Courteline Georges

Chroniques consacrées à Georges Courteline : biographie, œuvres théâtrales, thèmes abordés…

Courteline, précurseur du théâtre de l’absurde.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3ACh.Leandre_Courteline.png
Courteline s’amusant avec son théâtre de marionnettes – Fusain aquarellé de Charles Léandre. (source : Wikimedia Commons)

Quelques saynètes de Courteline portent les germes du théâtre de l’absurde, mettant en scène les difficultés de communication entre les êtres ou les dérèglements du langage. Nous en avons sélectionné quelques-unes…

Dans la saynète Gros chagrins, une femme trompée vient conter ses malheurs chez une amie. Tout le dialogue est une alternance de pleurs déchirants et de remarques totalement futiles.

Dans 26, un militaire n’arrête pas de répéter qu’il sait où habite Marabout : c’est au 26, mais il ne sait pas quelle rue, ni même quelle ville… La difficulté de communication entre les deux personnages rappelle Ionesco : peu à peu la situation bascule dans l’absurde.
A voir sur le site de l’INA, la saynète  avec Daniel Russo et Jérôme Deschamps (promotion 1973 du Conservatoire d’Art Dramatique).

Dans Les Boulingrin, la scène débute dans un intérieur bourgeois habité par un couple charmant. Le pique-assiette Des Rillettes est témoin du dérèglement de cet univers tranquille, à l’occasion d’une scène de ménage : les meubles sont brisés, les insultes et les cris fusent, des coups de revolver partent. La scène s’achève par un incendie.

Le non-sens est au cœur de L’honneur des Brossarbourg. Madame de Brossarbourg  craint pour son honneur car quelqu’un lui a mis la main aux fesses.  Elle raconte à son mari que pour s’assurer de l’identité de l’auteur de ces attouchements, elle a couché avec tous ses invités : Monsieur de Proutrépéto, Monsieur de Poilu-Boudin, le général baron de la Rossardière… M. de Brossarbourg rit de la bêtise de sa femme : c’est lui qui en était l’auteur…

Dans le Gora, Bobechotte discute avec Gustave dit Trognon. La discussion devient difficile car Bobechotte a quelques difficultés avec les liaisons. La situation bascule vers une scène de ménage et le sujet passe de la liaison grammaticale à la liaison amoureuse :
Bobéchotte.
Je n’aime pas beaucoup qu’on s’offre ma physionomie, et si tu es venu dans le but de te payer mon 24-30, il vaudrait mieux le dire tout de suite.
Gustave.
Tu t’emballes ! tu as bien tort ! Je dis : « On dit un angora, un petit angora ou un gros angora » ; il n’y a pas de quoi fouetter un chien, et tu ne vas pas te fâcher pour une question de liaison.
Bobéchotte.
Liaison !… Une liaison comme la nôtre vaut mieux que bien des ménages, d’abord ; et puis, si ça ne te suffit pas, épouse-moi ; est-ce que je t’en empêche ? Malappris ! Grossier personnage !

https://archive.org/details/lecommissaireest00cour
Le Commissaire est bon enfant

Entre absurdité et folie, Courteline met en scène dans le Commissaire est bon enfant le personnage de Floche. Il est ainsi décrit par sa femme : … »il s’enferme dans les cabinets pendant des fois deux et trois heures pour déclamer tout haut contre la société, hurler que l’univers entier a une araignée dans le plafond, une punaise dans le bois de lit, et un rat dans la contrebasse !… Il voit des fous partout, monsieur !… »
Plus tard, Floche devant le commissaire affirme :
« Je suis bon enfant, mais je n’aime pas les fous !… Le fou, c’est mon ennemi d’instinct, entendez-vous ?… c’est ma haine, c’est ma rancune ! La vue d’un fou suffit à me mettre hors de moi, et quand je tiens un fou à portée de ma main, je ne sais plus, non, je ne sais plus, de quoi je ne serais pas capable ! »
Plus tard, Floche s’en prend au commissaire : « Je sais ! Vous êtes le fou traditionnel, classique, celui qui prêche et qui vend la sagesse. Mais, pauvre idiot, tout, en vous, tout respire et trahit la démence !… depuis la bouffonnerie de votre accoutrement jusqu’à l’absurdité sans nom de votre visage ! »


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Le couple et la famille dans l’œuvre de Courteline

Courteline propose à travers ses saynètes, des tranches de vie réalistes, souvent cruelles mais toujours comiques. Il s’inspire le plus souvent d’expériences personnelles.

Courteline s’est marié deux fois. En 1892, il épouse Suzanne Fleury, dite Berty, une actrice. Ils auront  deux enfants  : Lucile-Yvonne Moineau, née en 1893, et André Moineau, né en 1895. Après le décès de Suzanne en 1902, il se remariera 5 ans après avec Jeanne Bernheim, également actrice. Son couple et ses relations avec ses enfants fournissent de la matière à ses pièces, comme l’observation attentive de ses amis…

Chaque étape de la vie du couple a fait l’objet de saynètes  : le sexe y est évoqué de manière récurrente de manière plus ou moins explicite…

Ainsi, dans Avant et après, Marthe et René sont couchés l’un près de l’autre, dans l’herbe. René voudrait aller plus loin et multiplie les mots d’amour et de tendresse. Marthe résiste un moment. Le comportement du jeune homme « après » n’est plus le même.

