Le Costaud des Epinettes de Tristan Bernard et Alfred Athis
Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre du Vaudeville, le 14 avril 1910. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition de L’Illustration théâtrale, 1910. (Source : BnF/Gallica)
Distribution : 23 hommes, 11 femmes (nombreux rôles pouvant être joués par un seul comédien)
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L’argument
Claude Brévin, un garçon sensible et de bonne famille est obligé de vivre d’expédients et fréquente le bar louche du père Tabac. Celui-ci le fait passer pour le « Costaud des Epinettes » et lui propose une affaire : il s’agit de récupérer un paquet de lettres compromettantes chez une comédienne, Irma Lurette, et de l’éliminer. Claude, désespéré, accepte. Il se rend à une fête, où on célèbre la centième de la pièce dans laquelle Irma a un petit rôle. Claude la séduit et la reconduit chez elle. Mais une fois dans son appartement, rien ne se passe comme prévu.
Le Costaud des Epinettes est une comédie truculente, riche en expressions argotiques et imagées, mais qui, à certains moments, flirte avec le mélodrame.
Récit de la création par les deux auteurs
(Extraits de la préface parue dans l’Illustration théâtrale)
Comment M. Alfred Athis a collaboré de nouveau avec M. Tristan Bernard, nous le savons par une lettre que les deux auteurs ont adressée au Figaro : « C’était un de ces derniers étés, sur le bord de la mer. Un jour, à la nuit tombante, l’un de nous dit à l’autre de nous : « J’ai un bon sujet de pièce en deux actes ; mais ce n’est pas tout à fait une pièce comique, et j’aurais besoin d’un auteur tragique pour la terminer. » À quoi l’autre de nous répondit : « Moi aussi j’ai un sujet de pièce en deux actes, qui n’est pas tout à fait un sujet gai. » Nous nous racontâmes nos sujets, et nous trouvâmes qu’en les fondant on arriverait à faire une pièce en trois actes qui serait ou tâcherait d’être tantôt gaie, tantôt grave, tantôt angoissante, tantôt souriante. Mais ce qui nous manquait toujours à l’un et à l’autre, c’était le collaborateur tragique, jusqu’au jour où nous nous dîmes que rien ne ressemblait autant au théâtre sombre que le théâtre joyeux, et qu’en associant leurs fantaisies, deux auteurs gais pouvaient donner quelquefois, pas très longtemps, le plus furtivement possible, l’impression qu’ils sont un auteur grave. Ayant fait cette constatation, nous écrivîmes le Costaud des Epinettes. »
Le Vaudeville le reçut, le mit en scène, le joua et ce fut un amusant et vif succès de plus.
Les critiques lors de la création
Extraits de la préface parue dans l’Illustration théâtrale
M. J. Ernest-Charles constate, dans l’Opinion, que le costaud qui évolue au cours de ces trois actes est cousin germain de ces « héros misérables et de ces bandits à la manque » que M. Tristan Bernard nous a présentés dans son livre de nouvelles intitulé : Amants et Voleurs. « Est-ce parce qu’il avait fréquenté ces criminels de fantaisie que Tristan Bernard eut le dessein d’écrire le Costaud des Epinettes ? L’idée, au contraire, vint-elle de M. Alfred Athis, l’original auteur de Boute-en-Train ? Il est puéril, il est dangereux, parfois, de vouloir pénétrer le mystère des collaborations. Et la tentative est bien superflue lorsque les collaborateurs s’accordent on ne peut mieux et font, à eux deux, une œuvre qu’un seul aurait pu faire… Tristan Bernard et Alfred Athis professent volontiers que personne n’est méchant et que l’homme est uniquement la proie du hasard. Leur œuvre est charmante du commencement jusqu’à la fin… Et beaucoup d’esprit s’y répand sur beaucoup de sagesse. »
M. Adolphe Brisson observe, dans le Temps, que le tourment des dramaturges est de se renouveler, de ne pas éternellement écrire la même pièce, comme il arrive à des peintres de brosser toujours le même tableau : « La monotonie dans la production est une force et une faiblesse ; elle assigne à l’auteur une spécialité fructueuse, mais elle l’y emprisonne ; il ne peut plus sortir de la petite tour qu’il s’est bâtie. Les gens d’humeur paisible, doués d’une médiocre curiosité d’esprit, s’accommodent d’une telle immobilité. D’autres ressentent l’impérieuse envie de s’évader de la tour, de vagabonder à travers champs, de se divertir, de s’ennoblir en se prouvant à eux-mêmes leur souplesse et d’étonner un peu, à chaque fois, le public. L’étonnement est le piment du plaisir. Je croirais volontiers que M. Tristan Bernard et son collaborateur M. Alfred Athis ont cédé à cet attrait et qu’il