Sketch

Courte scène, comique et enlevée, pour un petit nombre d’acteurs.

La voiture versée de Georges Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5807424w
Liste Berty dans le journal Les Modes (12/1907). Source : BnF/Gallica

Saynète en un acte représentée pour la première fois au Carillon, le 2 décembre 1897. Publiée en 1898. (Lise Berty joue la Dame, lors de la création).
Distribution : 3 hommes, 1 femme.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Un galant homme raccompagne chez elle une très jolie femme ayant subi un accident de la circulation, et tente de profiter de l’occasion pour la séduire. Mais c’est un traquenard : apparaît le mari, qui lui extorque de l’argent sous la menace implicite de faire constater un adultère.

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Un extrait

Le monsieur.
Ça ne fait rien. Nous avons un cocher fantastique. Croiriez-vous qu’il verse ma femme jusqu’à deux ou trois fois par jour ? – Drôle de cocher !
Monsieur Ledaim.
Oui. Et drôle de ménage !
Le monsieur.
Parce que ?
Monsieur Ledaim, avec éclat.
Parce que je comprends, maintenant, pourquoi le sucre et le rhum sont si chers dans ce quartier-ci ?… Je suis dans un coupe-gorge, parbleu ! C’est le chantage au flagrant délit !
Le monsieur.
Jeune homme, la douleur vous égare. Chantage !… Coupe-gorge !… Quels mots est-ce là ? Est-ce que j’ai l’air d’un assassin ? Je suis, je vous le répète, un homme du meilleur monde ; la preuve en est que je ne m’abaisserai pas jusqu’à relever vos insolences. Ah ! que voilà donc bien l’injustice des hommes et la jeunesse d’aujourd’hui ! Vous auriez pu tomber entre les mains d’un mari vulgaire ou brutal, qui, vous trouvant près de sa femme, – chez lui – eût pu, comme c’était son droit, aller prévenir le commissaire ou simplement vous rouer de coups puis vous jeter à la rue nu comme un petit saint Jean. Au lieu de ça, vous avez affaire à un gentleman délicat, qui s’en remet presque à votre discrétion, qui n’a pas trop sucré votre tasse de thé, qui ne vous a pas versé toute la bouteille de rhum, et vous vous plaignez ? Allons, vous êtes un ingrat.
Monsieur Ledaim.
Il suffit ! – Voilà dix louis ! Vous êtes le dernier des drôles !
Le monsieur, un doigt en l’air.
Une parole de trop.
Monsieur Ledaim.
Vous dites ?
Le monsieur, se levant.
Je vous dis que, depuis un quart d’heure, je pardonne à votre jeunesse l’incorrection de votre attitude dans une maison où vous vous présentez pour la première fois. Mais enfin, le moment est venu où ma dignité est en jeu. (Mouvement de M. Ledaim.)  Plus un mot ! Vous trouverez bon que je ne vous retienne pas à dîner.

La peur des coups de Georges Courteline

Saynète représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre d’Application, le 14 décembre 1894 avec Suzanne Berty et Henry Krauss. Publiée en 1895.
Distribution : un homme, une femme.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5544937p
Illustration de Adrien Barrère dans Les Marionnettes de la vie, Flammarion, 1900. Source : BnF/ Gallica

L’argument

De retour d’une soirée, scène de ménage. Lui est jaloux, mais aussi terriblement couard. Il ne supporte pas que des hommes fassent la cour à sa femme ni même lui parlent, mais il est incapable de leur demander des comptes. Elle le provoque.

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L
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Un extrait

Lui.
Pour la dernière fois, réfléchis bien à tes paroles.(Solennel, la main sur son coeur.) Devant Dieu qui me voit et m’entend, nous nagerons dans la tragédie si je passe le seuil de cette porte.
Elle, courant à la porte qu’elle ouvre.
Le seuil ? Le voilà, le seuil ! Et voici la porte grande ouverte.
Lui.
Aglaé…
Elle.
Passe-le donc, un peu! Passe-le donc, le seuil de la porte ! Non, mais passe-le donc, que je voie, et va donc lui donner de ton pied, à ce monsieur.
Lui.
Aglaé…
Elle.
Mais va donc, voyons ! Qu’est-ce qui te retient ? Qu’est-ce qui t’arrête ? Va donc ! Va donc ! Va donc ! Va donc !
Lui, jouant la stupéfaction.
Tu me donnes des ordres, Dieu me pardonne ! « Va donc ! » dit madame, « Va donc ! » (Retirant son paletot qu’il jette au dossier d’un siège.)  C’est étonnant comme j’obéis ! (Haussement apitoyé de l’épaule.)  En vérité, tu aurais seulement dix ans de moins, je t’administrerais une fessée pour te rappeler au sentiment des convenances. Qui est-ce qui m’a bâti une morveuse pareille !… une gamine, on lui presserait le nez il en sortirait du lait, qui se permet de donner des ordres et de dire « Va donc » à son mari !
Elle, installée près du lit et attaquant son pantalon.
Le fait est qu’en parlant ainsi j’ai perdu une belle occasion de garder pour moi des paroles inutiles.
Lui.
Et tu en perds une seconde en émettant cette vérité d’une ambiguïté si piquante. Car tu la juges telle, j’imagine.
Elle.
Trop polie pour te démentir.
Lui.
Oui ? Eh bien, j’ai le regret de t’apprendre que le jour où l’esprit et toi vous passerez par la même porte, nous n’attraperons pas d’engelures.