Voici ensuite le couple bien installé. Dans le Maître de Forges, un homme fait la lecture à sa femme et saute de temps en temps une page… Les envies des femmes enceintes et les risques de ne pas les satisfaire sont évoquées de manière cocasse dans Une envie.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5544937p/f140
Illustration de Barrère parue dans Les Marionnetes de la Vie, recueil paru en 1900. Source BnF/ Gallica

Les scènes de ménage sont fréquentes  : dans L’Amour de la paix, Monsieur explique comment éviter les disputes, alors que dans La Paix chez soi, l’écrivain Trielle, désireux d’avoir la paix décide de mettre une amende à sa femme pour chaque désagrément qu’elle lui cause, et de lui retenir le total sur sa pension mensuelle. Dans Cochon de coco, ce sont les inquiétudes d’un couple qui pense que son conjoint n’est pas rentré. Vieux ménage met en scène un vieux couple le 31 décembre au soir. L’homme explose : il déteste souhaiter la bonne année à sa femme. Insultes et goujateries se succèdent.

Les plus belles scènes de ménage se trouvent dans Les Boulingrin. Des Rillettes,  un pique-assiette, essaie de s’immiscer chez ce couple. Il pense pouvoir passer d’agréables moments chez eux bien au chaud pendant une bonne partie de l’hiver, mais il se retrouve au centre d’une scène de ménage et devient un prétexte de chamaillerie supplémentaire, le couple le prenant pour arbitre. La scène bascule jusqu’à devenir absurde :  les meubles de cet intérieur bourgeois typique sont brisés, les insultes et les cris fusent, des coups de revolver partent. La scène s’achève par un incendie.

Si on peut reprocher dans certaines saynètes la misogynie de Courteline, il n’est souvent pas en reste pour mettre en scène des maris couards. De retour d’une soirée, Lui ne supporte pas que des hommes fassent la cour à sa femme ni  même lui parlent, mais il est incapable de leur demander des comptes. Elle le provoque. (La peur des coups ). Dans Un coup de fusil, Monsieur rentre effondré  : il a reçu un coup de fusil dans le tramway  !

L’infidélité est aussi présente dans l’oeuvre de Courteline, mais est évoquée de manière légère.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530974396/f92.planchecontact
Illustration de Théophile-Alexandre Steinlen, extrait du « Gil Blas illustré », Steinlen 1894. Source : BnF/Gallica

Il s’en moque dans Les locutions complaisantes  : entre sa femme et sa maîtresse, un homme hésite. Autre tentative d’infidélité  : alors que sa femme est partie en voyage, un homme attend la visite d’une jeune femme. Sa sonnette n’arrête pas de retentir, mais à chaque fois, ce n’est pas la visite qu’il attend.. (Ma femme est en voyage ). Dans Gros chagrins, une femme trompée vient conter ses malheurs chez une amie. Tout le dialogue est une alternance de pleurs déchirants et de remarques totalement futiles.

Courteline s’intéresse aussi au mari trompé dans L’extra-lucide,  Monsieur Ledaim, inquiet de la disparition de sa femme, se présente chez une voyante, qui utilise ses pouvoirs paranormaux supposés pour lui apprendre que sa femme le trompe  ; mais également dans Monsieur Félix  : un couple et son fils est dérangé par la visite d’un ami M. Félix. Monsieur charge sa femme de le mettre à la porte.

Le comble du ridicule est atteint dans L’honneur des Brossarbourg  : Madame de Brossarbourg  craint pour son honneur car quelqu’un lui a mis la main aux fesses.  Elle raconte à son mari que pour s’assurer de l’identité de l’auteur de ces attouchements, elle a couché avec tous ses invités : Monsieur de Proutrépéto, Monsieur de Poilu-Boudin, le général baron de la Rossardière.M de Brossarbourg rit de la bêtise de sa femme : c’est lui qui en était l’auteur…

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1158111d
Couverture de l’édition de 1910

Les enfants sont présents dans plusieurs saynètes. En bas âge (l’enfant s’appelle souvent Toto), il est souvent insupportable (Invite Monsieur à dîner), enchaîne les gaffes (Le nez du général Suif), ou ne comprend pas les situations ambiguës (Premier en anglais, Monsieur Félix). Parfois les mères ne sont pas à la hauteur  : le Petit Malade, ou la Présentation  : alors que Sigismond va faire son entrée dans le monde et rencontrer sa future belle-famille, Mme Poisvert, sa mère, lui prodigue  moult conseils et regrette de n’avoir pas été plus sévère avec lui.

Sigismond  est également le titre d’une saynète où un jeune homme éprouve la plus grande des honte face à sa mère qui ne cesse publiquement de lui faire des remarques (dans une autre situation, il s’appelle Godefroy).

Enfin, Courteline a immortalisé Théodore, le jeune homme ivre qui rentre chez son père à trois heures du matin. Dans les escaliers de son immeuble, il dérange tous les voisins. Puis, cherchant des allumettes dans son appartement, il réveille son père qui est furieux de sa conduite.

Les autres relations familiales ne sont pas évoquées chez Courteline, à l’exception d’une saynète mettant en scène une belle-mère qui accuse son gendre de pornographie (le Pornographe).


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Courteline, les employés et les fonctionnaires

Courteline propose à travers ses saynètes, des tranches de vie réalistes, souvent cruelles mais toujours comiques. Il s’inspire le plus souvent d’expériences personnelles.

Couverture de l'édition chez Albin Michel de 1897
Couverture de l’édition chez Albin Michel de 1897

En 1880, Courteline entre comme expéditionnaire au ministère de l’Intérieur, à la Direction générale des cultes. Il passera 14 ans dans la fonction publique, qu’il quittera dès qu’il pourra vivre de sa plume. Courteline a dressé une caricature féroce du monde de l’administration dans son roman Messieurs les-ronds-de-cuir, à travers une série de portraits de petits fonctionnaires travaillant au Ministère des Dons et des Legs, caricature que l’on retrouve également dans quelques saynètes.

