlet, à ces maîtres de la Pensée, de l’Art et du Style, qui l’ont si magnifiquement acclamée, expliquée ou défendue ! À Richard Wagner, à Théodore de Banville, à Théophile Gautier, à Franz Listz, à Leconte de Lisle, à Alexandre Dumas fils, sans la violente intervention duquel ce drame n’aurait même pas vu la lumière. — Merci à tous ceux qui ont écrit, au sujet de La Révolte, ces belles pages dédaigneuses que de joyeux critiques se bornaient à répéter un peu à l’instar des oiseaux (…) Et aux deux vaillants artistes qui ont imposé à toute la salle l’obsession de ces trois scènes! Et à toute cette jeunesse enthousiaste qui applaudissait et qui avait le courage de sa pensée, comme devant toute la « Bêtise au front de taureau » j’avais le courage de la mienne.
(…)
Aujourd’hui, le Théâtre aux règles posées par des hommes amusants (et qui nous encombre de sa Morale d’arrière-boutique, de ses Ficelles et de sa « Charpente » pour me servir des expressions de ses Maîtres) tombe de lui-même dans ses propres ruines, et nous n’aurons malheureusement pas grands efforts à déployer pour achever son paisible écroulement dans l’ignominie et l’oubli. On y assiste, on rit, mais on le méprise. On dit de ce qu’il enfante : « C’est un Succès !» — Le mot Gloire ne se prononce plus.
Eh bien! — et c’est pour cela que j’écris ces lignes, — puissé-je garder cette illusion légitime
de penser que La Révolte (si restreinte que soient les proportions de ce drame) est la première tentative, le premier essai, risqués sur la scène française, pour briser ces soi-disant règles déshonorantes! C’est son seul mérite à mes yeux! Et j’ai tenu à le constater, voilà tout. Encore quelques aventures comme celle-ci, et la Foule se décidera à penser par elle-même et non par deux ou trois cerveaux dont l’intelligence, stérilisée par la fonction qu’elle exerce, est devenue notoirement impropre à saisir les aspects ou les profondeurs d’une Œuvre, si celle-ci est en dehors des complications routinières où s’agite leur imagination.

Parmi les analyses intéressantes parues lors de la création, on citera l’article de Théodore de Banville, publié dans Le National le 8 mai 1870 (dans Villiers de l’Isle-Adam : biographie et bibliographie. Edouard de Rougemont. Mercure de France.1910 sur Gallica )

Elle a éclaté comme un orage furieux, cette terrible sincère et violente pièce de M. Villiers de l’Isle-Adam, la Révolte. C’est, au milieu d’une implacable et patiente analyse à la Balzac, illuminée par des éclairs du génie de Balzac, une grande imprécation tragique aux invincibles élans, qui à la fois vous subjugue l’esprit et vous prend aux entrailles. M. Villiers de l’Isle-Adam, poète et prosateur n’est pas un artiste ordinaire, il a, non pas du talent, mais cette abondance d’invention, cette hauteur de conception, cette puissance de créer, parfois égarée, hésitante, mais parfois aussi complète et sublime, qui, en tous pays constitue une portion de génie. (…)
Le sujet de la Révolte est bien simple…et bien terrible I C’est le supplice d’une femme jeune, belle, aimée, profondément honnête et vertueuse, et douée même de la science des affaires et d’un remarquable esprit pratique, unie, mariée, enchaînée à un homme qui est un formidable imbécile. Non cet imbécile appelé Jocrisse, qui du moins réjouit les yeux par le vermillon acharné de sa veste et sa queue rouge envolée, surmontée du tricorne sur lequel voltige un papillon symbolique ; mais l’imbécile riche, heureux, beau, bien fait, banquier, considéré, pas voleur, au contraire honnête par politesse, vêtu à la dernière mode, comme le dictionnaire de Bouillet, membre de tous les conseils et de toutes les commissions, beau joueur, beau cavalier, ayant de la considération en portefeuille, mais bête à manger du foin, si bien que toutes les tortures inventées par le moyen âge ne sont rien auprès de celle qui consiste à voir sans cesse ses yeux atones qui contiennent des océans d’ineptie, ses lèvres où voltige un sourire plein de solécismes. et son geste absurde ! et que la lente goutte d’eau tombant sans s’arrêter jamais sur le front du condamné enchaîné sous une roche, n’est rien auprès du lieu commun toujours prêt et toujours le plus vulgaire de tous qui, inévitablement tombe de la bouche de cet assassin. M. Tarbé,dans son article d’hier proteste sur ce point et affirme que le type n’existe pas. Certes, notre excellent confrère est personnellement assez spirituel et vit au milieu de gens assez spirituels pour avoir le droit de croire que la bêtise est absente de ce bas monde, et même que certaines âmes angéliques se refusent à croire au mal et aux méchants. Cependant les imbéciles existent ; il y en a, et c’est un fait avéré. Malheur à la femme mal mariée, enchaînée à ce rocher ridicule où elle est dévorée par une oie.

 

Pour aller plus loin 

Lydie Parisse, « La Révolte. Une écriture vers la scène. Théâtralité et métathéâtralité », Littératures [En ligne], 71 | 2014, mis en ligne le 24 avril 2015, consulté le 30 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/litteratures/329

Dossier de presse de la mise en scène de Charles Tordjman au Théâtre de Poche Montparnasse, 2017-2018.

