Feydeau Georges

Chroniques consacrées à Georges Feydeau : biographie, œuvres théâtrales, thèmes abordés…

Les ressorts comiques du langage chez Feydeau

Au-delà de la belle mécanique du vaudeville et de la modernité de la critique de société de la Belle Epoque, Feydeau propose dans ses pièces une langue théâtrale très riche, au service de la comédie.
Libre Théâtre vous propose d’explorer quelques procédés utilisés par Feydeau à travers son œuvre : l’argot, les jurons,  les accents, les mots inventés, les mots mal utilisés, les erreurs de liaison, les dérèglements du langage, l’invention d’une langue, les formules-scie, l’onomastique ridicule des personnages, les jeux de mots, les répétitions…

L’argot

C’est la pièce  Occupe toi d’Amélie ! qui offre le plus grand nombre d’expressions argotiques : on retiendra le « Qu’il est bath !  » d’Amélie devant un diamant,  » et la célèbre séquence :

Marcel, se laissant tomber sur l’extrême droite du canapé, le coude gauche sur le dossier, la tête dans la main.
Eh ! parce que j’en ai assez de la mouise où je me débats depuis un an !
Irènequi ne comprend pas.
La mouise?
Amélie.
Oui, c’est-à-dire la purée.
Irènemême jeu.
La purée?
Etienne.
La débine.
Irènemême jeu.
La débine?
Pochettrès gentiment.
La crotte.
Irènerépétant machinalement.
La cr… Oh !
Marcelsans se lever, se retournant vers Irène.
Je n’ai plus le sou, quoi ! Je n’ai plus le sou, voilà !…

Jurons

L’exemple le plus marquant est le « Ta gueule », prononcé par le jeune Toto (7 ans) à M. Chouilloux, fonctionnaire du Ministère des Armées, dans On purge Bébé !

Les accents

Théâtre des Nouveautés. Affiche de Paul Maurou, 1893.
Théâtre des Nouveautés. Affiche de Paul Maurou, 1893.

L’accent suisse de Chamel dans Champignol malgré lui
Fus ne nus entendiez donc pas ? Nus fus abbelions.
L’accent alsacien d’Annette dans Feu la mère de Madame qui ne cesse de dire Mâtâme ! Mâtâme ! Mon Tié ! Mon Tié !
Annette.
Che fais mette ine chipe !
Lucien.
 Eh! “ine chipe! ine chipe !” si vous croyez qu’on fera attention à vous ! à cinq heures du matin !
Annette.
Che peux pas aller comme ça en chipon ! c’est pas gôrrect .
Lucien.
Eh ! bien prenez un waterproof.
Annette.
Ché n’ai bas dé vatfairpoufe.
Lucien.
 Eh ! bien ! vous prendrez mon pardessus qui est pendu dans l’antichambre.
Annette.
Ah ! c’est écal ! c’est pas gôrrect !
Lucien.
Bon, bon, ça va bien, allez !
Annette.
De quoi qu’est-ce que che vais avoir l’air ! t’ine femme touteuse !
Lucien.
Eh ! bien ! si on vous enlève, vous viendrez me le dire.
Annette.
 Comme ine crue ! (Elle sort par le fond).

Affiche du Théâtre du Palais-Royal, 09-01-1894. Source : Bnf/ Gallica
Affiche du Théâtre du Palais-Royal, 09-01-1894. Source : Bnf/ Gallica

L’accent hispanique du Général Irriga dans Un Fil à la patte

Yo no pouis pas ! Yo souis trop émoute ! Ah ! quand yo recevous cette lettre de vouss ! Cette lettre ousqué il m’accordait la grâce dé… oune entrefou pour tous les deusses ; ah ! Caramba ! caramba !… (Ne trouvant pas de mot pour exprimer ce qu’il ressent.) Qué yo no pouis dire.

L’accent hispanique Carlos Homenides de Histangua dans La Puce à l’oreille

Cé n’est pas la yhaloussie ! mais yo trouve qué c’est ounférior à la dignité.

L’accent britannique de Maggy dans le Dindon

Maggy.
Oh ! yes ! parce que je vous haime toujours, moâ ! Ah ! dear me ! pour trouver vous, j’ai quitté London, j’ai traversé le Manche qui me rend bien malade… j’ai eu le mal de mer, j’ai rendu… j’ai rendu… comment disé ?
Vatelin.
Oui ! oui. Ca suffit ! Après ?…
Maggy.
No, j’ai rendu l’âme, mais ce m’est égal !… Je disei ! Je vais la voir, loui… et je souis là, pour houitt jours.

…puis le mari de Maggy, Soldignac toujours dans le Dindon

Soldignac.
Mon cher ami, j’ai appris une chose, vous allez être bien étonné, je suis coquiou.
Vatelin.
Co… quoi ?
Soldignac.
Pas coquoi, coquiou… madame Soldignac me trompe si vous préférez.

Dans Un Fil à la patte,  le comique repose sur un dialogue mêlant anglais et français : Miss Betting, la suivante de Mlle Vivianne, dialogue en anglais avec la Baronne, mère de Vivianne qui ne comprend rien.

Mots inventés

Dans Occupe toi d’Amélie :

Pochet : Sufficit ! en matière de duel, le règlement est péremptoire: c’est celui qu’il a reçu la première gifle qu’il est l’offensé ! le reste ne compte pas.
Van Putzeboum : te voilà, filske !… Eh bien ! me voilà, moi ! A la bonne heure ! on sent ici que tu deviens un homme sérieux… dans ce foyer familial, n’est-ce pas?

Mots mal utilisés

Pochet dans Occupe toi d’Amélie

J’espère qu’après ça, monsieur, vous ne refuserez pas d’obtempérer au retrait de vos allégations suppositoires

Dans Mais n’te promène donc pas toute nue, Clarisse multiplie les mots incorrectement utilisés :

C’est encore heureux ! Parbleu, tu es au frais, ici ! Tu ne te doutes pas que dehors nous avons au moins…trente-cinq au trente-six degrés…de latitude !

Ah ! ben ! il a du culot ! Cet homme qui a dit de toi… ping pong !

Dans Hortense a dit : « je m’en fous »

Hortense
Est-ce que Monsieur pourra me faire mon certificat ?
Follbraguet, tout en écrivant.
Oh ! pas aujourd’hui, vous le ferez prendre demain (Achevant d’écrire) cent quarante-huit francs vingt ! Neuf février 1915. Là, écrivez en dessous, “pour acquit”, et signez.
Hortense, prenant la plume.
Oui, Monsieur.
Follbraguet.
Non, non, “pour acquit”, pas en trois mots, c’est pas une interrogation (Épelant) P-o-u-r, plus loin…a-c-q-u-i-t !…
Hortense.
J’ai oublié de mettre les traits d’oignon.
Follbraguet.
Ce n’est pas utile. Signez.

Erreurs de liaisons : pataquès, cuirs, velours et psiloses

Charlotte dans Champignol malgré lui

Blanchite et nourrite ?

Dans Occupe-toi d’Amélie

Paquet – Je tiens à z’y leur dire !
Pochet –  Lui as-tu, oui z’ou non, octroyé une calotte la première ?
Pochet – Eh ! bien, quand on a z’eu tort, y a pas d’honte à le reconnaître.

