Ô mon bel inconnu à l'Opéra Grand Avignon

Comment un grand bourgeois aux allures de patriarche peut-il se retrouver potentiellement l’amant non seulement de sa bonne mais aussi de sa femme et même de sa fille ?

Sacha Guitry est au sommet de son art avec cette opérette en forme de vaudeville psychanalytique. Détournant le cliché du mari, de la femme et de l’amant, il en fait un voyage initiatique en quête d’une vérité apaisante, au-delà des non-dits, des secrets et des mensonges. Dans cette famille travaillant du chapeau, au sens propre et au sens figuré puisque Monsieur dirige une chapellerie, l’atmosphère est en permanence à l’orage. Usant d’un stratagème, le patriarche en question décide de confondre les trois femmes de sa vie afin de les ramener à la raison.

Finalement, personne ne trompera personne et l’harmonie reviendra dans la famille avec le rétablissement d’une communication bénéfique pour tous. Le tout sous le regard d’un muet prêtant une oreille attentive aux confidences de chacun, et qui retrouvera miraculeusement la parole à l’issue de cette thérapie familiale salutaire. Une évocation à peine voilée de la figure du psychanalyste…

La partition de Reynaldo Hahn donne encore plus d’éclat à la verve comique de Guitry, à travers des subtilités mélodiques, des nuances harmoniques et des jeux rythmiques, que la metteuse en scène Émeline Bayart exploite avec inventivité, notamment lors de l’ouverture et des intermèdes. L’Orchestre national Avignon-Provence retrouve en cette occasion Samuel Jean, le chef qui l’a dirigé pendant plus de huit ans, accompagnant avec allégresse et nuances cette opérette très enlevée, qui parfois se teinte de mélancolie. Les interprètes, à la fois excellents chanteurs et merveilleux comédiens, incarnent avec brio ces personnages hauts en couleur.

On saluera aussi l’ingéniosité du décor, modulable, permettant de passer en un clin d’œil d’un intérieur bourgeois à un magasin de chapeaux, puis à une villa en bord de mer.

Un spectacle complet, donc, et d’une extrême drôlerie, plébiscité par un public ravi applaudissant chaque performance vocale et chaque mot d’esprit. Un moment de franche gaité à partager en famille en cette période festive.

Critique de Ruth et Jean-Pierre Martinez