Le théâtre d’Émile Zola
Les pièces majeures
Les recueils des Œuvres complètes de Zola comportent en général les 3 pièces suivantes :
Thérèse Raquin, drame en quatre actes, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Renaissance, le 11 juillet 1873. Texte intégral sur Libre Théâtre
Les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre de Cluny le 3 novembre 1874. Texte intégral sur Libre Théâtre
Le Bouton de rose, comédie en trois actes représentée pour la première fois au Théâtre du Palais Royal le 6 mai 1878. Texte intégral sur Libre Théâtre
Mais on peut également citer deux autres pièces qui ont été représentées :
Renée, drame en cinq acte, tirée de la Curée, représenté pour la première fois, le 16 avril 1887, sur le théâtre du Vaudeville. Texte intégral sur Libre Théâtre
Madeleine, drame en trois actes, représenté pour la première fois au Théâtre-Libre, le 3 mai 1889. Texte intégral sur Libre Théâtre
Malheureusement ces pièces ne rencontrent pas le succès que connaissent les romans d’Émile Zola (voir ci-dessous « Zola, l’auteur dramatique » par Paul Alexis).
Les adaptations théâtrales
Après les échecs rencontrés par Zola au théâtre, il confie les adaptations de ses romans à William Burnash. Plusieurs romans sont ainsi adaptés :
L’assommoir, adaptation par William Busnach et Octave Gatineau, pièce en cinq actes et neuf tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu, le 18 janvier 1879 , disponible sur archive.org (préface de Émile Zola). L’adaptation théâtrale de L’Assommoir rencontre un succès considérable à Paris et en province. La pièce, montée en 1879, sera jouée à Paris et en province, et tiendra l’affiche une année entière. Pour en savoir plus : Anne-Françoise Benhamou. Du hasard à la nécessité : L’Assommoir au théâtre. Etudes théâtrales, centre d’Etudes Théâtrales – Université de Louvain la neuve 1999, Mise en crise de la forme dramatique 1880 – 1910, pp.19 – 29. <hal-01099528>
Nana, adaptation par William Busnach, pièce en cinq actes, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu, le 29 janvier 1881 , disponible sur archive.org (préface de Émile Zola)
Pot-Bouille, adaptation par William Busnach, pièce en cinq actes et neuf tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu, le 13 décembre 1883 , disponible sur archive.org (préface de Émile Zola)
Le ventre de Paris, adaptation par William Busnach, drame en cinq actes, représenté au Théâtre de Paris, le 25 février 1887.
Germinal, drame en cinq et douze tableaux, par William Busnach, représenté le 21 avril 1888, au Châtelet, et à Bruxelles ; théâtre Molière en 1889.
Les œuvres lyriques
Alfred Bruneau propose à Zola en 1888 de mettre en musique Le Rêve, en collaboration avec le librettiste Louis Gallet (excellent dossier sur Gallica). Après ce premier succès, Zola signe lui-même de nombreux livrets.
Messidor (1897), drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux, poème de Emile Zola et musique de Alfred Bruneau sur Archive.org.
L’enfant roi : comédie lyrique en cinq actes de Émile Zola, musique d’Alfred Bruneau. Edition Charpentier et Fasquelle, Eugène Fasquelle, 1905, disponible sur Gallica. Zola avait commencé à écrire « L’Enfant roi » en juillet 1899, peu après son retour d’Angleterre. La partition entreprise dès la même année fut terminée le 26 août 1902 mais la pièce ne fut représentée à l’Opéra-Comique que deux ans et demi après la mort de Zola. Douze représentations eurent lieu à partir du 3 mars 1905.
L’ouragan (1901), drame lyrique en 4 actes. – première représentation : Paris, Opéra-Comique (salle Favart), 29 avril 1901. – première représentation à l’Opéra de Paris (3e acte) : 17 février 1916. Disponible sur Gallica.
