Interview de Jean-Pierre Martinez à l’occasion de la création Comme un poisson dans l’air à l’Espace Alya, au Festival OFF d’Avignon 2018
Libre Théâtre – Ce seul en scène est une succession de neuf monologues. Quel est le point commun entre ces différents textes ?
Jean-Pierre Martinez – Toute écriture est une psychanalyse. C’est d’ailleurs aussi le propos de ce seul en scène. Le point commun entre ces neuf monologues… c’est qu’ils sont tous de la même plume. Je n’ai pas volontairement cherché à installer entre eux une résonance particulière. Les récurrences et les correspondances entre ces différents textes se sont imposées à moi. Lorsque j’écris une comédie, et j’en ai écrit beaucoup, je ne commence jamais les dialogues avant d’avoir construit auparavant une intrigue et avoir composé des personnages bien caractérisés. Pour écrire ces monologues, je suis parti sans plan et sans boussole. J’ai laissé la parole à mes personnages, qui ne sont en réalité que les différentes facettes d’une même personne : moi-même. Je n’irais pas jusqu’à parler d’écriture automatique, au sens de la littérature surréaliste. Par l’écriture automatique, on cherche volontairement à perdre tout contrôle sur ce que l’on écrit. Dans le cas de ces textes, j’ai naturellement utilisé tout mon savoir faire d’auteur, acquis pendant plus de vingt ans à écrire des scénarios pour la télévision ou des comédies pour le théâtre. Je sais comment générer un suspens, comment produire le comique, comment ménager une chute. C’est devenu chez moi une seconde nature. C’est plutôt dans ce sens que je parlerais d’automatisme. Par ailleurs, n’ayant pas besoin, justement, de focaliser mon attention sur la technique d’écriture, j’ai pu me laisser aller au jeu dangereux des associations d’idées. Celui-là même que l’on pratique en analyse. La cohérence de ces textes et le fait qu’ils se répondent entre eux provient donc avant tout de l’unité du sujet qui les a produits, avec son histoire, ses idées fixes, ses obsessions, ses questionnements… et ses angoisses. Je dois d’ailleurs préciser que ces neufs textes sont extraits d’un recueil qui en contient vingt-trois. En choisissant neuf de ces vingt-trois textes, et en les proposant dans un certain ordre, j’ai donc aussi contribué à donner à l’ensemble une unité, à la fois dans le contenu et dans le déroulé.
La cohérence d’un texte peut provenir de la mise en œuvre très consciente d’une technique. Elle peut aussi résulter du libre court donné à la pensée plus ou moins inconsciente. Je dirais que dans le cas présent, la cohésion de ce spectacle résulte d’un mélange de ces deux procédés… Enfin, la mise en scène (jeu, accessoires, costumes, musique…) est là aussi pour souligner des correspondances qui autrement resteraient peut-être inaperçues.
Libre Théâtre – Malgré leurs différences, ces neuf personnages semblent en effet révéler chacun une part de notre humanité et de notre vérité commune. Est-ce finalement un seul et même personnage que vous mettez en scène ?
Jean-Pierre Martinez – Je voudrais tout d’abord saluer la performance du comédien, Patrick Séminor, qui a su à merveille s’approprier cet univers assez complexe, à la fois dans le propos et dans le style. Le langage utilisé dans ce seul en scène n’est pas celui du dialogue de comédie. Encore moins celui du « one man show » ou du « stand up ». Même si le personnage s’adresse presque toujours au public, on est plus proche du soliloque et de l’introspection. Un discours frôlant parfois l’absurde voire la folie. Mais chacun sait que du propos de comptoir jusqu’au divan du psy, c’est lorsqu’on lâche prise que peut se révéler une vérité enfouie, dont la cohérence reste autrement cachée à la conscience. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas… Ces neuf personnages, en effet, sont apparemment très différents entre eux. Mais ne jouons-nous pas nous-mêmes des personnages différents selon les circonstances ? Le personnage que nous interprétons dans le cadre de notre travail, avec nos patrons, nos collègues, nos clients… est-il vraiment le même que celui que nous sommes à la maison, en couple ou avec nos enfants ? Sommes-nous vraiment le même homme (ou la même femme) lors d’un repas de famille, à une réunion de parents d’élèves ou pendant une virée bien arrosée entre ami(e)s ? Pourtant, « quelque part », nous sommes la même personne. C’est ce « quelque part » que j’ai voulu explorer, en espérant que dans ce « quelque part » qui m’est si personnel, je puisse finalement rencontrer l’autre (c’est à dire le spectateur, chaque spectateur) dans sa vérité la plus profonde.
Libre Théâtre – Malgré la charge émotionnelle de ces textes, les spectateurs, dans toute leur diversité d’ailleurs, rient dès le début du spectacle. Sans jamais que ce rire relève d’une cruauté gratuite. La connivence entre le personnage et le public, dans son extrême diversité, est très étroite. Comment définiriez-vous cette forme d’humour ?
Jean-Pierre Martinez – Au théâtre notamment, on ne prend pas assez l’humour au sérieux. Le véritable humour, plus que toute autre forme d’expression, suppose beaucoup d’humilité, beaucoup de respect, et beaucoup d’attention à l’autre. On n’a le droit de rire que de soi-même. Si en se moquant de soi on parvient à se moquer aussi des autres, non seulement ils ne nous en voudront pas, mais nous aurons établi avec eux une relation profondément humaine. L’humour authentique est encore plus désespéré que la tragédie, dans la mesure où il remet en question le sens lui-même. La vie est très souvent absurde, nous le constatons tous les jours. L’humour permet de partager avec l’autre ce sentiment tragique d’absurdité, tout en créant une complicité réconfortante. Ce spectacle est émouvant parce que chaque spectateur, au final, se reconnaît dans chacun de ces neuf personnages pourtant si différents entre eux, et apparemment si différents de ces autres que sont les spectateurs. Nous passons une bonne partie de notre vie à essayer de comprendre qui nous sommes, pour savoir ce que nous devrions faire, et donner ainsi une cohérence à notre parcours de vie. Car à la fin de ce parcours, ce n’est pas à « notre père » que nous devrons rendre des comptes, mais à l’enfant que nous fûmes et qui lui aussi nous a engendré. La seule grande question dans la vie, c’est de savoir si au bout du conte, nous aurons trahi ou pas nos rêves d’enfants.
Spectacle écrit et mis en scène par Jean-Pierre Martinez, avec Patrick Séminor.
Espace Alya
31 bis rue Guillaume Puy, Avignon
du 6 au 29 juillet 2018
Relâche les mercredis 11, 18 et 25 juillet
Réservation : 04 90 27 38 23