Source INA
Source INA

Dans On purge Bébé, Follavoine demande à la servante si elle sait où se trouvent les Hébrides :

Elle ne sait rien cette fille ! Rien ! qu’est-ce qu’on lui a appris à l’école ? (Redescendant jusque devant la table contre laquelle il s’adosse.) « C’est pas elle qui a rangé les Hébrides » ! Je te crois, parbleu ! (Se replongeant dans son dictionnaire.) « Z’Hébrides… Z’Hébrides… » (Au public.) C’est extraordinaire ! je trouve zèbre, zébré, zébrure, zébu !… Mais de Zhébrides, pas plus que dans mon œil ! Si ça y était, ce serait entre zébré et zébrure. On ne trouve rien dans ce dictionnaire !

puis la mère, Julie, s’y met sans plus de succès et enfin ils trouvent et résument la scène :

Julie, furieuse, allant jusqu’au coin gauche de la table sur laquelle elle pose son seau.
Oh ! c’est trop fort ! Quand c’est moi qui ai pris le dictionnaire ! quand c’est moi qui ai cherché dedans !
Follavoine, descendant par la droite de la table. Sur un ton persifleur.
Oui, dans les E !
Julie.
Dans les E…dans les E d’abord ; comme toi avant, dans les Z ; mais ensuite dans les H.
Follavoine, s’asseyant sur le fauteuil qui est à droite devant la table. L’air détaché, les yeux au plafond.
Belle malice, quand j’ai eu dit : “Pourquoi pas dans les H” ?
Julie, gagnant la gauche.
Oui, comme tu aurais dit “Pourquoi pas dans les Q” ?
Follavoine.
Oh ! non, ma chère amie, non ! si nous en arrivons aux grossièretés !…

Les dérèglements du langage

Camille a le « palais perforé » et ne peut prononcer que les voyelles à moins d’équiper une prothèse dans Un Fil à la Patte.
Le député Coustouillu, célèbre pour ses talents d’orateur, devient maladivement timide face à la femme qu’il aime et le maçon Lapige, sous le coup de l’émotion, se met à aboyer (La Main passe).
Mathieu est affligé de crises de bégaiement en cas de mauvais temps dans Hotel du Libre échange. Pinglet essaiera de censurer le discours du bègue Mathieu, témoin indésirable, en profitant de son handicap :

Mathieu. – Nous avons été passer la nuit avec mes filles au dépôt…
Pinglet, vivement. – … toir !… au dépotoir !… (Se retournant.) Ne faites pas attention ! Il bégaie ! Il bégaie !

L’invention d’une langue

Dans Occupe-toi d’Amélie, Feydeau invente une langue slave et met la traduction française de manière à ce que les acteurs puissent mettre l’intonation voulue :

Le Généralla main à son front, au prince qui arpente nerveusement la chambre.
Swoya Altessia na jabo dot schalipp as madié? (Votre Altesse n’a pas d’ordres à me donner ?)
Le Princes’arrêtant, et après une seconde d’hésitation.
Nack. (Non.)
Le Général.
Lovo, sta Swoya Altessia lo madiet, me pipilski teradief. (Alors, si Votre Altesse le permet, je vais me retirer.)
Le Prince.
Bonadia Koschnadieff ! (Bonjour, Koschnadieff.)
Le Général.
Arwalouck, Motjarnié ! (Au revoir, Monseigneur.)

La formule-scie

La plus célèbre scie est celle de la Môme Crevette, dans La Dame de chez Maxim reprise dans La Duchesse des Folies-Bergère, signe ses apparitions et ses sorties d’un sonore et : « Et allez donc ! C’est pas mon père ! », la plupart du temps accompagné d’un lancer de jambe au-dessus d’une chaise.

Onomastique ridicule des personnages

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53049803x
Portrait d’acteurs / dessin de Yves Marevéry 1907 . Source : BnF/ Gallica

Feydeau utilise dans toutes ces pièces des noms ridicules pour mieux caractériser ses personnages. Quelques exemples…
Dufausset (pris pour un ténor) Dujeton (le ténor) dans Chat en Poche
Charançon, Gratin, Pinçon (L’Affaire Edouard)
Plucheux (Les Fiancés de Loches)
Lemplumé (La Lycéenne)
Bouzin (Un fil à la Patte)
Bamboche (Séance de nuit)
Van Putzeboum (Occupe toi d’Amélie)
Bassinet (Tailleur pour dames)
Chouilloux et Follavoine (On purge Bébé)
…sans oublier  Tunékunc, vengeance personnelle de Feydeau dans la Dame de chez Maxim (voir l’histoire de ce nom dans Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau)

Jeux de mots

C’est la pièce Chat en poche qui offre le plus de jeux de mots. La mère du jeune Lanoix lui a  recommandé de « tourner sa langue sept fois dans la bouche avant de parler »… expression qu’il prend au sens littéral rendant toute conversation avec eux très difficile…

Autres jeux de mots dans la même pièce :

Marthe.
Parle !… Mon mari était fait pour être tribun,
Pacarel.
Messieurs… Mesdames… on ne pourra pas nier.
Marthe.
Ah ! à propos de panier, ma chère Amandine, j’ai retrouvé le vôtre, votre panier à ouvrage
…..
Pacarel.
Allons ! tendez vos verres… et vous savez, c’est du vin ! Je ne vous dis que ça… il me vient de Troyes, ville aussi célèbre par son champagne que par le cheval de ce nom.
Julie.
Mais non papa, le cheval et le champagne, ça n’a aucun rapport. Ça ne s’écrit même pas la même chose.
Pacarel.
Pardon ! ai-je dit que… cheval et champagne, ça s’écrit la même chose ?
Julie.
Je ne te dis pas !… Mais il y a Troie et Troyes…ce qui fait deux.
Landernau.
Permettez… trois et trois font six.

Dans un Fil à la patte les exemples sont nombreux, mais la réplique la plus célèbre reste « comme je pus « :

De Fontanet.
Pourtant, une fois j’ai essayé de faire une chanson, une espèce de scie… (À Bois-d’Enghien, bien dans la figure.) Je me rappelle, c’était intitulé : « Ah ! pffu ! ! »
Bois-d’Enghienqui a reçu le souffle en plein visage ne peut retenir un recul de tête qu’il dissimule aussitôt dans un sourire de complaisance à Fontanet ; puis à part, gagnant la droite.
Pff ! ! quelle drôle de manie ont les gens à odeur de vous parler toujours dans le nez !
Lucetteà Fontanet
Et vous en vîntes à bout ?
De Fontanetbien modeste
Mon Dieu,… comme je pus !
Bois-d’Enghienavec conviction
Oh ! oui !
Tout le monde éclate de rire.

Répétitions de mots

Dans On purge Bébé, les mots se répètent…

Follavoine
Cela me fait… cela me fait… que j’ai une bonne pour qu’elle fasse le service de ma femme ; et non une femme pour qu’elle fasse le service de ma bonne !… ou alors, si c’est ça, je supprime la bonne.
Julie
Ce n’est pas des jarretières parce qu’on n’en fait pas des jarretières; mais puisque j’en fais des jarretières, ça devient des jarretières.

Dans Hotel du Libre échange, c’est la répétition de l’expression « Quelle nuit, mon Dieu, quelle nuit ! » par 5 personnages différents dans le troisième acte qui rythme la scène.

 

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers d’autres articles :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Autres liens

Site en italien consacré à l’œuvre de Feydeau : https://annamariamartinolli.wordpress.com/

Le vaudeville et Feydeau, à travers deux articles de  Georges Feydeau

1. Article de Georges Feydeau, publié à la Une du Matin, le 15 mars 1908

voir ci-dessous le document original numérisé.

Le Vaudeville Moderne / De la paresse à la gloire : comment je suis devenu vaudevilliste, par Georges Feydeau

Il est plus facile d’être vaudevilliste que d’expliquer pourquoi on l’est. Néanmoins, je vais essayer. Il faut vous dire que j’y suis contraint. Le Matin m’avait prié de lui fournir un article à ce sujet. Il fallait parler de moi. Toute modestie à part, c’est toujours très gênant de parler de soi. On est, dans notre métier surtout, si accoutumé aux traîtrises qu’on en arrive à se méfier de soi-même. Je venais pour m’excuser et me défiler, mais il arriva que, bientôt, je me trouvai enfermé dans un cabinet, confortable il est vrai, et congrûment éclairé, et, à travers la porte close, j’entends une voix me crier “Je ne vous rendrai votre liberté que contre le papier promis… » Je reconnus la voix de celui qui parlait ainsi, un tyran irréductible, et je dus reconnaître en même temps qu’en effet je l’avais promis, ce papier sur ma vocation. C’est presque du vaudeville. C’est parfait. Ainsi je m’exécute, d’autant plus que j’ai hâte d’être libre. Ô liberté !… Enfin…