Lazare (1903), oratorio d’Alfred Bruneau sur un livret d’Emile Zola, Créé par l’orchestre de la RTF sous la dir. d’Eugène Bigot le 15 avril 1957. (Notice sur data.bnf.fr)
« Zola, l’auteur dramatique » par Paul Alexis
Paul Alexis dans l’ouvrage Emile Zola, notes d’un ami, consacre un chapitre à l’auteur dramatique (Editions G. Charpentier, Paris, 1882, source : Gallica). Pour la lisibilité du texte, nous avons rajouté des inter-titres, des illustrations et des liens vers les ouvrages cités (lien vers les chroniques sur Libre Théâtre ou vers les ouvrages disponibles sur Gallica).
Les œuvres enfantines
« L’idée de faire du théâtre, chez Zola, remonte haut. Je l’ai déjà montré sur les bancs du collège d’Aix, en 1856, écrivant une pièce en trois actes, en vers : Enfoncé le pion ! Naturellement, l’œuvre était enfantine et mauvaise. Le manuscrit existe ; je l’ai eu entre les mains. Les trois actes sont terminés : c’est le plus bel éloge qu’on puisse en faire. Je crois me souvenir que deux élèves, là-dedans, disputent au pion Pitot, le coeur d’une femme. Je ne sais plus quel rôle burlesque joue le principal, Pingouin. Le tout n’a rien de génial : un élève de troisième ne peut pas écrire Tartufe.
Plus tard, à Paris, au lycée Saint-Louis, l’auteur d’Enfoncé le pion ! fait le plan et arrête le scenario d’un grand drame en vers : Rollon l’archer. Le plan commençait par cette ligne : « Ce drame résume l’humanité. » Tout simplement ! Cela eût été un gros drame romantique, un pastiche d’Hugo. Mais on ne les écrit jamais, ces pièces « qui résument l’humanité. » L’humanité ne se laisse pas résumer ainsi.
Sur les bancs du même lycée Saint-Louis, notre auteur dramatique en herbe écrivit un acte en vers : Perrette, essai de comédie tiré de la fable la Laitière et le Pot au lait. Le fabuliste lui-même, le bon La Fontaine, y était incarné dans une sorte de vieux vagabond, porteur de besace et courant les chemins.
Immédiatement après Perrette, toujours au lycée, fut écrit un autre acte en vers : Il faut hurler avec les loups, dont le manuscrit est perdu.
Plus tard, après ces essais enfantins, l’idée de faire du théâtre ne cesse de hanter Zola, avançant dans la vie. Employé chez Hachette, en 1865, je l’ai montré écrivant la Laide, un acte en prose, que l’Odéon lui refusa. Plus tard encore, il faut mentionner deux pièces dont j’ai parlé : les Mystères de Marseille, drame en cinq actes, en collaboration avec Marius Roux, joué trois fois à Marseille, en octobre 1867 ; et la Madeleine, drame en trois actes, refusé tour à tour par le Gymnase et le Vaudeville, inédit. »
(lien vers la pièce Madeleine sur Libre Théâtre)
Thérèse Raquin
De tout ce passé obscur d’auteur dramatique, encore balbutiant et injoué — excepté à Marseille, — l’arrivé aux trois trois tentatives sérieuses constituant jusqu’à ce jour, le « théâtre d’Émile Zola. » La première de ces tentatives est Thérèse Raquin, drame en quatre actes, joué le 11 juillet 1873, au théâtre de la Renaissance.
On avait plusieurs fois défié l’auteur de Thérèse Raquin de transporter au théâtre le drame violent du livre. « La pièce n’irait pas jusqu’au bout ! » lui prédisaient certains confrères. Et le public, dégoûté, enverrait les petits bancs sur la scène. « II faudra voir ça ! » s’était dit naturellement le romancier conspué. Et, à partir de ce jour, il fut mordu du désir de bâtir la pièce. Pendant le siège, se trouvant à Marseille, il fit un premier plan, sans arriver à se satisfaire. Le véritable plan ne fut trouvé que l’année suivante, et fut inspiré à l’auteur par l’idée de conserver dans son drame l’unité de lieu. Après la Commune, de retour à Paris, il se mit à l’oeuvre. Exécutée assez vite, la pièce était primitivement en cinq actes.
