5 actes

Pièce en cinq actes

Le Misanthrope de Molière

Comédie en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois le 4 juin 1666 sur la scène du Palais-Royal. Editée en 1667.
Distribution : 8 hommes, 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Alceste ne supporte pas l’hypocrisie de la vie en société mais il aime, contre tous ses principes, la futile et médisante Célimène alors qu’il est aimé d’Arsinoé et d’Eliante. Alceste se rend chez Célimène, accompagné de son ami Philinte auquel il reproche ses complaisances. Il souhaite que Célimène se déclare publiquement en sa faveur, mais plusieurs importuns vont retarder la discussion : Oronte,  gentilhomme vaniteux persuadé d’être un grand poète, deux marquis intronisés à la cour, Éliante, la cousine de Célimène, et Arsinoé qui vient la mettre en garde contre des rumeurs circulant à son propos.

La création

Extrait du dossier La pièce en images, parcours  à travers les collections iconographiques de la Comédie-Française présentées au sein de la base La Grange sur le site de la Comédie-Française

« Le Misanthrope fut créé le 4 juin 1666 par la troupe de Molière au Théâtre du Palais-Royal. Molière en aurait lu le premier acte dès 1664 mais ne put l’achever, occupé successivement par les créations du Mariage forcé, de La Princesse d’Élide et de la première version du Tartuffe pour les « Plaisir de l’Île enchantée », puis par celle du Festin de Pierre, de L’Amour médecin, sans compter les remaniements du Tartuffe à la suite de son interdiction. Le Misanthrope prenait la suite des petites comédies de salon qui avaient eu tant de succès en 1663, La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Versailles. Le succès de la pièce fut réel (des recettes élevées aux deux premières représentations) mais de courte durée (la recette tomba rapidement). Sa réception connue par deux témoignages de gazettes concurrentes, souligna son caractère moral et donc la respectabilité de son auteur sur lequel pesait l’interdiction du Tartuffe. Molière créa Alceste, Armande Béjart Célimène.  »


Illustrations

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105203536
Costume d’Alceste par Marcel Mültzer. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105203536
Maquette du costume d’Alceste par Marcel Mültzer.  Source : BnF/Gallica     
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90067292/f1.item
Costume de Mademoiselle Mars (Célimène). Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9006757c/f1.item
Costume de Mademoiselle Mars (Célimène) / gravé par Maleuvre. Source : BnF/Gallica
http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/pierre-quentin-chedel_le-misantrope_eau-forte?force-download=929491
Par Pierre Quentin Chedel, d’après François Boucher. Source RMN-Musée du Louvre/Tony Querrec
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438565f/f1.item.zoom
Acte V, scène 8. Estampe de Célestin Nanteuil et Auguste Trichon. Source : BnF/Gallica
http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/therese-le-prat_pierre-bertin-dans-le-misanthrope-de-moliere_epreuve-sur-papier-baryte_epreuve-argentique_1954?force-download=425966
Pierre Bertin dans « Le Misanthrope » de Molière. (C) RMN-Grand Palais. Source : RMN

Le Misanthrope sur le site de l’INA

  • Adaptation de la pièce Le Misanthrope de Molière par Pierre Dux en 1971. La scène des portraits (II,4)

« Le personnage d’Alceste a fait l’objet de diverses interprétations. Pierre Dux, qui a réalisé plusieurs mises en scène classiques du Misanthrope, l’éclaire ici sous un jour bien précis : Alceste est un sauvage qui hait la société parce qu’elle ne lui permet pas de réaliser son amour. Au début de la scène 4 de l’acte II, il conjure, il ordonne à Célimène de se déclarer publiquement. Dans l’extrait, Célimène brille par son esprit satirique devant toute sa cour de soupirants, et finit par donner tort à Alceste.
Dans un décor d’époque assez chargé, Pierre Dux illustre l’échec du misanthrope (Jean Rochefort), qui s’exclut en refusant la comédie sociale dans laquelle donnent tous les courtisans. Le genre de la comédie est mis en abyme à travers le personnage talentueux de Célimène (Marie-Christine Barrault). Comédienne née, elle imite ses semblables à la perfection, en usant de toute la palette du jeu théâtral – phrase laissée en suspens, grimaces, œillades, gestes de la main – pour s’attacher les faveurs de son auditoire et railler le monde. »
Lien vers le site de l’INA

  • Mise en scène de Pierre Dux, réalisation Jean-Paul Carrère, avec les comédiens de la Comédie-Française, 14 septembre 1977. Lien vers le site de l’INA
  • Mise en scène par Antoine Vitez en 1988 au Théâtre National de Chaillot
    Lorsqu’il met en scène la pièce en 1988 au Théâtre National de Chaillot, dix ans après une première mise en scène créée en Avignon, Antoine Vitez s’intéresse avant tout aux résonnances les plus graves de la pièce et la lit comme une pièce autobiographique qui rendrait compte des tourments de Molière. Des deux traditions qu’il distingue pour l’interprétation du Misanthrope, la comique et la tragique, c’est donc bien la seconde qu’il choisit, donnant à voir un spectacle aux accents raciniens. Lien vers le site de l’INA
  • Reportage télévisé sur la mise en scène de Simon Eine à la Comédie-Française en janvier 1996. Lien vers le site de l’INA
  • Reportage télévisé sur la mise en scène de Jean Pierre Miquel,  au Théâtre du Vieux Colombier, en janvier 2000. Lien vers le site de l’INA 

Dossiers pédagogiques

Dossier pédagogique, mise en scène de Clément Hervieu-Léger, 2013-2014, sur le site de la Comédie-Française

Le Misanthrope, la pièce en images, parcours  à travers les collections iconographiques de la Comédie-Française présentées au sein de la base La Grange sur le site de la Comédie-Française

Dossier pédagogique, mise en scène de Lukas Hemleb, du 26 mai au 20 juillet 2007, sur le site de la Comédie-Française

Dossier Pièce (dé)montée à propos de la  mise en scène de Lukas Hemleb, n°29 – novembre 2007, dossier rédigé par Marine Jubin et édité par le CRDP de l’académie de Paris. Dossier à télécharger sur le site du réseau Canopé

Dossier pédagogique du TNS, mise en scène de Stéphane Braunschweig, 2003-2004, sur le site de l’académie Aix-Marseille

Dossier  Collège au théâtre Saison 2013/2014 Fiche pédagogique n°3 sur le site de l’Association Bourguignonne Culturelle

Dossier de l’Odéon mise en scène Jean-François Sivadier, 29 mai – 22 juin 2013, sur le site du théâtre


Michel Pauper de Henry Becque

Drame en cinq actes et sept tableaux, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin le 17 juin 1870.
Distribution : 9 hommes, 4 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

M de la Roseraye, un industriel, exploite les découvertes de Michel Pauper, un simple ouvrier, chimiste  autodidacte un peu frustre, qui boit pour se donner du courage. Michel tombe amoureux d’Hélène la fille de l’industriel et la demande en mariage. Mais celle-ci, romantique et exaltée, s’est éprise du  comte de Rivailles, un jeune homme cynique et amoral, qui ne veut pas l’épouser.  M. de la Roseraye apprend qu’il est ruiné et se suicide.  Michel transformé par sa rencontre avec Hélène ne boit plus, se consacre à son travail et dirige une fabrique. Mme De la Roseraye apprécie son intelligence et sa bonté, mais il est toujours méprisé par sa fille. Hélène révèle à l’oncle du comte de Rivailles que celui-ci a abusée d’elle. Le vieil oncle lui propose de l’épouser. Poussée par sa mère, Hélène épouse Michel, qui est devenu un patron héroïque et très respecté. Il a de plus fait une extraordinaire découverte. Le soir de ses noces, Hélène lui avoue qu’elle a aimé avant lui. Dévasté, Michel est pris d’un accès de violence. Hélène s’enfuit et se réfugie chez le comte. Michel retombe dans la boisson et sombre dans la folie.

« Lorsque j’ai écrit Michel Pauper, j’ai rassemblé autour d’une intrigue romanesque tout ce que le socialisme d’alors comportait de revendications…. » Extraits des Souvenirs d’un auteur dramatique, par Henry Becque (Source : Gallica)

La création de Michel Pauper

« Michel Pauper fut d’abord présenté par Becque à la Comédie-Française, mais les membres du comité trouvèrent que la pièce dépassait les bornes fixées par eux à la fantaisie. Accepté à l’Odéon, M. Ghilly, le directeur de ce théâtre, mettait le manuscrit dans un tiroir et ne pensait plus à le faire jouer. Becque qui commençait déjà à avoir une âme processive, l’assigna bientôt devant les tribunaux, parce que selon lui, les théâtres subventionnés devaient jouer les jeunes de préférence. Il estimait Michel Pauper digne de n’importe quel théâtre de Paris. Le procès commenté par tous les journaux, avait éveillé la curiosité du public. Les juges ne lui ayant pas donné raison, Becque comprit qu’il fallait faire appel devant son vrai juge, l’opinion publique.  Au début de 1870, il retira sa pièce de l’Odéon et se mit à la recherche d’un théâtre disponible. M. Raphaël Félix, directeur de la Porte-Saint-Martin, était allé en Angleterre pour placer des actions de son théâtre. Becque lui écrivit pour lui demander sa scène. M. Félix lui envoya une réponse favorable et appuya le lancement de ses actions en Angleterre, en faisant valoir dans la presse que son théâtre n’était jamais forcé de fermer ses portes même en été. En effet, on était a fin de saison. Les théâtres approchaient de leur clôture annuelle. Il faisait chaud. Cela n’empêcha pas Becque de pousser jusqu’au bout le plan qu’il avait entamé. Le théâtre loué, il fallait maintenant recruter des interprètes. (…)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5450300c/f1.item
Le Théâtre illustré, n°78, 1870. Source : BnF/Gallica

Le publie goûta la pièce. Il y eut des applaudissements et quelques sourires ironiques; mais la représentation fut incontestablement un succès. Tous les critiques furent unanimes à le dire.  La presse fut bonne. Sarcey, parlant dans Le Temps de la scène du quatrième acte entre Michel et Hélène disait : « On n’écrit pas de ces scènes-là sans être né pour le théâtre. (…) Malgré  ce succès de première, nous lisons dans Le Gaulois huit jours plus tard, le 26 juin 1870 : « Les recettes de Michel Pauper deviennent de plus en plus insignifiantes, et M. Becque va être obligé de retirer sa pièce de l’affiche à cause de l’impossibilité où il se trouve de payer son cachet quotidien de cent cinquante francs à son principal interprète M. Taillade. »Il faisait trop chaud. On préférait l’air frais de la campagne à l’atmosphère étouffante du théâtre. Malheureusement on était en plein été. Et puis, ce Paris que Michel Pauper s’efforçait d’attirer était un Paris nerveux et fiévreux, entièrement pris dans les terribles préoccupations politiques  de l’heure. (…) Dix-neuf jours après la première, Becque à bout de courage, prenait une résolution désespérée ; il ordonnait de ne plus poser les affiches. Le lendemain, 8 juillet, il partait avec son héroïne pour Trouville. C’est là qu’ils apprirent que la France venait de déclarer la guerre à la Prusse. » Source : Eric Allen Dawson, Henry Becque, sa vie et son théâtre, 1923 sur archive.org.