 

La Paix du ménage ou Duel au canif de Guy de Maupassant

Comédie en deux actes, écrite en 1880, représenté pour la première fois à Paris à la Comédie-Française, le 6 mars 1893.
Distribution : 2 hommes, 1 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Le comte Jean de Sallus est un homme infidèle, qui délaisse son épouse et multiplie les aventures avec de jeunes comédiennes. Sa femme, Madeleine, après s’être révoltée, a fini par prendre un amant, Jacques de Randol, qui est follement amoureux d’elle. Mais Sallus modifie brusquement son comportement et décide de reconquérir Madeleine. Celle-ci ne se laisse pas avoir…
Une courte pièce qui offre un beau rôle de femme déterminée.

Autour de la pièce

Le titre

Dans une lettre adressée à sa mère en 1880, Guy de Maupassant écrivait : « Je viens de retoucher, même de refaire toute ma petite pièce en un acte, autrefois en deux actes, sous le titre : La Paix du Foyer. Je la crois maintenant parfaite et je ne doute pas du succès quand je trouverai une occasion très favorable de la faire jouer. J’ai pris comme titre une réplique de la femme, le voici : Un duel au canif. C’est en effet un duel au canif entre elle et son mari. C’est en parlant de lui seul qu’elle emploie ce mot, bien entendu ; mais le public l’applique aux deux… » (note : la référence du duel au canif a disparu dans le texte final.

La nouvelle Au bord du lit

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7519808r

Le 23 octobre 1883, la revue Gil Blas publie en première page une nouvelle intitulée « Au bord du lit » , signée « Maufrigneuse » (pseudonyme de Maupassant). Elle reprend la situation et met en scène uniquement le Comte de Sallure et sa femme. On y retrouve l’argument de la pièce et quelques expressions « vous êtes à jeun ». La nouvelle se conclut quand le comte jette à sa femme son portefeuille contenant 6000 francs et que sa femme les accepte. (lien vers la revue sur Gallica)

La création à la Comédie-Française

Source : Le Temps 6 mars 1893. Sur Gallica

La « Paix du ménage »
Demain, le Théâtre-Français donnera la première représentation d’une comédie en deux actes de M. Guy de Maupassant. L’éminent écrivain, toujours en proie à la terrible maladie qui l’a frappé, n’aura point la douce consolation d’entendre les applaudissements qui seront prodigués à son oeuvre; même, s’il les entendait, il ne les comprendrait point. Il était assez difficile, en une- aussi pénible circonstance, de savoir exactement comment le fécond romancier avait été amené à écrire la pièce de théâtre dont il s’agit. D’après les renseignements, puisés à bonne, source, que nous avons recueillis, il nous semble que les détails qu’on a fournis jusqu’ici à ce sujet sont un peu incomplets : qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. La vérité serait plutôt ce qui suit: M. Guy de Maupassant, lorsqu’il écrivit la Paix du foyer (c’était alors le titre de la comédie), songea tout d’abord, pour le rôle de la femme,  à Mlle Réjane. L’excellente comédienne était alors au théâtre du Vaudeville, où elle se morfondait un peu. L’écrivain donna sa pièce au directeur, Raymond Deslandes. Celui-ci l’accepta avec plaisir. Mais d’autres comédies plus importantes étaient en répétition. La Paix du foyer attendit, et, sur ces entrefaites,  Mlle Réjane quitta le Vaudeville
La pièce partit aussi, l’auteur tenant essentiellement à son interprète, et attendit de nouveau l’occasion nécessaire. Pourquoi ne la jouerait-on pas dans un cercle, dans un salon ? dit M. de Maupassant.
Entendu, répondit Mlle Réjane. Mais mon directeur, M. Porel, ne veut me donner l’autorisation de jouer votre comédie que si, ensuite, on la représente sur son théâtre, à l’Odéon.
M. de Maupassant fit la moue L’Odéon, répliqua-t-il, c’est bien loin. Et on ne reparla plus de la Paix du foyer.
Les années se passèrent, Des amis de l’écrivain causèrent de la pièce, au Théâtre-Français. Mais M. de Maupassant, qui est – nous allions dire qui était très entier, très autoritaire, posa en quelque sorte ses conditions : « Aux Français, je veux, je veux Mlle Bartet. Et puis j’entends ne point passer devant la commission d’examen. Si je lis ma pièce au comité, c’est qu’elle sera reçue d’avance. » On négocia longtemps sur toutes ces questions sans arriver à s’entendre.
Survint la maladie de l’écrivain et la catastrophe finale. Les amis de M. de Maupassant songèrent de nouveau à la Paix du foyer. (Le titre, depuis, a été changé : on sait que M. Auguste Germain a fait représenter aux matinées du Vaudeville une jolie pièce du même nom.) Et ils portèrent le manuscrit à M. Alexandre Dumas, en lui demandant, s’il le jugeait convenable, d’intercéder en sa faveur auprès de M. Jules Claretie.
M. Alexandre Dumas lut la pièce, et il écrivit à l’ami fidèle de l’écrivain qui la lui avait apportée le billet suivant : 

« Cher monsieur,
Je viens de lire la Paix du foyer. C’est excellent. Le succès est sûr et sera productif. J’écris dans ce sens à Claretie. Je lirai au comité et je ferai toutes les répétitions nécessaires, très heureux de prouver à Maupassant, bien qu’il ne doive jamais le savoir, la grande estime et la grande affection que j’avais pour lui. » ALEXANDRE DUMAS

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53144749f
Julia Bartel à la Comédie-Française dans le Bourgeois gentilhomme [photographie de l’Atelier Nadar]. Source : BnF/Gallica