À quel théâtre fallait-il la présenter ? Zola ne jouissait pas encore de cette retentissante notoriété qui ouvre toutes les portes. Cinq ans auparavant, à l’occasion de la Madeleine, il avait essuyé un refus au Vaudeville et au Gymnase : faire antichambre dans les mêmes théâtres, s’exposer à un nouveau refus, lui souriait peu. D’un autre côté, si Thérèse Raquin pouvait être jugée dangereuse par le directeur d’un théâtre de genre, la porter au Théâtre-Français ou à l’Odéon était une démarche absolument inutile, une perte de temps certaine. Alors, avec ce tact d’homme pratique qu’il a toujours possédé, il porta son drame à M. Hostein, directeur de la Renaissance.
Celui-ci était le seul directeur qui pût recevoir, et monter tout de suite, une oeuvre osée, exceptionnelle, contenant une tentative littéraire. Cela pour une raison fort simple : ayant ouvert un théâtre nouveau, la Renaissance, non pour jouer l’opérette, mais pour faire concurrence à ses voisins, la Porte-Saint-Martin et le Gymnase, en allant du genre de l’un à celui de l’autre, il n’avait pas eu la main heureuse jusque-là, essuyait four sur four, près de lâcher l’affaire et de mettre la clef sous la porte. Seuls, les gens qui sentent tout perdu, consentent parfois à tenter quelque chose ; même si ce quelque chose est de la littérature.
Pourtant malgré sa situation désespérée, le directeur de la Renaissance hésitait. Il ne se décida que lorsqu’une grande artiste, madame Marie Laurent, voulut bien prendre le rôle de « madame Raquin, » en se contentant d’appointements proportionnés aux recettes, c’est-à-dire problématiques. La saison était très avancée. Il fallait que Marie Laurent eût bien foi dans l’oeuvre et dans son rôle. — Ah! soupirait-elle, que n’ai-je dix ans de moins!… Au lieu de faire madame Raquin, je ferais Thérèse, et je voudrais passionner tout Paris.
Les répétitions commencèrent. M. Hostein décida l’auteur à réduire la pièce d’un acte. La coupure fut franche : on supprima la fin du quatre et la première moitié du cinq. Les deux fragments d’acte conservés, et soudés l’un à l’autre par quelques répliques, devinrent le quatrième acte actuel.
Autre concession, celle-ci pour faire plaisir à Marie Laurent. Primitivement, madame Raquin, frappée de paralysie à l’acte de la nuit de noces, ne recouvrait la parole que pour balbutier les mots qui terminent la pièce : « Ils sont morts bien vite ! » Voulant contenter l’artiste, de plus en plus inconsolable de ne pas jouer Thérèse, — interprétation qui eût donné à l’oeuvre sa véritable portée, — Zola consentit à faire précéder son « Ils sont morts bien vite ! » d’une petite tirade, selon moi, malheureuse et déparant absolument l’effet, final.
Enfin, toujours au courant des répétitions, — tant il est vrai qu’un jeune auteur, engagé dans la voie des concessions, ne peut plus s’arrêter, et qu’il n’a rien à refuser au directeur hardi ni à l’actrice de grand talent qui veulent bien s’occuper de son oeuvre, — il arriva ceci : Marie Laurent et M. Hostein, trouvant la pièce nue et noire, demandèrent à Zola de la varier, en mettant sous les yeux du spectateur le tableau de la noyade en pleine Seine, à Saint-Ouen. Fait en deux jours, lu, acclamé, aussitôt mis en scène et su en une semaine, pendant qu’on brossait un décor, le tableau fut joué à la répétition générale, qui n’eut lieu que devant la censure et quelques amis. Il y avait, dans ce tableau, un changement à vue: d’abord, la berge, avec un restaurant, que je vois encore, plein de canotiers ; puis, brusquement, la solitude de la pleine Seine, rien qu’une barque au milieu, où Laurent ramait entre Camille et Thérèse. Ce double décor était même très réussi. Eh bien! après la répétition générale, — fait sans précédents de modestie directoriale, tout à l’honneur de M. Hostein, — le directeur de la Renaissance prit à part l’auteur et reconnut lui-même qu’il était plus littéraire de supprimer ce tableau, que celui-ci n’avait ajouté qu’à contre coeur. Quant au joli décor, il ne fut pas utilisé.