Texte d’Octave Mirbeau

Paru dans Gil Blas du 28 décembre 1886, à propos des représentations au Théâtre de l’Odéon de Michel Pauper. (Source  : BnF/Gallica)
Entr’acte
Dans un couloir :
Deux littérateurs, très célèbres, très décorés, se sont rencontrés. Ils causent, adossés au mur, les mains dans les poches.
— Que pensez-vous de Michel Pauper ?
— Vous savez, moi, je ne transige pas… Je suis pour le théâtre nouveau… La convention, ne me parlez pas de la convention ! Dans une pièce, je cherche l’humanité – l’humanité scénique, l’humanité-théâtre, bien entendu ; – mais enfin l’humanité. Les ficelles, les éternelles rengaines, les vieux colonels, tout le guignol démantibulé et poussiéreux de Scribe, de Sardou, je n’en veux pas… Je n’en veux pas!… Des caractères vrais, de la psychologie curieuse, des notations hardies, de grands cris poussés des entrailles même de la vie, voilà ce que je comprends, ce que j’aime. Je suis de mon temps.
— Alors, vous aimez Michel Pauper ?
— Je vais vous dire. Eh bien, non, je n’aime pas Michel Pauper. Et savez-vous pourquoi je ne l’aime pas, votre Michel Pauper ? Parce que, dans la pièce de M. Becque, il n’y a pas un seul personnage à qui je puisse m’intéresser, disons le mot, un seul personnage sympathique, sympathique ! Saisissez-vous bien ? Or, au théâtre, tout est là ! Il faut que je puisse m’intéresser à un personnage, et ce personnage ne sera intéressant qu’autant qu’il sera sympathique; il ne sera sympathique qu’autant qu’il sera intéressant. Je vous défie de sortir de ce dilemne.
— Mais qu’appelez-vous un personnage sympathique ?
— Un personnage sympathique est un personnage jeune, riche, noble, beau, doué de toutes les vertus qui, durant quatre actes, accomplit des actions prodigieuses, et épouse, au cinquième acte, une jeune fille belle et pauvre, qui a commis une faute, malgré elle. Je vais même plus loin… venez ! Il est question dans Michel Pauper d’un sergent-fourrier, qui se fait entretenir par les femmes. On s’est indigné et on a eu raison. Ces choses-là sont répugnantes, au double point de vue de la morale et du patriotisme. Et puis quoi !… Un simple sergent-fourrier, cela manque d’ampleur ! Au théâtre, l’intérêt ne commence véritablement qu’au sous-lieutenant. Mais soit !. Acceptons ce fourrier ! Alors ne dites pas qu’il est entretenu par des femmes. Vous en faites un personnage repoussant. Si M. Becque connaissait le théâtre, le vrai théâtre, il eût mis un correctif, une compensation, ce que nous autres, écrivains consciencieux, qui respectons le public, appelons une soupape. Il eût expliqué que son sergent recevait de l’argent des femmes, pour venir en aide à sa mère pauvre, par exemple, ou à sa sœur mourante. Il eût fait entrer dans cette action vilaine, l’idée sublime, consolante, d’un sacrifice, d’un dévouement. De cette façon, le fourrier devenait sympathique, sym—pa—thi—que, tout en restant odieux. Et la salle entière applaudissait, au lieu de protester. Qu’est-ce que ça lui coûtait à M. Becque ? Rien du tout. Mais, voilà, comme tous les jeunes gens d’aujourd’hui, il veut épater le public au détriment de la justice et de la vérité.
— Cependant.
— Pas de cependant, mon cher, ce que je dis là est inflexible. Nous avons des règles dramatiques, que diable!. Le fourrier de M. Becque est-il théâtre ? Non. — Mon fourrier l’est-il ? Oui…
Toute la question est là ! C’est comme son ouvrier, il est absolument raté, c’est évident. Observez, je vous prie, que je ne parle même pas de l’inconvenance qu’il y a à mettre en scène des passions basses, des habitudes pénibles, des maladies morales répulsives… J’accorde que M. Becque en a le droit. Vous voyez jusqu’où je pousse la complaisance. Mais son ouvrier ! Un ouvrier qui a du génie et qui se grise ? Franchement, est-ce humain ? est-ce psychologique ? Je dirai plus… Est-ce bien social ? De deux choses l’une. Ou son ouvrier a du génie et, dans ce cas, il est clair qu’il ne doit pas se griser. Ou il se grise et, dès lors, il n’a pas de génie. Non, mais demander aux physiologistes, aux médecins, aux…
— Pourtant, Edgar Poe.
— Vous me parlez d’un Américain !…
— Et cet ouvrier qui, perd la mémoire au point de ne pas reconnaître sa propre femme !… Vous trouvez cela possible, vous  ?… C’est senti, ça ?… C’est scientifique  ?… C’est théâtre ?… Allons, allons il faut rire…
— Pourtant, Baudelaire….
— Baudelaire!… Baudelaire  !… D’abord, il n’était pas marié. Et puis, quoi !…Baudelaire était un poète, une espèce de fou que personne jamais ne put comprendre. On m’a conté qu’un jour Baudelaire, passant devant une glace, se vit, ne se reconnut pas et se salua en disant  : «  Bonjour, monsieur,…  » C’est absurde!… Dans ces conditions que devient la pièce de M. Becque ?… C’est bien simple, il n’y a plus de pièce. il n’y a plus rien !… Toutes ces violences, toutes ces outrances, c’est très joli, mais ça ne tient pas, devant le raisonnement  !…
— Vous disiez qu’il vous fallait de l’humanité au théâtre?
— Sans doute, il me faut de l’humanité. Mais est-ce que l’humanité est incompatible avec les idées que je viens de vous exposer  ? Je veux de l’humanité certainement, de l’humanité qui s’adapte à l’état d’un monsieur, qui sort de table, va passer quelques heures au théâtre, et entend y digérer béatement, sans secousses violentes. Voilà Augier, le grand Emile Augier !… Toutes ses pièces sont remplies de personnages sympathiques. Quand on assiste à une comédie d’Augier, on se sent meilleur, positivement. On est remué doucement… on aime la vertu, l’héroïsme, le sacrifice, on voudrait se dévouer  ; on demande à épouser tout de suite une jeune fille pauvre  ; à réparer des fautes anciennes. (…) Enfin le théâtre, c’est ça !
M Becque lui, a des mots terribles, des motifs qui troublent, qui vous forcent à penser, à réfléchir, qui ouvrent, tout d’un coup, sur les caractères, des gouffres abominables… Avec lui, je ne me sens pas à l’aise ; il me secoue violemment sur mon fauteuil, me prend à la gorge, me crie : «  Regarde-toi dans ce personnage. Voilà pourtant comment vous êtes faits, tous ! » Est-ce humain, je vous le demande ?.… Il a des raccourcis qui terrifient, des sensations impitoyables sur les êtres et sur les choses, il vous oblige à descendre avec lui dans le mystère de la vie profonde. Eh bien, non !… Je viens au théâtre, moi, pour m’amuser discrètement, dormir, si j’ai cette envie, être réjoui par une jolie femme qui passe, en maillot rose, les jupes bouffantes, les bras nus, ou par une belle toilette, ou par un beau décor… Je veux pouvoir, au besoin, m’instruire de ce qui se dit sur la scène, et me contenter de spectacles plastiques ; je veux oublier les réalités, consoler mes yeux avec d’éblouissantes lumières, mon esprit avec une littérature tranquille qui coule, gentiment, toujours pareille, comme l’eau d’une fontaine ; je veux rire à un calembour, à une bonne farce, si ma rate est en humeur de se désopiler. Avec M. Becque, on ne peut pas ! Il s’accroche, ce diable d’homme, à un pan quelconque de votre être, vous entraîne avec lui, vous commande de l’écouter, et ne vous lâche que quand il a fini de parler. Avec cela que ce sont choses agréables à entendre, car, qui que vous soyez, homme ou femme, bourgeois ou noble, avocat, notaire, ou mari, chacun est assuré de recevoir son paquet  ! Les Corbeaux, la Parisienne, je sais des gens qui s’exaltent à ces pièces, ils osent même prononcer le mot de chefs-d’œuvre  !… Voulez-vous mon opinion nette, carrée, sur M. Becque  ?… Il existe des gens peu délicats qui, ayant été invités à dîner en ville, vont ensuite raconter ce qui s’est dit, ce qui s’est passé devant eux. Eh bien, on dirait que M. Becque a été invité à dîner chez l’humanité, que celle-ci lui a confié bien des secrets, et qu’il les raconte au public. C’est de l’indiscrétion. D’ailleurs, je vous avoue que je ne suis pas sans inquiétude sur l’avenir de notre théâtre. On y voit maintenant des pièces fort étranges, dont les tendances sont les plus déplorables du monde. Nous allons au gâchis littéraire, à l’anarchie dramatique. Les dieux vénérables, gardiens du goût et de la tradition, vacillent et s’effarent sur leurs piédouches de marbre ; et le Barbare est là qui les menace. Quand on pense que Shakespeare a ses entrées, libres dans nos coulisses, Shake peare, ce fou, cet épileptique, n’est-ce point à faire frémir, n’est-ce point une vraie honte nationale ? Où sont les vaudevilles joyeux d’autrefois, où pétillait la mousse des vins de France  !… Maintenant tout semble sombrer dans l’alcoolisme du gin. La Cagnotte, quel chef-d’œuvre  ! Hamlet  ! quelle farce lugubre  !

Une curiosité : adaptation pour le cinéma par les Frères Pathé, en 1915, Un pauvre homme de génie, réalisé par  Henry Krauss.

Lien vers la Biographie de Henry Becque sur Libre Théâtre
Lien vers le Théâtre de Henry Becque sur Libre Théâtre


Publication aux Editions La Comédiathèque

Michel Pauper, c’est l’histoire tragique d’un ouvrier chimiste autodidacte, devenu le patron respecté d’une fabrique et un scientifique de génie. Son amour éperdu pour une jeune aristocrate romantique et orgueilleuse sera le moteur de son ascension mais aussi la cause de sa déchéance.

« Lorsque j’ai écrit Michel Pauper, j’ai rassemblé autour d’une intrigue romanesque tout ce que le socialisme d’alors comportait de revendications » écrit Henry Becque dans ses Souvenirs d’un auteur dramatique. Loin des caricatures sociales, la complexité des sentiments des personnages est explorée à travers une succession de scènes tendres ou cruelles.

