Le dossier de Rosafol

Comédie-vaudeville en un acte d’Eugène Labiche et Alfred Delacour, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal le 20 mars 1869.
Distribution : 3 hommes, 2 femmes
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L’argument

Edmond Godivais de Rosafol se prétend veuf de sa première épouse auprès de sa deuxième, Aglaure, alors qu’il a divorcé, en Suisse, quatorze ans auparavant d’Antonina. Il accueille chez lui son ami Laridel, un avocat suisse et d’une franchise… suisse. Il découvre que la femme de chambre engagée par sa femme n’est autre qu’Antonina…

Un extrait

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portrait de Pellerin (Laridel) par Lhéritier, 1869. Source : BnF/Gallica

Laridel.
Tu aimais sans doute madame de Rosafol… C’est un mariage d’inclination ?
Rosafol.
C’est-à-dire… tu ne l’as donc pas regardée ?… Quand j’ai quitté Genève… après avoir liquidé ma maison de commerce… il me restait fort peu de chose… le séjour de Paris ne tarda pas à m’achever… Bref ! j’étais sans ressources… Madame de Rosafol voulut bien s’éprendre de moi… Elle avait quarante mille livres de rente.
Laridel.
Ah ! diable !
Rosafol.
Sa fortune était un obstacle… j’en conviens… mais je l’ai franchi !… Tu m’en veux, hein ?
Laridel,  après réflexion.
Moi ? Nullement, tu as su braver un préjugé social… La philosophie t’en remercie.
Rosafol.
Ah ! ça me fait plaisir, ce que tu me dis là !… parce que, au fond, je me reprochais… mais du moment que la philosophie…
Laridel.
Alors te voilà riche ?…
Rosafol.
C’est-à-dire que je suis logé, nourri, habillé…
Laridel.
Et tes quarante mille livres de rente ?

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portrait de Pellerin (Laridel) par Lhéritier, 1869. Source : BnF/Gallica

Rosafol.
Ils sont à ma femme… et comme nous sommes mariés séparés de biens… elle me donne deux cents francs par mois pour mes dépenses de poche…
Laridel.
C’est peu.
Rosafol.
Elle m’a diminué… Autrefois j’avais cinq cents francs…
Laridel.
Et pourquoi ?
Rosafol.
Elle s’est fourré en tête des idées de jalousie… et elle se figure en me coupant les vivres… mais j’ai trouvé un truc… ce portrait. (Il indique celui de gauche.) Je l’ai acheté d’occasion aux commissaires-priseurs.
Laridel.
Qui est-ce ?
Rosafol.
Je ne sais pas… quelque cascadeuse dans la débine… J’ai dit à Aglaure que c’était celui de ma première femme.
Laridel,  prenant son sac de nuit.
Un mensonge !… Adieu ! (Il passe en remontant au fond.)
Rosafol,  le retenant.
Attends donc !… ce n’est pas un crime… une petite supercherie tout au plus… Quand Aglaure devient aigre, acariâtre, tyrannique… je m’agenouille devant cette demoiselle… et j’adresse au numéro 1 des regrets qui attendrissent le numéro 2 ; mon Dieu ! ce n’est peut-être pas très… Tu m’en veux, hein?

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400806w
portrait de Pellerin (Laridel) / par Lhéritier, 1869. Source : BnF/Gallica

Laridel,  après avoir réfléchi.
Nullement… Devant l’oppression, la ruse est un devoir !
(Il dépose son sac sur la table de gauche.)
Rosafol, à part.
Est-il carré !
Laridel.
Mais qu’est-elle devenue, ta première femme ?
Rosafol.
Je n’en sais rien… Depuis quatorze ans… depuis le jour de notre divorce… car on divorce encore en Suisse… je n’en ai plus entendu parler… elle doit être morte.
Laridel.
Ah ! c’est là une de mes plus belles causes !
Rosafol.
Oui, tu l’as joliment traitée devant le tribunal !… Tout Genève était là.
Laridel.
Je l’ai appelée drôlesse !
Rosafol.
Ce n’est pas trop ! Ah ! elle m’en a fait voir de toutes les couleurs, celle-là !
Laridel.
Oh ! Oui !

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64008042
portrait de Pellerin (Laridel) / par Lhéritier, 1869. Source : BnF/Gallica

Rosafol.
Je ne crois pas qu’il y ait dans les vingt-deux cantons un mari qui en ait porté plus que moi ! Je ne dis pas ça pour me vanter !
Laridel.
Sans compter les choses que tu ne connais pas.
Rosafol.
Naturellement.
Laridel.
Aussi, le lampiste, ton voisin.
Rosafol.
Ah ! je le connais ! il est au dossier !…
Laridel.
Et le chapelier !
Rosafol.
Il est au dossier…
Laridel.
Et l’horloger ?
Rosafol, cherchant à se rappeler.
L’horloger ?… Ah ! non ! il n’est pas au dossier, celui-là ! Comment ! ce petit brun qui venait toutes les semaines remonter mes pendules !… je le croyais mon ami !… (Avec amertume.) Ah ! ça me fait de la peine !
Laridel.
C’est ta faute aussi ! Pourquoi vas-tu épouser ta demoiselle de boutique ?
Rosafol.
Je te prie de croire que si j’avais pu faire autrement… je l’aimais… elle ne voulait pas m’écouter… elle me jurait que j’étais son premier amour… je l’ai cru… à tort !… et ma foi !…

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portrait de Pellerin (Laridel) / par Lhéritier, 1869. Source : BNF/Gallica

Laridel.
Tu as donné dans le panneau… comme un enfant.
Rosafol.
Oui !… mais je me suis joliment vengé… le jour de notre rupture.
Laridel.
Comment?
Rosafol.
J’avais déjà des soupçons… je furetais dans tous les coins… sans savoir pourquoi… J’ouvre un de ses cartons à chapeau et je trouve… une paire de bottes… avec des éperons !… Elle me soutient que c’est à son usage personnel… ma foi!… la patience m’échappe… et je lui allonge une paire de gifles !… Battre une femme ! vous êtes un lâche !… Taisez-vous… non !… si !… J’allais recommencer… lorsqu’elle prit la porte et disparut !… et je n’en ai plus entendu parler…
Laridel.
Elle est partie avec une espèce de drôle qui faisait à Genève la contrebande des ressorts de montre.
Rosafol.
Bien ! encore un qui n’est pas au dossier !… Ah çà ! tout ceci est entre nous… ne dis pas à ma femme que je suis divorcé… elle me croit veuf…
Laridel,remontant vivement; il prend son sac de nuit.
Encore un mensonge !

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400801t
portrait de Pellerin (Laridel) / par Lhéritier, 1869. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400803n
portrait de Pellerin (Laridel) / par Lhéritier, 1869. Source : BnF/Gallica
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