L’Amour de la paix de Georges Courteline
Texte établi par Libre Théâtre à partir de l’édition Coco, Coco et Toto, Albin Michel, Paris, 1905 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k66297d)
Saynète pour 1 homme et 1 femme.
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Texte
Le théâtre représente un élégant boudoir de dame. Chaise–longue Pompadour. Rideau de mousseline sur fond cuisse-de-nymphe-émue. Sur la cheminée, de chaque coté d’une petite pendule pur Saxe, deux cornets où se meurent des roses.
Entrée mystérieuse de Monsieur.
Monsieur.
Personne ? Allons-y.
(Il va à la pendule, la prend et l’apporte avec lui jusqu’au trou du souffleur.)
Moi, je vais vous dire : je suis le monsieur de la tranquillité chez soi ; l’homme de la paix à tout prix, comment on disait pendant le siège. Ma femme est pleine de qualités, ce qui n’empêche pas d’avoir son petit caractère. De là, les premiers temps de notre ménage, les discussions que je dus clore plus d’une fois à coups de pied dans le… trou laï, trou laï trou la la. Mais l’âge est venu, et, avec lui, la saine horreur de la bataille. Les paladins devenus vieux se faisaient marchands de marrons, c’est connu. Je me fis donc marchands de marrons, (il envoie dinguer la pendule contre un des montants de la cheminée où elle se brise en mille pièces) au figuré naturellement. Je sais bien que vous allez me dire :
– Et la paix ?
La paix je l’ai tout de même. Je la conquiers à la force de mon ingéniosité naturelle. Ma femme….(Il s’interrompt.)
Une minute !
(Il va se poster devant les rideaux, le dos tourné au public, dans la posture du Manneken-Pis de Bruxelles. Long silence. Vague murmure de source sous les feuilles… Revenant.)
Je vous demande pardon. – Ma femme donc, s’éveilla dernièrement avec l’idée d’avoir un chien. Une lubie, quoi une turtutaine ! Or, je ne peux pas sentir les cagouinces ; ça pue, ça donne des puces et ça pisse partout. Jadis j’eusse accueilli cette fantaisie avec une bonne paire de claques, étant, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire (Il enlève sa redingote.) l’ennemi des vaines discussions. Mais quoi ! (Il enlève son gilet.) L’esprit de contradiction est tellement inné chez la femme, que le plaisir de m’embêter (Il déboutonne ses bretelles.) eût fait accepter à la mienne des milliers et des millions de gifles, plutôt que d’en avoir le démenti.
(Tout en parlant il a mis culotte bas et s’est venu accroupir sur la chaise-longue Pompadour. Et ainsi, dans cette position qui n’est même plus équivoque, il poursuit gravement son récit.)
Alors moi malin, qu’ai-je fait ? J’ai eu l’air d’accepter le chien. Seulement, le jour même de son entrée ici, j’achetai une boîte de puces vivantes que je semai sournoisement dans le lit conjugal et jusque dans la nourriture !!! Le lendemain, je me procurai des boules puantes, lesquelles empestèrent l’appartement au point que ce ne fut plus tenable, et je goûtai l’âpre jouissance de voir ma femme, suffoquée, loucher de biais sur son carlin, en faisant de sourdes allusions à l’odeur de ce petit animal. Le troisième jour la bonne acheta un ris de veau. Je le chipai dans le buffet, et le chien reçut une trempe.
(Il se redresse, se reculotte, remet son gilet. puis son habit.)
Ensuite, je cassai la vaisselle. Ce fut le chien qui paya la casse. A cette heure, comme vous avez vu, j’ai mis le comble à ses perfections.
(Coup d’œil satisfait promené autour de soi.)
Ah ! c’est propre, ici ! c’est gentil ! Ma femme va avoir bien de la satisfaction en revenant du Bon Marché. Du reste, je l’entends. Attendez un peu ! nous allons rire.
Entrée de Madame. Stupeur, puis hurlements :
Madame.
Horreur ! Ma pendule !… mes rideaux !… ma chaise-longue !… Oh ! Mais j’en ai assez, moi de ce sale chien-là.
Monsieur, indulgent.
C’est jeune, que veux-tu !… Ça ne sait pas.
Madame.
Non ! Non ! Il est est trop dégoûtant Je vais le donner à une amie !
FIN
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