ISBN 9782377050796
Février 2017
68 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 9,90 €

Disponible chez votre libraire ou en ligne sur les sites suivants :

Lorenzaccio d’Alfred de Musset

Drame romantique en cinq actes et en prose, écrit par Alfred de Musset, sur une idée de George Sand. Il est publié en 1834 dans le premier tome de la seconde livraison d’Un Spectacle dans un fauteuil et représenté pour la première fois le 3 décembre 1896.
Distribution : 30 hommes, 4 femmes (69 personnages nommés, plus des figurants)
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Florence, janvier 1537. Lorenzo, un jeune idéaliste, veut renverser son cousin Alexandre de Médicis, qui règne en tyran sur Florence, et favoriser la restauration de la république. Afin d’être au plus près d’Alexandre, Lorenzo s’est transformé en débauché. Parallèlement, deux autres intrigues sont développées : la marquise Cibo, espionnée par son beau-frère le cardinal Cibo, est courtisée par Alexandre et souhaite influencer sa politique. Côté républicain, les familles sont bannies et essaient vainement de s’organiser ; les Strozzi luttent pour préserver l’honneur de la fille de la famille, Louise.

Lorenzo assassine son cousin, de manière solitaire, mais échoue à déclencher une révolte du côté des républicains. Sa tête est mise à prix et il sera à son tour assassiné.

Le contexte de création de la pièce

Georges Sand s’est la première emparée du sujet de la conspiration républicaine de 1537 contre Alexandre de Médicis, offrant une étonnante résonance avec la situation politique en France : la Monarchie de Juillet et la déception liée à l’investiture de Louis-Philippe au trône du roi de France. Elle confie à Alfred de Musset son manuscrit inachevé, en 1833. Musset décide de faire de Lorenzo le personnage principal du drame et crée une multitude de personnages, apportant tous un éclairage singulier sur les enjeux privés et politiques de cette conspiration. Il puise de nombreux détails historiques dans les Chroniques florentines , rédigées  par Benedetto Varchi à la demande du duc Côme de Médicis. Lorenzaccio est publié en août 1834. La pièce n’est pas au départ destinée à la scène : elle est publiée dans la Revue des Deux mondes, dans le volume Spectacle pour un fauteuil. Alfred de Musset s’émancipe de fait des codes théâtraux de l’époque, en développant plusieurs intrigues et enchaînant des scènes qui se déroulent dans des lieux très différents (39 tableaux, dans 25 lieux scéniques de Florence à Venise, devant une église, dans une chambre…).  En destinant ce texte à la lecture et non pas à la représentation, Musset évite également d’être directement soumis à la censure.

Quelques illustrations de mises en scène

La création en 1896 avec Sarah Bernhardt

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9016289w/f1.item
Affiche de Mucha. Source : BnF
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387869/f1.item
Sarah Bernhardt Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84060569/f1.item
Article de presse. Source BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84060569/f2.item
Scène de l’acte I. Source BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84060569/f4.item
Le meurtre du duc. Acte V.  Source BnF/Gallica

Mise en scène de Gaston Baty au Théâtre Montparnasse en 1945

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105207278/f39.item
Lorenzaccio, mise en scène de Gaston Baty, 1945. Source : BnF/ Gallica

Mise en scène de Jean Vilar en 1953 au TNP

Gérard Philipe, dans le rôle  »Lorenzaccio », avec  Jean Vilar. 19 février 1953

Emission le Théâtre et l’Université : débat avec Gérard PHILIPE et Jean VILAR sur la mise en scène. – 28’30 (extrait gratuit sur le site web de l’INA)


Mise en scène par Franco Zeffirelli à la Comédie Française en 1976

L’acteur Claude Rich interprète le rôle de Lorenzo de Medicis. Photo by Keystone-France\Gamma-Rapho via Getty Images


Mise en scène de Daniel Mesguich en 1986

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90026586/f37.item
Lorenzaccio / mise en scène de Daniel Mesguich. – Saint-Denis : Théâtre Gérard Philipe, 10-01-1986. Source : BnF/Gallica

Mises en scène  en 1989

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9060403k
Lorenzaccio / mise en scène de Francis Huster. – Paris : Théâtre du Rond-Point, 21-03-1989. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90623293/f21.item
Lorenzaccio / mise en scène de Georges Lavaudant. – Paris : Comédie-Française, 21-10-1989. Source : BnF/Gallica


Mise en scène de Jean-Pierre Vincent en 2000 à Avignon

Reportage sur la mise en scène de Lorenzaccio de Musset par Jean-Pierre Vincent présenté dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes lors du Festival d’Avignon en 2000. Vue des répétitions et interview de Jérôme Kircher et de Jean-Pierre Vincent.  sur le site de l’INA


Dossiers pédagogiques

Mettre en scène Lorenzaccio,  l’exemple des trois mises en scène de la Comédie-Française, par Frédérique Plain. Superbe dossier à télécharger sur le site de la Comédie-Française.

Mise en scène de Catherine Marnas, 2015, Dossier du TNBA, réalisé par Tatiana LISTA, chargée des programmes pédagogiques pour la Comédie de Genève, lien vers le téléchargement du dossier

Parcours de personnage : Lorenzaccio de Musset. Une séquence de six séances pour comprendre ce qui se cache derrière la figure ambivalente de Lorenzaccio. Lien vers le dossier sur le site de l’Académie de Lille

Dossier extrêmement complet de M. Salomé, Lycée La Colinière – Nantes, sur Lorenzaccio. Lien vers le site dédié

Dossier Présence de la littérature sur Canopé. Lien vers le dossier

Mise en scène Claudia Stavisky, mars 2012, au Théâtre des Célestins. Lien vers le site des Célestins.

Mise en scène par la Compagnie  L’exploitation Théâtre. Lien vers le dossier pédagogique.

Quelques études

Ubersfeld Anne. Vilar et le théâtre de l’histoire. In: Romantisme, 1998, n°102. Sur les scènes du XXème siècle. pp. 17-25.  Persée

Ubersfeld Anne. Révolution et topique de la Cité : Lorenzaccio. In: Littérature, n°24, 1976. pp. 40-50.Lien vers l’article sur  Persée

Mazaleyrat Jean. Syntaxe et stylistique de l’interrogation dans un dialogue de théâtre (Lorenzaccio, II, 3). In: L’Information Grammaticale, N. 48, 1991. pp. 25-28.  Lien vers l’article sur Persée


Lien vers le Théâtre de Musset sur Libre Théâtre 

Lien vers la Biographie d’Alfred de Musset sur Libre Théâtre

Ubu Roi d’Alfred Jarry

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6332679t
Illustration de l’Édition du Mercure de France, 1896. Source : BnF/gallica

Comédie en cinq actes publiée le 25 avril 1896 dans la revue de Paul Fort Le Livre d’art et représentée pour la première fois le 10 décembre 1896 par la troupe du Théâtre de l’Œuvre au Nouveau-Théâtre. Il s’agit de la première pièce du cycle Ubu.
Distribution : 18 hommes, 2 femmes (possibilité de faire jouer plusieurs rôles par les mêmes comédiens)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Influencé par sa femme, le père Ubu assassine le roi Venceslas de Pologne et prend le pouvoir. Le prince Bougrelas réussit à s’enfuir. Ubu fait tuer les nobles , les magistrats, les financiers  et arrête le capitaine Bordure qui l’a aidé dans le coup d’état. La Mère Ubu essaye de s’emparer du trésor des rois de Pologne mais est chassée par une révolte menée par Bougrelas. Pendant ce temps, le Père Ubu part combattre en Ukraine. Il retrouve la mère Ubu. Ils sont tous deux contraints de s’enfuir en bateau et partent pour la France

Genèse de la création

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6332679t
Illustration de l’Édition du Mercure de France, 1896. Source : BnF/Gallica

Le personnage d’Ubu est inspiré de Félix Hébert, professeur de physique au lycée de Rennes où Alfred Jarry étudie. Surnommé P.H., Père Heb, il est chahuté. Les lycéens écrivent depuis plusieurs années une chronique dont il est le héros ridicule. Dans l’un des épisodes, rédigé vers 1885 par  Charles Morin et intitulé Les Polonais, il est roi de Pologne. Jarry adapte ce texte en comédie et la représente avec les marionnettes du « Théâtre des Phynances » à partir de décembre 1888 dans le grenier de la famille Morin, puis à partir 1890 dans l’appartement des Jarry.

La pièce est créée le 10 décembre 1896 au Nouveau-Théâtre à Paris avec Firmin Gémier et Louise France. Le soir de la première,  Jarry lit un discours introductif d’une voix quasiment inaudible des spectateurs, où il annonce que l’action se passe « en Pologne, c’est-à-dire nulle part ». La pièce fait scandale.

Le personnage d’Ubu, né d’une farce de collégien, a occupé Alfred Jarry toute sa vie au point qu’il a fini par s’identifier à son héros.


Quelques mises en scène

Mise en scène et adaptée pour la télévision par Jean-Christophe Averty, 1965

avec Jean-Bouise et Rosy Varte.

Mise en scène par Monique Creteur à Nantes, 1974

Par le Petit Théâtre de Marionnettes de Nantes, dirigé par Monique Creteur.
Pendant des semaines, une équipe de passionnés a peint, collé, confectionné ces 120 silhouettes : de véritables mannequins de 80 cm à 1, 20 m, à tige, actionnées par 11 personnes. Spectacle et reportage consacré à la fabrication des marionnettes. (Disponible sur Madelen)

Mise en scène de Peter Brook au Théatre des Bouffes du Nord en  1978

Lien vers des photos du spectacle sur le site des archives Nicolas Treatt 

Mise en scène d’Antoine Vitez au Théâtre de Chaillot en mai 1985

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9002174k/f2.item
Ubu roi. Mise en scène de Antoine Vitez : photographies / Daniel Cande. Source : BnF/Gallica

Mise en scène de Roland Topor au Théâtre national de Chaillot, en mai 1992

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90652874/f12.item
Mise en scène de Roland Topor. Photographie : Daniel Cande. Source : BnF/Gallica


Mise en scène de Bernard Sobel, à Avignon en juillet 2001

Reportage sur le site de l’INA. Au festival d’Avignon représentation de la pièce Ubu roi qui se joue au lycée Saint Joseph dans une mise en scène par Bernard Sobel et dont le rôle principal est tenu par Denis Lavant. Extrait du spectacle joué, interviews de Bernard Sobel et Denis Lavant.

Mise en scène de Jean-Pierre Vincent à la Comédie-Française, 2009

Lien vers le dossier de presse sur le site de la Comédie-Française

Mise en scène d’Antonio Diaz-Florian au Théâtre de l’Épée de Bois, 2016

ubu-roi-web

La pochade d’Alfred Jarry est ici épurée pour en faire ressortir la dimension politique et esthétique. Cinq comédiens seulement interprètent tour à tour les innombrables personnages de cette comédie, et les extravagants décors de la pièce (palais royal, champs de bataille, grotte, navire…) sont suggérés en ombres chinoises derrière un drap blanc. Une poésie cruelle naît de cette atmosphère à la fois enfantine et bouffonne.

