Un mois de prison de Georges Courteline
Série de lettres envoyés par Marthe Passoire au député Courbouillon lui demandant de l’aide pour qu’elle évite d’aller en prison à la suite d’un flagrant délit d’adultère. Extrait de l’Illustre Piégelé.
Distribution possible : 1 homme et 1 femme.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.
I.
Marthe Passoire à O. Courbouillou, député de Sarthe-et-Loiret.
Paris, 10 mars.
Monsieur le Député, Pardonnez à une pauvre désespérée la liberté qu’elle prend de venir vous importuner au milieu de vos nombreux travaux. Pour que j’ose en user aussi indiscrètement avec un homme que ses mérites signalent au respect public depuis déjà tant d’années, il faut que j’y sois poussée par l’immensité du malheur qui me frappe, le plus grand, peut-être, qui ait jamais accablé une femme !… J’ajoute que Mme de T…, votre amie, Monsieur, et la mienne, m’a vivement engagée à m’adresser à vous, m’assurant que votre bonté est sans limites, votre complaisance sans bornes, et que vous vous ferez une fête de tendre à ma détresse une main secourable.
Veuille le ciel qu’elle ait dit vrai !
Monsieur le Député, je vais tout vous dire. C’est par la sincérité seule que je réussirai, je l’espère, à trouver le chemin de votre cœur. J’ai commis une faute, Monsieur le Député, une faute grave, si grave, tellement grave, qu’à la pensée d’en faire l’aveu, je sens, le rouge me monter au front. J’ai été… — mon Dieu, quelle humiliation ! — …en un mot, j’ai été surprise en flagrant délit de ce que vous savez, avec mon neveu le petit collégien, un gamin de dix-sept ans et demi !…
Vous allez dire : « Mais c’est honteux ! »
Je le sais, Monsieur le Député, et si je pouvais racheter mes torts d’une pinte de mon sang ou d’une livre de ma chair !…
Pourtant, vous ne sauriez me condamner sans m’entendre.
Il faut être juste, n’est-ce pas ? Il faut savoir faire la part des fatalités de la vie.
Oui, c’est honteux ! Oui, vous avez raison ! Oui, je suis la plus vile des femmes ! Mais le repentir efface tout, et puis, je ne dois pas vous le taire davantage, je n’ai péché que par imprudence. Oh ! pour ce qui est de ça, je puis vous le jurer sur ce que j’ai de plus sacré au monde : si je me suis rendue au rendez-vous de l’Hôtel Terminus, si j’ai accepté l’entrevue d’où je devais revenir déshonorée, hélas ! flétrie, souillée à tout jamais, je l’ai fait dans un but excellent. Je voulais sermonner ce bambin, qui me persécutait de lettres et de pièces de vers extravagantes ; j’espérais le mettre à la raison, grâce à quelques paroles sévères. Malheureusement, les choses ont mal tourné. Seul avec moi, mon galopin a commencé à faire le fou, criant, pleurant, se frappant la tête contre le mur, jurant que j’étais toute sa vie, toute son âme et toute sa pensée, et me menaçant, si je ne cédais, de se brûler la cervelle à mes pieds. A la fin, j’ai perdu la tête… je ne sais plus ce qui s’est passé !… Bref, mon mari (qui, sans doute, avait eu vent de quelque chose) est survenu, accompagné du commissaire de police. Procès-verbal a été dressé, et j’ai été condamnée, hier, à un mois d’emprisonnement pour détournement de mineur. Un mois de prison, oh ! mon Dieu !…. Etre enfermée pendant un mois à Saint-Lazare, avec les voleuses et les prostituées !… Jamais ! Oh ! cela, non, jamais !… Tout ce qu’on voudra, mais pas cela !… Plutôt cent fois, plutôt mille fois la mort !
Monsieur le Député, je n’ai plus d’espoir qu’en vous. Mme de T…. à laquelle je me suis confessée, me dit que vous êtes l’ami intime du ministre de la justice et qu’il vous suffirait de lui glisser un mot pour me faire obtenir la remise de ma peine à la commission des grâces. Ce mot. Monsieur, vous le direz, car vous voudrez, j’en suis sûre, m’empêcher de faire un malheur !… Ai-je besoin d’ajouter que toute une vie de gratitude, d’abnégation et de dévouement, ne suffira pas à payer un si éclatant service ?
Dans la conviction où je suis que vous entendrez ma prière, que je n’aurai pas frappée en vain à la porte du plus noble et du plus généreux des hommes, je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être
Votre très humble, très obéissante et bien affligée servante,
MARTHE PASSOIRE.
