Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
Le théâtre du vaudeville est souvent comparé à une machinerie, dans la construction même des intrigues. Vinaver évoque même les pièces-machine, en opposition à des pièces-paysage. Au-delà du récit, si l’on s’intéresse aux décors, le vaudeville a exploité avec brio les possibilités offertes par les machineries du théâtre. Feydeau les utilise dans ses pièces les plus longues.
Ainsi dans La Puce à l’oreille, l’hôtel du Minet-Galant a la particularité de disposer de chambres avec des « lits sur tournette » : au cas où la police débarquerait, il suffit aux amants surpris de presser sur un bouton pour que leur lit disparaisse derrière le mur et soit remplacé par un autre lit. Dans La Dame de chez Maxim, un réflecteur électrique permet de faire croire à l’apparition d’un fantôme. Dans Le Dindon, des sonnettes cachées sous le lit permettent de dénoncer les adultères.
Mais au-delà de ces décors ou de ces petits accessoires, Feydeau a utilisé les progrès techniques ou scientifiques comme matière première pour ses pièces.
L’automobile dans Le Circuit
Les courses automobiles sont au cœur du Circuit, pièce écrite en 1909. Le premier acte se déroule dans le bureau-magasin de vente du garage Grosbois. Le mécanicien Etienne a un rêve : celui de participer à une course automobile. Il est amoureux de Gabrielle, la nièce de la patronne. Rudebeuf, le fameux constructeur automobile est également tombé amoureux de Gabrielle et propose un marché : Etienne pourra courir sur sa voiture si il lui laisse Gabrielle. Mais Etienne refuse tout net, d’autant plus que Gabrielle et lui se sont mariés en cachette…. Arrive Le Brison, également un constructeur automobile qui propose à Etienne de courir, poussé par sa maîtresse Phèdre, qui a le béguin pour Etienne… A l’acte deux, tous les protagonistes se retrouvent dans un château contenant une pièce secrète, où l’on peut voir à l’intérieur sans être vu… Etienne se retrouve piégé par Phèdre dans cette pièce en situation délicate ; Gabrielle le surprend et pour se venger part avec Rudebeuf…
Le troisième acte a pour décor un lieu inhabituel au théâtre : le circuit automobile breton de Ker-Kerzoec… où concourent la Rudebeuf et la Le Brison mais aussi une Renault, une Itala, une Panhard, une Brasier, une Mercedes….
Le phonogramme dans la Main passe
La Main Passe a rencontré un vif succès en 1904. La comédie débute ainsi : alors qu’il veut enregistrer un message pour le mariage de sa sœur sur un phonogramme, Chanal reçoit la visite de Massenay qui veut lui louer un pied à terre. En réalité, il est l’amant de sa femme, dont est amoureux le député Coustouillu. L’enregistreur restitue au mari les propos passionnés des deux amants.
Feydeau précise sur le texte de la pièce : « Pour le phonographe qui sert dans la pièce, s’adresser à la maison Pathé (98, rue Richelieu) dont les appareils ont été choisis pour les représentations de Pans à cause de leur simplicité d’emploi, de leur netteté de son et aussi de la commodité de leur dimension; la maison possède en magasin les cylindres tout gravés, nécessaires à la pièce. »
Une invention de Feydeau : le fauteuil extatique
Dans la Dame de chez Maxim, Feydeau imagine un fauteuil extatique, qui permet d’endormir profondément les patients qui s’y assoient. Feydeau va bien entendu utiliser cette caractéristique tout le long de la pièce. Il est probablement influencé par les discours de époque : une première version du texte mentionne d’ailleurs le nom du docteur Moutier. Mais ce spécialiste en électrothérapie intenta un procès à Feydeau, les scènes avec le fauteuil extatique pouvant donner lieu à des « rapprochements fâcheux » et de nature « à atteindre le docteur Moutier dans sa dignité professionnelle ». On appréciera la vengeance créative de Feydeau dans la nouvelle dénomination de l’inventeur : Tunékunc ! Nous ne résistons pas à rendre hommage au Dr Moutier avec son installation pour abaisser la pression artérielle…
Fig. 21. Installation du Dr Moutier pour abaisser la pression artérielle – Archives de Doyen. Revue […] |
Petypon, criant merveille.
Eh ! non ! c’est le fameux fauteuil extatique ! la célèbre invention du docteur Tunékunc ! J’ai vu les expériences à Vienne lors du dernier congrès médical et je me suis décidé à me l’offrir pour ma clinique.
Mongicourt, s’inclinant.
Ah ? tu te mets bien !
Petypon.
Mais tu es destiné à l’avoir aussi ! Nous sommes tous destinés à l’avoir, nous autres médecins ! L’avenir est là, comme aux aéroplanes. Ces rayons X, on ne sait pas toutes les surprises que cela nous réserve !
Mongicourt.
Et ça n’est encore que l’enfance !
Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers d’autres articles :
– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).
Site en italien consacré à l’œuvre de Feydeau : https://annamariamartinolli.wordpress.com/