Comment je suis devenu vaudevilliste ? C’est bien simple. Par paresse. Cela vous étonne ? Vous ignorez donc que la paresse est la mère miraculeuse, féconde du travail. Et je dis miraculeuse, parce que le père est totalement inconnu. J’étais tout enfant, six ans, sept ans. Je ne sais plus. Un soir on m’emmena au théâtre. Que jouait-on ? Je l’ai oublié. Mais je revins enthousiasmé. J’étais touché. Le mal venait d’entrer en moi. Le lendemain, après n’en avoir pas dormi de la nuit, dès l’aube je me mis au travail. Mon père me surprit. Tirant la langue et, d’une main fiévreuse, décrêpant mes cheveux emmêlés par l’insomnie, j ‘écrivais une pièce, tout simplement.
— Que fais-tu là ? Me dit mon père.
— Une pièce de théâtre, répondis-je avec résolution.
Quelques heures plus tard, comme l’institutrice chargée d’inculquer les premiers éléments de toutes les sciences en usage —une bien bonne demoiselle, mais combien ennuyeuse ! — venait me chercher :
—Allons Monsieur Georges, il est temps.
Mon père intervint :
— Laissez Georges, dit-il doucement, il a travaillé ce matin. Il a fait une pièce. Laissez- le.
Je vis immédiatement le salut, le truc sauveur. Depuis ce jour béni, toutes les fois que j’avais oublié de faire mon devoir, d’apprendre ma leçon, et cela, vous pouvez m’en croire, arrivait quelquefois, je me précipitai sur mon cahier de drames. Et mon institutrice médusée me laissait la paix. On ne connaît pas assez les ressources de la dramaturgie. C’est ainsi que je commençai à devenir vaudevilliste. Puis je continuai. Au collège, à Saint-Louis, j’écrivis des dialogues héroïques et crépitants, mais, comme le pion me les chipait à mesure et que je n’ai pas gardé le moindre souvenir de ces chefs-d’oeuvre scolaires, je n’en parlerai pas davantage. Cependant, j’étais dès ce moment, animé d’une violente ardeur pour le théâtre.  Auteur ? Acteur ? Peu m’importait encore. Je me souviens d’avoir organisé, essayé plutôt, avec Féraudy, mon condisciple, encore qu’il fût chez les grands quand j’étais chez les petits, une représentation dans une salle que nous avions louée, près de la rue Boissy-d’Anglas. Nous devions jouer le Gendre de M. Poirier. Des circonstances empêchèrent que la chose eût lieu, mais tout de même l’intention y était

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9016275v
Tournée Saint-Omer. Tailleur pour dames prochainement. Comédie-vaudeville de Mr Georges Feydeau… Le Grand succès du théâtre de la Renaissance de Paris : [affiche
C’est plus tard, au régiment, au 47e de ligne, s’il vous plaît, que j’écrivis ma première grande pièce Tailleur pour dames. Saint-Germain et Galipaux y tenaient les rôles principaux. Ce fut un succès. Ma joie ! Mes espoirs ! Hélas ! ce n’était pas arrivé, comme je le.pensais bénévolement. Il me fallut déchanter. Je connus l’angoisse des demi-succès. J’avais de la philosophie déjà, naturellement, sans compter l’expérience, depuis. Je déchantai donc, mais je ne perdis pas courage. Au contraire, je me cherchai des raisons. Je trouvai, car je suis entêté. Avec de la paresse et de l’entêtement, on est toujours sûr d’arriver à quelque chose.Je me rappelle qu’à la sortie de Tailleur pour dames, ayant rencontré Jules Prével, celui-ci me dit d’un ton que je n’oublierai pas « On vous a fait un succès, ce soir, mais on vous le fera payer. »

Jamais homme n’avait parlé avec autant de sagesse et de vérité. Cependant je remarquai que les vaudevilles étaient invariablement brodés sur des trames désuètes, avec des personnages conventionnels, ridicules et faux, des fantoches. Or, je pensai que chacun de nous, dans la vie, passe par des situations vaudevillesques, sans toutefois qu’à ces jeux nous perdions notre personnalité intéressante. En fallait-il davantage ? Je me mis aussitôt à chercher mes personnages dans la réalité, bien vivante, et, leur conservant leur caractère propre, je m’efforçai, après une exposition de comédie, de les jeter dans des situations burlesques. Le plus difficile était fait, il ne restait qu’à écrire les pièces, ce qui, pour un bon vaudevilliste, vous le savez, n’est plus qu’un jeu d’enfant. Ai-je réussi ? En doutant, je montrerais de l’ingratitude envers le public qui m’a prodigué ses applaudissements, et qui a ri quelquefois de bon coeur, quand ma seule intention était de lui plaire et de le faire rire autant qu’il est possible. Mais ce sont les lettres, venues de partout, qui vous affirment, à vous-même, la gloire que vous rêvez. Et j’en ai reçu. Combien ! Une, tenez. Un jour, un monsieur qui signait J.B. m’écrit de Bordeaux, m’appelant « cher maître » et vantant, avec mon goût très sûr, mon esprit délicat et mon talent immense. Ce sont ses propres termes. Il m’envoyait en même temps un manuscrit. Une pièce prestigieuse d’esprit, affirmait-il, sur laquelle il demandait mon avis, par politesse, en m’offrant d’être son collaborateur. La pièce dépassait les bornes du permis en fait d’idiotie. Je la renvoyai à son modeste auteur avec mes regrets. Or, moins d’une semaine après, je reçus de mon correspondant bordelais une lettre furieuse. Il me traitait des pieds à la tête, et il terminait par ces mots d’une exquise urbanité : « Et puis je vous em…! » À quoi je répondis avec sérénité : « Plus maintenant, cher Monsieur, j’ai fini de lire votre pièce. » Ce fut tout, mais c’était la gloire.

Le Matin : derniers télégrammes de la nuit, Edition du 15/03/1908. Source : BnF/ Gallica

2. Lettre de Georges Feydeau à Serge Basset (journaliste au Figaro) en 1905 : Le vaudeville et le mélodrame sont-ils morts ?

Quelle plaisanterie ! Mort le vaudeville ? Mort le mélodrame ? Ah ! çà ! donneriez-vous dans les idées de ce petit cénacle de jeunes auteurs qui, pour essayer de tuer ces genres florissants qui le gênent, n’a trouvé d’autre moyen que de décréter tout simplement qu’ils étaient morts ! Mais voyons, mon cher ami, s’ils étaient morts, est-ce qu’on se donnerait tant de peine pour le crier à tous les échos ? Quand une chose n’est plus, éprouve-t-on le besoin d’en parler ?

Enfin, si le vaudeville et le mélodrame étaient morts, est-ce qu’on les jouerait quatre ou cinq cents fois de suite, quand à succès égale, une comédie, genre DIT supérieur (comme s’il y avait une classification des genres !), se joue péniblement cent fois ? Comment expliquer cette durée tout à l’avantage du genre défunt ? Peut-être par le dicton «Quand on est mort, c’est pour longtemps !» À ce compte-là, vive la mort !

Non, la vérité, c’est qu’il y a vaudeville et vaudeville, mélodrame et mélodrame, comme il y a comédie et comédie. Quand un vaudeville est bien fait, logique, logique surtout, qu’il s’enchaîne bien, qu’il contient de l’observation, que ses personnages ne sont pas uniquement des fantoches, que l’action est intéressante et les situations amusantes, il réussit. […]

Ce que je reproche particulièrement aux détracteurs du vaudeville comme du mélodrame, c’est leur mauvaise foi dans la lutte qu’ils entreprennent. Lorsqu’un vaudeville ou un mélodrame tombe, vous les entendez tous hurler en chœur : «Vous voyez bien que le vaudeville est mort ! Quand je vous disais que le mélodrame était fini !» Pourquoi donc deviennent-ils subitement muets dès qu’un vaudeville ou un mélodrame réussit ? Que diable soyons de loyaux adversaires !

Nous voyez-vous profiter de la chute de telle ou telle comédie – et il en tombe ! – pour déclarer que la comédie est morte ? Allons donc ! nous aurions trop peur de passer pour des imbéciles ; avez-vous donc moins souci de l’opinion que nous ? Que dire alors de ces présomptueux, tout imbus de la supériorité qu’ils s’accordent, qui déclarent avec un superbe dédain que le vaudeville et le mélodrame ne sont «ni de la littérature ni du théâtre ?» «Pas de la littérature», soit ! La littérature étant l’antithèse du théâtre : le théâtre, c’est l’image de la vie et dans la vie on ne parle pas en littérature ; donc le seul fait de faire parler ses personnages littérairement suffit à les figer et à les rendre inexistants. Mais «pas du théâtre», halte-là ! Il ne suffit pas, monsieur, que vous en décidiez pour que cela soit ! Le théâtre, avant tout, c’est le développement d’une action, et l’action c’est la base même du vaudeville et du mélodrame. Je sais bien qu’aujourd’hui la tendance serait de faire du théâtre une chaire ; mais du moment qu’il devient une chaire, c’est le théâtre alors qui n’est plus du théâtre.

