L’article 330 de Georges Courteline
Fantaisie judiciaire en un acte, créée le 12 décembre 1900 au Théâtre Antoine dans une mise en scène d’André Antoine.
Distribution : 4 hommes.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.
L’argument
Monsieur La Brige se trouve au Palais de Justice. Accusé « d’outrage public à la pudeur » (article 330 de l’ancien Code pénal) par le Ministère Public, ce dernier expose sa vision des faits et organise sa défense face au Président d’audience, à l’huissier et au substitut : il a montré son derrière aux visiteurs de l’Exposition universelle, exaspéré des quolibets qu’ils lui jetaient en passant devant ses fenêtres ouvertes alors qu’ils se trouvaient sur le Trottoir Roulant…
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Un extrait
Le substitut.
« … Jean, Alfred, Hyacinthe Legruyère, huissier près le tribunal de première instance séant à Paris, été requis par la Société des Transports Electriques de l’Exposition de 1900, aux fins de dresser dû et légal constat contre La Brige, Jean-Philippe, comme contrevenant habituellement aux lois sur la morale publique et scandalisant par l’exhibition constante de sa nudité la pudeur des personnes véhiculées du Champ-de-Mars aux Invalides, au moyen du Trottoir Roulant. En conséquence, nous étant rendu sur ledit Trottoir Roulant, et étant parvenu avenue de La Motte-Picquet, devant l’immeuble numéroté 5 bis, nous avons nettement distingué, au fond d’un appartement, révélé à tout un chacun par l’écartement d’une croisée grande ouverte, une sorte de sphère imparfaite, fendue dans le sens de la hauteur, offrant assez exactement l’aspect d’un trèfle à deux feuilles, et que nous avons reconnue pour être la partie inférieure et postérieure d’une personne courbée comme pour baiser la terre. »
La Brige.
Je ne baisais pas la terre.
L’huissier.
Silence, donc !
Le président.
Tout à l’heure.
La Brige.
Je cherchais une pièce de deux sous.
Le substitut, lisant.
« Trente-sept minutes après, le Trottoir Roulant ayant achevé son parcours, nous nous trouvâmes ramené à notre point de départ, où étant, nous pûmes constater que les choses étaient toujours dans le même état. Une deuxième fois, item. Une troisième fois, item. Une quatrième fois, item. »
Le président, à La Brige.
Vous cherchiez toujours vos deux sous ?
La Brige.
Ils avaient glissé sous un meuble, je tâchais de les ramener à moi avec le bout de mon parapluie.
Le président, haussant les épaules.
En voilà des explications ! Achevez, monsieur le substitut.
Le substitut, lisant.
« Nous avons également remarqué que les faits relatés ci-dessus, loin de passer inaperçus aux yeux des personnes placées sur la plate-forme électrique, paraissaient exciter chez la plupart d’entre elles un mécontentement des plus vifs, d’où des protestations nombreuses et de bruyantes exclamations, au nombre desquelles il convient de mentionner les suivantes: « C’est dégoûtant ! – Goujat ! – Cochon ! – O Ciel ! – Qu’est-ce que je vois ! – C’est une infamie. – Amélie, je te défends de regarder par là… » De tout quoi nous avons dressé le présent constat pour la requérante en faire tel usage que de droit, et lui en avons laissé la présente copie dont le coût est de 11 fr. 25, plus une feuille de papier spécial du prix de 60 centimes. »
Le trottoir roulant de l’Exposition universelle.
La « rue de l’Avenir » était un trottoir roulant installé lors de l’Exposition universelle de 1900, à Paris. Ce trottoir roulant parcourait une boucle de 3,5 kilomètres, autour du site de l’exposition, avec neuf stations. Il était installé sur un viaduc, à 7 mètres au-dessus du sol. Il était composé d’une plate-forme fixe et de deux plates-formes mobiles : la principale (2 mètres de large) qui circulait à 8 km/h, et un marche-pied d’accès (80 cm de large) à mi-vitesse. Le trottoir rapide permettait de faire le tour de la boucle en 26 minutes. La plate-forme mobile pouvait recevoir simultanément 14 000 personnes ; durant l’après-midi du jour de Pâques, elle a transporté 70 000 personnes.
Source : Edison Manufacturing Co. [Domaine public], via Wikimedia Commons. Autre film sur le même sujet, à découvrir sur le site de la Library of Congress
La captation de la pièce en 1954 jouée par Raymond Souplex, Fernand Rauzena et Michel Bouquet est disponible sur Gallica.
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