Tragédie

Polyeucte de Pierre Corneille

Tragédie en cinq actes et en vers représentée pour la première fois sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par la troupe royale, en 1640.
Distribution : 10 hommes, 2 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Polyeucte a épousé Pauline, fille du gouverneur d’Arménie, Félix. Pauline à Rome était éprise de Sévère, favori de l’empereur Décie, mais a obéi à son père, d’autant que Sévère a été, dit-on, tué sur le champ de bataille. Quinze jours après son mariage, Pauline fait un songe effrayant : elle voit Sévère triomphant et Polyeucte poignardé au milieu d’une assemblée de chrétiens. Félix a reçu l’ordre de faire exécuter en Arménie les décrets de persécution contre les chrétiens. Polyeucte est  converti au christianisme par son ami Néarque. Sévère, qui n’est pas mort, arrive dans la province, chargé d’une mission impériale : il revoit Pauline, dont il ignorait le mariage. Polyeucte, déterminé à confesser publiquement sa foi, déchire les édits de persécution  et brise les idoles. Ni les menaces de Félix, ni les pleurs et les prières de Pauline, ni l’intercession de Sévère, rien ne peut détourner Polyeucte de sa foi. Il est condamné à mort par le gouverneur. Double miracle de la grâce, Pauline d’abord, et ensuite Félix, embrassent le christianisme. Sévère décide de les épargner.

Polyeucte sur Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55003776z/f1.item
Polyeucte : maquette de costume dessinée par Eugène Lacoste. 1879. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55003776z/f3.item
Polyeucte : maquette de costume pour Pauline dessinée par Eugène Lacoste. 1879. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53049908j
Mounet-Sully dans Polyeucte Dessin de Yves Marevéry. 1906/ Source : Bnf/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8436364q/f384.item
Comédie-française, 1er octobre 1884. Mounet-Sully dans le rôle de Polyeucte. Source : Bnf/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405540v/f1.item
Mounet-Sully dans Polyeucte à la Comédie-Française (1884). Extrait de Comoedia illustré du 12 juillet 1912. Source : BnF/Gallica

Dossier pédagogique

  • Mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman (2017) 
    Dossier pédagogique sur le site du Théâtre de la ville : pourquoi monter polyeucte ? Polyeucte, saint ou Héros ? Polyeucte et Jésus, le résumé scène par scène, les personnages dans Polyeucte, mémento sur l’alexandrin, la destruction des statues (AFP), Dramaturgie, Corneille

Polyeucte (Bande-Annonce / Théâtre) from Les Fossés Rouges on Vimeo.


Phèdre de Jean Racine

Tragédie en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par la troupe royale, le vendredi 1er janvier 1677, sous le titre initial de Phèdre et Hippolyte.
Distribution : 3 hommes, 5 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387246/f74.item
Sarah Bernhardt dans le rôle de Phèdre. Source : BnF/Gallica

Thésée a disparu depuis six mois. Hippolyte, son fils, annonce à son confident, Théramène, son intention de partir à sa recherche. Il veut aussi quitter Trézène afin de fuir son amour pour Aricie, sœur des Pallantides, un clan ennemi. Phèdre, seconde épouse de Thésée, avoue à Œnone, sa nourrice et confidente, la passion coupable qu’elle ressent pour son beau-fils Hippolyte.

La mort de Thésée est annoncée. Hippolyte propose à Aricie de lui rendre le trône d’Attique et lui avoue son amour. Leur entretien est interrompu par Phèdre qui demande à Hippolyte de prendre soin de son fils mais qui finit par lui révéler sa passion. Devant la réaction horrifiée d’Hippolyte, elle prend l’épée d’Hippolyte pour se suicider mais Œnone l’arrête. Théramène annonce que le fils de Phèdre est choisi comme roi par Athènes, mais une rumeur circule : Thésée ne serait pas mort.

Phèdre propose la couronne à Hippolyte. Thésée arrive à Trézène et s’étonne de recevoir un accueil si froid : Hippolyte, qui veut avouer à Thésée qu’il aime Aricie, évite sa belle-mère, Phèdre, submergée par la culpabilité.

Œnone, qui craint que sa maîtresse ne se donne la mort, a déclaré à Thésée qu’Hippolyte a tenté de séduire Phèdre en la menaçant, donnant pour preuve l’épée qu’elle a conservée. Thésée bannit Hippolyte et prie Neptune, dieu de la mer, de le venger. Phèdre veut le faire changer d’avis mais elle apprend qu’Hippolyte aime Aricie. Furieuse d’avoir une rivale, elle renonce à le défendre.

Hippolyte part après avoir promis à Aricie de l’emmener hors de la ville et de l’épouse. Thésée commence à avoir des doutes sur la culpabilité de son fils, mais la nouvelle de sa mort, causée par un monstre marin, survient. Après avoir chassé Œnone qui, de désespoir, s’est jetée dans les flots, Phèdre révèle la vérité à Thésée ; ayant pris auparavant du poison, elle meurt.