Dans Allô  !, nous retrouvons des fonctionnaires désoeuvrés dans un Ministère. Dans Monsieur Badin, c’est un fonctionnaire régulièrement absent qui est accueilli vertement par son chef. Pour sa défense, il lui expose les affres que lui font subir la crainte perpétuelle de sa révocation, et finit par en tirer argument pour réclamer une augmentation.


La satire touche également les employés de la Poste (Une lettre chargée)  : La Brige a reçu une lettre chargée  d’un de ses amis. Cette lettre est à son nom mais adressée au ministère de l’Intérieur. Bien que l’employé connaisse la Brige qu’il a croisé chez les Crottemouillaud, il ne peut lui remettre la lettre car celui-ci doit justifier son identité. Malgré les différentes preuves qu’apporte la Brige, l’employé ne peut lui remettre la lettre.


https://archive.org/details/lecommissaireest00cour
Le Commissaire est bon enfant.  Photographie extraite de l’édition de 1899. Source : archive.org

Bien entendu, les gendarmes et autres commissaires sont également caricaturés. Le commissaire est bon enfant, certes, mais il aussi tyrannique et poltron. Le gendarme est, quant à lui, sans pitié  : M. Boissonnade, procureur de la République est très ennuyé. Le gendarme Labourbourax, susceptible et inculte, est le champion du procès-verbal pour outrage à agent. Il sanctionne notamment tous ceux qui prononcent diverses expressions populaires ou savantes, dans lesquelles il entend des injures,  faute d’en saisir le sens. Il s’en prend au baron Larade, homme affable et pacifique qu’il pousse à bout par sa sottise. (l’expression de visu incomprise par un gendarme était déjà présente dans la saynète L’impoli).

Plus généralement, Courteline met en évidence la médiocrité de certains, qui usent et abusent de leurs petits pouvoirs, qu’il s’agisse de concierge (L’impoli) ou de contrôleur ( La Correspondance cassée)….


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Le monde judiciaire dans le théâtre de Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k200976v
Jules Moinaux, Extrait des tribunaux comiques de Jules Moinaux. A. Chevalier-Marescq, 1881/ Source : BnF/Gallica

Courteline propose à travers ses saynètes, des tranches de vie réalistes, souvent cruelles mais toujours comiques. Il s’inspire le plus souvent d’expériences personnelles.

Fils du chroniqueur judiciaire et auteur de théâtre Jules Moinaux, Georges prend en 1881 le pseudonyme de Georges Courteline, pour ne pas être confondu avec son père. La même année, Jules Moinaux publie un recueil de ses chroniques judiciaires du tribunal correctionnel, rédigées pour La Gazette des tribunaux ou Le Charivari, etc., sous le titre Les Tribunaux comiques. Courteline s’en inspire pour ses « fantaisies judiciaires » et le mentionne directement notamment dans l’Affaire Champignon, « fantaisie judiciaire en un acte tirée des « Tribunaux comiques » de Jules Moinaux ». La scène se passe dans un tribunal. Champignon accuse sa femme, Désirée, de l’avoir trompé avec son ami Canuche. Désirée révèle au tribunal que c’était pour se venger car son mari l’avait trompée avec Hortense Bezuche, une de ses amies.


Dans d’autres saynettes, Courteline met en lumière plus directement les aberrations de la Justice. Dans les Balances, La Brige rend visite à un de ses amis, avocat en province, après un court séjour en prison. Ses démêlés judiciaires sont principalement dus au fait qu’il est propriétaire d’une maison frappée d’alignement menacée de ruine mais qu’il n’a pas le droit de réparer : il se trouve sans solution face à l’absurdité des lois et règlements.

https://archive.org/details/unclientsrieux00cour
Un Client sérieux. Illustration d’après les dessins de Barrère. Edition de 1912. Source : archive.org

Tous les maillons de la chaîne judiciaire sont cruellement caricaturés dans  Petin, Mouillarbourg et consorts : le Président du tribunal est pressé de boucler les deux affaires qu’il doit juger car il doit souper avec les actrices de la pièce des Folies-Comiques. Dans la première affaire, l’avocat, ancien substitut, découvre le dossier en même temps qu’il le plaide et agit confusément : il commence à accuser au lieu de plaider puis se trompe de client ;  c’est finalement le plaignant qui écope de prison pour outrage à magistrat. Dans la seconde affaire, un divorce, le président écoute les plaintes du mari tout en dévorant des yeux la femme… Pour compléter son enquête, il la convoque le lendemain à l’hôtel Terminus pour qu’elle y soit entendue en audience particulière.

On retrouve également cette figure de juge égrillard dans Quand on plaide en divorce : une femme souhaite divorcer de son mari du fait de sa réserve envers elle. Le juge essaie d’en savoir plus.

(La pièce Petin… reprend quelques saynètes parues antérieurement Le Prix d’une Gifle, Un Client sérieux, Chez l’avocat).