Lien vers le spectacle

Torquemada de Victor Hugo

Drame en cinq actes et en vers, écrit en 1869, publié en 1882. Jamais représenté du vivant de l’auteur.
Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition des œuvres complètes, édition Hetzel, tome V, disponible sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37464m.
Distribution : 12 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

En Espagne, au XVe siècle, sous le règne de Ferdinand d’Aragon. Torquemada, un moine qui croit avoir trouvé le moyen de sauver l’humanité pécheresse par le feu, est condamné par le roi, pour son hérésie, à être enterré vivant. Il est sauvé par doña Rose et don Sanche, qui ouvre sa tombe grâce à une croix dont il se sert comme d’un levier. Soutenu ensuite par le pape Alexandre Borgia, Torquemada devient grand inquisiteur et met l’Espagne à feu et à sang. Il conduit le roi à organiser de grands bûchers pour brûler les hérétiques  et à expulser les Juifs d’Espagne.

Désireux de rendre leur bienfait à ses anciens sauveurs, Torquemada délivre Don Sanche et doña Rose, que le roi, pour empêcher leur mariage, avait condamnés au couvent. Mais apprenant par hasard le péché qu’ils ont commis en le délivrant – la croix arrachée – il décide de sauver leur âme… en les brûlant.

Une pièce sur le fanatisme religieux.

Extraits

Première partie. Acte II, Scène 2 : rencontre entre Torquemada et François de Paule

François de Paulese levant, et posant un doigt sur la tête de mort.
Voici ma sphère à moi..
Ce reste du destin qui naufrage et qui sombre,
La méditation de cette énigme, l’ombre
Que fait l’éternité sur ce néant pensif,
Ce crâne hors du gouffre humain, comme un récif,
Ces dents qui gardent, comme en leur aube première,
Le rire, après que l’œil a perdu la lumière,
Ce masque affreux que tous nous avons sous nos fronts,
Cette larve qui sait ce que nous ignorons,
Ce débris renseigné sur la fin inconnue,
Oui, sous ce froid regard sentir mon âme nue,
Penser, songer, vieillir, vivre de moins en moins,
Avec ces deux trous noirs et fixes pour témoins,
Prier, et contempler ce rien, cette poussière,
Ce silence, attentifs dans l’ombre à ma prière,
Voilà tout ce que j’ai ; c’est assez.

(…)                L’homme est sur terre
Pour tout aimer. Il est le frère, il est l’ami.
Il doit savoir pourquoi, s’il tue une fourmi.
Dieu de l’esprit humain a fait une aile ouverte
Sur la création, et, sous la branche verte,
Dans l’herbe, dans la mer, dans l’onde et dans le vent,
L’homme ne doit proscrire aucun être vivant.
Au peuple un travail libre, à l’oiseau le bocage,
À tous la paix. Jamais de chaîne. Point de cage.
Si l’homme est un bourreau, Dieu n’est plus qu’un tyran.
L’évangile a la croix, le glaive est au koran.
Résolvons tout le mal, tout le deuil, toute l’ombre,
En bénédiction sur cette terre sombre.
Qui frappe peut errer. Ne frappons jamais. Fils,
Hélas, les échafauds sont d’effrayants défis.
Laissons la mort à Dieu. Se servir de la tombe!
Quelle audace! L’enfant, la femme, la colombe,
La fleur, le fruit, tout est sacré, tout est béni,
Et je sens remuer en moi cet infini
Quand, jour et nuit, rêveur, du haut de cette cime,
Je répands la prière immense dans l’abîme.
Quant au pape, il est pape, il faut le vénérer.
Fils, toujours pardonner et toujours espérer,
Ne rien frapper, ne point prononcer de sentence,
Si l’on voit une faute en faire pénitence,
Prier, croire, adorer — c’est la loi. C’est ma loi.
Qui l’observe est sauvé.

Dans la scène suivante, un chasseur se mêle à la conversation.

Le Chasseur
Par ma foi, tous mes joueurs de luth
Ne m’amuseraient pas, fils, plus que vous ne faites.
Je viens de vous entendre avec plaisir. Vous êtes
Deux idiots. J’étais en bas, et je chassais.
J’ai planté là les chiens, les pièges, les lacets,
Et j’ai dit : Allons donc là-haut voir ce bonhomme.
J’arrive. Ah ! vous m’avez diverti ! Mais, en somme,
Vivre, ce serait fort ennuyeux, si c’était
Ce que vous dites.
Il avance, croise les bras, et les regarde en face.
Dieu — s’il existe, il se tait,—
Certes, en faisant l’homme, a fait un sot chef-d’œuvre.
Mais la progression du ver à la couleuvre,
Du serpent au dragon, du dragon à Satan,
C’est beau.
Il fait un pas vers Torquemada.
Torquemada, je te connais. Va-t’en.
Retourne en ton pays. J’ai reçu ta demande.
Je te l’accorde. Va, fils. Ton idée est grande.
J’en ris. Rentre en Espagne et fais ce que tu veux.
Je donne tous les biens des juifs à mes neveux.
Fils, vous vous demandiez pourquoi l’homme est sur terre.
Moi, je vais en deux mots le dire. À quoi bon taire
La vérité ? Jouir, c’est vivre. Amis, je vois
Hors de ce monde rien, et dans ce monde moi.
Chacun voit un mot luire à travers tous les prismes.
À François de Paule.
Toi, c’est prier; moi, c’est jouir.
Torquemada, regardant alternativement François de Paule et le chasseur.
Deux égoïsmes.
Le Chasseur
Le hasard a pétri la cendre avec l’instant;
Cet amalgame est l’homme. Or, moi-même n’étant
Comme vous que matière, ah ! je serais stupide
D’être hésitant et lourd quand la joie est rapide,
De ne point mordre en hâte au plaisir dans la nuit,
Et de ne pas goûter de tout, puisque tout fuit !
Avant tout, être heureux. Je prends à mon service
Ce qu’on appelle crime et ce qu’on nomme vice.
L’inceste, préjugé. Le meurtre, expédient.
J’honore le scrupule en le congédiant.
Est-ce que vous croyez que, si ma fille est belle,
Je me gênerai, moi, pour être amoureux d’elle ?
Ah çà ! mais je serais un imbécile. Il faut
Que j’existe. Allez donc demander au gerfaut,
À l’aigle, à l’épervier, si cette chair qu’il broie
Est permise, et s’il sait de quel nid sort sa proie.
Parce que vous portez un habit noir ou blanc,
Vous vous croyez forcé d’être inepte et tremblant,
Et vous baissez les yeux devant cette offre immense
Du bonheur, que vous fait l’univers en démence.
Ayons donc de l’esprit. Profitons du temps. Rien
Étant le résultat de la mort, vivons bien !
La salle de bal croule et devient catacombe.
L’âme du sage arrive en dansant dans la tombe.
Servez-moi mon festin. S’il exige aujourd’hui
Un assaisonnement de poison pour autrui,
Soit. Qu’importe la mort des autres ! J’ai la vie.
Je suis une faim, vaste, ardente, inassouvie,
Et le monde est pour moi le fruit à dévorer.
Mort, je veux t’oublier. Dieu, je veux t’ignorer.
Vivant, je suis en hâte heureux; mort, je m’échappe!
François de Paule, à Torquemada.
Qu’est-ce que ce bandit ?
Torquemada
Mon père, c’est le pape.

Dans la deuxième partie, acte II, scène 3, le grand rabbin Moïse Ben-Habib vient plaider la cause des Juifs.

Moïse Ben-Habib, grand rabbin, à genoux.
Altesse de Castille, altesse d’Aragon,
Roi, reine ! ô notre maître, et vous, notre maîtresse,
Nous, vos tremblants sujets, nous sommes en détresse,
Et, pieds nus, corde au cou, nous prions Dieu d’abord,
Et vous ensuite, étant dans l’ombre de la mort,
Ayant plusieurs de nous qu’on va livrer aux flammes,
Et tout le reste étant chassé, vieillards et femmes,
Et, sous l’œil qui voit tout du fond du firmament,
Rois, nous vous apportons notre gémissement.
Altesses, vos décrets sur nous se précipitent,
Nous pleurons, et les os de nos pères palpitent ;
Le sépulcre pensif tremble à cause de vous.
Ayez pitié. Nos cœurs sont fidèles et doux ;
Nous vivons enfermés dans nos maisons étroites,
Humbles, seuls; nos lois sont très simples et très droites,
Tellement qu’un enfant les mettrait en écrit.
Jamais le juif ne chante et jamais il ne rit.
Nous payons le tribut, n’importe quelles sommes.
On nous remue à terre avec le pied ; nous sommes
Comme le vêtement d’un homme assassiné.
Gloire à Dieu ! Mais faut-il qu’avec le nouveau-né,
Avec l’enfant qui tète, avec l’enfant qu’on sèvre,
Nu, poussant devant lui son chien, son bœuf, sa chèvre,
Israël fuie et coure épars dans tous les sens !
Qu’on ne soit plus un peuple et qu’on soit des passants !
Rois, ne nous faites pas chasser à coups de piques,
Et Dieu vous ouvrira des portes magnifiques.
Ayez pitié de nous. Nous sommes accablés.
Nous ne verrons donc plus nos arbres et nos blés !
Les mères n’auront plus de lait dans leurs mamelles !
Les bêtes dans les bois sont avec leurs femelles,
Les nids dorment heureux sous les branches blottis,
On laisse en paix la biche allaiter ses petits,
Permettez-nous de vivre aussi, nous, dans nos caves,
Sous nos pauvres toits, presque au bagne et presque esclaves,
Mais auprès des cercueils de nos pères ; daignez
Nous souffrir sous vos pieds de nos larmes baignés!
Oh ! la dispersion sur les routes lointaines,
Quel deuil ! Permettez-nous de boire à nos fontaines
Et de vivre en nos champs, et vous prospérerez.
Hélas ! nous nous tordons les bras, désespérés !
Épargnez-nous l’exil, ô rois, et l’agonie
De la solitude âpre, éternelle, infinie !
Laissez-nous la patrie et laissez-nous le ciel !
Le pain sur qui l’on pleure en mangeant est du fiel.
Ne soyez pas le vent si nous sommes la cendre.
Montrant l’or sur la table.
Voici notre rançon. Hélas ! daignez la prendre.
Ô roi, protégez-nous. Voyez nos désespoirs.
Soyez sur nous, mais non comme des anges noirs ;
Soyez des anges bons et doux, car l’aile sombre
Et l’aile blanche, ô rois, ne font pas la même ombre.
Révoquez votre arrêt. Rois, nous vous supplions
Par vos aïeux sacrés, grands comme les lions,
Par les tombeaux des rois, par les tombeaux des reines,
Profonds et pénétrés de lumières sereines,
Et nous mettons nos coeurs, ô maîtres des humains,
Nos prières, nos deuils dans les petites mains
De votre infante Jeanne , innocente et pareille
À la fraise des bois où se pose l’abeille.
Roi, reine, ayez pitié!