leur a paru piquant de composer un ouvrage d’une forme inusitée, paradoxale, extrêmement varié de ton et d’allure… N’est-il pas amusant de réunir dans le cadre d’une comédie légère les personnages les plus hétéroclites, des exemplaires de tous les milieux, de toutes les catégories sociales, de grouper l’homme de finance, l’homme de théâtre, le fils de famille, l’apache, l’escroc, le fêtard, la petite courtisane, de montrer qu’il existe entre ces figures de nombreux points de contact, et que, malgré l’apparence, elles ont un fond commun ? Ceci, c’est l’essence même de la philosophie anarchiste et savoureuse de M. Tristan Bernard… Les créatures humaines se valent, ou à peu près… Des combinaisons d’événements, hostiles ou favorables, les dominent, les gouvernent. Il en résulte du mal ou du bien, de la souffrance ou de la joie, du vice ou de la vertu… Et d’ailleurs aucun de ces faits n’a d’importance… »
M. Robert de Flers estime, dans la Liberté, que MM. Tristan Bernard et Alfred Athis viennent surtout de nous donner là une pièce audacieusement pittoresque et originale : « C’est en vain qu’on cherchera à rapprocher ces trois actes d’une œuvre antérieure ; ces petits jeux des mémoires malveillantes seront cette fois déçus. Ce costaud appartient en propre à MM. Tristan Bernard et Alfred Athis ; il leur doit tout et j’imagine qu’il s’acquittera intégralement de cette dette. Nous avons retrouvé dans ces trois actes les admirables dons d’observation sensible et de clair-voyante ironie de M. Tristan Bernard et les qualités si sûres, si personnelles de composition et d’autorité scéniques de M. Alfred Athis, qui a été pour l’auteur du Danseur inconnu un précieux collaborateur. Je suis assuré, en faisant cette dernière constatation, d’être particulièrement agréable à l’un des deux auteurs du Costaud des Epinettes, et, ce qui est tout à fait curieux, c’est que celui-là ce sera certainement M. Tristan Bernard. Cette comédie nous a charmés par la nouveauté de son sujet et par la variété des milieux à travers lesquels elle évolue. Elle se tient, avec une vigueur qui ne se dément pas un instant, à égale distance de la fantaisie et du réalisme, de sorte qu’elle est tout près d’être bouffonne et pas bien loin d’être poignante. Il en résulte une impression très curieuse, très savoureuse. Les faits peuvent être un peu arbitraires, mais les sentiments ne le sont pas, et il y a dans ces trois actes l’analyse subtile, forte et dramatique d’un caractère, celui d’un déclassé qui s’essaye au crime, et dont les hésitations, les craintes, les remords, nous sont habilement dépeints. Cela est tout à fait remarquable. Il est très curieux de voir comment MM. Tristan Bernard et Athis ont pu mettre en relief dans la personne du criminel non point le côté monstrueux, mais le côté humain. C’est d’ailleurs la voix de la conscience qui finit par être la plus forte ; il est vrai que cette fois, elle se confond avec la voix câline et tendre d’une petite femme. »
M. Francis Chevassu, dans le Figaro, trouve aussi cette pièce charmante et singulière : « Elle côtoie le mélodrame sans abandonner jamais le ton de la comédie ; on y parle de cambriolages, d’attaques nocturnes et de vols avec effraction de la manière la plus plaisante. Œuvre tout à fait déraisonnable et cependant délicieuse : sur sa trame fragile, les auteurs ont brodé de fines arabesques, et l’exactitude de leur observation est égale à l’audace de leur fantaisie. Oui, le Costaud des Epinettes est une pièce surprenante : MM. Tristan Bernard et Alfred Athis affichent le réalisme minutieux de philosophes qui se plaisent à la représentation pittoresque des bas-fonds sociaux et en même temps ils montrent, dans la façon de conduire les événements et de disposer des circonstances, la désinvolture, l’aisance cavalière, qui semblent être le privilège des écrivains de contes moraux. En effet, ce roman d’un jeune apache sensible est, à sa façon, une berquinade, une idylle de la basse pègre que traverse un oiseau bleu dont l’aile, encore humide d’avoir touché le ruisseau, garderait une petite tache de boue. »
Edition de la pièce par Libre Théâtre.
Le texte est complété par des notes qui explicitent les très nombreuses expressions argotiques.
L’édition contient également la préface de Gaston Sorbets parue dans l’Illustration théâtrale (1910). Il y raconte notamment la collaboration entre les deux auteurs et détaille les réactions de la presse lors de la création de la pièce.
Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre