Les Lionnes pauvres d’Emile Augier
Les Lionnes pauvres est une pièce en 5 actes et en prose, d’Emile Augier, écrite en collaboration avec Edouard Foussier et représentée pour la première fois le 22 mai 1858 au Théâtre du Vaudeville. C’est une comédie de mœurs qui évolue au fil des scènes vers le drame car Augier choisit de privilégier le point de vue du mari trompé et déshonoré. La censure a tenté d’interdire la pièce qui a été finalement autorisée après l’intervention du prince Napoléon-Jérôme. De nombreuses pièces d’Augier figurent au Répertoire de la Comédie Française : c’est l’un des dix auteurs les plus joués en nombre de représentations (données de septembre 2009), avec 3304 représentations. L’oeuvre d’Emile Augier est aujourd’hui un témoignage intéressant sur la vie sociale et les mœurs de la petite et moyenne bourgeoisie, dans la deuxième moitié du XIXème siècle.
Distribution : 7 hommes, 5 femmes
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L’argument
Séraphine Pommeau est une jeune femme, belle et coquette, épouse d’un maître clerc plus âgé, honnête et modeste. Leur appartement est très richement décoré et les toilettes de Séraphine, très élégantes : c’est grâce à son ingéniosité pour dénicher de bonnes affaires pense son mari. Thérèse Lecarnier, pupille élevée par Pommeau, craint que les dépenses de Séraphine ne ruinent le clerc. En réalité, Séraphine se fait entretenir par son amant, qui n’est autre que Léon Lecarnier, le mari de Thérèse. Thérèse découvre la vérité et garde le silence, malgré les rumeurs qui commencent à circuler dans les salons. La situation s’aggrave pour Séraphine qui doit dix mille francs à Mme Charlot, la « marchande à la toilette ». Son amant ne les a pas, et il perd l’argent qui lui reste à une table de jeu. Alors que Séraphine est au Mont-de-Piété pour tenter de réunir l’argent, Pommeau se trouve face à Mme Charlot qui lui démontre au vu de la richesse de son intérieur que Séraphine a dépensé largement plus que son revenu. Pommeau s’engage à payer toutes les dettes de Séraphine, mais à son retour celle-ci lui affirme qu’elle n’a pas d’autres dettes et avoue avoir un amant. Pommeau se réfugie chez Thérèse où il découvre, terrassé par la douleur, que l’amant n’est autre que le mari de sa pupille. Séraphine, quant à elle, est partie au théâtre vers d’autres conquêtes.
Extrait de la préface d’Emile Augier
« La peinture de la dépravation graduelle de Séraphine nous a paru aussi dangereuse que tentante. Nous avons craint que le public ne se fâchât tout rouge à la transition de l’adultère simple à l’adultère payé. Cette peinture ne présentant d’ailleurs qu’un intérêt psychologique, il nous a semblé que ce côté de notre sujet pouvait être traité suffisamment en récit, et nous l’avons placé dans la bouche de Bordognon, le théoricien de la pièce. Une donnée aussi scabreuse ne pouvait passer que par l’émotion ; et l’émotion ne pouvait être obtenue que par la situation du mari ; c’est donc là que nous avons cherché la pièce. »
Les Lionnes pauvres
La formulation du titre est expliquée par l’ami de la famille, Bordognon, qui porte sur l’ensemble des personnages de la pièce un regard ironique et critique : « Qu’est-ce qu’une lionne dans cet argot qu’on nomme le langage du monde ? Une femme à la mode, n’est-ce pas ? c’est-à-dire un de ces dandys femelles qu’on rencontre invariablement où il est de bon ton de se montrer, aux courses, au bois de Boulogne, aux premières représentations, partout enfin où les sots tâchent de persuader qu’ils ont trop d’argent aux envieux qui n’en ont pas assez. Ajoute une pointe d’excentricité, tu as la lionne : supprime la fortune, tu as la lionne pauvre. »
Emile Augier
Emile Augier débute avec des comédies en vers qui se déroulent dans le monde antique puis se tourne vers des comédies « sérieuses » dénonçant l’hypocrisie et les excès des milieux bourgeois de la monarchie de Juillet, puis du Second Empire. Il reste principalement connu pour ses comédies de mœurs.
Dans L’Habit vert, proverbe en un acte et en prose, écrit avec Alfred de Musset, il décrit la vie du quartier latin. Il fut élu à l’Académie française en 1857.
Emile Augier est avec François Ponsard un des représentants de l' »Ecole du bon sens », qui s’oppose au mouvement romantique. Augier défend la morale bourgeoise, dénonçant le mauvais usage de l’argent l’appétit de luxe, la spéculation (Les Effrontés), le matérialisme (La Contagion), l’hypocrisie des Jésuites (Le Fils de Giboyer, Lions et renards).
Les Lionnes pauvres à la Comédie-Française
En 1917, René Doumic dans la Revue des deux mondes écrit un article sévère, mais drôle, à l’occasion de l’entrée des Lionnes Pauvres dans le répertoire de la Comédie-Française en mars 1917 (période 6, tome 38)
« Les Lionnes pauvres ont fait leur entrée à la Comédie-Française. Ce n’a pas été une entrée triomphale. La pièce a paru vieillote et falote. Il est vrai qu’elle n’est guère bien jouée et que la mise en scène en est sans agrément. Mais la faute n’est pas seulement aux interprètes et au metteur en scène, elle est bien à la pièce elle-même, qui a cessé de porter sur le public. Retrouvera-t-elle quelque jour son action sur lui, et, avec le temps, éveillera-t-elle de nouveau cet intérêt de curiosité qui s’attache aux choses d’autrefois ? Pour l’instant, elle n’est que démodée. On l’a écoutée avec une attention déférente : à vrai dire, sans plaisir et sans émotion. La plupart des mots font long feu, presque tous les effets ratent, et on n’a aucune envie de pleurer aux endroits pathétiques. Il faut un effort pour se représenter que l’œuvre est loin d’être négligeable, qu’elle a eu du succès et qu’elle le méritait, — mieux encore : qu’elle a fait scandale !
Car les Lionnes pauvres sont un des ouvrages les plus réputés d’Emile Augier, un des spécimens les plus caractéristiques de la comédie de mœurs telle qu’on la pratiquait sous le Second Empire. La formule a cessé de plaire : ce n’est nullement la preuve qu’elle valût moins qu’une autre. L’auteur dramatique, d’après cette conception, était d’abord un moraliste qui, venant de découvrir une plaie sociale, la révélait à ses contemporains et s’arrangeait pour que sa découverte ne passât pas inaperçue. »
La suite de l’article de René Doumic sur Wikisource ou sur Gallica