P. S. — Le petit collégien a été embarqué à bord de la Belle-Junon.
II.
O. Courbouillon à Marthe Passoire
11 mars.
Madame, en réponse à votre lettre, je m’empresse de vous informer que je reçois tous les matins, de dix heures et demie à midi, et que je serai heureux de causer un instant avec vous.
Recevez, Madame, mes salutations.
O. COURBOUILLON.
III.
Marthe Passoire à O. Courbouillon
17 mars
Monsieur et très cher ami,
Depuis que vous avez bien voulu m’accorder une audience, cinq jours se sont écoulés, cinq mortels jours, qui m’ont paru plus interminables que des siècles, et au cours desquels j’ai cru pouvoir me permettre de vous écrire quatre fois.
Mes lettres sont demeurées sans réponse.
Ne sachant que penser ; cherchant, sans la trouver, l’explication d’un silence aussi prolongé que mystérieux, je me demande avec terreur ce que j’en dois augurer pour mon recours en grâce !… Auriez-vous recueilli sur mon compte des renseignements défavorables ? En ce cas, je n’aurais plus qu’à me détruire, car jamais une femme sans défense, abandonnée de tout et de tous, ne se serait plus injustement butée à l’iniquité d’ennemis acharnés à vouloir sa ruine !… Heureusement, Monsieur et très cher ami, mon passé répond pour moi. Il est pur de toute souillure ; ça, je peux vous le jurer sur la tombe de mon père ! (Je ne parle pas de l’affaire du petit collégien ; plus j’y pense, plus je suis convaincue que j’ai agi sous le coup d’un accès de folie.)
Alors, quoi ?
Pourquoi ce silence ? Aurais-je fait sur vous une mauvaise impression ? Votre accueil si bienveillant, vos compliments si flatteurs, les paroles de consolation et d’espérance, si douces à mon inquiétude, que vous m’avez prodiguées, m’autorisent à n’en rien croire. Est-ce parce qu’à un moment je vous ai dit : « Otez vos mains, ne faites pas l’enfant, soyez sage ! » Si c’est pour ça, si c’est parce que je vous ai parlé d’une façon aussi impolie, eh bien, je vous en fais mes excuses. Je ne savais pas ce que vous vouliez ; puis, je vous l’avoue, j’ai eu peur !… Vous aviez l’air d’un gros lion.
Par pitié, Monsieur et très cher ami, mettez un terme à mon supplice, en me faisant savoir si, comme vous deviez le faire, vous avez parlé pour moi à M. le garde des sceaux, et si, dans tous les cas, je puis toujours compter sur votre précieuse protection. Moi, c’est bien simple, je ne sais pas comment je vis ! Je ne mange plus ; je ne dors plus ; on ne sonne plus à ma porte que je ne saute au plafond.. ! Je crois toujours que c’est les gendarmes ! J’ai les nerfs dans un état ! ! !…
Votre dévouée et bien à plaindre,
MARTHE PASSOIRE
IV.
O. Courbouillon à Marthe Passoire
17 mars.
Chère Madame,
Vous êtes une enfant, de vous désoler ainsi. Un mois de prison, qu’est-ce que c’est, comparé à l’éternité ? Tout cela, d’ailleurs, peut s’arranger ; seulement, je vous en préviens, ça dépend de vous. Passez donc chez moi demain matin, autant que possible vers neuf heures. Nous causerons, touchant votre affaire.
Votre tout dévoué,
O. COURBOUILLON.
V.
O. Courbouillon à Marthe Passoire
10 mars.
Je quitte le ministre.
C’est fait.
Je n’ai pu obtenir que la commutation de la peine, au lieu de la remise pleine et entière : la condamnation de prison à un mois est remplacée par une amende de 2000 francs. Comme vous êtes mariés sous le régime de la communauté, c’est ton mari qui la paiera.
Ma bouche sur le bec à Coco.
O.
VI.
Marthe Passoire à O. Courbouillon
20 mars.
O mon Coco !… O mon Coco !… Alors, c’est vrai, hein ? c’est vrai, dis ? On ne me mettra pas en prison ?… O jour de joie ! jour d’ivresse !… Depuis ma première communion, je n’ai jamais été si heureuse !… — Et puis, tu sais, pour un député, tu es joliment polisson !…
MARTHE.
P. S. — Est-ce que tu es aussi l’ami du ministre de la marine ? En ce cas, tu serais bien mignon de lui glisser un mot à l’oreille pour qu’il fasse revenir mon petit neveu. M.
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