Phèdre et ses interprètes

Chapitre réalisé à partir du dossier pédagogique de la mise en scène de Patrice Chéreau à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Illustrations issues de Gallica.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84272667/f13.item
Portrait de Mlle Clairon (1723-1803). Source : Bnf/Gallica

Melle Clairon, 1743, Comédie-Française

 » Une force supérieure l’emporte continuellement à faire, à dire, ce que continuellement aussi, sa vertu réprouve. Dans toute l’étendue de ce rôle, ce combat doit être sensible aux yeux, à l’âme du spectateur.  » Mlle Clairon.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84272704/f164.item
Rachel (1821-1858) dans Phèdre. Source : Bnf/Gallica

1843 à 1855: Rachel

« On me dit que je suis trop jeune ? Que je suis trop maigre ? Je dis que c’est une bêtise. Une femme qui a un amour infâme mais qui se meurt plutôt que de s’y livrer, une femme qui dit qu’elle a séché dans les feux et les larmes, cette femme-là n’a pas une poitrine comme Madame Paradai. C’est un contresens. J’ai lu le rôle au moins dix fois depuis huit jours ; je ne sais pas comment je le jouerai, mais je dis que je le sens.  »


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438727f/f2.item
Sarah Bernhardt dans « Phèdre », 1893. Source : BnF/Gallica

1879 à 1896 : Sarah Bernhardt

 » Faut-il parler de Phèdre ! Voilà bien la plus touchante, la plus pure, la plus douloureuse victime de l’amour ! oh : elle ne cherche pas à ergoter ! Aussitôt qu’elle voit Hippolyte, elle saisit la main de sa nourrice et la portant vers son coeur, elle murmure presque pâmée d’émotion : Le voici : vers mon coeur tout mon sang se retire. J’oublie en le voyant ce que je viens lui dire. Quelle phrase simple ! ll me semble que ce soit une femme d’aujourd’hui qui parle. […] Je n’ai jamais vu Rachel, mais il paraît qu’elle était admirable dans Phèdre. J’ai vu d’autres tragédiennes dans ce rôle mais je n’ai jamais compris le pourquoi de leur interprétation qui faisait de Phèdre une vulgaire passionnée ou une névropathe en fureur. […] Attachée au lyrisme de ce verbe harmonieux, à la vie profonde de ces sentiments, je me suis souvenue que la Champmeslé qui créa Phèdre était, au dire des historiens, une créature de beauté et de grâce, et non une forcenée, et j’ai tenté de pénétrer le charme du mystère de l’art racinien pur et touchant pour le rendre plus sensible au public trop enclin à ne trouver en ces tragédies que des souvenirs de collège.  »


1955 : Judith Malina (Grenier Living Theatre, New York)

« Je me bats, traverse des agonies, m’exténue à chaque répétition. C’est inimaginable ce que je me fais à moi-même sur cette scène. Je suis possédée, complètement délirante, et cependant contrôlée. Ce pourrait être abominable, ce pourrait être splendide. En réalité, ça va bien, mais les valeurs sont secouées. Il y a une vaste satisfaction à jouer ce rôle. Je n’ai jamais rien fait d’aussi énervant, et en même temps d’aussi satisfaisant.  » (Extrait de son Journal)

1958: Maria Casarès (Palais de Chaillot, Paris) (à Jean Vilar )

« Merci pour le livre sur Rachel. En effet, j’y ai trouvé des détails amusants et troublants. Je commence à nouveau à considérer ta pièce et le personnage. Je rassemble dans ma mémoire mes propres impressions, les critiques et les réactions des autres, ce que j’ai entendu autour de moi pendant les répétitions et après les représentations. Je trie et essaie de mettre de la distance entre elle et moi pour voir clair… Vous m’avez dit un jour que je ne me servais pas assez dans Phèdre du pouvoir de séduction que les poèmes de Baudelaire me prêtent parfois. Il y a quelque chose de juste et de secret que je devine mais qu’il m’est difficile de saisir quand je lis Racine. Parlez-m’en encore, en essayant de me le faire comprendre  » musculairement  » et de me le faire glisser ici… je m’explique encore mat, je pense donc je comprends mal, mais parlez-moi de Baudelaire et j’arriverai à saisir, je crois… La vie parte au théâtre et la scène est un effrayant miroir. Je veux retrouver en scène la Phèdre rongée, dévorée, pestiférée et pure que j’ai entrevue ; quitte à passer des nuits blanches pour envoyer le texte comme une voix off afin de conserver sa forme ! il n’y a pas de vie sans douleur et sans cruauté et je veux vivre et faire vivre ceux que j’aime. »