Le Théâtre-Français se décida. Et la pièce entra bientôt en répétition. Demain, tous les admirateurs et amis de l’auteur tiendront à venir l’applaudir. (…) Mme de Maupassant mère a eu une bien touchante pensée. Il est de mise que l’auteur d’une œuvre nouvelle envoie aux artistes femmes qui y interprètent des rôles des corbeilles de fleurs. Voici comment Mme de Maupassant enverra les fleurs que doit recevoir Mlle Bartet. Elle a écrit à M. Paul Ollendorff: « Je voudrais que vous me fassiez connaître immédiatement, c’est-à-dire aussitôt que la chose paraîtra irrévocable, la date de la première représentation, afin que les fleurs que je destine à Mlle Bartet puissent arriver pour ce jour-là. Je veux que ces fleurs soient coupées tout exprès au dernier moment, afin d’arriver dans toute leur fraîcheur. »
Cette dernière phrase, sûrement, fera autant de joie à Mlle Bartet que tous les applaudissements qu’elle recueillera demain. AD. ADERER.

Pierrot posthume de Théophile Gautier en collaboration avec Paul Siraudin

Arlequinade en un acte et en vers, représentée pour la première fois le 4 octobre 1847 au théâtre du Vaudeville.
Distribution : 3 hommes et 1 femme
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Arlequin est amoureux de Colombine, la femme de Pierrot. Il profite de la disparition de Pierrot pour la séduire, quand Pierrot réapparaît. Mais Pierrot ne sait plus s’il est vivant ou non et ce ne sont pas les remèdes du Docteur, un épouvantable charlatan, qui vont l’aider.

Caricature de Nadar

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105385620/f1.item
Arlequinades . Extrait de l’œuvre graphique de Nadar. Source : BnF/Gallica

Nadar a produit de très nombreuses caricatures de grands hommes de son époque. C’est pour ce projet qu’il commence à utiliser la photographie.  (Le Panthéon Nadar réunit 300 grands hommes de l’époque sur les 1 000 prévus.)

Pièce à l’affiche à Paris par la Compagnie JCL

Tirade de Jean Roule dans Les Mauvais Bergers d’Octave Mirbeau (Acte III, Scène 5)

Jean Roule, leader anarchiste, présente les revendications des ouvriers en grève au patron, Hargand.

Jean Rouleun peu solennel.
Nous venons ici pour la paix de notre conscience. (Un temps.) Si vous repoussez les propositions, qu’au nom de cinq mille ouvriers, je suis, pour la dernière fois, chargé de vous transmettre… je n’ai pas besoin de vous déclarer que nous sommes prêts à toutes les résistances. Ce ne sont point les régiments que vous appelez à votre secours, ni la famine que vous déchaînez contre nous qui nous font peur !… Ces propositions sont raisonnables et justes… À vous de voir si vous préférez la guerre… (Un temps.) Je vous prie de remarquer en outre que, si nous avons éliminé de notre programme certaines revendications, nous ne les abandonnons pas… nous les ajournons… (Avec une grande hauteur.) C’est notre plaisir !… (Un temps. Hargand est de marbre, pas un pli de son visage ne bouge. Jean prend dans la poche de sa cotte un papier qu’il consulte de temps en temps.) Premièrement… Nous maintenons, en tête de nos réclamations, la journée de huit heures… sans aucune diminution de salaire… Je vous ai expliqué pourquoi, déjà… je ne vous l’expliquerai pas à nouveau… (Silence d’Hargand.) D’ailleurs je vois que vous n’êtes pas en humeur de causer, aujourd’hui !… Deuxièmement… Assainissement des usines… Si, comme vous le faites dire par tous vos journaux, vous êtes un patron plein d’humanité, vous ne pouvez exiger des hommes qu’ils travaillent dans des bâtiments empestés, parmi des installations mortelles… Au cas où vous accepteriez en principe cette condition à laquelle nous attachons un intérêt capital, nous aurions à nous entendre, ultérieurement, sur l’importance et la nature des travaux, et nous aurions aussi un droit de contrôle absolu sur leur exécution… (Hargand est toujours immobile et silencieux. Jean Roule le regarde un instant fixement, puis il fait un geste vague.) Allons jusqu’au bout ! puisque c’est pour la paix de notre conscience que nous sommes ici… (Un temps.) Troisièmement… Substitution des procédés mécaniques à toutes les opérations du puddlage… Le puddlage n’est pas un travail, c’est un supplice ! Il a disparu d’une quantité d’usines moins riches que les vôtres… C’est un assassinat que d’astreindre des hommes, pendant trois heures, sous la douche, nus, la face collée à la gueule des fours, la peau fumante, la gorge dévorée par la soif, à brasser la fonte, et faire leur boule de feu !… Vous savez bien, pourtant, que le misérable que vous condamnez à cette torture sauvage… au bout de dix ans… vous l’avez tué !… (Hargand est toujours immobile. Jean Roule fait un geste… Un temps…) Quatrièmement… Surveillance sévère sur la qualité des vins et alcools… (Un temps.) Bien que sous le prétexte fallacieux de sociétés coopératives, vous ayez accaparé tout le commerce d’ici… que vous soyez notre boucher… notre boulanger… notre épicier… notre marchand de vins !… etc…, etc…, il y aurait peut-être lieu de vous résigner à gagner un peu moins d’argent sur notre santé, en nous vendant autre chose que du poison… Tout ce que nous respirons ici, c’est de la mort !… tout ce que nous buvons ici… c’est de la mort !… Eh bien… nous voulons boire et respirer de la vie !… (Silence d’Hargand.) Cinquièmement… Ceci est la conséquence morale, naturelle et nécessaire de la journée de huit heures… Fondation d’une bibliothèque ouvrière, avec tous les livres de philosophie, d’histoire, de science, de littérature, de poésie et d’art, dont je vous remettrai la liste… Car, si pauvre qu’il soit, un homme ne vit pas que de pain… (Un temps.) Il a droit, comme les riches, à de la beauté !… (Silence glacial.) Enfin… réintégration à l’usine, avec paiement entier des journées de chômage, de tous les ouvriers que vous avez chassés depuis la grève… Je vous fais grâce de ma personne… L’accord signé, je partirai…
Il dépose son papier sur le bureau d’Hargand.