L’Honneur des Brossarbourg de Georges Courteline

Saynète en un acte
Distribution : 1 homme et 1 femme.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530974396/f92.planchecontact
Illustration de Théophile-Alexandre Steinlen, extrait du « Gil Blas illustré », Steinlen 1894. Source : BnF/Gallica

Madame de Brossarbourg  craint pour son honneur car quelqu’un lui a mis la main aux fesses.  Elle raconte à son mari que pour s’assurer de l’identité de l’auteur de ces attouchements, elle a couché avec tous ses invités : Monsieur de Proutrépéto, Monsieur de Poilu-Boudin, le général baron de la Rossardière,

M. de Brossarbourg rit de la bêtise de sa femme : c’est lui qui en était l’auteur…

 Enregistrement audio

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Un extrait

La baronne, avec une douloureuse solennité.
L’honneur des Brossarbourg, monsieur de Brossarbourg, est à tout jamais dans le sciau !

Le baron.
Dans le… l’honneur des !… Qu’entends-je !!! Le nom de votre complice, madame ! Il me faut son nom et son sang !… – Ah ! tête-Dieu ! son nom, vous dis-je ; le nom de cet homme, à l’instant même !

La baronne.
Je l’ignore. (Étonnement du baron de Brossarbourg). Ah ! c’est une tragique et mystérieuse histoire que celle dont il me reste à vous faire le récit. Écoutez et jugez, du reste. Vous vous souvenez qu’au mois de novembre dernier vous conviâtes plusieurs amis à venir séjourner quelques jours au château pour y faire avec vous l’ouverture de la chasse. Ils vinrent au nombre de six : le vicomte de La Mothe-aux-Dames, le chevalier de Mépié, M. de Poilu-Boudin, le général baron de la Rossardière…

Le baron.
…le docteur Bougredâne et Oscar de Proutrépéto, parfaitement. Hé bien ?

La baronne.
Hé bien ! voici. Deux ou trois jours après l’arrivée de ces messieurs, je changeais de linge en ma chambre avant de descendre présider le dîner. J’en étais arrivée à cette minute psychologique où l’extrémité inférieure de la chemise, remontée au niveau de la nuque s’accroche inévitablement au feu d’artifice d’épingles qui jaillit de la tête des femmes… (Pudique.) Par égard pour le Faubourg, je vous demanderai avec instances la permission de jeter un voile…

Le baron.
Je vous en prie.

La baronne.
Soudain, comme je luttais pour dégager ma tête du frêle tissu qui l’emprisonnait, j’entendis derrière moi s’ouvrir doucement la porte et une voix, une voix d’homme crier : Tonnerre de Dieu, la belle femme !
Je jetai un cri. Au même instant quelqu’un s’approcha de moi, et mettant lâchement à profit l’état de quasi-captivité et de cécité absolue au sein duquel je continuais à me débattre, répéta par trois fois : « Du satin ! du satin ! oui, oui, du satin tout craché ! » en passant doucement la paume de sa main sur la naissance de mes… (Pudique.) Pour le même motif que plus haut, je vous demanderai la permission de jeter un deuxième voile… Quand, enfin, je rentrai en possession de ma tête, et pus promener autour de moi un regard noblement courroucé, l’insulteur avait disparu, laissant une tache indélébile au blason des Brossarbourg…

Le baron, éclatant de rire.
Comment, tu n’avais pas reconnu à la voix ?…

La baronne.
Pardon ! A certaines intonations canailles, j’avais cru reconnaître, en effet, la voix de M. de Poutrépéto. Je résolus de tirer la chose au clair, et d’arracher à ce faux gentilhomme l’aveu de sa félonie, déterminée à l’en punir, ensuite, de la plus éclatante façon. Usant des armes que la nature nous a données : le charme, la coquetterie et la séduction, je l’attirai en un rendez-vous qui devait être un guet-apens. Il céda. Une nuit que tout dormait, je lui ouvris ma porte, puis ma couche…

Le baron.
Comment ! comment !

