Chantecler d’Edmond Rostand

Pièce en quatre actes et en vers représentée pour la première fois au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 7 février 1910.
Distribution : 54 hommes, 15 femmes
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L’argumentaire

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5725929c
Guitry en Chantecler par Sem, dans Modes de mars 1910. Source : BnF/Gallica

Chantecler, un fier coq règne sur la basse-cour. Son chant est tellement puissant qu’il est persuadé qu’il fait se lever le soleil chaque jour. Il est détesté des animaux nocturnes et subit les jalousies des autres animaux de la basse-cour. Chantecler tombe amoureux d’une faisane. Il se rend dans le salon littéraire de la Pintade où il tombe dans un guet-apens : il est contraint de se battre jusqu’à la mort avec un autre coq. Il sort vainqueur de cette épreuve et défend la basse-cour contre les menaces d’un épervier. Il part avec la faisane pour la forêt ; jalouse, elle lui demande de ne plus chanter, mais elle se sacrifiera par amour lorsqu’un chasseur arrivera ; mais c’est le rossignol à la voix d’or qui sera touché par les balles.

Une très belle fable poétique, lyrique et allégorique où par le truchement des animaux, tous les défauts humains sont raillés : la vanité, l’ambition, la jalousie, le cynisme, la prétention…
On croise, entre autres,  un vieux chat Matousalem, un gymkhanard, « une vieille insensible aux problèmes moraux et qui fait du footing en costume à carreaux », un paon modern-style, le Prince de l’Adjectif Inopiné… dans une  garden-potager-party.  La pièce offre de multiples morceaux de bravoure : l’hymne au soleil, le chœur des oiseaux, le chant du rossignol ou la tirade du coq célèbre pour ses allitérations.

    Oui, Coqs affectant des formes incongrues,
Coquemars, Cauchemars, Coqs et Coquecigrues,
Coiffés de cocotiers supercoquentieux…
– La fureur comme un Paon me fait parler, Messieurs ! J’allitère !… –
Et s’amusant à les étourdir d’une volubilité caquetante et gutturale
Oui, Coquards cocardés de coquilles,
Coquardeaux Coquebins, Coquelets, Cocodrilles,
Au lieu d’être coquets de vos cocoricos,
Vous rêviez d’être, ô Coqs ! de drôles de cocos !
Oui, Mode ! pour que d’eux tu t’emberlucoquasses,
Coquine ! ils n’ont voulu, ces Coqs, qu’être cocasses !
Mais, Coquins ! le cocasse exige un Nicolet !
On n’est jamais assez cocasse quand on l’est !
Mais qu’un Coq, au coccyx, ait plus que vous de ruches,
Vous passez, Cocodès, comme des coqueluches !
Mais songez que demain, Coquefredouilles ! mais
Songez qu’après-demain, malgré, Coqueplumets !
Tous ces coqueluchons dont on s’emberlucoque,
Un plus cocasse Coq peut sortir d’une coque,
– Puisque le Cocassier, pour varier ses stocks,
Peut plus cocassement cocufier des Coqs !
– Et vous ne serez plus, vieux Cocâtres qu’on casse,
Que des coqs rococos pour ce coq plus cocasse !

La création

La pièce devait être originellement jouée par Coquelin qui décéda avant la première. Lucien Guitry le remplaça dans le rôle titre. Après le succès de Cyrano et de L’Aiglon, les critiques et spectateurs attendaient avec impatience la nouvelle création d’Edmond Rostand. Mais la forme de Chantecler déconcerte.  Malgré certaines critiques haineuses (notamment du côté de la presse nationaliste) ou dubitatives, le public se presse nombreux. La pièce part ensuite en tournée dans toute la France et à l’étranger.

Léon Blum raconte la création de Chantecler dans Comœdia (numéro complet ci-dessous)

« Je ne m’amuserai pas à ruser avec la curiosité du public. Des circonstances de tout ordre, et dont le concours ne se retrouvera peut-être plus, ont fait de Chantecler l’événement dramatique le plus extraordinaire, le plus passionnément attendu dont l’histoire du théâtre ait connaissance. Ni le Mariage de Figaro, ni même Hernani ne provoquèrent une telle attente, un tel espoir, une telle fièvre. Ce qu’on réclame du critique, dans cette occasion, ce sont moins des considérations nuancées et balancées qu’une constatation franche du fait. On veut savoir « ce que ça vaut » et « comment ça a marché. » Ce n’est pas une opinion qu’on exige, c’est un verdict.