Lien vers le texte intégral de la pièce sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53094810t/f77
Le bon berger, O. Mirbeau, fustige les mauvais bergers : Ch. Léandre. Source : BnF/Gallica

Tirade d’Aïrolo dans Mangeront-ils ? de Victor Hugo  (Acte I, Scène 4)

Lord Slada
Qu’es-tu ?
Aïrolo
………………..Celui qui rôde. Un passant. Pour tout dire,
Je suis pour les humains ce que, pardonnons-leur,
En langage vulgaire ils nomment un voleur.
À Lady Janet. À Lord Slada.
O la plus belle! ô sire aimable entre les sires !
Ayant un peu le temps de causer, vu les sbires
Qui nous guettent, je vais, pour charmer vos ennuis,
Vous dire de mon mieux qui je suis, si je puis.
Il se place entre eux deux et prend sous un de ses bras le bras de Lord Slada et sous l’autre le bras de Lady Janet.
Mes bons amis, il est deux hommes sur la terre :
Le roi, moi. Moi la tête, et lui le cimeterre.
Je pense, il frappe. Il règne, on le sert à genoux ;
Moi, j’erre dans les bois. Tout tremble autour de nous ;
Autour de moi c’est l’arbre, autour de lui c’est l’homme,
Le meilleur vin de Chypre emplit son vidrecome ;
Moi, je bois au ruisseau dans le creux de ma main.
Le roi fait toujours bien, moi toujours mal. Amen.
Lui couronné, moi pris, nous marchons en cortège ;
Chers, il vous persécute et moi je vous protège ;
Le prince est la médaille, et je suis le revers ;
Et nous sommes tous deux mangés des mêmes vers.
Peut-être en ma caverne on fait un meilleur somme
Que dans la sienne. Il est fort vulnérable, en somme ;
II peut aussi finir par être échec et mat.
Le roi, c’est mon contraire. Ou bien mon grand format.
Je suis un conquérant de liards dans les poches,
Mais j’ai l’honnêteté des bonnes vieilles roches ;
Je suis le va-nu-pieds, mais non pas l’aigrefin ;
Je livre la bataille immense de la faim
Contre le superflu des autres. Qu’on me dise
Que j’ai tort si la faim devient la gourmandise,
D’accord, mais je suis maigre. Amis, j’habite aux champs,
Et je tiens compagnie aux arbres point méchants ;
Mon antre a la gaîté décente d’une cave.
Là je jeûne pendant que le moineau se gave,
La nature ayant tout prévu, l’homme excepté.
L’hiver, de droit je gèle, ayant sué l’été.
Près de moi la perdrix glousse, le mouton bêle ;
Car je suis un flâneur bien plutôt qu’un rebelle.
Parfois dans les genêts, comme moi sauvageons,
Je rencontre un passant, je lui dis : Partageons.
Ta bourse ? — Je n’ai rien. — Alors prends mon pain.
À Lady Janet avec un sourire.
Belle,
Absolvez-moi. Je vis dans la loi naturelle ;
Attentif après tout au chant des bois, bien plus
Qu’aux voyageurs passant avec des sacs joufflus.
Avril vient tous les ans me faire mon ménage.
Faut-il vous compléter mon portrait ? Braconnage,
C’est mon instinct. Pensif, je dédaigne de loin
Le juge, plus le prêtre ; et je n’ai pas besoin
De vos religions, je lis Dieu sans lunettes.
J’aime les rossignols et les bergeronnettes.
J’ignore si j’arrive et ne sais si je pars.
Parfois dans le zéphir je me sens presque épars.
Amants, soyez un feu ; je suis une fumée.
Ma silhouette glisse et fond dans la ramée.
Dans les chaleurs, quand juin met à sec le torrent,
Au plus épais du bois je me glisse, espérant
Surprendre le sommeil divin des nymphes lasses.
De vagues nudités au fond des clairs espaces
Que je verrais de loin, ou que je croirais voir,
Me suffiraient, l’amour ne valant pas l’espoir.
Je suis le néant, gai. Supposez une chose
Qui n’est pas, et qui rit; c’est moi. Je me repose,
Et laisse le bon Dieu piocher. Dévotement,
J’écoute l’air, la pluie, et ce fier grondement
Des brutes dans les champs, de l’autan dans la nue,
Que la mer accompagne en basse continue;
Le soir j’accroche un rêve à l’astre qui me luit,
Clou de la panoplie immense de la nuit.
Je songe, c’est beaucoup. Les fleurs, voilà mon faste.
Si quelque détail cloche en ce monde si vaste,
Je n’en triomphe point, tout en l’apercevant;
Je subis les accès de colère du vent
Et la mauvaise humeur des saisons inégales
Avec la dignité modeste des cigales.
Des éléments bourrus nous sommes prisonniers.
Bien. Soit. Les quatre vents sont quatre chiffonniers
Portant le chaud, le froid, le beau temps, la tempête ;
Chacun vient nous vider sa hotte sur la tête.
Savez-vous que le vent doit beaucoup s’amuser ?
Quel coureur! — Jamais pris, — chanter, — ne point s’user !
Ce serait là, je crois, ma vocation. Vivre
Là-haut, assourdissant comme un clairon de cuivre
Le bon vieux genre humain, ce bipède dormant,
Être un bandit céleste errant au firmament,
Un esprit ouragan changeant cent fois de formes,
Faisant en plein azur des sottises énormes !
Ça m’irait. Mais qu’importe ! est-il rien de certain ?
Je n’ai jamais le soir mon avis du matin.
L’hésitation molle entre ses bras me porte.
Se contredire est doux. Je suis pour qu’une porte