Le lendemain, 11 juillet 1873, eut lieu la première. Une belle salle, pour la saison. La presse au grand complet, naturellement. L’impression de ces quatre actes, se passant dans la même chambre triste; fut très forte, très poignante. Certes, il n’y avait pas là un grand régal pour le public boulevardier des premières. Plus d’un gommeux, dans les couloirs, crut bon genre de trouver cela crevant. Plus d’une cocodette poussa de petits cris pudibonds. Mais, la part faite à ces dissidences inévitables, la salle entière resta saisie et palpitante devant ce drame si peu compliqué, mais si puissant, qui vous serrait le coeur comme une catastrophe personnelle. — Moi, je suis malade ! Ce Zola me rend positivement malade! disait ce soir-là dans les couloirs M. Sarcey, lui qui, au théâtre, veut s’amuser.
Une partie du public était donc très malade, si malade même qu’au commencement de la nuit de noces, on tenta quelques protestations, afin de réagir et d’échapper au cauchemar. Au moment où Thérèse ôte sa robe de mariée, la salle risqua quelques «hem ! hem ! » comme pour se persuader qu’il allait se passer des choses très risquées, ce qu’elle désirait sans doute. On feignit même de ne pas comprendre l’intention, banale à dessein, de quelques phrases sur la pluie et le beau temps, que Laurent et Thérèse échangent, une fois seuls, dans la chambre nuptiale. Mais plus fort que ces mauvais vouloirs et ces hypocrisies, le drame emporta bientôt tout, étreignant les coeurs et bouleversant les âmes. Je crois pouvoir constater, en témoin impartial, que la pièce, à deux doigts de sa chute, au commencement du troisième acte, se redressa tout à coup par un tour de reins, lors de cette minute critique, à partir de laquelle le succès définitivement obtenu ne fit que grandir.
Le succès de Thérèse Raquin fut sans lendemain. La critique se montra très dure pour le nouvel auteur ; on subissait les chaleurs caniculaires de juillet: la pièce ne fit pas d’argent. Au bout de neuf représentations, non seulement Thérèse Raquin disparut de l’affiche, mais la Renaissance ferma ses portes — pour ne les rouvrir qu’à l’hiver, et avec un genre nouveau, l’opérette ! »
(Lien vers la pièce Thérèse Raquin sur Libre Théâtre)
Les Héritiers Rabourdin
« Un an et quelques mois après Thérèse Raquin, le 3 novembre 1874, les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, furent représentés au théâtre Cluny.
Cette fois, la saison était propice. Mais notre auteur dramatique n’allait livrer bataille qu’avec des troupes inférieures. Un théâtre de troisième ordre ne pouvait lui fournir qu’un ensemble jeune, inexpérimenté, plein d’ardeur sans doute, mais uniquement composé d’artistes inconnus, sans autorité sur le public.
Naturellement, si Zola se contenta de Cluny, c’est qu’il n’avait pu trouver mieux. Écrite en visant le Palais-Royal, sa pièce avait d’abord été présentée à ce théâtre et refusée. Puis, les Héritiers Rabourdin, portés à M. Montigny, furent sur le point d’être joués au Gymnase. Zola fit une visite à M. Montigny, à Passy. Le vieux directeur, sentant qu’il avait dans les mains une tentative peu ordinaire, très perplexe et très combattu, demanda à réfléchir. Il finit par rendre le manuscrit de cette oeuvre qui, en somme, était peu faite pour le genre, ni pour la troupe du Gymnase. Ce n’est qu’après ces deux tentatives inutiles, que l’auteur s’était résigné à Cluny.
Là, le directeur, M. Camille Weinschenk, c’est une justice à lui rendre, fit de son mieux pour monter convenablement les Héritiers Rabourdin. Il n’y eut pas de sa faute, si ce « mieux » ne fut pas suffisant. À l’exception de mademoiselle Charlotte Reynard, alors une nouvelle venue qui, dans son rôle de « Charlotte » se révéla charmante de grâce et d’espièglerie, la pièce fut médiocrement interprétée. M. Mercier, vieil acteur, doué d’un jeu assez naturel, mais sentant un peu la province, ne se montra que convenable dans le rôle de Rabourdin, dont il eût fallu composer une grande figure. Ce qui fut tout à fait déplorable, ce fut l’incarnation de l’octogénaire Chapuzot, dans le tout jeune M. Olona.
