Le théâtre de Zola et le naturalisme
Zola est un des représentants les plus connus de l’école naturaliste : il a théorisé l’esthétique de ce mouvement littéraire et l’a brillamment mis en œuvre dans ses romans, notamment dans le cycle des Rougon-Macquart.
Mais Zola s’est également intéressé au théâtre. Il a été critique dramatique au Bien public, et ensuite au Voltaire. Il a rassemblé certains de ses articles publiés dans deux ouvrages Le Naturalisme au théâtre (1881, disponible sur Gallica) et Nos auteurs dramatiques (1881, disponible sur Gallica). Il a également écrit plusieurs pièces, souvent adaptées de ses romans (voir le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre).
Les caractéristiques du naturalisme au théâtre
Zola dans la préface de la pièce Thérèse Raquin, drame tiré du roman, définit précisément les principes du mouvement naturaliste au théâtre.
« Certes, je n’ai point l’ambition de planter mon drame comme un drapeau. Il a de gros défauts, et je suis plus sévère pour lui que personne ; si j’en faisais la critique, il ne resterait qu’une chose debout, la volonté bien nette d’aider au théâtre le large mouvement de vérité et de science expérimentale, qui, depuis le siècle dernier, se propage et grandit dans tous les actes de l’intelligence humaine. Le branle a été donné par les nouvelles méthodes scientifiques. De là, le naturalisme a renouvelé la critique et l’histoire, en soumettant l’homme et ses œuvres, à une analyse exacte, soucieuse des circonstances, des milieux et des cas organiques. Puis, les arts et les lettres ont subi à leur tour l’influence de ce grand courant ; la peinture est devenue toute réelle, notre école de paysage a tué l’école historique ; le roman, cette étude sociale et individuelle, d’un cadre si souple et sans cesse élargi, a pris la place entière, absorbant peu à peu les genres littéraires classés par les rhétoriques d’autrefois. Ce sont là des faits que personne ne saurait nier. Dans l’enfantement continu de l’humanité, nous en sommes à l’accouchement du vrai. Et là est la seule force du siècle. Tout marche de front dans une époque. Quiconque voudrait retourner en arrière ou s’échapper de côté, serait écrasé sous la pensée générale. C’est pourquoi je suis absolument convaincu de voir prochainement le mouvement naturaliste s’imposer au théâtre, et y apporter la puissance de la réalité, la vie nouvelle de l’art moderne.
Au théâtre, toute innovation est délicate. Les révolutions littéraires sont lentes à s’y faire sentir. Il est logique que là soit la dernière citadelle du mensonge, dont le vrai ait à faire le siège. Le public, pris en masse, n’aime pas à être dérangé dans ses habitudes, et les jugements qu’il porte ont la brutalité d’un arrêt de mort. Seulement, il arrive un moment où le public devient à son insu complice des novateurs ; ce moment est celui où, pénétré lui-même par le souffle nouveau, las des éternelles histoires qu’on lui conte, il éprouve un impérieux besoin de jeunesse et d’originalité.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que le public en est là, aujourd’hui. Le drame agonise, si une nouvelle sève ne le rajeunit. Il faut du sang à ce cadavre. On dit que l’opérette et la féerie ont tué le drame. Cela est faux, le drame meurt de sa belle mort, il meurt d’extravagances, de mensonges et de platitudes. Si la comédie reste debout, dans cet effondrement de notre scène, c’est qu’elle tient davantage à la vie réelle, c’est qu’elle est vraie souvent. Je défie les derniers des romantiques de mettre à la scène un drame à panaches ; la ferraille du moyen âge, les portes secrètes, les vins empoisonnés et le reste, feraient hausser les épaules. Le mélodrame, ce fils bourgeois du drame romantique est encore plus mort que lui dans les tendresses du peuple ses sensibleries fausses, ses complications d’enfants volés et de papiers retrouvés, ses gasconnades impudentes, l’ont fait prendre en mépris à la longue, à ce point qu’on se tient les côtes, lorsqu’il tente de ressusciter. Les grandes œuvres de 1830 resteront comme des oeuvres de combat, des dates littéraires, des efforts superbes, qui ont jeté bas le vieil échafaudage classique. Mais, maintenant que tout est par terre, les capes et les épées sont inutiles il est temps de faire des œuvres de vérité. Remplacer la tradition classique par la tradition romantique, ce ne serait pas savoir profiter de la liberté que nos aînés ont conquise. Il ne doit plus y avoir d’école, plus de formule, plus de pontife d’aucune sorte il n’y a que la vie, un champ immense où chacun peut étudier et créer à sa guise.