Ne soit jamais ouverte ou fermée. À peu près
Est ma devise. Un lys me plaît, comme un cyprès.
Je ris avec le flot, et parfois dans la brume
Je pleure avec recueil que bat la vaste écume.
Pour l’homme, vivre, c’est désirer. J’ai donné
Ma démission, moi, le jour où je suis né.
Toute la question terrestre, c’est la femme.
Qui l’aura? Vous ou moi? Personne, et tous. Madame
Se rit de nous. Voyez, c’est un enchantement,
Une grâce, et chacun vise ce cœur charmant ;
Le bonheur, but réel, mais conquête impossible,
Est un concours d’archers dont la femme est la cible.
J’y renonce. Hélas ! l’homme a pour bien le péché.
Comme une sensitive, avant qu’il l’ait touché,
II voit se dérober le bonheur contractile.
Dire au destin son fait, c’est beau, mais inutile ;
Je m’en prive. On s’escrime à deviner pourquoi
Le mal règne pendant que le bien se tient coi,
Et de ce pugilat avec la destinée
Notre logique sort fort contusionnée.
Moi, j’aime mieux grimper dans les arbres. J’aurais
Droit au titre de clown familier des forêts ;
Dans tous les casse-cous j’exécute une danse.
Parfois aux moineaux francs je parle en confidence.
Je leur conte comment j’aurais fait si j’avais
Fait le monde, et que l’homme eût été moins mauvais.
Je reçois leurs bravos, j’accepte leurs huées,
Et je discute avec ces bavards des nuées.
Je leur dis mon système ; ils jasent en tout lieu ;
Et quelque chose en va peut-être jusqu’à Dieu,
Et c’est une façon de le mettre en demeure.
S’il m’écoute, il fera la vie un peu meilleure.
À présent croyez-vous mon métier lucratif ?
Point. Je ne suis de rien ici-bas le captif.
Voilà tout.
Jetant les yeux sur la végétation.
Passereaux, j’ai le même bocage
Que vous, et j’ai la même épouvante, la cage.
À Lord Slada.
Mon patrimoine est mince. Errer dans les sentiers,
C’est là mon seul talent; je plains mes héritiers.
Voyons, que laisserai-je après moi?
Regardant autour de lui.
Cette dune,
Ces sapins, les roseaux, l’étang, le clair de lune,
La falaise où le flot mouille les goémons,
La source dans les puits, la neige sur les monts,
Voilà tout ce que j’ai. Moi mort, si l’on défalque
De tout cela de quoi payer le catafalque,
II reste peu de chose. — Ah ! je vaux bien les rois,
Car j’ai la liberté de rire au fond des bois.
Mon chez-moi c’est l’espace, et Rien est ma patrie.
Voyez-vous, la naissance est une loterie ;
Le hasard fourre au sac sa main, vous voilà né.
À ce tirage obscur la forêt m’a gagné.
Joli lot. C’est ainsi que, parmi la bruyère
Où Puck sert d’hippogriffe à la fée écuyère,
Enfant et gnome, étant presque un faune, j’échus
Comme concitoyen aux vieux arbres fourchus.
Dans l’herbe, dans les fleurs de soleil pénétrées,
Dans le ciel bleu, dans l’air doré, j’ai mes entrées.
Sous mes yeux tout s’épouse, et sans gêne on s’unit,
On s’accouple, le nid encourage le nid,
Et la fauve forêt manque d’hypocrisie.
Je suis l’âme sereine à qui Pan s’associe.
Je suis tout seul, je suis tout nu, quel sort charmant !
Pourtant rien n’est complet. Vivre sans vêtement,
Sans maison, sans voisin, à l’état de nature,
Comme un lièvre orphelin cherchant sa nourriture,
En plein désert, ayant pour outils ses dix doigts,
Avec les animaux féroces, dans les bois,
Cela même a parfois ses côtés incommodes.
Mais, les oiseaux étant heureux, je suis leurs modes.
La divine rosée éparse est le cadeau
Que fait la fraîche aurore à ces gais buveurs d’eau.
J’en bois comme eux. Comme eux je m’en grise, et je chante.
Mais j’aime aussi du vin l’extase trébuchante.
De temps en temps, je vais à la ville, en congé.
Quant à mes qualités, je suis très goinfre, et j’ai
Un comique grossier qui plaît aux basses classes.
Je le sais pour avoir hanté les populaces.
En somme, je médite, en regardant tantôt
Dans les ronces, par terre, et dans le ciel là-haut;
J’erre comme un chevreuil, comme un pinson je perche.
L’homme ayant égaré le bonheur, je le cherche.
Un jour, dans une rue, aux badauds, aux valets,
Un vieux pitre enseignait, entre deux gobelets,
La science, et j’en ai pu saisir au passage
Toute la quantité qu’il faut pour être sage.
Je m’en sers dans les bois. J’en trouve ici l’emploi.
Maintenant, que je sois traqué, mis hors la loi,
Par vos codes coiffé d’un sombre bonnet d’âne.
Que j’escroque ma part de la céleste manne,
Possesseur de zéro, que j’en sois le voleur,
Ça fait rire. Je suis le pire et le meilleur.
Je suis l’homme d’en bas. Amis, c’est agréable.
Dieu, s’il n’était pas Dieu, voudrait être le Diable.
Je vois l’envers de tout. Que c’est risible, hélas!
Pourtant d’être épié par le guet je suis las.
Ce matin, le sentant dans l’ombre où je m’enfonce,
J’ai balayé ma roche, épousseté ma ronce,
Mis de l’ordre en mon trou que j’ai barricadé;
Après quoi, serviteur ! je me suis évadé,
Et je prends comme vous cet asile pour gîte.
Mais sans plaisir.