Torquemada sur le site de l’INA

Adaptation du drame romantique Torquemada de Victor Hugo par Jean Kerchbron diffusée le 2 septembre 1976. Le dénouement. Lien sur le site de l’INA 

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Phèdre de Jean Racine

Tragédie en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par la troupe royale, le vendredi 1er janvier 1677, sous le titre initial de Phèdre et Hippolyte.
Distribution : 3 hommes, 5 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387246/f74.item
Sarah Bernhardt dans le rôle de Phèdre. Source : BnF/Gallica

Thésée a disparu depuis six mois. Hippolyte, son fils, annonce à son confident, Théramène, son intention de partir à sa recherche. Il veut aussi quitter Trézène afin de fuir son amour pour Aricie, sœur des Pallantides, un clan ennemi. Phèdre, seconde épouse de Thésée, avoue à Œnone, sa nourrice et confidente, la passion coupable qu’elle ressent pour son beau-fils Hippolyte.

La mort de Thésée est annoncée. Hippolyte propose à Aricie de lui rendre le trône d’Attique et lui avoue son amour. Leur entretien est interrompu par Phèdre qui demande à Hippolyte de prendre soin de son fils mais qui finit par lui révéler sa passion. Devant la réaction horrifiée d’Hippolyte, elle prend l’épée d’Hippolyte pour se suicider mais Œnone l’arrête. Théramène annonce que le fils de Phèdre est choisi comme roi par Athènes, mais une rumeur circule : Thésée ne serait pas mort.

Phèdre propose la couronne à Hippolyte. Thésée arrive à Trézène et s’étonne de recevoir un accueil si froid : Hippolyte, qui veut avouer à Thésée qu’il aime Aricie, évite sa belle-mère, Phèdre, submergée par la culpabilité.

Œnone, qui craint que sa maîtresse ne se donne la mort, a déclaré à Thésée qu’Hippolyte a tenté de séduire Phèdre en la menaçant, donnant pour preuve l’épée qu’elle a conservée. Thésée bannit Hippolyte et prie Neptune, dieu de la mer, de le venger. Phèdre veut le faire changer d’avis mais elle apprend qu’Hippolyte aime Aricie. Furieuse d’avoir une rivale, elle renonce à le défendre.

Hippolyte part après avoir promis à Aricie de l’emmener hors de la ville et de l’épouse. Thésée commence à avoir des doutes sur la culpabilité de son fils, mais la nouvelle de sa mort, causée par un monstre marin, survient. Après avoir chassé Œnone qui, de désespoir, s’est jetée dans les flots, Phèdre révèle la vérité à Thésée ; ayant pris auparavant du poison, elle meurt.

Phèdre et ses interprètes

Chapitre réalisé à partir du dossier pédagogique de la mise en scène de Patrice Chéreau à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Illustrations issues de Gallica.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84272667/f13.item
Portrait de Mlle Clairon (1723-1803). Source : Bnf/Gallica

Melle Clairon, 1743, Comédie-Française

 » Une force supérieure l’emporte continuellement à faire, à dire, ce que continuellement aussi, sa vertu réprouve. Dans toute l’étendue de ce rôle, ce combat doit être sensible aux yeux, à l’âme du spectateur.  » Mlle Clairon.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84272704/f164.item
Rachel (1821-1858) dans Phèdre. Source : Bnf/Gallica

1843 à 1855: Rachel

« On me dit que je suis trop jeune ? Que je suis trop maigre ? Je dis que c’est une bêtise. Une femme qui a un amour infâme mais qui se meurt plutôt que de s’y livrer, une femme qui dit qu’elle a séché dans les feux et les larmes, cette femme-là n’a pas une poitrine comme Madame Paradai. C’est un contresens. J’ai lu le rôle au moins dix fois depuis huit jours ; je ne sais pas comment je le jouerai, mais je dis que je le sens.  »


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438727f/f2.item
Sarah Bernhardt dans « Phèdre », 1893. Source : BnF/Gallica

1879 à 1896 : Sarah Bernhardt

 » Faut-il parler de Phèdre ! Voilà bien la plus touchante, la plus pure, la plus douloureuse victime de l’amour ! oh : elle ne cherche pas à ergoter ! Aussitôt qu’elle voit Hippolyte, elle saisit la main de sa nourrice et la portant vers son coeur, elle murmure presque pâmée d’émotion : Le voici : vers mon coeur tout mon sang se retire. J’oublie en le voyant ce que je viens lui dire. Quelle phrase simple ! ll me semble que ce soit une femme d’aujourd’hui qui parle. […] Je n’ai jamais vu Rachel, mais il paraît qu’elle était admirable dans Phèdre. J’ai vu d’autres tragédiennes dans ce rôle mais je n’ai jamais compris le pourquoi de leur interprétation qui faisait de Phèdre une vulgaire passionnée ou une névropathe en fureur. […] Attachée au lyrisme de ce verbe harmonieux, à la vie profonde de ces sentiments, je me suis souvenue que la Champmeslé qui créa Phèdre était, au dire des historiens, une créature de beauté et de grâce, et non une forcenée, et j’ai tenté de pénétrer le charme du mystère de l’art racinien pur et touchant pour le rendre plus sensible au public trop enclin à ne trouver en ces tragédies que des souvenirs de collège.  »


1955 : Judith Malina (Grenier Living Theatre, New York)

« Je me bats, traverse des agonies, m’exténue à chaque répétition. C’est inimaginable ce que je me fais à moi-même sur cette scène. Je suis possédée, complètement délirante, et cependant contrôlée. Ce pourrait être abominable, ce pourrait être splendide. En réalité, ça va bien, mais les valeurs sont secouées. Il y a une vaste satisfaction à jouer ce rôle. Je n’ai jamais rien fait d’aussi énervant, et en même temps d’aussi satisfaisant.  » (Extrait de son Journal)

1958: Maria Casarès (Palais de Chaillot, Paris) (à Jean Vilar )

« Merci pour le livre sur Rachel. En effet, j’y ai trouvé des détails amusants et troublants. Je commence à nouveau à considérer ta pièce et le personnage. Je rassemble dans ma mémoire mes propres impressions, les critiques et les réactions des autres, ce que j’ai entendu autour de moi pendant les répétitions et après les représentations. Je trie et essaie de mettre de la distance entre elle et moi pour voir clair… Vous m’avez dit un jour que je ne me servais pas assez dans Phèdre du pouvoir de séduction que les poèmes de Baudelaire me prêtent parfois. Il y a quelque chose de juste et de secret que je devine mais qu’il m’est difficile de saisir quand je lis Racine. Parlez-m’en encore, en essayant de me le faire comprendre  » musculairement  » et de me le faire glisser ici… je m’explique encore mat, je pense donc je comprends mal, mais parlez-moi de Baudelaire et j’arriverai à saisir, je crois… La vie parte au théâtre et la scène est un effrayant miroir. Je veux retrouver en scène la Phèdre rongée, dévorée, pestiférée et pure que j’ai entrevue ; quitte à passer des nuits blanches pour envoyer le texte comme une voix off afin de conserver sa forme ! il n’y a pas de vie sans douleur et sans cruauté et je veux vivre et faire vivre ceux que j’aime. »

1973 : Sylvia Monfort (Carré Thorigny, Paris)

« Phèdre brûle en chacun de nous. A peine saisissons-nous l’image dans te miroir qu’elle s’estompe, et l’imminence de cet effacement aiguise l’acuité du reflet.  »  » Ce qui compte c’est qu’il y ait eu rencontre dans le mystère et dès la première lecture. C’est comme le désir, ou bien il est présent dans le regard qui le provoque, ou bien il n’y aura jamais fusion. Tous tes avis, compétents, impérieux, singuliers, qui me furent octroyés au sujet de Phèdre, et que j’écoutais intensément, n’eurent d’autre résultat sur moi que de me ramener à ma Phèdre, cependant longtemps brumeuse, avec l’évidence du pion regagnant sa case de départ au Jeu de l’oie […] tel est le prodige de Phèdre : l’aborder, c’est prendre son mal.  »

2003 :  Dominique Blanc (Théâtre National de l’Odéon, Paris)

« Phèdre est pour moi comme une offrande. Peu importe que la rencontre entre ce rêve et les personnages ait lieu, puisque […] les mois à venir seront des mois de splendeur absolue. Pour ma part, je suis ma pire ennemie, je ne pardonne rien, et Patrice ne s’est pas amélioré quant à son exigence : elle est totale. Celui avec qui il est le plus exigeant reste lui-même. Il sera intransigeant avec lui comme avec nous ou avec l’alexandrin auquel il veut tordre le cou pour faire entendre te désir de cette femme et son propre désir. […] Patrice travaille comme je l’ai toujours vu faire remonte à la source. Les séances de lecture s’attardent sur les oeuvres d’Euripide, de Sénèque. On remonte à la création des mythes, à l’essence. quand la Phèdre originelle interpelle Dieu, avec ou sans majuscule, au pluriel ou au singulier, il faut savoir qui elle interpelle et pourquoi. C’est passionnant. Tant d’hommes ont écrit sur Phèdre ; ils en ont perçu la folie, l’animalité, et Valéry a évoqué  » la rage du sexe « . Le désir féminin, exprimé là, semble avoir échappé à tout le monde. Le désir féminin et le désir de mort, puisqu’il s’agit d’une femme qui s’empare du suicide, sont des idées encore très dérangeantes. […I Comment peut-on entrer en scène en disant  » je vais mourir  » ? Comment jouer ce désir de mort, pendant deux heures, et finalement mourir ? Ce sont des limites formidables à dépasser. J’ai appris que le nom de Phèdre signifiait  » la brillante « . Peut-être est-il temps pour moi d’accepter d’entrer dans la lumière, celle que l’on s’accorde à soi-même.  »
Lien vers une captation de l’Acte II, Scène 5

2016 Anne Delbée dans Racine ou la leçon de Phèdre (Poche Montparnasse)

Photographie Emmanuel Orain
Photographie Emmanuel Orain

La Leçon de Phèdre, une rencontre vivante avec un être de chair et de sang qui s’appelle Jean Racine. (…) À travers cette représentation où se rencontrent la petite et la grande histoire, il s’agit aussi d’une transmission d’un artisanat « de l’architecture du vers » qui seul permet de devenir le Poète lui-même et d’oser la Tragédie, Anne Delbée nous fait entendre ce qui résonne chez Racine : la liberté fondamentale de l’être humain à dire non, à faire des choix, à s’avancer pour témoigner de la dignité humaine.Son écriture dévoilée comme une déclaration d’amour, et Phèdre l’atome de toutes ses pièces, éclate et resplendit jusqu’au testament de sa vie.