Quant aux arrangements avec la justice, ils sont évoqués dans Un mois de prison, sous forme de lettres échangées entre Marthe Passoire, qui risque d’aller en prison à la suite d’un flagrant délit d’adultère et le député Courbouillon, qui profite de la situation.


https://archive.org/details/petinmouillarbou00cour
Petin, Mouillarbourg et consorts. Illustration issue de l’édition Flammarion de 1899. Source : archives.org

Dans l’Article 330, Courteline met en scène Monsieur La Brige, accusé « d’outrage public à la pudeur » (article 330 du Code pénal) qui organise  avec talent sa défense face au Président d’audience, à l’huissier et au substitut. Toute la verve de Courteline  est au service de ce personnage, qui semble bien résumer la philosophie de l’auteur.

La Brige  se définit comme « philosophe défensif »: « Je veux dire que, déterminé à vivre en parfait honnête homme, je m’applique à tourner la loi, partant à éviter ses griffes. Car j’ai aussi peur de la loi qui menace les gens de bien dans leur droit au grand air, que des institutions en usage qui les lèsent dans leurs patrimoines, dans leur dû et dans leur repos. »

« Monsieur, chacun, en ce bas monde, étant maître de sa vie, en dispose comme il l’entend. Pour moi, j’ai commencé par mettre la mienne au service de celle des autres, dans l’espérance que les autres s’en apercevraient un jour et me sauraient gré de mes bonnes intentions. Malheureusement, il est, pour l’homme, deux difficultés insolubles : savoir au juste l’heure qu’il est, et obliger son prochain. Dans ces conditions, écoeuré d’avoir tout fait au monde pour être un bon garçon et d’avoir réussi à n’être qu’une poire, dupé, trompé, estampé, acculé, finalement, à cette conviction que le raisonnement de l’humanité tient tout entier dans cette bassesse: « Si je ne te crains pas, je me fous de toi », j’ai résolu de réfugier désormais mon égoïsme bien acquis sous l’abri du toit à cochons qui s’appelle la Légalité. »

Un peu plus loin il définit les rapports entre la Justice et la Loi : « La Justice n’a rien à voir avec la Loi, qui n’en est que la déformation, la charge et la parodie. Ce sont là deux demi-soeurs qui, sorties de deux pères, se crachent à la figure en se traitant de bâtardes et vivent à couteaux tirés, tandis que les honnêtes gens, menacés par les gendarmes, se tournent les pouces et le sang en attendant qu’elles se mettent d’accord. »


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Les militaires dans l’œuvre de Courteline

Courteline propose à travers ses saynètes, des tranches de vie réalistes, souvent cruelles mais toujours comiques. Il s’inspire le plus souvent d’expériences personnelles.

Après des études au collège de Meaux, Courteline fait son service militaire à Bar-le-Duc en 1879 au 13e régiment de chasseurs à cheval. Ce séjour à l’armée lui inspire quelques nouvelles, saynètes et pièces.

Affiche du film de 1932
Affiche du film de 1932

Dans les Gaités de l’escadron, le débonnaire capitaine (Hurluret) fait son possible pour protéger les hommes de son régiment de cavalerie contre la vindicte des petits chefs. Un général en tournée d’inspection découvre tous ces petits arrangements pris avec le règlement. Cette pièce donne lieu à une galerie de personnages pittoresques : brigadier inventant des motifs de punition (Bourre), chef faisant faire son travail (Favret),  brute galonnée, stupide et agressive (Flick), tire-au-flanc voleur (Fricot), un première classe qui se plaint de la nourriture (Joberlin), un bagarreur (Ledoux), une cantinière acariâtre (Madame Bijou), un jeune officier inexpérimenté (Mousseret), un réserviste joyeux drille (Potiron), un pauvre militaire qui écope des punitions les plus injustes (Vanderague)…


lidoireDans Lidoire, c’est un soldat de carrière qui est confronté à l’imbécilité et au despotisme absurde de la chose militaire. Il doit en plus prendre en charge un frère d’armes totalement ivre.

L’imbécilité du militaire (ou son ébriété) est au cœur de la saynète le 26  : un militaire n’arrête pas de répéter à son camarade qu’il sait où habite Marabout. C’est au 26… mais il ne sait pas de quelle rue, ni même dans quelle ville…


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

L’impoli de Georges Courteline

https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3ACh.Leandre_Courteline.png
Courteline s’amusant avec son théâtre de marionnettes – Fusain aquarellé de Charles Léandre. (source : Wikimedia Commons)