D’ailleurs, à quoi bon discuter ? il est entendu que tout ce qui n’est pas le théâtre que font ces messieurs n’est pas du théâtre : «Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis !» Tout ceci, comme dirait notre Capus, n’a aucune espèce d’importance. Il y a des éternités que les genres en vogue ont des envieux qui cherchent à les saper, et ces genres ne s’en portent pas plus mal ! Les chiens aboient, la caravane passe !

Seulement, voilà, malgré tout j’avoue que j’aimerais bien pour mon édification personnelle avoir une preuve que tous souhaiterais que chacun d’eux, avant de retourner au genre SUPERIEUR qu’il préconise, se crût obligé d’écrire trois bons actes de vaudeville ou de mélodrame, ceci pour bien établir que s’il n’en fait plus à l’avenir, c’est qu’effectivement il le veut ainsi, parce que le genre est vraiment trop au-dessous de lui. Alors je serai convaincu. Mais jusque-là, c’est plus fort que moi, je ne pourrai jamais empêcher le vers du bon La Fontaine de monter à mes lèvres : «Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour les goujats !»

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers d’autres articles :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau.

Site en italien consacré à l’œuvre de Feydeau : https://annamariamartinolli.wordpress.com/

Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau

Le théâtre du vaudeville est souvent comparé à une machinerie, dans la construction même des intrigues. Vinaver évoque même les pièces-machine, en opposition à des pièces-paysage. Au-delà du récit, si l’on s’intéresse aux décors, le vaudeville a exploité avec brio  les possibilités offertes par les machineries du théâtre. Feydeau les utilise dans ses pièces les plus longues.

Ainsi dans La Puce à l’oreille, l’hôtel du Minet-Galant a la particularité de disposer de chambres avec des « lits sur tournette » : au cas où la police débarquerait, il suffit aux amants surpris de presser sur un bouton pour que leur lit disparaisse derrière le mur et soit remplacé par un autre lit. Dans  La Dame de chez Maxim, un réflecteur électrique permet de faire croire à l’apparition d’un fantôme. Dans Le Dindon, des sonnettes cachées sous le lit permettent de dénoncer les adultères.

Mais au-delà de ces décors ou de ces petits accessoires, Feydeau a utilisé les progrès techniques ou scientifiques comme matière première pour ses pièces.

L’automobile dans Le Circuit

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69266967
Circuit du Mans : Pilette sur Mercedes. Photographie Agence Rol. 4 août 1913. Source : BnF/ Gallica

Les courses automobiles sont au cœur du Circuit, pièce écrite en 1909. Le premier acte se déroule dans le bureau-magasin de vente du garage Grosbois. Le mécanicien Etienne a un rêve : celui de participer à une course automobile. Il est amoureux de Gabrielle, la nièce de la patronne. Rudebeuf, le fameux constructeur automobile est également tombé amoureux de Gabrielle et propose un marché : Etienne pourra courir sur sa voiture si il lui laisse Gabrielle. Mais Etienne refuse tout net, d’autant plus que Gabrielle et lui se sont mariés en cachette…. Arrive Le Brison, également un constructeur automobile qui propose à Etienne de courir, poussé par sa maîtresse Phèdre, qui a le béguin pour Etienne… A l’acte deux, tous les protagonistes se retrouvent dans un château contenant une pièce secrète, où l’on peut voir à l’intérieur sans être vu… Etienne se retrouve piégé par Phèdre dans cette pièce en situation délicate ; Gabrielle le surprend et pour se venger part avec Rudebeuf…

Le troisième acte a pour décor un lieu inhabituel au théâtre : le circuit automobile breton de Ker-Kerzoec… où concourent la Rudebeuf et la Le Brison mais aussi une Renault, une Itala, une Panhard, une Brasier, une Mercedes….

Le phonogramme dans la Main passe

llection Charles Cros. Phonographes (média : son). Graveuses de disque (média : son). Ronéophone de Pathé et la Compagnie du Ronéo - Ronéophone Dictodisc
Collection Charles Cros. Tube acoustique d’enregistrement et d’écoute, Manivelle, Cornet d’enregistrement en carton noir de marque Pathé, Diaphragme enregistreur Pathé, Diaphragme reproducteur Pathé, Disque en cire noire. 1912. Source : BnF/Gallica

La Main Passe a rencontré un vif succès en 1904. La comédie débute ainsi : alors qu’il veut enregistrer un message pour le mariage de sa sœur sur un phonogramme, Chanal reçoit la visite de Massenay qui veut lui louer un pied à terre. En réalité, il est l’amant de sa femme, dont est amoureux le député Coustouillu. L’enregistreur restitue au mari les propos passionnés des deux amants.

Feydeau précise sur le texte de la pièce : « Pour le phonographe qui sert dans la pièce, s’adresser à la maison Pathé (98, rue Richelieu) dont les appareils ont été choisis pour les représentations de Pans à cause de leur simplicité d’emploi, de leur netteté de son et aussi de la commodité de leur dimension; la maison possède en magasin les cylindres tout gravés, nécessaires à la pièce. »

Une invention de Feydeau : le fauteuil extatique

Dans la Dame de chez Maxim, Feydeau imagine un fauteuil extatique, qui permet d’endormir profondément les patients qui s’y assoient. Feydeau va bien entendu utiliser cette caractéristique tout le long de la pièce. Il est probablement influencé par les discours de époque : une première version du texte mentionne d’ailleurs le nom du docteur Moutier.  Mais ce spécialiste en électrothérapie intenta un procès à Feydeau, les scènes avec le fauteuil extatique pouvant donner lieu à des « rapprochements fâcheux » et de nature « à atteindre le docteur Moutier dans sa dignité professionnelle ». On appréciera la vengeance créative de Feydeau dans la nouvelle dénomination de l’inventeur : Tunékunc ! Nous ne résistons pas à rendre hommage au Dr Moutier avec son installation pour abaisser la pression artérielle…

Fig. 21. Installation du Dr Moutier pour abaisser la pression artérielle – Archives de Doyen. Revue […]
Collection BIU Santé – Licence ouverte

Petypon, criant merveille.
Eh ! non ! c’est le fameux fauteuil extatique ! la célèbre invention du docteur Tunékunc ! J’ai vu les expériences à Vienne lors du dernier congrès médical et je me suis décidé à me l’offrir pour ma clinique.
Mongicourt, s’inclinant.
Ah ? tu te mets bien !
Petypon.
Mais tu es destiné à l’avoir aussi ! Nous sommes tous destinés à l’avoir, nous autres médecins ! L’avenir est là, comme aux aéroplanes. Ces rayons X, on ne sait pas toutes les surprises que cela nous réserve !
Mongicourt.
Et ça n’est encore que l’enfance !

 

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers d’autres articles :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

 

Site en italien consacré à l’œuvre de Feydeau : https://annamariamartinolli.wordpress.com/

La politique dans les pièces de Feydeau

Georges Feydeau, auteur de "La puce à l'oreille" aux Nouveautés : dessin de Yves Marevéry (1907)
Georges Feydeau, auteur de « La puce à l’oreille » aux Nouveautés : dessin de Yves Marevéry (1907)

Si Feydeau est davantage connu pour son talent dans le genre du vaudeville, une plongée dans l’ensemble de son œuvre permet de découvrir qu’il est aussi un témoin attentif et critique des mœurs sociales et politiques de son époque. Il propose ainsi un regard décalé, entre absurde et humour noir, dans les monologues et dans ses dernières pièces.
Nous vous proposons plusieurs extraits de pièces pour explorer une autre facette de ce grand dramaturge français, qui vous inciteront à découvrir l’intégralité des textes, disponibles sur Libre Théâtre.

Les mentions politiques sont au début légères dans les monologues :

Ainsi dans Le volontaire, monologue de 1884, un jeune homme qui fait son service militaire refuse d’obéir aux commandements et d’aller à droite :

Quant à moi, je ne bronche pas.
Honte ! est-ce ainsi que l’on débauche,
Que l’on débauche des soldats !
Mon père est député de gauche,
Honneur à son opinion !
A son parti je me rallie.
« Qui ? moi ! faire conversion
A droite ? Jamais de la vie ! « 


En 1884, Feydeau écrit une comédie-bouffe en un acte assez décapante pour l’époque, L’homme de paille. Deux hommes se présentent chez la Citoyenne Marie pour l’épouser. La veille, celle-ci a passé une annonce : elle cherche un homme de paille en vue des prochaines élections (la présidence du Parti Radical Libéral)… La porte est ouverte, Marie n’est pas là : les deux prétendants Farlane et Salmèque vont se prendre réciproquement pour La Citoyenne. Ils se charment, se flattent, et finissent par se demander en mariage.


