Vieux ménage d’Octave Mirbeau

Comédie en un acte, créée au Théâtre d’Application le 20 décembre 1894. La pièce a été publiée chez Fasquelle en 1901, dans un petit volume de 35 pages, puis en 1904 dans le recueil Farces et moralités.
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Un vieux couple se déchire dans un face à face haineux. Les personnages sont ainsi décrits par Mirbeau :
Le Mari, soixante-cinq ans, grand, maigre. Figure sèche et sanguine dans des favoris grisonnants et durs. La tenue et l’allure d’un ancien magistrat.
La Femme, soixante ans. Infirme, presque paralysée, énorme, les cheveux tout blancs. Visage bouffi de graisse maladive
La Femme de chambre, jeune, jolie, effrontée.

Autour de la pièce

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53091592v
Mlle Régnault (femme de Mirbeau) : photographie, tirage de démonstration. Atelier Nadar 1910. Source : BnF/Gallica

Dans un article consacré aux Farces et moralités, Pierre Michel souligne : « si monstrueux que puissent, à froid, nous apparaître les deux personnages – au point que le doux et timide Elémir Bourges, après la lecture de la pièce, écrit avec jubilation : « ce n’est qu’au vitriol qu’on peut débarbouiller les salauds » – ils n’en sont pas moins des êtres de chair et de sang que l’auteur a nourri de son expérience de l’enfer conjugal, et dans lesquels le spectateur peut retrouver des traits de sa propre existence. A défaut d’une improbable identification, l’émotion n’est pas exclue ».  Lien vers l’article complet en libre accès sur Scribd.

On lira également avec intérêt, dans le Dictionnaire Octave Mirbeau, l’article concernant Alice Regnault qu’Octave Mirbeau a épousé en secret en 1887 et qui l’a trahi au lendemain de sa mort en faisant paraître un faux Testament politique d’Octave Mirbeau


Quelques  extraits

Le Mari
Ma chère, tu avoueras que je suis patient… que je fais tout ce que je peux, que je fais l’impossible même, pour te bien soigner, pour respecter tes manies… tes lubies… J’impose à mes habitudes, à mes goûts, à mes besoins, à toute ma manière de vivre, des sacrifices quotidiens… des sacrifices énormes…

La Femme
Ah !

Le Mari
Énormes, oui… et je le répète, quotidiens… Tu le reconnais toi-même, quand tu es raisonnable… Mais enfin, il y a une limite à tout… Et, véritablement, tu abuses de mon dévouement et de ta position…

La Femme
André… reviens… Je ne t’ai pas vu de toute la journée… Je n’ai vu personne, de toute la journée… Toute la journée, j’ai été seule, seule, comme une pauvre chienne… André !…

Le Mari
Est-ce de ma faute ?… Tu ne tiens compte de rien, ni de mes tristesses… ni de ma vie gâchée, de mon intérieur détruit, de mes amitiés perdues… Toutes les bonnes volontés autour de toi, tu les décourages et tu te les aliènes… Et tu te plains !… Ça n’est pas juste… Je ne te reproche rien… mais enfin, il faut que je te le dise… tu exagères tes souffrances, et tu les rends insupportables… aux autres…

********************

Le Mari
En voilà assez… Je ne veux pas recevoir ici, chez moi, dans ma maison, une femme sans mari, dont la position sociale est au moins équivoque… une intrigante… une déclassée, enfin… et peut-être une prostituée… Est-ce clair ?…

La Femme
André !…

Le Mari
Comme ancien magistrat… comme catholique… comme conseiller général de l’opposition, j’ai des principes avec lesquels je ne veux pas… je ne peux pas transiger… Et je m’étonne que tu les méconnaisses à ce point… Mais c’est incroyable… Je tombe des nues… Il faut que tu sois devenue folle…

La Femme
Tu es bien sévère, aujourd’hui… Et je ne sens aucune sincérité dans ton indignation… Voyons, André… ne joue donc pas ce jeu avec moi… Elle te plaît… tu en as envie… (Le mari proteste par gestes.) Tes désirs ?… Ah ! je les connais, va ! Et je les vois… je les ai vus, tout à l’heure, à tes yeux, à tes lèvres ; je les ai entendus dans le son de ta voix… Tu as beau faire l’indifférent… ou le dégoûté… ou le moraliste rigide… rien ne m’échappe de tes sentiments cachés… Je sais quand tu es en amour…

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La Femme
Reste… Puisque nous sommes dans la honte, il faut que tu en entendes plus encore… Et ne te fâche pas… c’est tout à fait inutile… Je ne te demande pas l’impossible, mon Dieu !… Je sais bien que je ne suis plus une femme, que je ne puis plus être une femme pour toi… Je ne suis pas jalouse, non plus… Comment le serais-je ?… Avec ta nature de vieux passionné, j’admets… j’accepte que tu cherches, en dehors de mon lit, des plaisirs que je ne peux plus te donner… Tu vois que je suis raisonnable… que je fais la part de tout… de mes déchéances… et de tes besoins… Mais, prends garde… Tu as des ennemis, d’autant plus redoutables qu’ils masquent leur haine d’un respect hypocrite et d’une fausse soumission. On te craint, soit… Mais on te déteste plus qu’on te craint… On te déteste parce que tu es dur au monde, despotique et tracassier, implacable dans ce que tu appelles tes droits de propriétaire… Et le jour où l’on ne te craindra plus ?… Et s’il t’arrivait… demain… un malheur ?… Y as-tu songé ?… L’on jase, déjà, autour de nous…


Pour aller plus loin :

Tout le théâtre d’Octave Mirbeau
Biographie d’Octave Mirbeau
Le site mirbeau.asso.fr consacré à Mirbeau


Publication aux Editions La Comédiathèque

Recueil de six pièces en un acte jouées pour la première fois entre 1898 et 1904 : L’Épidémie, Vieux Ménage, Le Portefeuille, Les Amants, Scrupules, Interview.

Utilisant la parodie, la satire ou la farce, Octave Mirbeau propose une critique féroce de la société bourgeoise de son époque, qui trouve d’étranges résonances avec le monde d’aujourd’hui. La modernité de l’écriture et des thèmes abordés préfigure à la fois le théâtre de Brecht et celui de Ionesco, tout en développant un humour très corrosif.

Pour 2 à 10 comédiens ou comédiennes.

ISBN 978-237705-103-8
Août 2017 – 122 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 14,00€

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