Saynète extraite des Ombres parisiennes.
Distribution : 4 hommes, 1 femme

Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le texte

Tirpiedcarillonnant à toute volée à la porte de sa maison.
Dix-huit fois que je sonne !… dix-neuf… vingt… Cré saleté de pipelette, qui ne veut pas m’ouvrir !… vingt et un… vingt-deux… vingt-trois…
(Furieux coup de pied dans la porte cochère.)
Voulez-vous me tirer le cordon, vieille rosse … Vingt-quatre… vingt-cinq… vingt-six… C’est trop fort !
Bruit d’espagnolette. Apparition, à la fenêtre de la loge, de la Concierge en bonnet de nuit.
La Concierge.
Pas la peine de vous fatiguer. Vous avez insulté mon chien et je ne vous ouvrirai la porte que si vous lui faites des excuses. Voulez-vous lui faire des excuses ?
Tirpied.
En bois.
La Concierge.
Soit. Vous resterez dehors.
Tirpied.
Des excuses!… Non, mais elle est bonne !… Des excuses au chien de madame !… Pourquoi pas, pendant que vous y êtes, une réparation par les armes !… Encore une fois, voulez-vous m’ouvrir, vieille toquée ?
La Concierge.
Des excuses !
Tirpied.
En bois, je vous dis !
(A quelques passants attardés et qui se sont approchés au bruit.)
Vraiment, messieurs, a-t-on jamais vu chose pareille ?… Une concierge qui refuse de m’ouvrir, si je ne veux pas faire des excuses à son chien !
La Concierge.
Messieurs, je vous prends à témoin si j’ai raison, oui ou non, et si monsieur est un impoli. Il faut vous dire que j’ai un chien, un bijou de petit havanais gros à peu près comme mes deux poings et joli comme les amours.
Tirpied.
Une saleté de cagouince, messieurs, qui empeste toute la maison et qui engueule les locataires.
La Concierge.
Messieurs, ne croyez pas cet homme!… Un charmant animal, messieurs, une véritable pelote de laine !…, même que je l’avais appelé « Mouton »..
Tirpied.
Vous nous rasez ! Fermez votre boîte…
La Concierge.
Donc…
Tirpied.
Et ouvrez la porte, ma bonne : ça vaudra mieux.
La Concierge, poursuivant.
..Donc, je l’avais appelé « Mouton ». C’est très bien. Or, est-ce que monsieur, histoire de faire un jeu de mots, n’imagine pas de l’appeler « Crouton » ? Parfaitement, messieurs, « Crouton » si… à preuve qu’il ne passait plus devant la loge sans crier : « Te voilà, Crouton !… sale Crouton !… cochon de Crouton ! » et sans cracher par terre en signe de mépris !… A la fin, comme cela faisait rire les gens et qu’on commençait, dans le quartier, à n’appeler « Mouton » que « Crouton », je pris le parti de le débaptiser et je lui donnai le nom de « Fidèle », pensant ainsi couper court aux plaisanteries de ce vilain homme. Ouat !… Le jour même, monsieur profitait du moment où ma loge était pleine de monde pour venir se camper devant la porte et crier à Fidèle: « Bidel !… te voilà, sacré sale Bidel !… » Le lendemain, pour toute la maison, « Fidèle » était devenu, « Bidel » et je recevais, de M. Bidel lui-même, l’ordre de retirer à mon chien un nom qui lui appartenait. Je dus m’incliner, et, une troisième fois, chercher à ma petite bête un nom. Celui de « Finette» me séduisit et je me décidai à le lui octroyer. Depuis lors, savez-vous, messieurs, comment M. Tirpied l’appelle ?… Messieurs, il l’appelle «Tinette»… (Indignée.) Tinette… Tinette !… Mais c’est votre âme, mauvais homme, qui en est une, de tinette !…
Tirpied.
Pour la dernière fois, voulez-vous me tirer le cordon ?
La Concierge.
Dites que vous retirez « Tinette » et faites des excuses.
Tirpied.
Zut! zut! zut! Je vais me faire ouvrir de force.
(A des gardiens de la paix qui passent.)
S’il vous plaît, messieurs les Agents !
Les Agents, qui s’approchent.
Qu’est-ce qu’il y a ?
Tirpied.
Il y a que ma concierge refuse de m’ouvrir la porte.
Les Agents.
Pourquoi ça ?
La Concierge.
Parce que monsieur est une espèce d’impoli.
Tirpied.
Vous constatez, n’est-il pas vrai, que madame ne veut pas m’ouvrir ? Vous le constatez, de visu.
Les Agents, soupçonneux.
Des visus !
Tirpied.
Mais…
Les Agents.
Vous dites que nous sommes des visus ?…
Tirpied.
Permettez !
Les Agents, qui l’empoignent.
Au poste ! au poste!… Que vous soyez impoli avec la concierge, c’est très bien; mais que vous le soyez avec nous, non !… Ah! nous sommes des visus ! Ah ! nous sommes des visus !… A-t-on jamais vu chose pareille… un gaillard qui traite les personnes de visus et qui l’est peut-être plus que les autres !…

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Quand on plaide en divorce de Georges Courteline

Saynète extraite des Ombres parisiennes.
Distribution : 2 hommes, 1 femme
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le texte