Dans Mais n’te promène donc pas toute nue ! (1911), la politique est au centre de la pièce.
Clarisse voudrait aller à la campagne car il fait trop chaud à Paris, mais son mari, le député Ventroux, s’insurge contre l’absentéisme parlementaire.

Ventroux
Je ne sais pas si la Chambre peut ou non se passer de moi ; ce que je sais, c’est que, quand on a assumé une fonction, on la remplit ! Ah ! ben ! ce serait du joli, si, sous prétexte qu’individuellement la Chambre n’a pas positivement besoin de chacun de nous, chaque député se mettait à fiche le camp ! Il n’y aurait plus qu’à fermer la Chambre !
Clarisse.
Eh ben ! La belle affaire ! Ça n’en irait pas plus mal ! C’est toujours quand la Chambre est en vacances que le pays est le plus tranquille ; alors !…
Ventroux,
Mais, ma chère amie, nous ne sommes pas à la Chambre pour que le pays soit tranquille ! C’est pas pour ça que nous sommes élus ! Et puis, et puis enfin, nous sortons de la question ! Je te demande pourquoi tu te promènes en chemise, tu me réponds en faisant le procès du parlementarisme ; ça n’a aucun rapport.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530948118
Dessinateurs et humoristes. Charles Léandre. Tome 2. Georges Clémenceau. 1898. Source BnF/Gallica

Ventroux tente de convaincre sa femme, Clarisse, d’arrêter de se promener en tenue légère dans l’appartement comme elle en a pris l’habitude.  Il ne cesse de lui répéter « Mais n’te promène donc pas toute nue ! », car Clémenceau habite en face.

Ventroux.
Tu ne connais pas Clémenceau ! c’est notre premier comique, à nous !… Il a un esprit gavroche ! Il est terrible ! Qu’il fasse un mot sur moi, qu’il me colle un sobriquet, il peut me couler !
Clarisse.
T’as pas ça à craindre, il est de ton parti.
Ventroux.
Mais, justement ! c’est toujours dans son parti qu’on trouve ses ennemis ! Clémenceau serait de la droite, parbleu ! je m’en ficherais !… et lui aussi !… mais, du même bord, on est rivaux ! Clémenceau se dit qu’il peut redevenir ministre !… que je peux le devenir aussi !…
Clarisse, le toisant.
Toi?
Ventroux, se levant.
Quoi ? Tu le sais bien ! Tu sais bien que, dans une des dernières combinaisons, à la suite de mon discours sur la question agricole, on est venu tout de suite m’offrir… le portefeuille… de la Marine.

Le député Ventroux est d’autant plus soucieux de la tenue de sa femme qu’il doit recevoir un important industriel, M. Hochepaix, par ailleurs maire de Moussillon-les-Indrets et adversaire politique. Une fois arrivée, Clarisse se présente de nouveau en petite tenue.

Ventrouxéclatant et en marchant sur sa femme de façon à la faire remonter.
Oui ! Eh ! bien, en voilà assez ! je te prie de t’en aller !
Clarisse, tout en remontant.
C’est bien ! c’est bien ! mais alors c’était pas la peine de me demander d’être aimable.
Ventroux, redescendant.
Eh ! qui est-ce qui te demande d’être aimable ?
Clarisse.
Comment qui ? Mais toi ! toi ! C’est toi qui m’as bien recommandé : « Et si tu vois M. Hochepaix… »
Ventroux,  flairant la gaffe, ne faisant qu’un bond vers sa femme, et vivement à voix basse.
Oui ! bon ! bon ! Ça va bien !
Clarisse, sans merci.
Il n’y a pas de : « Bon, bon ! ça va bien !  » (Poursuivant) « … Je te prie au contraire d’affecter la plus grande amabilité !…  »
Ventroux, allant protester vers Hochepaix.
Moi ! Moi ! mais jamais de la vie ! jamais de la vie !
Clarisse, de même.
C’est trop fort ! tu as même ajouté : « Ça a beau être le dernier des chameaux… »
Ventrouxavec le mouvement du corps d’un monsieur qui recevrait un coup de pied quelque part.
Oh !
Hochepaix, avec une inclination de tête qu’accompagne un sourire de malice.
Ah ?
Clarisse, poursuivant sans pitié.
« … n’empêche que c’est un gros industriel qui occupe de cinq à six cents ouvriers, il est bon de se le ménager !  »
Ventroux, parlant en même temps que Clarisse et de façon à couvrir sa voix.
Mais non ! mais non ! Mais jamais de la vie ! jamais de la vie je n’ai parlé de ça ! Monsieur Hochepaix ! vous ne croyez pas, j’espère ?…
Hochepaix, indulgent.
Ah ! bah ! quand vous auriez dit !…

Arrive ensuite un journaliste du Figaro, Romain de Jaival venu réaliser une interview du député.

Voici : je vous suis envoyé par mon journal pour vous demander une interview. (…)Sur la politique en général… Comme vos derniers discours vous ont mis très en vue !…(…) Je dis ce que tout le monde pense !… et en particulier sur le projet de loi dont vous êtes un des promoteurs : « Les accouchements ouvriers ». L’accouchement gratuit et l’État sage-femme. Seulement, je voudrais faire quelque chose de pimpant, de pittoresque, de pas tout le monde ! Je m’attache à faire des chroniques brillantes ; si vous m’avez déjà lu !…

Lorsqu’une guêpe s’en mêle et pique Clarisse à la fesse, celle-ci s’affole… Elle prend le journaliste du Figaro pour le médecin et lui demande d’ôter l’aiguillon, tout cela sous les fenêtres de Clémenceau…


Dans Les Réformes (monologue 1885), un « Candidat du parti de ses électeurs » décrit son programme réformiste d’une étonnante actualité :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400856s
Coquelin cadet : portrait / par Lhéritier. Source : BnF/ Gallica

 » Et d’abord, je réforme tout ! Je suis pour la réforme, moi !…Ainsi, tenez, la révision, puisque nous en parlons, la fameuse révision ! Qu’est-ce que c’est ? On veut réformer la Constitution ! C’est parfait ! je ne la connais pas, moi, cette Constitution ; mais il est évident qu’elle a besoin de réparations parce qu’il n’est pas de si bonne Constitution qui ne se détériore avec le temps. Alors il s’est agi de s’entendre. C’est pour cela qu’on a réuni le Congrès… et on n’a rien entendu du tout ! On a crié si fort, qu’il n’y a que les sourds qui ont entendu quelque chose, et que ceux qui entendaient en sont revenus sourds. Eh ! bien, pendant qu’on criait, je l’ai trouvé le remède ; je l’ai trouvé dans le journal. Pour les constitutions faibles, demander le fer Bravais ! Eh bien, voilà votre affaire ! le fer ! tout le monde aux fers ! C’est le seul moyen d’avoir un peuple libre et indépendant. Eh ! bien, alors, vling ! vlan ! Réformons ! »


Le texte de la Lycéenne (1887) est plus subversif : Monsieur et Madame Bichu veulent marier leur fille, Finette, lycéenne de 17 ans à Saboulot, un professeur de physique de 47 ans. Finette refuse ce mariage : elle est amoureuse d’Apollon Bouvard,  jeune peintre désargenté, qui s’introduit dans la maison de la jeune fille au moment de la signature du contrat de mariage. Apollon et Finette font tout pour empêcher cette signature : Finette est renvoyée au pensionnat, où elle provoque la révolte des lycéennes…

Finette,
« En voilà un sous clé ! Et voilà comment on fait les révolutions. Ah ! mesdemoiselles, si vous le vouliez, c’est vous qui feriez la loi ici.
Les élèves. 
Comment cela ?…
Finette.
Tenez, puisque nous sommes seules, eh bien ! conspirons ! Nous allons faire un meeting
Les élèves. 
C’est cela ! un meeting ! un meeting !
Finette, montant à la chaire. 
Je m’accorde la parole !… Oui, mesdemoiselles !…
Rose.
Appelez-nous « lycéennes »
Finette.
Oui, lycéennes, il ne tient qu’à vous d’être maîtresses ici. Mais regardez !… À quels adversaires avons-nous affaire ? À des hommes ! Qu’est-ce que c’est que ça, des hommes ?
Toutes.
Hé ! Hé !
Finette.
Il n’y a pas de hé ! hé ! Qu’est-ce qui fait la force de nos chefs, c’est notre faiblesse. Oui, lycéennes, relevez la tête, vous représentez le nombre, par conséquent, vous êtes la force.
Chœur.
Lycéenne, prépare-toi !
Bientôt l’heure sera sonnée
Où tu pourras faire la loi
En conquérant tout ton lycée.
Marchons ! Renversons tout à bas,
Et toutes femmes que nous sommes,
Prouvons qu’on ne nous conduit pas
Ainsi que l’on conduit des hommes.