 

Lien vers le texte intégral de la pièce et la chronique sur Libre Théâtre

http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/victor-hugo_ma-destinee_grattage_gouache_lavis-d-encre-brune_encre-brune_plume-dessin_1857?force-download=63525
Ma Destinée, dessin de Victor Hugo. Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz Source : RMN

Monologue d’Hernani dans la pièce de Victor Hugo (Acte III, Scène 4)

Hernani.
Monts d’Aragon ! Galice ! Estramadoure !
Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure !
J’ai pris vos meilleurs fils ; pour mes droits, sans remords,
Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts !
C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne !
Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne,
Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu,
Et s’ils ouvraient les yeux, ils verraient le ciel bleu !
Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?
Dona Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi !
C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi !
Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,
Tout me quitte, il est temps qu’à la fin ton tour vienne,
Car je dois être seul. Fuis ma contagion.
Ne te fais pas d’aimer une religion !
Oh ! par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-être
Un homme comme sont tous les autres, un être
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi ! je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.
Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme et profond,
Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond !
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !

Lien vers le texte intégral de la pièce et la chronique sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8406126h/f4
Hernani. Les feux de la rampe. 1830. Source : BnF/Gallica

Monologue de Glapieu dans Mille francs de récompense de Victor Hugo

Glapieuparaissant.
Il redescend du haut de l’escalier avec précaution, comme quelqu’un qui tâche d’amortir le bruit de ses pas.
Je suis très pensif, savez-vous ? Aucun moyen de gagner le toit par là-haut. Tout est fermé. J’ai l’honneur d’être dans une souricière. Le portier ne m’a pas vu passer. C’est bon, mais après ? À peine a-t-on résolu ce problème, entrer, qu’il faut résoudre celui-ci, sortir. Voilà la vie.
(Il ouvre la petite fenêtre et y passe sa tête, puis referme la fenêtre en faisant le moins de bruit possible.)
Toute l’escouade est encore là, dans la rue. Damnée police. Alguazils ! sbires ! infâmes curieux ! Ils ont l’air de chercher. Ils guettent. Peut-être ont-ils perdu ma piste. Vague espérance. Délibérons.
(Il croise les bras.)
Croiser les bras, c’est assembler son conseil. Que faire ? Redescendre ? Pas possible. Empoigné, comme dit monsieur le vicomte de Foucauld. Demeurer ici ? Pas possible. Les locataires montent et descendent. Qu’est-ce que je fais là ? Ma tenue manque de respectabilité. Dilemme : si je m’en retourne par où je suis venu, je suis pris. Si je reste, je suis pris. Pour bien posée, la question est bien posée. Mais que faire ?
(Il regarde la fenêtre.)
Comme c’est drôle, les oiseaux ! ça se moque de tout. Voler, quel bête de mot ! il a deux sens. L’un signifie liberté, l’autre signifie prison.
(Cris au dehors: «À la chie-en-lit !» Chants. Bruits de trompes. — On entend des trompes et du cornet à bouquin.)
Nous sommes en carnaval. Il y a pourtant des gens qui s’amusent ! La nature ne prend aucune part à ma détresse.
(Rêvant.)
Les agents m’ont reconnu, quels gueux ! Est-il possible de pourchasser un pauvre homme comme cela qui ne fait de mal à personne, uniquement parce qu’il a accompli autrefois une sottise. C’est !de mon vieux temps, j’étais enfant. C’est égal, ça me suit. Ça ne pardonne pas, une sottise. On flanque un pauvre diable en surveillance dans un trou de province, surveillance, ça veut dire famine, il ne peut pas gagner sa vie, il s’esquive, le voilà à Paris. Qu’est-ce que tu viens faire à Paris ? — Je viens devenir honnête homme, là. Paris est grand, Paris est bon ; je viens m’y perdre, et m’y retrouver. Je vais y changer de nom et y changer de métier. Voyons, veut-on de moi dans l’honnêteté ? Je viens planter dans le sol parisien l’oignon de la vertu, mais laissez-lui le temps de pousser, que diable ! Point. — Ah ! c’est toi, vaurien ! Et la police vous saute à la gorge. Et je n’ai plus que le choix de la cave ou du toit. Dans la cave avec les taupes, sur le toit avec les moineaux.
— Oh ! les oiseaux ! les oiseaux ! quel chef-d’œuvre ! C’est ça qui est toujours en rupture de ban.
(Rêvant.)
Ah ! ils ont le chat ! — Moi, j’ai monsieur Delavau.
(Rêvant.)