Le juge chargé de l’enquête.
En feuilletant les pièces du dossier je vois madame que vous alléguez notamment la réserve de votre mari. À quel endroit, cette réserve ?
Madame,
qui rougit légèrement.
Je dois spécifier l’endroit ? C’est absolument nécessaire ?
Le juge.
… Heu !… mon Dieu, oui et non. Veuillez spécifier, du moins, la nature et l’importance de votre grief.
Madame.
C’est bien simple. J’ai épousé monsieur au mois de mai dernier. J’avais alors vingt ans à peine, monsieur en avait quarante-deux. J’apportais soixante mille francs de dot, monsieur, lui, apportait ce qu’on est convenu d’appeler des espérances, la perspective d’un gros héritage à venir. Un gros héritage ! Ah ! Là là ! … (haussement d’épaules.) La défroque du quatrième officier de Marlborough, oui ! Le soir de nos noces, maman me mit au lit et me dit : « Mon enfant, l’heure est venue. Prépare-toi à de grosses révélations. »
Le juge.
Eh ! Eh !
Madame.
C’est bien, je me prépare à de grosses révélations. Monsieur arrive, se déshabille, se glisse près de moi et saisit…
Madame fond en larmes
Le juge, très contrarié.
De grâce madame, calmez-vous, et continuez votre récit. C’est d’un intérêt !…
Madame,  essuyant ses yeux.
Donc monsieur se glisse près de moi et saisit …cette occasion pour m’avouer qu’il avait eu une jeunesse dévastatrice.
Monsieur.
Léontine, je te jure que c’est la vérité.
Madame.
Oh, il est inutile de le jurer, je le sais de reste ! Mais vous auriez pu me le dire un peu plus tôt.
Monsieur.
Non ! Tu n’aurais plus voulu de moi, et les soixante mille francs m’auraient passé sous le nez ! Que voilà bien l’égoïsme des femmes.
Le juge.
Si bien madame qu’en fait de révélations ?…
Madame.
Ça se borne là, oui, monsieur. Et depuis ça n’a pas changé.
Le juge.
Vous avez entendu monsieur ? À vous de répondre.
Monsieur.
… ( geste vague )
Le juge.
C’est tout ?
Madame.
Certainement. Monsieur n’en dit jamais plus long.
Le juge.
Et vous êtes sûre madame que vous n’avez rien négligé pour rendre la… parole à ce muet ?
Madame, les bras au ciel.
Ah, Dieu !…
Le juge.
Les stimulants ? les excitants ? les épices ? les bons procédés ? les petits services amicaux qu’on se rend volontiers entre époux ?
Madame.
Tout, je vous dis ! j’ai essayé tout !
Le juge.
Et, cela, sans effet ?
Madame.
Sans effet sur lui, oui. Sur moi, c’est une autre paire de manches.
Un temps.
Le juge.
Il me reste à vous remercier madame, d’avoir bien voulu me fournir ces détails si captivants, malheureusement, la justice ne peut rien pour vous, et je me vois dans l’obligation de confesser mon impuissance.
Madamefurieuse.
Ah, ça ! Vous êtes donc tous les mêmes ?
Le juge.
J’ajoute toutefois que la loi est bonne personne et qu’il est avec elle des accommodements. Si monsieur, par exemple, consentait à vous battre…
Monsieur,  avec indignation.
Moi ? Toucher ma femme ? Jamais !
Le juge.
Alors !…
Madame, stupéfaite.
Et c’est pour en arriver là que vous me faites raconter des saletés depuis une heure !
Le juge, souriant.
Soyez indulgente, chère madame : ce sont là nos petits bénéfices !

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

L’école des mufles de Georges Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k643510w
L’Ouest-Éclair 19 janvier 1913. Source : BnF/ Gallica

Saynète extraite des Ombres Parisiennes
Distribution : 1 homme, 1 femme
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le Texte

Ce soir-là a eu lieu au Théâtre-Français la répétition générale de l’Ecole des Mufles, grande comédie satirique en cinq actes, de Pétard, l’auteur dramatique tant de fois applaudi. Devant une salle plus qu’à demi pleine, la pièce a remporté un éclatant succès, qui sans doute, se changera le lendemain en triomphe. Il est une heure du matin. Sous l’abri d’un commun riflard, Pétard et Hortense Pétard, son épouse, regagnent Montmartre qu’ils habitent. Mais Pétard est plein d’anxiété ; il s’était attendu de la part de sa femme, à des démonstrations d’enthousiasme bruyant, et l’extrême froideur de celle-ci a de quoi lui casser bras et jambes. A la fin : 

Pétard, agacé.
Ton silence systématique m’étonne et m’inquiète à la fois. Après la façon dont l‘Ecole des Mufles a été accueillie ce soir, je m’étais attendu, je l’avoue, à plus de… tu sais ce que je veux dire. Je vois bien qu’il faut en rabattre. Ma pièce n’a pas eu l’heur de te plaire, je le lis clairement sur ta figure et tu m’en vois pénétré de tristesse, car tu es femme de goût, Hortense, et je ne méprise point ton jugement. Eh bien ! il faut m’éclairer de tes lumières ; j’attends, je sollicite, je réclame de toi une critique, dont j’entends tenir compte et faire profiter mon œuvre (si elle lui doit être profitable, s’entend !), tandis qu’il en est temps encore. Parle.

Hortense, molle.
Je n’ai rien à te dire. Ta comédie est excellente. Je m’y suis beaucoup divertie.

Pétard,
Pour Dieu. sois donc sincère !

Hortense.
Je le suis.

Pétard,
Tu sais bien que non, et que le seul ton de tes paroles suffit à les démentir. Ne chante donc pas la Marseillaise sur l’air de la Grâce de Dieu. – Qu’est-ce qui t’a déplu dans ma pièce ?
(Mutisme d’Hortense.)
Sérieusement, Hortense, je veux le savoir.

Hortense.
Tu le veux ?

Pétard,
Dois-je ordonner ?

Hortense.
Non. – Tu sauras donc qu’elle est ratée d’un bout à l’autre. que tu t’es mis le doigt dans l’œil et que tu vas à un four noir.

Pétard, abasourdi.
Quels sont ces mots ?… four noir ? Ratée !  Doigt dans l’œil !… Tu es un peu folle, jepense.

Hortense, sûre d’elle.
Oui ? … Eh bien ! tu verras ça, demain.

Pétard, qui n’en revient pas.
Après le succès de tout à l’heure !!!

Hortense.
Parlons-en ! Trois pelés à l’orchestre et un tondu à la salarie. Et tous gens de ta famille, encore !
(Un temps.)

Pétard, consterné.
Cré nom d’un chien de nom d’un chien
(Très long silence. Amères méditations de Pétard, qui, soudainement, éclate, comme un pétard qu’il est et s’arrêt net, les semelles scellées à l’asphalte.)

Pétard,
Enfin, qu’est-ce qu’elle a cette pièce ?

Hortense.
Le pire des torts ; elle est obscure. (Stupeur du pauvre Pétard.) Inutile de faire des yeux comme des billes et de t’allonger le nez comme un morceau de guimauve. Ta pièce est obscure, voilà le fait ; on y comprend pas un mot.