Si l’on peut rire de cette pochade, la morale de cette histoire est que la jeune Finette parviendra à ses fins : épouser l’homme qu’elle aime et non pas le vieux barbon que lui destinaient ses parents !


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84364783
Maquette d’Emile Bertin, pour le tableau de « l’Orgie », dans l’Age d’Or. : [estampe] / L. Geisler sc 1905. Source : BnF/Gallica
Une autre pièce étonnante à redécouvrir est l’Âge d’or (1905). Feydeau propose un voyage dans le passé et dans le futur. Il imagine notamment les années 2000 : le féminisme triomphe, les voitures roulent si vite qu’on ne les voit même plus et le luxe absolu est de vivre aux derniers étages des immeubles car l’on bénéficie de terrasses verdoyantes. La publicité est partout.

Les progressistes et les anticléricaux ont gagné. La statue de Thalamas a remplacé la statue de Jeanne d’Arc : Feydeau rend ainsi hommage au professeur Thalamas, insulté et frappé par les camelots du Roi, la branche étudiante de l’Action française lorsqu’il a osé enseigner l’histoire de Jeanne d’Arc. De même, la rue des Abbesses est renommée Emile Combes, un des héros de la laïcité en France.
Dans la rue, on croise un « pauvre archimillionnaire » touché par « l’impôt progressif » : ce rentier qui touche deux millions de rente est imposé à 102%… et il est contraint de travailler pour payer les 2% en plus… (voir aussi la Complainte du pauv’ propriétaire de 1916 le dernier monologue écrit par Feydeau).


Dans Cent millions qui tombent (pièce inachevée de 1911), Georges Feydeau évoque avec humour le syndicalisme et la révolte ouvrière : John, nom qui lui a été donné par la maîtresse de maison, alors qu’il s’appelle Alphonse, est secrétaire de la Confédération générale des gens de maison, la C.G.D.G.D.M. Il est préposé spécialement aux sabotages et s’explique :

« Que ce soir, il me plaise d’envoyer l’ordre, et à sept heures et demie sonnantes, tous les valets de chambre de Paris auront craché en même temps dans le potage de leurs maîtres ! Ça n’est pas beau, ça ? (…)
Oh ! mais patience, nous aurons notre tour ! pas vrai Isidore ? (…)
Notre tour ? Mais ça sera qu’il n’y aura plus de domestiques ni de maîtres ! qu’on prendra l’argent à ceux qu’en ont pour nous le donner, à nous… et comme ils seront pauvres, ce sera eux qui seront obligés de devenir nos domestiques et nous les ferons trimer. Ce sera la revanche ! C’est ce qu’on appelle l’émancipation générale. »

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les autres articles :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Site en italien consacré à l’œuvre de Feydeau : https://annamariamartinolli.wordpress.com/
Traduction de cet article en italien : https://annamariamartinolli.wordpress.com/2016/03/03/la-politica-nelle-pieces-di-georges-feydeau/

Cent millions qui tombent, de Georges Feydeau

Pièce en trois actes inachevée. Les deux premiers actes de cette pièce, qui ne fut jamais terminée par l’auteur, ont été néanmoins répétés en Janvier 1911 sur la scène de l’ancien Théâtre des Nouveautés.
Distribution : 7 hommes – 5 femmes

Téléchargez la pièce gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b85969490
Cassive, dans l’Album Reutlinger, qui interprète le rôle de Paulette dans les premières répétitions en 1911.

John, domestique de Paulette, une jeune femme peu agréable avec les gens de maison, essaie de convaincre ses collègues, Isidore et Philomèle de se rebeller quand leur maîtresse arrive. Son amant d’un soir Snobinet, un comédien du théâtre Sarah Bernhardt, est encore dans la chambre quand soudain Serge, qui entretient Paulette, arrive de manière impromptue de Monte-Carlo. Snobinet essaie de se cacher comme il peut. Il termine sous une table, Serge étant persuadé qu’il s’agit du chien de la maison. Serge découvre qu’il a été trahi, mais son courroux est de courte durée : il apprend à Paulette qu’il est ruiné. Il va falloir qu’ils trouvent d’autres arrangements… Des amis de Paulette arrivent pour le déjeuner quand un message arrive pour le domestique Isidore: il vient d’hériter de cent millions… Toutes les relations sociales se trouvent bouleversées par cette nouvelle.

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les articles suivants :

Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Biographie de Georges Feydeau

Portrait de Georges Feydeau, auteur dramatique, par Carolus-Duran (1837-1917). Musée des Beaux-Arts de Lille
Portrait de Georges Feydeau, par Carolus-Duran. Musée des Beaux-Arts de Lille

Georges Feydeau est né à Paris en 1862. Il est le fils du romancier Ernest Feydeau et de Léocadie Bogaslawa Zelewska. Plusieurs sources mentionnent qu’il serait le fils de Napoléon III ou du Duc de Morny. Il grandit au sein d’un milieu littéraire et bohème.

« Comment je suis devenu vaudevilliste ? C’est bien simple. Par paresse. Cela vous étonne ? Vous ignorez donc que la paresse est la mère miraculeuse, féconde du travail.

Et je dis miraculeuse, parce que le père est totalement inconnu.

J’étais tout enfant, six ans, sept ans. Je ne sais plus. Un soir on m’emmena au théâtre. Que jouait-on ? Je l’ai oublié. Mais je revins enthousiasmé. J’étais touché. Le mal venait d’entrer en moi. » (voir la suite dans l’article Le vaudeville et Feydeau)

En 1873, il écrit Eglantine d’Amboise, pièce historique qui se déroule à l’époque de Louis XIII, puis  en 1878 un drame : L’Amour doit se taire.
Georges Feydeau renonce assez tôt à des études poussées pour se consacrer au théâtre. Il tente tout d’abord  une carrière d’acteur et fonde au sein du Lycée Saint-Louis la compagnie le Cercle des Castagnettes, destiné à donner des concerts et des représentations théâtrales.

Le 2 avril 1880, lors d’une séance du Cercle, une élève du Conserva­toire dit La Petite Révol­tée,  le premier monologue de Feydeau, qui sera récité dans quelques salons. Sa première pièce, Par la fenêtre, est jouée en 1882, alors qu’il n’a que 20 ans.  Feydeau écrit plusieurs monologues, dits par Galipaux, Coquelin cadet et Saint-Germain (Le Mouchoir, Un coup de tête,  Un monsieur qui n’aime pas les monologues, Trop vieux, J’ai mal aux dents…). En 1883, Amour et piano, pièce en un acte est représentée par le Cercle de l’Obole à l’Athénée-Comique le 28 janvier, est très bien reçue par la critique.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400856s
Coquelin cadet : portrait / par Lhéritier. Source : BnF/ Gallica

Gibier de potence, comédie-bouffe en un acte, est créée au Cercle des Arts intimes le 1er juin, où Feydeau joue lui-même le rôle titre. Feydeau continue à écrire des monologues dit par Coquelin cadet (Le Potache et Patte en l’air) et par Judic (Aux antipodes, Le Petit Ménage).

En novembre 1883, Feydeau est incorporé au régiment d’infanterie. L’année suivante, il fait représenter de nouveaux monologues par Coquelin cadet (Les Célèbreset par Galipaux (Le Volontaire). Feydeau devient secrétaire général du théâtre de la Renaissance, dirigé par Fernand Samuel.

En 1884, il écrit L’Homme de paille.

Entre mars 1885 et début mars 1886, Feydeau tient la rubrique « Courrier des théâtres » au XIXe siècle, journal dirigé par son beau-père, Henry Fouquier. Il continue à écrire des monologues, dits par Coquelin cadet et Saint-Germain: Les Réformes, Le Colis et Le Billet de mille.