Le pauvre Olona, que j’ai connu, garçon de bonne famille ayant fait ses classes, bachelier, je crois, et poète, auteur dramatique lui-même, non sans talent, — mort depuis d’une maladie de langueur, —faisait alors partie de la troupe de Cluny, poussé sur les planches par une irrésistible et malheureuse vocation. Amoureux de son art, mal servi par une nature ingrate, mais enthousiaste et piocheur, voilà l’infortuné chargé de créer un vieillard de quatre-vingts ans. Pendant les six semaines de répétitions, chaque jour, il apportait une nouvelle voix de vieux : voix de gorge, de nez, de ventre, il les essayait toutes. Ça allait du polichinelle à l’auvergnat !
Certains jours, pourtant, l’obstiné chercheur trouvait des intonations à peu près possibles.— Parfait ! lui disait-on. Tenez-vous-en à ce vieux-là.
Mais, à la répétition suivante, mon Olona ne retrouvait plus le même vieux. Parfois, pendant qu’on répétait les scènes dont Chapuzot n’était pas, on entendait tout à coup de lointains chevrotements nazillards sortant des dessous du théâtre : c’était Olona cherchant une autre voix de vieux ! Enfin, le jour delà première, après avoir apporté une cinquantaine de voix de vieux différentes, il en produisit une, pas encore entendue, et plus mauvaise que toutes les autres.
Malgré l’interprétation, la pièce alla jusqu’au bout, et sans être sifflée. Un succès de première, en somme ! mais un succès refroidi par le comique sinistre du troisième acte, où la maladie et la mort, intervenant au milieu d’une farce, composent une mixture dont les spectateurs de Shakespeare et de Ben Jonson eussent goûté l’amertume profondément philosophique, mais que la moyenne du public du premier soir goûta peu et comprit moins encore. Quant à la critique, elle se montra plus sévère que pour Thérèse Raquin. En quatre lignes peu polies, le critique ordinaire du Figaro exécuta l’oeuvre, selon lui repoussante, ennuyeuse et immorale. Les plus bienveillants dirent à l’auteur « Thérèse Raquin, au moins, avait certaines qualités : faites-nous une autre Thérèse ! » Les autres lui interdisaient à jamais les planches comme à une brebis galeuse, comme à un paria suspect et louche qui ne pourrait dorénavant que les encanailler. Au demeurant, les Héritiers Rabourdin ne furent joués que dix-sept fois. Deux ou trois soirs, le dimanche, la pièce fit quelque argent : c’était le bon populaire du quartier, qui, lui, paraissait comprendre et riait beaucoup. Mais, les autres soirs, la salle resta presque vide : le grand public ne se dérange pour aller à Cluny que si la critque l’y entraîne par un fort coup de trompette. Et, dans la circonstance, la critique ne donna qu’un coup de sifflet.
Cependant, malgré toutes ces ombres au tableau, Zola et ses amis ne conservent pas un mauvais souvenir de la soirée des Héritiers Rabourdin. Moi, chaque fois que ma pensée s’y reporte, je pense à Flaubert. Était-il beau, le pauvre grand homme, aux premières de ses amis ! Il fallait le voir à son fauteuil d’orchestre, dépassant le public de la tête et défendant la pièce avec passion, toisant de haut les dissidents, leur criant sous le nez : « Bravo ! je trouve ça superbe ! » et applaudissant avec furie, des mains ou, pour faire plus de bruit, avec la canne. Enthousiasme méritoire, même touchant, de la part de l’auteur du Candidat. Lui, non plus, en matière de théâtre, n’avait pas été gâté par le succès. Le soir des Héritiers Rabourdin, il devait même avoir sur le cœur une récente désillusion, celle-ci tout intime. Peu de jours auparavant, chez M. Georges Charpentier, il avait lu devant des amis le Sexe faible, comédie inédite, qu’à l’exemple de Zola il était alors décidé à donner à Cluny. Malgré quelques parties très belles, la lecture avait peu porté. Aux compliments embarrassés des amis qui se battaient les flancs pour lui remonter le moral, Flaubert avait répondu par un mélancolique : « Non ! j’ai compris… » Et il avait retiré la pièce, qui ne fut jamais jouée. — Je savais tout cela, quand, avant le lever du rideau, mon voisin, me montrant à quelques fauteuils de nous un spectateur grand et fort, superbe, m’apprit que c’était l’auteur de Madame Bovary, que je n’avais jamais vu. Je ne le quittai plus du regard, et je le vis applaudir à chaque instant, frénétiquement. « Ah ! le brave homme! » me disais-je en moi-même. Je ne fis sa connaissance que deux ans plus tard, mais je me mis à l’aimer tout de suite. »
(Lien vers la pièce Les Héritiers Rabourdin sur Libre Théâtre)
Le Bouton de Rose
« Me voici enfin au fameux Bouton de Rose. Tout comme les pièces à succès, les fours ont leur histoire. Voici celle du Bouton de Rose.