Pour moi, je déclare sans hésiter que Chantecler a grandi l’idée que je me faisais de M. Edmond Rostand. J’admire d’abord qu’au lieu de s’assurer, avec quelque nouveau Cyrano, la certitude tranquille d’un nouveau triomphe, il ait intrépidement couru une aventure, un risque, un péril. J’admire qu’il ait non seulement cherché du nouveau, mais tenté de l’extraordinaire, qu’il se soit engagé, livré tout entier dans la plus difficile partie. J’ajoute qu’à mon avis, Chantecler est, par sa valeur littéraire intrinsèque, l’œuvre la plus belle que M. Rostand ait encore donnée. Jamais encore il n’avait fourni de façon plus convaincante la preuve de ses dons d’artiste et de poète. Ni Cyrano ni même l’Aiglon ne s’égalent aux meilleures parties de Chantecler. Maintenant, je dois reconnaître, avec la même netteté, que l’accueil fait à Chantecler ne fut pas ce triomphe incontesté, continu, unanime que les amis de l’auteur espéraient, et que le public entier escomptait joyeusement avec eux.

Le prologue et les deux premiers actes ne furent qu’une longue acclamation. Dès le commencement du troisième acte, au contraire, on sentait sourdre un malaise, on sentait se former une résistance. Résistance dont finalement M. Rostand est venu à bout, et qui ne fait peut-être qu’ajouter au prix du succès, mais qui en a cependant modifié le caractère. Ce n’est pas que personne fût insensible aux beautés certaines du poème. Elles étaient accueillies avec joie, ou même avec une sorte d’avidité et marquées aussitôt par des transports enthousiastes. Pourtant un sentiment confus avertissait les spectateurs que le développement de l’œuvre n’était pas précisément ce qu’il pouvait être, ce qu’il devait être. Et ce serait forcer les choses que de dire qu’il y eut une déception ; mais il y eut certainement un malaise. Je supplie qu’on ne se méprenne pas sur le sens de ces termes. Je ne procède pas ici par circonlocution ou par atténuation polie et l’on se méprendrait gravement si l’on essayait de « lire entre les lignes ». Je dis toute la vérité. Grossir l’expression de ma pensée ne serait pas la rétablir mais la trahir.

Comment expliquer cependant ce sentiment de malaise, d’incertitude ? Je ne crois pas, pour ma part, qu’il procède dans une mesure quelconque de la forme qu’a donnée M. Rostand à l’affabulation dramatique de son œuvre. »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9005237k
Les Animaux de Chantecler : Le chat (Chabat), la pintade (Augustine Leriche), la poule faisane (Simone), le coq superbe (Lucien Guitry) etc… : affiche de Daniel de Losques en 1910. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53130084h
Lucien Guitry dans « Chantecler » d’Edmond Rostand / dessin de Yves Marevéry, 1910. Source : BnF/Gallica

Lien vers quelques articles lors de la création :

  • Revue illustrée  du 25 février 1910. Source : BnF/Gallica
  • Article enthousiaste dans Modes, de mars 1910. Source : BnF/Gallica
  • Numéro spécial de Comœdia illustré consacré à Chanteclerc, 19 février 1910.

Autres mises en scène

Du fait du nombre d’acteurs et de costumes nécessaires, cette pièce est rarement mise en scène.

Chantecler a été mis en scène par Jérôme Savary en 1994.

Jean-Christophe Averty a réalisé une adaptation pour la télévision en 1976 avec Jean Piat dans le rôle titre (extrait sur le site de l’INA, version intégrale payante sur le site de l’INA).
Pour aller plus loin
Géraldine Vogel, « Les didascalies dans le théâtre d’Edmond Rostand : entre verbe et action poétique », Coulisses [En ligne], 39 | Automne 2009, mis en ligne le 30 novembre 2016, consulté le 16 avril 2017. URL : http://coulisses.revues.org/979
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