La première sottise, fil à la patte qui ne se casse jamais. O qui que vous soyez, qui ne voulez pas faire la deuxième sottise, ne faites pas la première. Je passais, j’étais gamin, le tiroir d’une fruitière était entr’ouvert, il bâillait, il avait l’air de s’ennuyer, je lui fis une farce, je lui chipai douze sous. On me happa, on me soutint que j’avais forcé le tiroir. J’avais un peu plus de seize ans. C’est grave. Quinze ans et onze mois, on est un polisson ; quinze ans et treize mois, on est un bandit. On me trouva des dispositions. On pensa que j’avais de l’étoffe. Je n’étais pas même un filou ; on me jugea digne de passer voleur. On me mit pour trois ans dans une maison d’éducation. À Poissy, j’appris là bien des choses utiles à la société. Du tiroir des fruitières, je m’élevai à la caisse des banquiers. Un professeur, qui avait vu Toulon en France et Horsemonger Lane, Newgate en Angleterre, m’expliqua le coffre-fort et la manière de s’en servir. Il m’inculqua les notions. Il m’enseigna que les meilleurs coffres-forts se font à Londres. Et encore il y a fabricant et fabricant. Il y a le coffre-fort facile et le coffre-fort difficile. Ça a ses mœurs, le coffre-fort. Ceux de Griffith sont bons, ceux de Tann sont excellents, ceux de Milner sont inviolables. Coffre-fort de Milner, pucelle d’Orléans. Eh bien, grâce à l’excellente méthode qui présidait à mon instruction, j’appris à venir à bout même d’une caisse Milner. Par exemple, pour une caisse Milner il faut sept heures de travail, tandis que pour une caisse Griffith, dix minutes suffisent. Ayez un coin. Si la rainure du coffre-fort repousse le coin, vous avez affaire à Milner. C’est sérieux.
Autrement, si le coin mord, vous n’êtes qu’en présence de Tann ou de Griffith ; quelques pesées en viennent à bout. Voilà quel a été mon baccalauréat. C’est ainsi qu’on devient, grâce à la sollicitude de la société, un homme à talents. Pourtant, quoique savant, je suis un mauvais voleur, au fond je n’ai point de vocation. Le cœur du mal, je ne l’ai pas. Je quitterais volontiers l’état, mais la police ne veut pas. La haute surveillance me tient et me dit : Tu as embrassé une carrière. Tu ne peux pas t’en dédire. La société s’est donné la peine de faire de toi un voleur, et n’entend pas en avoir le démenti. Reste où tu es et reste ce que tu es. — Je me débats. De là ma fugue en ce moment.
(Rêvant.)
— Monsieur Delavau. Pourquoi a-t-on changé le préfet de police ? Nous avions eu tant de peine à dresser l’autre. L’autre n’était que taquin, celui-ci me fait l’effet d’être tracassier. C’était monsieur Angles, c’est monsieur Delavau. Je n’aime pas les nouveaux visages. J’avais pris mon parti de monsieur Angles. Allons, maintenant qu’on a monsieur Delavau, qu’on le garde donc au moins, celui-là ! Puisqu’on l’a, je m’y tiens. Autant ce préfet de police-là qu’un autre. On ne gagne rien à ces renvois-là. On ne fait que changer de défauts. — Eh bien, j’y insiste, vous me croirez si vous voulez, monsieur le préfet, j’étais venu à Paris dans l’intention de faire peau neuve et d’être l’ornement de la société. J’ai eu toute ma vie plutôt du malheur qu’autre chose. Je sais bien, moi, que ma conscience ne me dit pas toutes les injures qu’on croit. N’importe, on me poursuit, on me traque, en province, à Paris, partout, le voilà, on me court après, je m’enfuis, je m’échappe, je me sauve, je pends mes jambes à mon cou, et je suis si essoufflé que je n’ai pas le temps de devenir vertueux. Chien de sort ! Ah ! c’est comme ça ! Eh bien ! on va voir, la première bonne action que je trouve à faire, je me jette dessus, je la fais. Ça mettra le bon Dieu dans son tort. — Mais, il faut pourtant que je me tire d’ici. Si les gens de police s’avisent de monter les escaliers, je suis fumé.
En voilà au moins pour deux ans. Coffré, bouclé, autant dire mort. Voyons, où sont les ressources ? La perche, père bon Dieu, à ce pauvre noyé ! Rendons-nous compte un peu de la maison. Ceci est le quatrième étage. Ces marches-ci (Montrant le tronçon d’escalier qui monte.) ne mènent à rien. Pas d’issue. Je suis dans l’escalier de service. Il y a un autre escalier, le grand, qui mène aux appartements sur le devant, l’escalier des maîtres. De ce côté-ci sont les petites chambres mansardées communiquant avec les appartements à plafonds qui donnent sur la rue. Par ici le toit doit être en pente, et ce serait bien le diable s’il n’y avait pas quelque cour, quelque ruelle, où je pourrais glisser et filer. Oui, c’est par l’autre côté du toit que je peux m’échapper. L’autre côté ! Mais il faut lui passer à travers le corps à cette maison. Comment faire ? Par là peut-être.
(Il se courbe devant la porte bâtarde et regarde par le trou de la serrure.)
Justement. J’aperçois là-bas au fond un recoin en mansarde avec une lucarne en tabatière. Ça ferait mon affaire. De là je gagne le toit, puis la cour, puis la rue, puis la liberté.

Lien vers le texte intégral de la pièce et la chronique sur Libre Théâtre

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Fracta Juventus par Victor Hugo. Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz. 1864. Source : RMN

Monologue de Lorenzaccio, Acte IV, Scène 9

Lorenzo, entrant.