Depuis que le Palais-Royal lui avait refusé les Héritiers Rabourdin, Zola connaissait M. Plunkett. Il arriva que ce directeur, en pleine crise d’insuccès, cherchant partout des auteurs nouveaux et ne sachant plus à quelle porte frapper, vint le trouver un jour et lui demanda une pièce. Zola, qui songeait au contraire à écrire un drame, resta très hésitant. La considération que la pièce qu’on lui commandait était reçue à l’avance, l’emporta enfin. Il se décida à composer une simple farce, plein de cette idée large qu’il n’existe pas de genre inférieur, et qu’un puissant producteur dramatique doit savoir tout exécuter. A la fin de 1876, il livrait son travail à M. Plunkett. Quand celui-ci en eut pris connaissance, il écrivit à l’auteur une lettre hésitante, embarrassée, où il énumérait toute sorte de raisons pour ne pas jouer le Bouton de Rose. L’auteur, encore dans le feu de la composition, insista et obtint une lecture aux artistes, une distribution, un commencement de répétitions. Puis, l’été qui survint, et d’autres circonstances, suspendirent tout. Il partit en villégiature pour l’Estaque, où je l’ai montré écrivant une Page d’amour, ne pensant plus du tout au Palais-Royal.
À l’Estaque, pourtant, un soir où quelques amis se trouvaient chez lui, il nous lut sa farce, au murmure de la Méditerranée, dont les vagues venaient expirer sous les fenêtres. Tout lui parut, ce jour-là, insuffisant, mauvais. Et il se promit bien de ne jamais la laisser représenter.
Revenu à Paris avec cette impression, il se trouva dans une situation singulière. A la suite du grand bruit de l’Assommoir, maintenant, les directeurs du Palais-Royal voulaient absolument jouer une œuvre que le romancier, lui, entendait laisser dormir au fond d’un tiroir. Comique renversement des rôles, n’est-ce pas? Comme l’auteur ne démordait pas de sa nouvelle résolution, il fut même question, dans le trio directorial, de lui envoyer du papier timbré.
À la fin, cependant, il se laissa convaincre. Il écouta même les conseils de M. Dormeuil, un des directeurs, qui, trouvant le deuxième acte un peu vide, le décida à y introduire ce fameux punch des officiers, qui, dans le deuxième acte primitif, se passait à la cantonnade, et qui, le soir de la première, souleva une mémorable tempête de sifflets, malgré la voix émue et charmante de mademoiselle Lemercier soupirant les couplets du Petit Tonneau.
Il faut ajouter d’ailleurs qu’au théâtre, après toutes ces hésitations, on avait fini par se monter la tête. On croyait à un grand succès. La toile tombée au milieu des huées, pendant que Geoffroy essayait en vain de proclamer le nom de l’auteur, celui-ci, derrière un portant, se retourna vers les directeurs consternés, en leur disant : « Vous voyez, messieurs, que vous avez eu tort de jouer ma pièce malgré moi ; votre premier jugement était le bon. » Les trois directeurs, navrés, présentèrent leurs excuses.