Pétard.
Pas un mot !!!…

Hortense, hochant la tête.
Oh ! Pas une syllabe. Il n’y aura qu’une voix là-dessus. Tu verras ce que dira Sarcey.

Pétard.
Le diable t’emporte avec tes pronostics !

Hortense, très simple.
Tu as voulu avoir mon opinion, tu l’as.
(Nouveau temps. Le ménage Pétard s’est remis en marche Soudain, nouvel arrêt de Pétard.)

Pétard.
Pas un mot ?… Pas un mot ?… Voyons, tu exagères ? Peut-être quelques détails.

Hortense.
Mon Dieu, si ce n’était qu’une question de détails, le mal serait réparable…. Mais non : c’est la pièce elle-même qui est incompréhensible. Et veux-tu que je te dise pourquoi ?

Pétard.
Si je le veux !

Hortense.
Ecoute-moi, alors. Tu te rappelles qu’au premier acte, Boubic pose à Mouillepied cette question si drôle : « Comment ça va-t-il, mon cousin ? »

Pétard.
C’est drôle, ça ?

Hortense.
Excessivement.

Pétard, surpris, pourtant flatté.
Je ne croyais pas.

Hortense.
Tu avais tort. C’est extrêmement drôle, au contraire. Oui, cela est, à beaucoup près, la chose la plus drôle de la pièce (Pétard est froid). Malheureusement, tout le sel de cette plaisanterie disparaît, parce que Mouillepied répond à Boubic aussitôt :  « Je vous remercie, mon cousin ; et vous ? »

Pétard,
qui a longuement rêvé.
Eh bien ?

Hortense.
Eh bien tu ne vois pas ? (Mutisme de Pétard). C’est pourtant bien simple, mon Dieu. Si Mouillepied appelle Boubic « mon cousin » et si Boubic, à son tour appelle  « mon cousin » Mouillepied, il arrive que Mouillepied et Boubic s’appellent tous les deux « mon cousin » et s’ils s’appellent « mon cousin » tous les deux, on ne sait plus, c’est clair comme le jour, lequel des deux est le cousin de l’autre.

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Quelques livres de Georges Courteline

Extraite des Ombres Parisiennes.
Distribution : 1 homme, 1 femme
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9004357c
Librairie romantique, E. Monnier & Cie éditeurs, 7 rue de l’Odéon : [affiche] / E Grasset 1887. Source : BnF/ Gallica

Le Librairereconduisant une cliente.
Madame ! …
(Salut cérémonieux). La cliente sort.
Vrai, on a beau être édifié sur l’ignorance du public, il y a toujours des surprises et il est des gens tellement bêtes que ce serait à leur fiche des gifles. Ainsi vous voyez bien cette dame, n’est-ce pas ? Elle arrive il y a cinq minutes et me déclare avec la même tranquillité que je mets à vous le redire :

– Monsieur, je désirerais avoir trois gueules de bois.

Tout d’abord je crus à une folle et je l’allais de très bonne foi envoyer chez l’orthopédiste, quand elle m’avoua que, peut-être, elle ne prononçait pas très bien, ayant ouï parler de cet ouvrage, la veille, dans le vague brouhaha des conversations, à je ne sais plus quel five o’clock. Ceci m’ouvrit des horizons… Devinez ce qu’elle désirait. Non, devinez un peu, pour voir ?

Tragaldabas !!!

Hein ? Joli ? Trois gueules de bois pour Tragaldabas, c’est un comble. Oh ! et puis ce n’est pas tout. Sans doute qu’il avait été fort littéraire, ce five, car elle me demanda successivement une demi-douzaine de volumes, tous plus invraisemblables les uns que les autres : Les fils d’Ophélie pour Méphistophéla ; le Vieux pipelet pour le Dieu Bibelot ; Le Bâton de Léon Mollard pour Le Bâtard de Mauléon… et cætera et cætera. A la fin, elle me questionna pour savoir lequel elle devait choisir du Guide-Conty ou du Guide-Maupassant. Cette grue, trompée par le prénom de l’illustre auteur d’Une vie, l’avait pris pour un simple indicateur à l’usage des Englishs en villégiature. Comment trouvez-vous le brouillon ? (Haussement d’épaules)… A leur fiche des gifles, je vous dis ! (La porte se rouvre.) Elle ! … Elle aura oublié quelque chose. (Très empressé.) Madame désire ?

La Dameavec un petit sourire gêné.
Monsieur, je vous demande pardon de venir vous déranger une seconde fois, mais voilà… Je n’ai pas osé… tout à l’heure… Un embarras bien naturel… Enfin, monsieur, – j’ai affaire à un galant homme, n’est-ce pas ? – je voudrais que vous me compreniez à demi-mot…

Le Libraire,
Parlez, madame ! – Un libraire est un confesseur.

La Dame.
Hé ! bien, voici. Hier, toujours au même five o’clock, on a également parlé, et en termes fort élogieux, d’un ouvrage qui… (Sourire libidineux du libraire.) Oh ! vous vous méprenez, monsieur ! ce n’est pas ce que vous pensez ! Je suis une honnête femme et une mère de famille !

Le Librairefrappé d’une idée.
Vous êtes mariée, madame.

La Dame, qui baisse les yeux.
Oui.

Le Libraire.
Je comprends. (A mi-voix.) Le Traité de l’Amour conjugal, n’est-ce pas ?

La Dame.
Ce n’est pas cela, mais c’est quelque chose d’analogue et traitant du même sujet.

Le Libraire.
Parfaitement. L’Hygiène du mariage.

La Dame.
Non.