La baronne.
Rassurez-vous ! Il y avait un poignard sous le traversin, et les hurlements de plaisir que parut m’arracher l’étreinte de M. de Poutrépéto n’étaient qu’une comédie bien jouée. Quand je le vis mûr pour l’aveu, gorgé de voluptés raffinées, prêt à exhaler son âme dans l’ivresse d’un spasme suprême, je me penchai sur lui, et, avec un sourire badin : « Confesse tout, petit cochon, lui dis-je ; tu peux tout avouer à cette heure. C’est toi qui es entré l’autre jour dans ma chambre pendant que je changeais de chemise ? » En même temps, ma main, impatiente, taquinait le manche du poignard. Mais il répondit : « Comprends pas », avec un tel air de sincérité, une figure à ce point ahurie et idiote, que je ne doutai plus que je me fusse abusée…

Le baron, qui s’éponge le front.
Ouf !

L’extralucide de Georges Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54555775
Simili gravure d’après les photographies de Cautin et Berger extraite de l’édition Flammarion de 1897. Source : BnF/Gallica

Saynète en un acte créée le 17 mai 1897 au Carillon.
Distribution : 1 homme et 1 femme.
Téléchargez gratuitement le texte sur Libre Théâtre

L’Argument

Monsieur Ledaim, inquiet de la disparition de sa femme, se présente chez une voyante, qui utilise ses pouvoirs paranormaux supposés pour lui apprendre que sa femme le trompe.

Un extrait

Madame Prudence.
Ordonnez-moi de voir.
Monsieur Ledaim.
Je vous l’ordonne!
Madame Prudence.
Dites: « Voyez! »
Monsieur Ledaim.
Voyez ! ! !
Madame Prudence.
… Bien… Assez… (Eprouvant du bout de son index, d’un délicat toucher d’aveugle, chacune des dents du petit peigne:) … Je vois… C’est un petit démêloir….
Monsieur Ledaim,
émerveillé.
En effet!
Madame Prudence.
… Il a servi à une femme….
Monsieur Ledaim, confondu.
C’est exact! (A part.) Elle est extraordinaire; il n’y a pas à dire. (Haut.) Cette femme, la voyez-vous ?
Madame Prudence.
… Oui… (Un temps.) Elle est au lit.
Monsieur Ledaim.
Au lit ?
Madame Prudence.
Au lit.
Monsieur Ledaim, qui défaille d’anxiété.
Avec une fluxion de poitrine ?
Madame Prudence.
Non ; avec un homme qui la pelote.
Monsieur Ledaim,
éclatant comme un siphon d’eau de seltz.
Ça y est!… J’aurais dû m’en douter ! Ah ! sang du Christ ! ventre du pape ! faut-il que les femmes soient canailles et que les hommes soient idiots!… Et quand on pense que depuis huit jours je passe ma vie à la Morgue!…

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Godefroy de Georges Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105200282
Tramway, près du Luxembourg : photographie d’ Atget, 1898. Source : BnF/Gallica

Saynète de 1897,  qui se déroule dans un tramway. La trame est identique à la saynète intitulée Sigismond qui se déroule, elle, dans un salon.
Un fils accompagne sa mère à une visite et porte les pétunias qu’ils vont offrir. Il souffre du comportement de sa mère qui le ridiculise dans le tramway.
Distribution :  2 hommes et 2 femmes (et figurants)

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Cette scène a marqué Jean Dutour, qui dans l’ouverture de la séance publique annuelle de l’Académie Française, le 30 novembre 1989 commence ainsi son discours sur l’imparfait du subjonctif :

« Longtemps j’ai eu, à l’égard de l’imparfait du subjonctif, des sentiments filiaux, c’est-à-dire que je lui étais très attaché, mais que je n’avais pas envie d’être vu en sa compagnie. J’étais semblable au jeune Godefroy de Courteline, assis dans l’omnibus, serrant contre lui un pétunia, et que Mme Poisvert, sa maman, apostrophe sans arrêt de l’autre bout de la voiture sous le regard attendri de l’opinion publique. La bonne dame, qui n’a pas de respect humain, finit par lui demander s’il a pensé à changer de chaussettes. « J’aime bien maman, songe Godefroy avec désespoir, mais crénom qu’elle est agaçante ! »

Il est dur pour un jeune écrivain français de traîner avec soi, dans tous les omnibus où la vie nous oblige à monter, ce fichu imparfait du subjonctif qui attire l’attention amusée ou moqueuse des voyageurs. L’imparfait du subjonctif est d’un autre âge. Il n’a pas le costume de notre temps. Il a une façon d’être lui-même, sans discrétion, avec un naturel que l’on pouvait trouver charmant jadis, mais qui paraît aujourd’hui le comble de la pose. Se faire remarquer est la torture des enfants bien élevés, et encore plus des enfants mal élevés. Car c’est être mal élevé, et même manquer d’âme, que d’avoir honte de quelqu’un que l’on aime devant des gens qui vous sont indifférents. »

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

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