Une heure après, dans une vaste salle de Véfour, à deux pas du théâtre, Zola, entouré de tous ses amis invités, soupait. Présents : Gustave Flaubert, Goncourt, M. et madame Alphonse Daudet, madame Charpentier mère, M. et madame Georges Charpentier, M. et madame Eugène Montrosier; Albert Déthez, Marins Roux ; les peintres Manet, Guillemet, Beliard, Coste, etc.; toute la petite bande dite des Soirées de Médan ; enfin, nous étions trente. Et ce souper d’enterrement n’eut rien de bien triste : le grand Flaubert était plus lyrique que jamais, et Zola mangea d’un robuste appétit.
Depuis le 6 mai 1878, il n’a plus signé de pièce. Cependant, si je m’en tenais là, l’esquisse de sa physionomie d’auteur dramatique serait incomplète. Il faut bien dire un mot des drames tirés de l’Assommoir et de Nana. »
(Lien vers la pièce Le Bouton de rose sur Libre Théâtre)
Les adaptations
« Après l’exceptionnel succès de l’Assommoir, plusieurs propositions furent faites au romancier par des praticiens dramatiques, désireux de tenter une adaptation théâtrale. Le romancier se décida pour MM. Busnach et Gastineau, parce qu’il fut entendu, dans le principe, que lui, Zola, « ne s’occuperait de rien. » Pourtant, malgré ses dénégations formelles et réitérées, je crois pouvoir dire qu’il n’a pas été aussi étranger qu’il l’affirme à la facture de la pièce. Il faut, évidemment, prendre ces dénégations comme une simple attitude littéraire qu’il entendait garder. Il ne voulait pas être de la pièce, et il n’en était pas, même en en étant. D’ailleurs, on reconnaît sa main en bien des parties. Qu’il ait plus ou moins récrit les scènes, je n’ai pas à descendre dans ces détails; mais, à coup sûr, il s’est occupé du plan. Loin de moi pourtant la pensée, et même la simple apparence, de vouloir diminuer en rien la part de collaboration et les mérites très réels de M. William Busnach. Sans lui, le drame l’Assommoir serait certainement différent de ce qu’il est ; une portion du succès doit donc être mise à son avoir. Les innombrables demandes de collaboration dont M. Busnach se trouve accablé, depuis trois ans, sont la plus belle preuve de ce que j’avance.
Un mot encore, et j’en aurai terminé avec Émile Zola auteur dramatique. Après ses pièces de première jeunesse, après ses trois oeuvres jouées et, toutes, sifflées ou étouffées — ne comptant que trente-trois représentations à elles trois, — après les adaptations théâtrales de ses romans, auxquelles il prend plus ou moins part, il n’a nullement renoncé à faire du théâtre tout seul, malgré le Bouton de Rose, et à le faire en poursuivant la réalisation de certaines idées.
Quelles idées ? — Quiconque a suivi sa campagne de critique dramatique pendant quatre ans, au Bien public et au Voltaire, les connaît. On peut les résumer, je crois, en une phrase : Zola voudrait porter au théâtre l’évolution qui s’est produite dans le roman avec Stendhal, Balzac et Flaubert. Son rêve serait évidemment de réaliser lui-même cette évolution, que, selon lui, Alexandre Dumas fils, Émile Augier, Sardou, Meilhac et Halévy, n’ont fait qu’ébaucher. Mais il se sent tellement enfoncé dans le roman, les Rougon-Macquart à terminer sont une si lourde besogne, qu’il recule toujours ses nouvelles tentatives, et qu’il doit désespérer jusqu’à un certain point, aujourd’hui, d’avoir jamais le temps.
Cependant, il reste plein de projets. Certains jours, il se sent pris de la tristesse de n’avoir pas fait et d’envies terribles de faire. Ces jours-là, il se met à Renée, une sorte de Phèdre contemporaine. Actuellement, sa situation est nette au théâtre. Lorsqu’il donnera de nouveau une pièce signée de son nom seul, il faut que ce soit une mémorable bataille : — la première d’Hernani pour le naturalisme ! »
(Lien vers la pièce Renée sur Libre Théâtre)
Pour en savoir plus :
Lien vers la Biographie de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers le théâtre de Zola et le naturalisme sur Libre Théâtre