Le Libraire.
Le Catéchisme des jeunes époux ?

La Dame.
Point cela encore, mais vous brûlez. D’ailleurs c’est d’Alphonse Daudet.

Le Librairequi bondit.
D’Alphonse Daudet !!! Un livre de… Ce n’est pas possible, madame ; vous devez faire confusion.

La Dame.
Oh non ! pour ce qui est de cela ! … est-ce bête que je ne puisse me rappeler le titre… (Elle cherche.) Le… Le… Le… (Soudain elle s’enlumine en tons de pivoine, puis d’une voix qu’on entend à peine.) Ah ! je sais. C’est… Le petit chose…

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Tout ce que tu voudras de Georges Courteline

Saynète extraite des Facéties de Jean de la Butte.

Distribution : 2 hommes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le Texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7503935v
La Lanterne. 27 mai 1899. Source : BnF/ Gallica

André.
Bonjour, mon bon. Tu vas peut-être me trouver terriblement indiscret ; je viens te demander un service ?

Anatole.
Pourquoi indiscret ?

André.
Mais, dame…

Anatole.
Allons donc ! De vieux camarades comme nous ?… Tu as bien fait de penser à moi : tout ce que tu voudras, parbleu !

André.
Je suis confus…

Anatole.
Tu es fou !… Tout ce que tu voudras, je te dis. Pourtant je te préviens tout de suite, si c’est un service d’argent, il n’y a rien de fait…

André.
Rassure-toi.

Anatole.
Ce serait avec grand plaisir, seulement voilà : j’ai payé mon terme il y a six semaines, et dans six autres semaines, il faudra que je recommence. Alors, n’est-ce pas, tu comprends ?…

André.
Mais oui, mais oui….

Anatole.
En principe, quand tu auras besoin d’argent, ne te gêne pas. Pourvu que tu ne m’en demandes pas entre deux termes, tout ce que tu voudras.

André.
Merci, mon…

Anatole.
Il n’y a pas de quoi. – Tu disais donc ? Ah ! pendant que j’y pense ! Ce n’est pas d’une affaire de femme, qu’il s’agit ?

André.
Oui et non.
(Sourire entendu.)

Anatole.
Bon ! on sait ce que parler veut dire. Tu peux te fouiller, en cinq secs ! Ah ça, voyons, est-ce que tu perds la tête ? Des affaires de femmes, à ton âge ? Et tu viens me demander, à moi, homme marié et père de famille, d’aller mettre mon nez là-dedans ? C’est de l’extravagance pure.

André.
Pardon.

Anatole.
Ecoute, mon vieux : je voudrais bien n’avoir pas l’air de te dire des choses désagréables, mais là, vrai ! ce n’est pas le sens moral qui t’étouffe. – Ah ! qu’autrefois, au Quartier, nous nous soyons rendu de ces petits services… rien de mieux. Ça ne tire pas à conséquence entre jeunes gens qui jettent leur gourme côte à côte et battent joyeusement l’indispensable bohème des premiers jours d’indépendance. Mais enfin nous ne sommes plus des enfants, et je m’étonne, véritablement, de te voir si peu sérieux à un âge où…

André.
C’est, justement, de choses très sérieuses que je suis venu t’entretenir.

Anatole.
Mais non.

André.
Il n’y a pas de mais non, je te dis que si.

Anatole.
Allons donc!

André.
C’est une chose drôle, que je ne puisse pas placer un mot.

Anatole.
Place-le ! Est-ce que je t’en empêche ?

André.
Eh bien, voici. Je viens…

Anatole.
Je suis tout à toi, moi.

André.
Je viens.

Anatole.
Il serait regrettable que des Labadens ne pussent compter l’un sur l’autre.

André.
C’est mon avis. Donc je viens te prier de vouloir bien être mon témoin.

Anatole.
Ton témoin ?

André.
Oui.

Anatole.
Veux-tu me permettre ? Tu te rappelles le duel Ciboulot ?

André.
Pas du tout.

Anatole.
Je me le rappelle, moi. Dans le duel Ciboulot, les témoins écopèrent quatre mois de prison.

André.
Quel rapport ? …

Anatole.
Quel rapport? Le rapport que je ne tiens pas à ce qu’il m’en arrive autant. Mon cher, j’ai la prétention, que je crois justifiée, d’être tout ce qu’il y au monde de plus serviable et de plus complaisant ; mais de là à me faire fourrer à Poissy, moi, homme marié et père de famille, pour des choses qui ne me regardent pas, il y a un écart ! Avec qui te bats-tu, d’abord ?

André.
Avec qui je me bats ?

Anatole.
Oui, avec qui tu te bats.

André.
Je ne me bats pas, je me marie.

Anatole.
Ah très bien, j’avais mal compris. C’est pour être témoin devant le maire, alors ?

André.
Parbleu !

Anatole.
Ça, c’est une autre histoire.

André.
Tu acceptes?

Anatole.
Non. mon vieux. Tout ce que tu voudras, mais pas cela. C’est une part de responsabilité que je n’assumerai certainement pas.

André.
Il n y a aucune responsabilité…

Anatole.
Si ! Pour que tu viennes, dans six mois, me raconter que tu es cocu, avec l’air de me le reprocher, merci bien !

André.
Comment, cocu !!!

Anatole.
Parfaitement ! Je ne te réponds pas que tu le seras, bien entendu ; mais enfin on ne sait jamais ce que le mariage nous réserve. Surtout avec une gueule comme tu en as une. – A part ça, tout ce que tu voudras.

FIN

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Retour en haut