Je ne fais pas ici une thèse pour ma cause. J’ai la conviction profonde, — et j’insiste sur ce point, — que l’esprit expérimental et scientifique du siècle va gagner le théâtre, et que là est le seul renouvellement possible de notre scène. Que la critique regarde autour d’elle, et qu’elle me dise de quel côté elle attend un secours quelconque, un souffle de vie qui remette le drame debout. Certes, le passé est mort. Il faut aller à l’avenir ; et l’avenir, c’est le problème humain étudié dans le cadre de la réalité, c’est l’abandon de toutes les fables, c’est le drame vivant de la double vie des personnages et des milieux, dégagé des contes de nourrice, des guenilles historiques, des grands mots bêtes, des niaiseries et des fanfaronnades de convention. Les charpentes pourries du drame d’hier tombent d’elles-mêmes. La place doit être nette. Les recettes connues pour nouer et dénouer une intrigue, ont fait leur temps il faut, à cette heure, une large et simple peinture des hommes et des choses, un drame que Molière aurait pu écrire. En dehors de certaines nécessités scéniques ce que l’on nomme aujourd’hui la science du théâtre, n’est que l’amas des petites habiletés des faiseurs, une sorte de tradition étroite qui rapetisse la scène un code de langage convenu et de situations notées à l’avance, que tout esprit original refusera énergiquement d’appliquer.
Et, d’ailleurs, le naturalisme balbutie déjà au théâtre. Je ne veux citer aucune œuvre ; mais, parmi les drames représentés pendant ces dernières années, il en est beaucoup qui contiennent en germe le mouvement dont je signale l’approche. Je laisse de côté les pièces des débutants je parle surtout de certains drames écrits par des auteurs dramatiques, vieillis dans le métier et assez habiles pour pressentir la transformation littéraire qui s’opère. Ou le drame mourra, ou le drame sera moderne et réel.
C’est sous l’influence de ces idées que j’ai tiré un drame de Thérèse Raquin. Comme je l’ai dit, il y avait là un sujet, des personnages et un milieu, qui constituaient, selon moi, des éléments excellents pour la tentative que je rêvais J’allais pouvoir faire une étude purement humaine, dégagée de tout intérêt étranger, allant droit à son but ; l‘action n’était plus dans une histoire quelconque, mais dans les combats intérieurs des personnages il n’y avait plus une logique de faits, mais une logique de sensations et de sentiments ; et le dénouement devenait un résultat arithmétique du problème posé. Alors, j’ai suivi le roman pas à pas j’ai enfermé le drame dans la même chambre, humide et noire, afin de ne rien lui ôter de son relief, ni de sa fatalité ; j’ai choisi des comparses sots et inutiles, pour mettre, sous les angoisses atroces de mes héros, la banalité de la vie de tous les jours ; j’ai tenté de ramener continuellement la mise en scène aux occupations ordinaires de mes personnages, de façon à ce qu’ils ne « jouent » pas mais à ce qu’ils « vivent » devant le public. Je le confesse, je comptais, et avec quelque raison, sur le côté poignant du drame, pour faire accepter aux spectateurs ce vide de l’intrigue et cette minutie des détails. La tentative a réussi, et j’en suis plus heureux pour mes drames futurs que pour Thérèse Raquin car je publie celui-ci avec un vague regret, avec une envie folle de changer des scènes entières.
La critique a été passionnée ; elle a discuté mon œuvre violemment. Je ne m’en plains pas, et je l’en remercie. J’y ai gagné d’entendre l’éloge du roman dont la pièce est tirée, ce roman que la presse a si maltraité à son apparition ; aujourd’hui, le roman est bon, et c’est le drame qui ne vaut rien ; espérons que le drame vaudrait quelque chose, si je pouvais en tirer une nouvelle oeuvre qu’il s’agirait de déclarer détestable. (…) (Source : Thérèse Raquin, drame en 4 actes de Émile Zola, Editions Charpentier, 1873, disponible sur Gallica) . Lien vers Thérèse Raquin sur Libre Théatre.
On rajoutera à cette définition très complète deux idées que Zola développera ensuite :
- le rôle des décors, qui deviennent des personnages à part entière et qui n’ont plus seulement une fonction décorative.
- le déterminisme : le destin des personnages est soumis à la double influence de l’hérédité et du milieu. Dans Renée, Béraud le père affirme ainsi : « Plus tard, j’ai su qu’il y avait des vices dans cette famille, tout un détraquement cérébral ; et, depuis ce temps, j’ai pardonné, en comprenant que votre mère était une malade. » Renée, elle-même subit l’ influence néfaste de la serre « dont l’air est si lourd et si chargé de violents parfums ». (lien vers Renée sur Libre Théâtre)
Pour en savoir plus :
Lien vers le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers la Biographie de Zola sur Libre Théâtre