Lien vers le spectacle / Lien vers  l’entretien de Libre Théâtre avec Anne Delbée

Autour des mises en scène de Phèdre sur le site de l’INA

Jean-Louis Barrault, 1959.

http://www.ina.fr/video/I04261062/jean-louis-barrault-a-propos-de-la-mise-en-scene-de-phedre-video.html
Interview de Jean-Louis Barrault. Source : INA

Interview de Jean-Louis Barrault : sa conception de la mise en scène du théâtre classique de Racine, en particulier de sa mise en scène de la tragédie « Phèdre », et de sa collaboration avec le décorateur Jean Hugo. Des photos de la pièce illustrent ses propos.
Lien vers le site de l’INA


Anne Delbée, Comédie-Française, 1995

http://www.ina.fr/video/CAC95066104
Phèdre, mise en scène par Anne Delbée. Source : INA

Reportage consacré aux costumes de Christian Lacroix  les comédiens donnent leurs impressions. – Extrait de la pièce avec les personnages principaux : Phèdre en grande robe rouge. – Interview d’Eric Génovèse (Hippolyte), Céline Samie, Anne Delbée,  Martine Chevallier (Phèdre), François Beaulieu (Thésée) . Lien vers le reportage sur le site de l’INA 

Lien vers l’entretien de Libre Théâtre avec Anne Delbée


Luc Bondy, Théâtre de l’Odéon, 1998

Extrait de la scène 3 de l’acte I, où Phèdre (Valérie Dreville) fait à sa nourrice Œnone l’aveu de son amour pour Hippolyte et raconte ses efforts vains pour échapper à cette passion coupable.

Lorsque Luc Bondy met en scène Phèdre au Théâtre Vidy-Lausanne en 1998, il s’agit de sa première mise en scène d’une pièce de Racine. Plus familier d’Ibsen et de Strinberg, Bondy dit avoir voulu proposer « une Phèdre réaliste », mettant un accent particulier sur les relations transgressives des personnages entre eux. Le spectacle est centré avant tout sur le duo Phèdre-Œnone : face à la Phèdre de Valérie Dréville, dont la robe dorée renforce la personnalité lumineuse, à la fois passionnée et froide, Dominique Frot campe une Œnone petite et noiraude, figure de la rage destructrice. Autour d’eux, Hippolyte (Sylvain Jacques) est un adolescent inexpérimenté et falot, tandis que la force apparente de Thésée (Didier Sandre) se révèle impuissante. La scénographie, qui figure une plage, se transforme en arène au fil des affrontements, qui laisseront sur la scène trois morts sans vainqueur. (Source : Céline Candiard, INA)

Patrice Chéreau, Théâtre de l’Odéon, 2003

Extrait de la scène 5 de l’acte II, où Phèdre (Dominique Blanc) fait à Hippolyte (Eric Ruf) l’aveu de son amour en empruntant le détour d’un récit de sa rencontre avec Thésée, puis le voyant se dérober laisse éclater toute la violence de sa passion.
Patrice Chéreau se souvient de Sénèque lorsqu’il présente en 2003 sa Phèdre au Théâtre de l’Odéon : son spectacle, loin de se dérober à la violence de l’action, va jusqu’à montrer ce que Racine dissimule, à l’exemple du cadavre mutilé d’Hippolyte que l’on exhibe sur une table d’opération pendant le récit de Théramène. Le public est en disposition bi-frontale, en un huis-clos oppressant qui lui offre des points de vue multiples sur l’action, mais forme également comme deux camps opposés de témoins. À l’inverse de la tradition dominante, Chéreau choisit de mettre en valeur un Hippolyte (Eric Ruf) mûr et solide, dont l’intensité et les contradictions répondent à celles de Phèdre (Dominique Blanc) : l’un et l’autre disent l’amour tout en le rejetant, mélangent quête et fuite, et luttent entre l’instinct et la culpabilité. Autre jeu de miroirs, Hippolyte et Thésée (Pascal Greggory) présentent une ressemblance physique frappante, donnant ainsi une motivation évidente au désir de Phèdre. Loin d’un monstre mythologique, Patrice Chéreau cherche à faire voir l’humanité et l’érotisme poignant de son personnage principal, et à donner sens à sa violence. (Céline Candiard. Source : INA)
Lien vers le dossier pédagogique sur le site de l’Odéon-Théâtre de l’Europe

Dossiers pédagogiques

Parcours Phèdre dans les collections iconographiques de la Comédie-Française présentées au sein de la base La Grange. Lien vers le dossier

Mise en scène de Christophe Rauck au Théâtre du Nord, 2014. Lien vers le dossier pédagogique 

Autres ressources

Nouveaux chemins de la connaissance (France Culture) avec Patrick Dandrey. Lien vers l’émission

Quatrième documentaire d’une série de six consacrée aux grands rôles du théâtre, ce numéro analyse le personnage de Phèdre. Intervenants Dominique Blanc, Georges Forestier, Daniel Mesguich, Michel Schneider, Philippe Adrien. Lien vers l’émission sur le site de l’INA (extrait gratuit, contenu intégral payant)

Dossier de l’INA sur Phèdre à travers quelques dramatiques et émissions radiophoniques. Lien vers le site de l’INA

À signaler au Festival d’Avignon 2019 une adaptation de Phèdre  par François Gremaud, du 11 au 21 juillet (relâche le 16) à 11h40 à la Collection Lambert : Phèdre !  Pour en savoir plus : https://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2019/phedre

Marion de Lorme de Victor Hugo

Drame en cinq actes et en vers, représenté pour la première fois sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin le 11 août 1831, repris au Théâtre-Français le 8 mars 1838, puis remonté au même théâtre le 10 février 1873. Retraité par Libre Théâtre à partir de l’édition des œuvres complètes de 1853 (Edition Hetzel), disponible sur Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5665481g).
Distribution : 21 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

La courtisane Marion de Lorme a quitté Paris et vit retirée à Blois avec l’homme qu’elle aime, Didier qui ignore qui est elle réellement. Un ancien amant de Marion, le marquis Gaspard de Saverny la retrouve. Didier, après avoir sauvé la vie de Saverny pris dans une embuscade, le provoque en duel.
Mais le cardinal de Richelieu ayant fait signer au roi un décret interdisant les duels, les deux rivaux, qui se sont battus sur la place publique, encourent la peine capitale. Saverny se fait passer pour mort et Didier trouve refuge, avec Marion, auprès d’une compagnie d’acteurs ambulants. Mais ils sont bientôt découverts : Didier et Saverny sont arrêtés.
Marion parvient à arracher au roi la grâce des deux condamnés mais l’arrêt est révoqué.

Marion de Lorme a réellement existé mais Hugo n’a repris de son histoire que son nom et son statut de courtisane.

Quelques représentations

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438443h
Marion Delorme, estampe de Pouget, 1831. Source ; Bnf/Gallica

La pièce terminée en 1829 avait  à l’origine pour titre « Un duel sous Richelieu ». Elle fut interdite par la censure, sous Charles X.  qui voyait des allusions directes à sa propre situation, dans l’acte IV présentant le roi Louis XIII préoccupé uniquement de chasse et sous influence. Charles X proposa à Hugo une pension de quatre mille francs dédommageant son manque à gagner. Hugo, indigné, refusa cette somme considérable, ce qui fit aussitôt grand bruit dans les journaux.

Après la chute des Bourbons,  Marion de Lorme est mis en scène, le 11 août 1831  au Théâtre de la Porte Saint-Martin, avec dans le rôle principal l’une des égéries des auteurs romantiques, Marie Dorval. Hugo indique dans les notes : « Quant à Madame Dorval, elle a développé, dans le rôle de Marion, toutes les qualités qui l’ont placée au rang des grandes comédiennes de ce temps; elle a eu dans les premiers actes de la grâce charmante et de la grâce touchante. (…) Au cinquième acte, elle est constamment pathétique, déchirante, sublime, et, ce qui est plus encore, naturelle. Au reste, les femmes la louent mieux que nous ne pourrions faire : elles pleurent. »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438444x
Estampe. Comédie Française 1873. Acte II, scène IV. Source : BnF/Gallica

La pièce est reprise au Théâtre-Français le 8 mars 1838, puis remontée dans le même théâtre le 10 février 1873 . Le rôle de Marion de Lorme est repris plus tard au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, par Sarah Bernhardt, qui jouera aussi la pièce à la Comédie-Française, avec Mounet-Sully dans le rôle de Louis XIII, en 1905.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387172
Sarah Bernhardt dans « Marion de Lorme » au Théâtre de la Porte- Saint-Martin. 1885/ Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438445b/f1.item
Estampe satirique, illustrant un article au vitriol sur la représentation de Marion de Lorme à la Comédie Française en 1873. Source : BnF/Gallica


Pour aller plus loin

Manuscrit autographe de Marion de Lorme sur Gallica

Manuscrit de la censure portant le titre « Un duel sous Richelieu. » sur Gallica

Sur le site de l’INA : reportage sur les répétitions de Marion de Lorme de Victor Hugo au théâtre de Lorient avec Jutta-Johanna Weiss dans le rôle titre. Interview du metteur en scène, Eric Vigner. 12 octobre 1998

Adaptation cinématographique en 1918 par Henri Krauss avec Pierre Renoir dans le rôle du roi, sur IMDB et sur le site à voir à lire .

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Cromwell de Victor Hugo

Drame romantique édité en 1827. Représenté pour la première fois, en 1956,  dans une version abrégée d’Alain Truta, mise en scène par Jean Serge dans la cour carrée du Louvre.
Texte retraité par Libre Théâtre à partir de l’édition des Oeuvres complètes de Victor Hugo, Editions J. Hetzel sur Gallica.
Distribution : environ 70 personnages, dont plusieurs peuvent être joués par un seul acteur. Au total, une vingtaine de rôles masculins et une dizaine de rôles féminins.
Texte intégral de la pièce (et de la préface) à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Une conjuration réunit royalistes et républicains contre Cromwell, le Lord Protecteur d’Angleterre : les uns ne lui pardonnent pas l’exécution de Charles I ; les autres n’admettent pas qu’il se fasse couronner. Cromwell déjoue le complot dont il est averti par Carr, un puritain exalté. Une nouvelle conjuration s’organise mais au dernier moment, le jour du sacre, Cromwell refuse la couronne.

Extrait de la Préface de Cromwell.

