L’île de Georges Courteline

Texte établi par Libre Théâtre à partir de l’édition Coco, Coco et Toto, Albin Michel, Paris, 1905 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k66297d)
Saynète pour 1 homme, 1 femme
Texte intégral à télécharger sur Libre Théâtre.

Le texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1158111d
Couverture de l’édition de 1910. Source : Bnf/Gallica

Il est neuf heures du matin. Monsieur et Madame sont couchés, et, adossés dans les oreillers, lisent chacun un journal du jour.

Soudain : 

Madame, s’interrompant de lire la politique extérieure.
Dis donc, Coco.

Monsieur.
Quoi, Coco ?

Madame
Une île britannique, qu’est-ce que c’est ?

Monsieur.
Ce que c’est qu’une île britannique ?… (Didactique) On entend par Iles Britanniques la réunion de l’Irlande, de l’Ecosse et de l’Angleterre…Vraiment, Coco, il n’y a que toi pour poser des questions pareilles. Alors, oui, tu croyais qu’on disait une île britannique, comme on dit un roc escarpé ou un vermouth-guignolet ?

Madame
Ne te paye donc pas mon visage, s’il te plaît.

Monsieur.
Je te jure…

Madame
Je la connais. C’est comme la fois où tu m’as dit qu’il y avait des animaux ayant les pattes un peu plus courtes du côté droit que du côté gauche, ce qui leur était très commode pour courir sur les flancs des montagnes. Ça ne prend plus.

Monsieur.
Mais…

Madame
Ça ne prend plus!
Le menteur n’est point écouté
Quand même il dit la vérité.
Attrape, Coco. Ça t’en bouche un coin, ça, mon vieux. (Ironique.) Comme ça, tu voudrais me faire accroire que l’Angleterre est une île ?

Monsieur.
Bien sûr, l’Angleterre est une île.

Madame.
Veux-tu te cacher !… Si c’était vrai, y a longtemps que tu me l’aurais dit.

Monsieur.
Je te l’aurais dit, si tu me l’avais demandé. Et puis, d’ailleurs, c’est bien simple.
(Il saute du lit, et, en chemise, va chercher un atlas qu’il apporte grand ouvert).
Tiens, entêtée, regarde toi-même.

Madame, convaincue.
C’est pourtant vrai !…Eh bien, je ne l’aurais jamais cru.

(Monsieur se recouche et reprend son journal. Madame demeure absorbée dans la contemplation de l’atlas. Un temps. Soudain:)

Madame.
Dis donc, Coco.

Monsieur.
Quoi, Coco ?

Madame.
Une île, comment ça se fait que ça ne se tire pas des pieds ? Ça devrait se tirer des pieds, pourtant, puisque ça n’est pas attaché.

Monsieur, que commence à gagner l’agacement.
Il y en a des fois qui se les tirent.

Madame.
Oui ?

Monsieur.
Oui, mais il faut beaucoup de vent.

Madame.
Oh je pense bien que ça ne se tirerait pas, comme un bouchon dans une cuvette, en soufflant dessus avec la bouche. (Haussement d’épaules) T’es bête. Coco !… Et alors, dis, s’il en faisait beaucoup du vent mais beaucoup, ce qui s’appelle beaucoup, enfin quoi, énormément de vent…. est-ce qu’elle se tirerait, l’Angleterre ?

Monsieur.
L’Angleterre ? Non ! elle est à l’ancre.

Madame.
À l’ancre !

Monsieur.
Oui.

Madame.
Qu’éque c’est que ça ?

Monsieur.
Je vais t’expliquer en deux mots. On appelle ainsi une chose noire, quelquefois rouge, et souvent bleue, qu’on fait descendre au fond de l’eau avec des chaînes de la petite vertu. Ça sert à écrire des lettres et à accrocher les navires. Les enfants s’en mettent aux doigts et les élèves du Borda en portent une sur leur casquette.

Madame, enthousiasmée.
II sait tout, ce Coco, il sait tout !…


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