Je lui dirai que c’est un motif de pudeur, et j’emporterai la lumière – cela se fait tous les jours – une nouvelle mariée, par exemple, exige cela de son mari pour entrer dans la chambre nuptiale, et Catherine passe pour très vertueuse. – Pauvre fille ! qui l’est sous le soleil, si elle ne l’est pas ! Que ma mère mourût de tout cela, voilà ce qui pourrait arriver. Ainsi donc, voilà qui est fait. Patience ! une heure est une heure, et l’horloge vient de sonner. Si vous y tenez cependant !– mais non, pourquoi ? Emporte le flambeau si tu veux ; la première fois qu’une femme se donne, cela est tout simple. – Entrez donc, chauffez-vous donc un peu. – Oh ! mon Dieu, oui, pur caprice de jeune fille ; et quel motif de croire à ce meurtre ? Cela pourra les étonner, même Philippe.

Te voilà, toi, face livide ? (La lune paraît.) Si les républicains étaient des hommes, quelle révolution demain dans la ville ! Mais Pierre est un ambitieux ; les Ruccellaï seuls valent quelque chose. – Ah ! les mots, les mots, les éternelles paroles ! S’il y a quelqu’un là-haut, il doit bien rire de nous tous ; cela est très comique, très comique, vraiment. – Ô bavardage humain ! ô grand tueur de corps morts ! grand défonceur de portes ouvertes ! ô hommes sans bras ! Non ! non ! je n’emporterai pas la lumière. – J’irai droit au cœur ; il se verra tuer… Sang du Christ ! on se mettra demain aux fenêtres.

Pourvu qu’il n’ait pas imaginé quelque cuirasse nouvelle, quelque cotte de mailles. Maudite invention ! Lutter avec Dieu et le diable, ce n’est rien ; mais lutter avec des bouts de ferraille croisés les uns sur les autres par la main sale d’un armurier ! – Je passerai le second pour entrer ; il posera son épée, là – ou là –oui, sur le canapé. – Quant à l’affaire du baudrier à rouler autour de la garde, cela est aisé. S’il pouvait lui prendre fantaisie de se coucher, voilà où serait le vrai moyen. Couché, assis, ou debout ? assis plutôt. Je commencerai par sortir ; Scoronconcolo est enfermé dans le cabinet. Alors nous venons, nous venons! Je ne voudrais pourtant pas qu’il tournât le dos. J’irai à lui tout droit. Allons, la paix, la paix ! l’heure va venir. – Il faut que j’aille dans quelque cabaret ; je ne m’aperçois pas que je prends du froid, et je viderai un flacon. – Non ; je ne veux pas boire. Où diable vais-je donc ? les cabarets sont fermés.

Est-elle bonne fille ? – Oui, vraiment. – En chemise ? Oh ! non, non, je ne le pense pas. – Pauvre Catherine ! – Que ma mère mourût de tout cela, ce serait triste. Et quand je lui aurais dit mon projet, qu’aurais-je pu y faire ? au lieu de la consoler, cela lui aurait fait dire : Crime ! Crime ! jusqu’à son dernier soupir ! Je ne sais pourquoi je marche, je tombe de lassitude.

Il s’asseoit sur un banc.

Pauvre Philippe ! une fille belle comme le jour. Une seule fois, je me suis assis près d’elle sous le marronnier ; ces petites mains blanches, comme cela travaillait ! Que de journées j’ai passées, moi, assis sous les arbres ! Ah ! quelle tranquillité ! quel horizon à Cafaggiuolo ! Jeannette était jolie, la petite fille du concierge, en faisant sécher sa lessive. Comme elle chassait les chèvres qui venaient marcher sur son linge étendu sur le gazon ! la chèvre blanche revenait toujours avec ses grandes pattes menues.

Une horloge sonne.

Ah ! ah ! il faut que j’aille là-bas. – Bonsoir, mignon ; eh ! trinque donc avec Giomo. – Bon vin ! Cela serait plaisant qu’il lui vînt à l’idée de me dire : Ta chambre est-elle retirée ? entendra-t-on quelque chose du voisinage ? Cela serait plaisant ; ah ! on y a pourvu. Oui, cela serait drôle qu’il lui vint cette idée.

Je me trompe d’heure ; ce n’est que la demie. Quelle est donc cette lumière sous le portique de l’église ? on taille, on remue des pierres. Il paraît que ces hommes sont courageux avec les pierres. Comme ils coupent ! comme ils enfoncent ! Ils font un crucifix ; avec quel courage ils le clouent ! je voudrais voir que leur cadavre de marbre les prît tout d’un coup à la gorge.

Eh bien ? eh bien ? quoi donc ? j’ai des envies de danser qui sont incroyables. Je crois, si je m’y laissais aller, que je sauterais comme un moineau sur tous ces gros plâtras et sur toutes ces poutres. Eh, mignon ! eh, mignon ! mettez vos gants neufs, un plus bel habit que cela, tra la la ! faites-vous beau, la mariée est belle. Mais, je vous le dis à l’oreille, prenez garde à son petit couteau.

Il sort en courant.

Lien vers le texte intégral de Lorenzaccio et la chronique consacrée à l’œuvre sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387869/f1.item
Sarah Bernhardt dans « Lorenzaccio » : documents iconographiques du 03-12-1896. Source : BnF/Gallica

Tirade de Perdican dans On ne badine pas avec l’amour (Acte 2, Scène 5)

Perdican

Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

Lien vers le texte intégral de la pièce et vers la chronique sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53049893n
Julia Bartet et Charles Le Bargy dans « On ne badine pas avec l’amour », de Alfred de Musset / dessin de Yves Marevéry. Source : BnF/Gallica

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