« Comme tout le monde, l’auteur de ce livre s’en tenait là. Le nom d’Olivier Cromwell ne réveillait en lui que l’idée sommaire d’un fanatique régicide, grand capitaine.
C’est en furetant la chronique, ce qu’il fait avec amour, c’est en fouillant au hasard les mémoires anglais du dix-septième siècle, qu’il fut frappé de voir se dérouler peu à peu devant ses yeux un Cromwell tout nouveau. Ce n’était plus seulement le Cromwell militaire, le Cromwell politique de Bossuet ; c’était un être complexe, hétérogène, multiple, composé de tous les contraires, mêlé de beaucoup de mal et de beaucoup de bien, plein de génie et de petitesse ; une sorte de Tibère-Dandin, tyran de l’Europe et jouet de sa famille ; vieux régicide, humiliant les ambassadeurs de tous les rois, torturé par sa jeune fille royaliste ; austère et sombre dans ses mœurs et entretenant quatre fous de cour autour de lui ; faisant de méchants vers ; sobre, simple, frugal, et guindé sur l’étiquette ; soldat grossier et politique délié ; rompu aux arguties théologiques et s’y plaisant ; orateur lourd, diffus, obscur, mais habile à parler le langage de tous ceux qu’il voulait séduire ; hypocrite et fanatique ; visionnaire dominé par des fantômes de son enfance, croyant aux astrologues et les proscrivant ; défiant à l’excès, toujours menaçant, rarement sanguinaire ; rigide observateur des prescriptions puritaines, perdant gravement plusieurs heures par jour à des bouffonneries ; brusque et dédaigneux avec ses familiers, caressant avec les sectaires qu’il redoutait ; trompant ses remords avec des subtilités, rusant avec sa conscience ; intarissable en adresse, en pièges, en ressources ; maîtrisant son imagination par son intelligence ; grotesque et sublime ; enfin, un de ces hommes carrés par la base, comme les appelait Napoléon, le type et le chef de tous ces hommes complets, dans sa langue exacte comme l’algèbre, colorée comme la poésie.
(…) Il y a surtout une époque dans sa vie où ce caractère singulier se développe sous toutes ses formes. Ce n’est pas, comme on le croirait au premier coup d’œil, celle du procès de Charles Ier, toute palpitante qu’elle est d’un intérêt sombre et terrible ; c’est le moment où l’ambitieux essaya de cueillir le fruit de cette mort. C’est l’instant où Cromwell, arrivé à ce qui eût été pour quelque autre la sommité d’une fortune possible, maître de l’Angleterre dont les mille factions se taisent sous ses pieds, maître de l’Écosse dont il fait un pachalik, et de l’Irlande, dont il fait un bagne, maître de l’Europe par ses flottes, par ses armées, par sa diplomatie, essaie enfin d’accomplir le premier rêve de son enfance, le dernier but de sa vie, de se faire roi. L’histoire n’a jamais caché plus haute leçon sous un drame plus haut. Le Protecteur se fait d’abord prier ; l’auguste farce commence par des adresses de communautés, des adresses de villes, des adresses de comtés ; puis c’est un bill du parlement. Cromwell, auteur anonyme de la pièce, en veut paraître mécontent ; on le voit avancer une main vers le sceptre et la retirer ; il s’approche à pas obliques de ce trône dont il a balayé la dynastie. Enfin, il se décide brusquement ; par son ordre, Westminster est pavoisé, l’estrade est dressée, la couronne est commandée à l’orfèvre, le jour de la cérémonie est fixé. Dénouement étrange ! C’est ce jour-là même, devant le peuple, la milice, les communes, dans cette grande salle de Westminster, sur cette estrade dont il comptait descendre roi, que, subitement, comme en sursaut, il semble se réveiller à l’aspect de la couronne, demande s’il rêve, ce que veut dire cette cérémonie, et dans un discours qui dure trois heures refuse la dignité royale. — Était-ce que ses espions l’avaient averti de deux conspirations combinées des cavaliers et des puritains, qui devaient, profitant de sa faute, éclater le même jour ? Était-ce révolution produite en lui par le silence ou les murmures, de ce peuple, déconcerté de voir son régicide aboutir au trône ? Était-ce seulement sagacité du génie, instinct d’une ambition prudente, quoique effrénée, qui sait combien un pas de plus change souvent la position et l’attitude d’un homme, et qui n’ose exposer son édifice plébéien au vent de l’impopularité ? Était-ce tout cela à la fois ? C’est ce que nul document contemporain n’éclaircit souverainement. Tant mieux ; la liberté du poète en est plus entière, et le drame gagne à ces latitudes que lui laisse l’histoire. On voit ici qu’il est immense et unique ; c’est bien là l’heure décisive, la grande péripétie de la vie de Cromwell. C’est le moment où sa chimère lui échappe, où le présent lui tue l’avenir, où, pour employer une vulgarité énergique, sa destinée rate. Tout Cromwell est en jeu dans cette comédie qui se joue entre l’Angleterre et lui.
Voilà donc l’homme, voilà l’époque qu’on a tenté d’esquisser dans ce livre.
L’auteur s’est laissé entraîner au plaisir d’enfant de faire mouvoir les touches de ce grand clavecin. »

La préface

La préface de Cromwell  est un véritable manifeste en faveur du drame romantique. Hugo distingue tout d’abord trois  grandes époques dans l’histoire de l’humanité auxquelles correspondent des expressions littéraires spécifiques
 : les temps primitifs
 (l’âge du lyrisme), 
les temps antiques (le temps de l’épopée) et les temps modernes
 (l’âge du drame).

Victor Hugo développe ensuite les caractéristiques du drame :

  • le refus de la règle des trois unités :  les unités de temps et de lieu sont contraires à la vraisemblance. Seule l’unité d’action doit être maintenue. Dans Cromwell, les cinq actes se déroulent dans cinq décors : la taverne des Trois-Grues, la salle des banquets à White-Hall, la chambre peinte à White-Hall, la poterne du parc de White-Hall et la grande salle de Westminster.

  • le mélange des genres (Cromwell en est un excellent exemple) : mêler le grotesque au sublime pour peindre le réel. Hugo alterne dans Crowmwell scènes historiques, comiques, mélodramatiques et tragiques.

  • le mélange des vers et de la prose. Dans Cromwell, drame en vers avec quelques chansons et extraits de lettres en prose, Hugo s’amuse avec la versification et ose même une réplique : « Ah Dieu ! que de rimes en ite ! »
  • La couleur historique et géographique  : « le drame doit être radicalement imprégné de cette couleur des temps ». Le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (voir plus bas) montre les recherches effectuées par Hugo pour rendre compte à travers les dialogues du contexte historique très particulier de l’époque de Cromwell. À propos de  l’épisode où Richard Cromwell boit à la santé du roi Charles dans une taverne avec les conjurés royalistes, Hugo tient à préciser dans une note : « Historique. Au reste, afin d’épargner au lecteur la fastidieuse répétition de ce mot, nous le prévenons qu’ici, comme dans le palais de Cromwell, comme dans la grande salle de Westminster, l’auteur n’a hasardé aucun détail, si étrange qu’il puisse paraître, qui n’ait ou son germe ou son analogue dans l’histoire. Les personnes qui connaissent à fond l’époque lui rendront cette justice que tout ce qui se passe dans ce drame s’est passé, ou, ce qui revient au même, a pu se passer dans la réalité. »

Une pièce injouable ?

lica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2200128r/f6.item
Acte I, scène V :] Lord Rochester [à Carr] : Tu radotes! A quoi vous serviraient alors vos grandes bottes? S’il ne pleut point sur vous, pourquoi ces grands chapeaux .Illustration de Cromwell par J. A. Beaucé, dessinateur Pouget, Pisan, graveur. 1866. Source: BnF/Gallica
Extrait de la Préface :

« Il est évident que ce drame, dans ses proportions actuelles, ne pourrait s’encadrer dans nos représentations scéniques. Il est trop long. On reconnaîtra peut-être cependant qu’il a été dans toutes ses parties composé pour la scène. C’est en s’approchant de son sujet pour l’étudier que l’auteur reconnut ou crut reconnaître l’impossibilité d’en faire admettre une reproduction fidèle sur notre théâtre, dans l’état d’exception où il est placé, entre le Charybde académique et le Scylla administratif, entre les jurys littéraires et la censure politique. Il fallait opter : ou la tragédie pateline, sournoise, fausse, et jouée, ou le drame insolemment vrai, et banni. La première chose ne valait pas la peine d’être faite ; il a préféré tenter la seconde. C’est pourquoi, désespérant d’être jamais mis en scène, il s’est livré libre et docile aux fantaisies de la composition, au plaisir de la dérouler à plus larges plis, aux développements que son sujet comportait, et qui, s’ils achèvent d’éloigner son drame du théâtre, ont du moins l’avantage de le rendre presque complet sous le rapport historique. Du reste, les comités de lecture ne sont qu’un obstacle de second ordre. S’il arrivait que la censure dramatique, comprenant combien cette innocente, exacte et consciencieuse image de Cromwell et de son temps est prise en dehors de notre époque, lui permît l’accès du théâtre, l’auteur, mais dans ce cas seulement, pourrait extraire de ce drame une pièce qui se hasarderait alors sur la scène, et serait sifflée. »

Comme le montre  Florence Naugrette  dans un article de 2004, publié dans le recueil Impossibles théâtres et disponible sur le site Fabula Publier Cromwell et sa Préface : une provocation fondatrice, ce sont principalement les circonstances politiques qui ont rendu injouable cette pièce à l’époque de Victor Hugo.
Aujourd’hui, un metteur en scène ambitieux et astucieux pourrait porter  un tel projet (sans doute avec quelques coupes pour éviter que la pièce ne dure quatre heures) : tout l’art de Victor Hugo est déjà présent dans cette pièce aux accents shakespeariens.    On retiendra surtout pour notre part les très nombreuses répliques et situations comiques, qui désamorcent systématiquement  les scènes les plus tragiques. Le personnage de Rochester est à ce titre particulièrement réussi : poète médiocre qui veut faire écouter ses vers alors que les conjurés sont en pleine discussion, amoureux de la fille de Cromwell mais qui souhaite tout de même assassiner le père,  galant homme qui aime jurer mais qui doit se déguiser en chapelain puritain pour parvenir jusqu’à Cromwell, obligé d’épouser une duègne pour éviter d’être tué… « Mêler le grotesque au sublime pour peindre le réel »….

Pour aller plus loin

Manuscrit autographe sur le site de Gallica

Adaptation pour la radio par la Société des Comédiens Français, le 27 avril 1952, sur le site de l’INA  (version intégrale payante).