Fiancés en herbe, une comédie enfantine en un acte, est créée le 29 mars 1886 à la salle Kriegelstein. Deux nouveaux monologues  sont interprétés par Coquelin cadet :  L’Homme intègre et L’Homme économe. 

Feydeau fréquente les milieux mondains, les salons littéraires et les cercles privés  grâce à la  notoriété de son père et  la recommandation de son beau-père. Il rencontre des acteurs, des musiciens, des écrivains, des critiques littéraires, des journalistes, et aussi des peintres, d’autant plus qu’il prend des cours dans l’atelier du portraitiste Carolus-Duran.

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Tailleur pour dames.  Affiche 1887. Source : BnF/Gallica

Feydeau abandonne ses fonctions au théâtre de la Renaissance et peu après rencontre enfin un grand succès tant auprès de la critique que du public avec Tailleur pour damescomédie en trois actes créée au Théâtre de la Renaissance le 17 décembre 1886.

Il créé en 1887 un nouveau monologue, Les Enfants, pour Coquelin aîné. Les œuvres suivantes (La Lycéenne en 1887, Un Bain de ménage , Chat en poche, Les Fiancés de Loches en 1888, L’Affaire Édouard en 1889, écrite avec Maurice Desvallières) ne rencontrent pas le même succès.  En 1889, Feydeau épouse Marianne Carolus-Duran, la fille du peintre,  avec laquelle il aura quatre enfants.. En février 1890, Feydeau est admis à la Société des auteurs et compo­siteurs dramatiques avec Henri Meilhac et Georges Ohnet pour parrains.

Feydeau rencontre de nouveaux échecs en 1890 avec deux pièces  écrites en collaboration avec Maurice Desvallières : C’est une femme du monde, comédie en un acte, et Le Mariage de Barillon, vaudeville en trois actes, créées  au théâtre de la Renaissance. Il continue à écrire des monologues : Tout à Brown-Séquardmonologue dit par Coquelin cadet en 1890 et Madame Sganarelle (1891)

Théâtre des Nouveautés. Affiche de Paul Maurou, 1893.
Théâtre des Nouveautés. Affiche de Paul Maurou, 1893.

La consécration vient en 1892 avec les pièces Monsieur chasse !, Champignol malgré lui et Le Système Ribadier : il devient alors le « roi du vaudeville ». Nouveau succès avec Un fil à la pattecomédie en trois actes, créée le 9 janvier 1894au Théâtre du Palais-Royal : 129 représentations.

Mais en 1894, il connait aussi quelques échecs avec Notre futur et Le Rubancomédie écrite avec Desvallières, avant de renouer avec le succès en fin d’année avec  L’Hôtel du Libre Échangeécrite avec Maurice Desvallières et créée le 5 décembre 1894 au théâtre des Nouveautés (371 représentations).

En 1896, il crée le Dindon (succès : 275 représentations), puis les Pavés de l’ours. 1897 voit le montage de deux nouvelles pièces : Séance de nuit et  Dormez, je le veux ! 
Feydeau poursuit en parallèle une carrière d’acteur avec Robert de Flers et Mme Gaston de Caillavet, en jouant notamment des pièces de Maurice Donnay ou Anatole France. En 1898, Feydeau écrit le livret de la Bulle d’amour sur une musique de Francis Thomé. Coquelin cadet crée un nouveau monologue : Le Juré.

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Germain dans « La puce à l’oreille ». Dessin de Marevéry 1907. Source : BNF/ Gallica

1899 voit le triomphe de La Dame de chez Maxim, pièce créée au théâtre des Nouveautés, qui sera jouée pendant deux ans (524 représentations) : cette pièce sera même une des principales attractions touristiques du Paris de l’Exposition Internationale. Armande Cassive, qui tient le rôle de la môme Crevette, devient l’une des interprètes favorites de l’auteur. Grâce à ce succès, l’auteur se consacre pendant deux ans à la peinture.  En 1899, il écrit un monologue pour Coquelin cadet, Un monsieur qui est condamne à mort.

L’année 1901 est difficile : Feydeau  est contraint de vendre à l’Hôtel Drouot 136 tableaux de sa collection (Boudin, Corot, Cézanne, Monet, Renoir, Sisley…). En 1902, Feydeau co- écrit avec Jules Méry sur une musique d’Alfred Kaiser le Billet de Joséphine, un opéra-comique à grand spectacle  qui est un échec (16 représentations). Il renoue avec le succès à la fin de la même année avec La Duchesse des Folies-Bergère, créée au théâtre des Nouveautés. Il est contraint en 1902 à une nouvelle vente de tableaux. En 1904, La main passe !  rencontre un vif engouement au théâtre des Nouveautés (211 représentations).

La critique accueille en 1905 avec intérêt la pièce féérique et très atypique, L’Age d’or, écrite avec Maurice Desvallières sur une musique de Louis Varney.

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Maquette d’Emile Bertin, pour le tableau de « l’Orgie », dans l’Age d’Or. : [estampe] / L. Geisler sc 1905. Source : BnF/Gallica
 L’année suivante, la critique et le public accueille favorablement Le Bourgeon au théâ­tre du Vaudeville. La Puce à l’oreille triomphe en 1907, mais les représentations sont interrompues avec la mort de l’acteur Torin, qui interprète la rôle de Camille. Nouveaux succès en 1908 avec Occupe-toi d’Amélie et de Feu la mère de Madame.

En 1909, le Circuit, pièce écrite  en collaboration avec Francis de Croisset est un échec. Marqué par sa séparation avec sa femme et son installation à l’Hôtel Terminus, les pièces suivantes s’éloignent du vaudeville et sont plus proches de comédies de mœurs, dans lesquelles il tourne en ridicule la médiocrité des existences bourgeoises : On purge bébé ( 85 représentations en 1910), Mais n’te promène donc pas toute nue ! (la pièce créée le 25 novembre 1911 tient l’affiche jusqu’au début de mars 1912).

En 1911, Léonie est en avance ou Le Mal joli, reçoit un bon accueil de la critique. En 1912 Feydeau est élu vice-président de la Société des auteurs et com­positeurs dramatiques (jusqu’en 1914) et en juillet 1913, il est nommé officier de la Légion d’honneur.
Je ne trompe pas mon mari, pièce écrite en collaboration avec René Peter et créée en février 1914  au théâtre de l’Athénée rencontre un bon accueil de la critique et du public (200 représentations). En 1916, Hortense a dit : « Je m’en fous ! », est également un succès avec 89 représentations. Cette même année, Feydeau écrit son dernier monologue La Complainte du pauv’ propriétaire.

Georges Feydeau, auteur de "La puce à l'oreille" aux Nouveautés : dessin de Yves Marevéry (1907)
Georges Feydeau, auteur de « La puce à l’oreille » aux Nouveautés : dessin de Yves Marevéry (1907)

En 1919, il souffre des premiers symptômes de la syphilis (troubles psychiques) et est installé par ses enfants dans une mai­son de santé à Rueil-Malmaison.  Il meurt le 5 juin 1921 et est enterré le 8 juin au cimetière Montmartre. C’est Robert de Flers, président de la Société des auteurs, qui fait son éloge funèbre.


Hommage à Feydeau

Par Sacha Guitry, dans Portraits et anecdotes.

« Je pense qu’aucun homme, jamais, ne fut plus favorisé que lui par le Destin. Il avait, dans son jeu, tous les atouts : la beauté, la distinction, le charme, le goût, le talent, la fortune et l’esprit. Puis, le Destin voulant parachever son œuvre, il eut ce pouvoir prodigieux de faire rire… D’autres, me direz-vous, l’avaient eu avant lui et d’autres l’ont encore, ce pouvoir, (…) mais lui, Georges Feydeau, ce qu’il avait en outre, et sans partage, c’était le pouvoir de faire rire infailliblement, mathématiquement, à tel instant choisi par lui et pendant un nombre défini de secondes.  Ses pièces étaient conçues, construites, écrites, mises en scène et jouées à une cadence particulière et que, vingt ans après sa mort, on est tenu de respecter.
Ses vaudevilles, puisque c’est ainsi qu’on appelle ses oeuvres, portent sa marque indélébile. D’autres vaudevilles ressemblent aux siens, mais les siens ne ressemblent pas aux vaudevilles des autres.
Faites sauter le boîtier d’une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs – mystère charmant, prodige ! C’est une pièce de Feydeau qu’on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c’est une pièce de Feydeau vue de la salle – les heures passent, naturelles, rapides, exquises…
Il était un ami fidèle, attentif et discret. C’était un solitaire – et cet homme qui faisait éclater de rire ses contemporains, a traversé la vie mélancoliquement. Son visage était si fin, si beau, si français que c’est celui que M. Larousse avait choisi pour illustrer le mot moustache. »

Jean Cocteau
En 1941, Jean Cocteau réalise les décors et les costumes de la Main passe (article paru dans La Gerbe, le 6 février 1941. Source : BNF/ Gallica

« Pourquoi Marcel Ferrand et Jean Marchat m’ont demandé les décors et les costumes de « La Main passe » ?