Amy Robsart de Victor Hugo

Drame en cinq actes et en prose, représentée pour la première fois le 13 février 1828 au Théâtre de l’Odéon. Traitement par Libre Théâtre à partir de l’édition des Oeuvres inédites de Victor Hugo, volume 5, Editions G. Charpentier (Paris), 1891, disponible sur Gallica.
Distribution : 7 hommes, 3 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Théâtre de Victor Hugo. Oeuvres complètes illustrées. Librairie Paul Ollendorff. 1900
Théâtre de Victor Hugo. Oeuvres complètes illustrées. Librairie Paul Ollendorff. 1900

Adaptation du romain Kenilworth de Walter Scott, ce drame raconte l’histoire tragique d’Amy Robsart.
Alors que le jeune comte de Leicester, Robert Dudley, vient d’épouser en secret Amy Robsart,  la reine Élisabeth d’Angleterre vient en visite dans son château. On dit que la reine est amoureuse de son favori. Sir Hugh Robsart  est à la recherche de sa fille, Amy, qu’il pense avoir été enlevée et séduite par Richard Varney, l’écuyer du comte de Leicester. Il demande audience à la reine.
Varney manipule le comte de Leicester pour essayer de tirer tous les avantages de la situation : Varney veut épouser Amy Robsart et souhaite que le comte de Leicester devienne roi d’Angleterre. Il est aidé dans sa tâche par l’alchimiste Alasco.
Malgré le soutien de Flibbertigibbet, un comédien, ancien assistant d’Alasco, Amy n’échappe pas à la mort. Le dernier acte s’achève avec la mort d’Amy qui tombe dans les oubliettes du château, suivie par Varney et d’Alasco qui disparaissent sur des paroles de malédiction lancées par Flibbertigibbet, alors que la tour du château est en flammes.


Pour en savoir plus

Costumes d’Amy Robsart par Delacroix

Eugène Delacroix  fut contacté pour concevoir le décor et les costumes d’Amy Robsart de Victor Hugo en 1828. Ces costumes illustrent parfaitement, par les drapés et le rendu des couleurs, la splendeur de la cour élisabéthaine.

Voir les images sur le site http://parismuseescollections.paris.fr :

Histoire de la création d’Amy Robsart

Le drame Amy Robsart a été écrit par le jeune Hugo en 1822.  A la demande insistante de son beau-frère Paul Foucher, il modifie la pièce pour la faire représenter, mais décide de ne pas la faire représenter sous son nom, mais sous celui de son beau-frère.  La pièce est sifflée lors de sa création le 13 février 1828.  Elle ne fut éditée qu’après la mort d’Hugo.

Pour en savoir plus sur l’histoire de la création de cette pièce, lire :

Gustave Allais. Les début dramatiques de Victor Hugo, 1906. Disponible sur archive.org.

« Amy Robsart, la « bâtarde » de Victor Hugo », article de Marie-Pierre Rootering sur le site victor-hugo.org.

Manuscrit autographe sur Gallica

Le Roi s’amuse de Victor Hugo

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84061327/f1.item
Commencé le 3 juin 1832, fini le 23 juin 1832 ; Dessin à la plume : Le dernier bouffon songeant au dernier roi. Source : BnF/Gallica

Drame en cinq actes et en vers, représenté pour la première fois le 22 novembre 1832 à la Comédie-Française.
Distribution : 20 hommes, 2 femmes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.


L’argument

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84061327/f7.item
Le Roi s’amuse par Jules-Arsène Garnier
huile sur toile, vers 1885. Source : BnF/Gallica

Victor Hugo, dans sa Préface, se défend contre l’interdiction de sa pièce et sa prétendue immoralité. Il rappelle ainsi son argument.

« La pièce est immorale ? croyez-vous ? Est-ce par le fond ? Voici le fond. Triboulet est difforme, Triboulet est malade, Triboulet est bouffon de cour ; triple misère qui le rend méchant. Triboulet hait le roi parce qu’il est le roi, les seigneurs parce qu’ils sont les seigneurs, les hommes parce qu’ils n’ont pas tous une bosse sur le dos. Son seul passe-temps est d’entre-heurter sans relâche les seigneurs contre le roi, brisant le plus faible au plus fort. Il déprave le roi, il le corrompt, il l’abrutit ; il le pousse à la tyrannie, à l’ignorance, au vice ; il le lâche à travers toutes les familles des gentilshommes, lui montrant sans cesse du doigt la femme à séduire, la sœur à enlever, la fille à déshonorer. Le roi dans les mains de Triboulet n’est qu’un pantin tout-puissant qui brise toutes les existences au milieu desquelles le bouffon le fait jouer. Un jour, au milieu d’une fête, au moment même où Triboulet pousse le roi à enlever la femme de Monsieur de Cossé, monsieur de Saint-Vallier pénètre jusqu’au roi et lui reproche hautement le déshonneur de Diane de Poitiers.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405537c/f1.item
Coupure de presse. 1882. Acte III, Scène 3. Source : BnF/Gallica

Ce père auquel le roi a pris sa fille, Triboulet le raille et l’insulte. Le père lève le bras et maudit Triboulet. De ceci découle toute la pièce. Le sujet véritable du drame, c’est la malédiction de monsieur de Saint-Vallier. Écoutez. Vous êtes au second acte. Cette malédiction, sur qui est-elle tombée ? Sur Triboulet fou du roi ? Non. Sur Triboulet qui est homme, qui est père, qui a un cœur, qui a une fille. Triboulet a une fille, tout est là. Triboulet n’a que sa fille au monde ; il la cache à tous les yeux, dans un quartier désert, dans une maison solitaire. Plus il fait circuler dans la ville la contagion de la débauche et du vice, plus il tient sa fille isolée et murée. Il élève son enfant dans l’innocence, dans la foi et dans la pudeur. Sa plus grande crainte est qu’elle ne tombe dans le mal, car il sait, lui méchant, tout ce qu’on y souffre. Eh bien ! la malédiction du vieillard atteindra Triboulet dans la seule chose qu’il aime au monde, dans sa fille. Ce même roi que Triboulet pousse au rapt, ravira sa fille, à Triboulet. Le bouffon sera frappé par la Providence exactement de la même manière que M. de Saint-Vallier. Et puis, une fois sa fille séduite et perdue, il tendra un piège au roi pour la venger ; c’est sa fille qui y tombera. Ainsi Triboulet a deux élèves, le roi et sa fille, le roi qu’il dresse au vice, sa fille qu’il fait croître pour la vertu. L’un perdra l’autre. Il veut enlever pour le roi madame de Cossé, c’est sa fille qu’il enlève. Il veut assassiner le roi pour venger sa fille, c’est sa fille qu’il assassine. Le châtiment ne s’arrête pas à moitié chemin ; la malédiction du père de Diane s’accomplit sur le père de Blanche.

Sans doute ce n’est pas à nous de décider si c’est là une idée dramatique, mais à coup sûr c’est là une idée morale. »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84061327/f14.item
Enlèvement de Blanche. Estampe. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84061327/f15.item
Blanche transportée dans un sac. Source : BnF/Gallica


Pour aller plus loin

L’interdiction de la pièce

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84061327/f3.item
Triboulet. Estampe de Jean-Paul Laurens. Source : BnF/Gallica

La pièce est interdite dès le lendemain de la première représentation.  Dans la préface à l’édition originale de 1832, Victor Hugo dénonce la censure qu’il a subie de la part de la monarchie et de la noblesse  : « L’apparition de ce drame au théâtre a donné lieu à un acte ministériel inouï. Le lendemain de la première représentation, l’auteur reçut de M. Jouslin de la Salle, directeur de la Scène au Théâtre-Français, le billet suivant, dont il conserve précieusement l’original : « Il est dix heures et demie et je reçois à l’instant l’ordre de suspendre les représentations du Roi s’amuse. C’est M. Taylor qui me communique cet ordre de la part du ministre. Ce 23 novembre ». (texte intégral dans l’édition de Libre Théâtre).

Victor Hugo intenta un procès au Théâtre-Français pour protester contre l’interdiction de sa pièce. Dans l’édition intégrale de ses Oeuvres figure le « détail du procès dont le Roi s’amuse a été l’occasion. Ce détail est emprunté à un journal qui, soutenant à cette époque le pouvoir, ne saurait être suspect de partialité en faveur de l’auteur. » (reproduit également dans l’édition de Libre Théâtre).

Le 22 novembre 1882, lors du cinquantenaire de la pièce, Le Roi s’amuse est de nouveau mis en scène à la Comédie-Française, en présence de Victor Hugo et du Président de la République avec une musique de scène de Léo Delibes.


Maquette de décors

En 1832, Le seul élément nouveau, pour les décors , fut une toile de fond représentant le vieux Paris, brossée par Ciceri. Pour le reste, on puisa dans des décors gothiques réalisés par Ciceri pour le More de Venise, Clovis, Hernani, l’Espion, Dominique, et on utilisa des éléments empruntés à Iphigénie en Aulide et au Barbier de Séville.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7001250s/f1.item
[Le roi s’amuse : esquisse de décor des actes IV et V : le chevet de Notre-Dame et une foule de personnages sur la place de la Grève / Pierre-Luc Charles Cicéri]. 1832. Source  : BnF/Gallica
Lors de la reprise de la pièce en 1882, plusieurs décorateurs de talent participèrent :
– acte I : décors de V. Duvignaud et Gabin,
– acte II : Jean-Baptiste Lavastre,
– acte III : Charles Cambon,
– actes IV et V : Auguste Rubé et Philippe Chaperon .
Les costumes étaient des créations de Théophile Thomas et Émile Perrin.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405537c/f3.item
Acte I, Scène 5. La Malédiction. Coupure de presse.Comédie-Française 1882. Décor de Duvignaud et Gabin Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405537c/f4.item
Acte II, Scène 4. Décor de Jean-Baptiste Lavastre. Comédie-Française 1882. Source: BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84061327/f6.item
Acte II. Décor de JB Lavastre. 1832. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405537c/f5.item.
Actes IV et V. décors de Auguste Rubé et Philippe Chaperon. 1882. Source : BnF/ Gallica

Musique de Léo Delibes (1882)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405537c/f6.item
Musique de Léo Delibes pour les airs du 3ème et 4ème acte. 22 novembre 1882. Source : BnF/Gallica


Les interprètes du 22 novembre 1882 à la Comédie-Française

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53120646q/f150.item
Le Roi s’amuse, à la Comédie-Française : [un défet]. Adrien Marie (MFILM G-185750); Source : BnF/Gallica


Le roi s’amuse en images

Reprise par la Comédie-Française en décembre 1991,  dans une mise en scène de Jean Luc BOUTTÉ avec Roland BERTIN (Triboulet). interviews et extraits sur le Journal de 20H (A2)  et Soir 3 sur le site de l’INA

Drame muet de 1909 en noir et blanc. Réalisation de Albert CAPELLANI
Drame muet de 1909 en noir et blanc. Réalisation de Albert CAPELLANI

Le Roi s’amuse, 1941
Film italien réalisé par Mario Bonnard
Avec Michel Simon (Triboulet est renommé Rigoletto, comme dans l’opéra de Verdi) , Maria Mercader, Rossano Brazzi plus d’information sur IMDB

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