Parce que Feydeau est un poète lyrique dans son genre et qu’ils voulaient n’avoir recours qu’à un poète. Pourquoi ai-je accepté ? Par respect pour Feydeau-poète et pour une noble troupe qui progresse de jour en jour. Rien de plus naïf que de croire que la poésie au théâtre se limite à Musset. Musset, c’est le théâtre poétique. La poésie de son théâtre ne vient pas de ce que les personnages disent des choses poétiques qui horripilaient Baudelaire, mais d’un certain mécanisme mystérieux. Quand les Français cesseront-ils de confondre la poésie avec ce qui est poétique, le rêve et la rêverie ?

Lorsque j’étais très jeune et que je rentrais chez moi, il m’arrivait de m’arrêter à la terrasse de Maxim’s où m’attirait un homme étrange. C’était Feydeau. Considérable, le col du pardessus relevé, le melon basculé sur une toute petite figure, constellé d’opales, les yeux mi-clos jusqu’à n’être que des fentes, la moustache fine, il soulevait d’une main molle jusqu’à sa bouche sinueuse un cigare énorme. Je le conduisais souvent jusqu’au kiosque du marchand de journaux de la gare Saint-Lazare, avec lequel il conversait jusqu’à l’aube. « 

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les autres  articles :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

On va faire la cocotte de Georges  Feydeau

Pièce en deux actes inachevée à la mort de l’auteur. Le premier acte de cette comédie a été néanmoins répété sur la scène du Théâtre Michel, en février 1913. Bien qu’elle soit inachevée, cette pièce se joue régulièrement.
Distribution : 1 homme, 4 femmes.

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http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9012719q
Jane Avril au Jardin de Paris. Affiche de Toulouse-Lautrec. 1893. Source : BnF/ Gallica

L’argument

Dans la chambre à coucher, Trévelin et sa femme Emilienne  se disputent car le mari veut sortir seul. Après plusieurs manoeuvres, Trévelin parvient à ces fins. Alors qu’Emilienne  envie le sort des cocottes, son amie, Olympe Chantrot, arrive bouleversée : leurs maris les trompent ! Emilienne, pour se venger, téléphone à Blanche de Mouzy, que l’on a vu récemment aux bras de son mari. Se faisant passer pour la femme de chambre de Trévelin, elle lui raconte que son maître n’est pas encore prêt. Il faut que Madame de Mouzy vienne passer prendre M. Trévelin chez lui. A l’arrivée de Blanche, Trévelin et sa femme se disputent. Trévelin qui finalement sort avec Blanche, tandis que Emilienne et Olympe préparent leur vengeance : elles  iront faire les cocottes au jardin de Paris.

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les articles suivants :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Le Circuit de Georges Feydeau

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9020255h/
Circuit de la Sarthe : La Fiat de Hemery virant aux tribunes : [photographie de presse] / Agence Meurisse 1911. Source : BnF/ Gallica
Comédie en trois actes et quatre tableaux, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre des Variétés, le 29 octobre 1909, écrite en collaboration avec Francis de Croisset. La pièce reçoit un mauvais accueil de la critique et du public : elle quitte l’affiche le 13 décembre malgré un remaniement du troisième acte, après 44 représentations.
Distribution : 18 hommes – 8 femmes

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L’argument

Le premier acte se déroule dans le bureau-magasin de vente du garage Grosbois. Le mécanicien Etienne a un rêve : celui de participer à une course automobile. Il est amoureux de Gabrielle, la nièce de la patronne (en réalité sa fille). Rudebeuf, le fameux constructeur automobile est également tombé amoureux de Gabrielle et propose un marché : Etienne pourra courir sur sa voiture si il lui laisse Gabrielle. Mais Etienne refuse tout net, d’autant plus que Gabrielle et lui  se sont mariés en cachette…. Arrive Le Brison, également un constructeur automobile qui propose à Etienne de courir, poussé par sa maîtresse Phèdre, qui a le béguin pour Etienne…

A l’acte deux, tous les protagonistes se retrouvent dans un château contenant une pièce secrète, où l’on peut voir à l’intérieur sans être vu… Etienne se retrouve piégé par Phèdre dans cette pièce en situation délicate ; Gabrielle le surprend et pour se venger part avec Rudebeuf…

Le troisième acte a pour décor un lieu inhabituel au théâtre : le circuit automobile breton de Ker-Kerzoec… où concourent la Rudebeuf et la Le Brison mais aussi une Renault, une Itala, une Panhard, une Brasier, une Mercedes….

Extrait de La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports du 7 juillet 1906 (mentionnée dans le texte)

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les articles suivants :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

La Duchesse des Folies-Bergère de Georges Feydeau

Comédie en trois actes et cinq tableaux, représentée pour la première fois, au théâtre des Nouveautés, le 3 décembre 1902. Suite de La Dame de chez Maxim. C’est de nouveau un succès avec 82 représentations.
Distribution : 30 hommes – 11 femmes.

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http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8596909g
Album Reutlinger – Dickinson dans la Duchesse des Folies-Bergère (rôle de Sabine à la création). Source : BnF/ Gallica

L’argument

La môme Crevette s’est mariée à un Duc d’Ocarnie, qui ignore tout de son ancienne vie. Lorsque le roi d’Orcanie abdique en faveur de son fils, une délégation est envoyée à Paris pour chercher le prince, qui y fait ses études.
Prise dans la fièvre d’une fête parisienne, la Duchesse renoue avec ses amis d’antan : confusions d’identité et impostures se multiplient.

Feydeau joue avec des décors complexes, mais également avec la langue (l’argot des lycéens, l’anglais d’un jeune pensionnaire, la langue d’Ocranie…)

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– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

La main passe ! de Georges Feydeau

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55009425c
Collection Charles Cros. Tube acoustique d’enregistrement et d’écoute, Manivelle, Cornet d’enregistrement en carton noir de marque Pathé, Diaphragme enregistreur Pathé, Diaphragme reproducteur Pathé, Disque en cire noire. 1912. Source : BnF/Gallica

Comédie en quatre actes de Georges Feydeau, représentée pour la première fois le 1er mars 1904 au Théâtre des Nouveautés. Vif succès : 211 représentations en 1904.
Distribution : 10 hommes – 4 femmes

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L’argument

Alors qu’il veut enregistrer un message pour le mariage de sa sœur, Chanal reçoit la visite de Massenay qui veut lui louer un pied à terre. En réalité, il est l’amant de sa femme, dont est aussi amoureux le député Coustouillu. L’enregistreur restitue au mari les propos passionnés des deux amants. Chanal croit qu’il s’agit du timide député Coustouillu et l’envoie consommer l’adultère 21 rue du Colisée, où se trouvent Madame Chanal et son amant. Ceux-ci se sont endormis trop longtemps et se trouvent en situation délicate vis-à-vis de leurs conjoints respectifs. Survient Hubertin, ami de Chanal, qui, dans son ivresse, s’est trompé d’appartement. Finalement, maris trompés, amants et femmes trouvent des arrangements : divorces et remariages… jusqu’à ce que l’ancien mari réapparaisse, et que la nouvelle Mme Massenay affirme à son ancien mari Chanal : « Ah ! Je n’ai pas su t’apprécier, vois-tu… Si les maris pouvaient laisser leurs femmes avoir un ou deux amants pour leur permettre de comparer, il y aurait beaucoup plus de femmes fidèles ! … »

Sur Gallica, un recueil des articles de presse à l’occasion de la reprise en 1941 au Théâtre des Maturins. Voir notamment l’article de Jean Cocteau qui a réalisé les décors et les costumes de cette mise en scène.

La main passe !, au Théâtre ce soir, sur le site de l’INA (31 décembre 1972)

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– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

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