1973 : Sylvia Monfort (Carré Thorigny, Paris)

« Phèdre brûle en chacun de nous. A peine saisissons-nous l’image dans te miroir qu’elle s’estompe, et l’imminence de cet effacement aiguise l’acuité du reflet.  »  » Ce qui compte c’est qu’il y ait eu rencontre dans le mystère et dès la première lecture. C’est comme le désir, ou bien il est présent dans le regard qui le provoque, ou bien il n’y aura jamais fusion. Tous tes avis, compétents, impérieux, singuliers, qui me furent octroyés au sujet de Phèdre, et que j’écoutais intensément, n’eurent d’autre résultat sur moi que de me ramener à ma Phèdre, cependant longtemps brumeuse, avec l’évidence du pion regagnant sa case de départ au Jeu de l’oie […] tel est le prodige de Phèdre : l’aborder, c’est prendre son mal.  »

2003 :  Dominique Blanc (Théâtre National de l’Odéon, Paris)

« Phèdre est pour moi comme une offrande. Peu importe que la rencontre entre ce rêve et les personnages ait lieu, puisque […] les mois à venir seront des mois de splendeur absolue. Pour ma part, je suis ma pire ennemie, je ne pardonne rien, et Patrice ne s’est pas amélioré quant à son exigence : elle est totale. Celui avec qui il est le plus exigeant reste lui-même. Il sera intransigeant avec lui comme avec nous ou avec l’alexandrin auquel il veut tordre le cou pour faire entendre te désir de cette femme et son propre désir. […] Patrice travaille comme je l’ai toujours vu faire remonte à la source. Les séances de lecture s’attardent sur les oeuvres d’Euripide, de Sénèque. On remonte à la création des mythes, à l’essence. quand la Phèdre originelle interpelle Dieu, avec ou sans majuscule, au pluriel ou au singulier, il faut savoir qui elle interpelle et pourquoi. C’est passionnant. Tant d’hommes ont écrit sur Phèdre ; ils en ont perçu la folie, l’animalité, et Valéry a évoqué  » la rage du sexe « . Le désir féminin, exprimé là, semble avoir échappé à tout le monde. Le désir féminin et le désir de mort, puisqu’il s’agit d’une femme qui s’empare du suicide, sont des idées encore très dérangeantes. […I Comment peut-on entrer en scène en disant  » je vais mourir  » ? Comment jouer ce désir de mort, pendant deux heures, et finalement mourir ? Ce sont des limites formidables à dépasser. J’ai appris que le nom de Phèdre signifiait  » la brillante « . Peut-être est-il temps pour moi d’accepter d’entrer dans la lumière, celle que l’on s’accorde à soi-même.  »
Lien vers une captation de l’Acte II, Scène 5

2016 Anne Delbée dans Racine ou la leçon de Phèdre (Poche Montparnasse)

Photographie Emmanuel Orain
Photographie Emmanuel Orain

La Leçon de Phèdre, une rencontre vivante avec un être de chair et de sang qui s’appelle Jean Racine. (…) À travers cette représentation où se rencontrent la petite et la grande histoire, il s’agit aussi d’une transmission d’un artisanat « de l’architecture du vers » qui seul permet de devenir le Poète lui-même et d’oser la Tragédie, Anne Delbée nous fait entendre ce qui résonne chez Racine : la liberté fondamentale de l’être humain à dire non, à faire des choix, à s’avancer pour témoigner de la dignité humaine.Son écriture dévoilée comme une déclaration d’amour, et Phèdre l’atome de toutes ses pièces, éclate et resplendit jusqu’au testament de sa vie.

Lien vers le spectacle / Lien vers  l’entretien de Libre Théâtre avec Anne Delbée

Autour des mises en scène de Phèdre sur le site de l’INA

Jean-Louis Barrault, 1959.

http://www.ina.fr/video/I04261062/jean-louis-barrault-a-propos-de-la-mise-en-scene-de-phedre-video.html
Interview de Jean-Louis Barrault. Source : INA

Interview de Jean-Louis Barrault : sa conception de la mise en scène du théâtre classique de Racine, en particulier de sa mise en scène de la tragédie « Phèdre », et de sa collaboration avec le décorateur Jean Hugo. Des photos de la pièce illustrent ses propos.
Lien vers le site de l’INA


Anne Delbée, Comédie-Française, 1995

http://www.ina.fr/video/CAC95066104
Phèdre, mise en scène par Anne Delbée. Source : INA

Reportage consacré aux costumes de Christian Lacroix  les comédiens donnent leurs impressions. – Extrait de la pièce avec les personnages principaux : Phèdre en grande robe rouge. – Interview d’Eric Génovèse (Hippolyte), Céline Samie, Anne Delbée,  Martine Chevallier (Phèdre), François Beaulieu (Thésée) . Lien vers le reportage sur le site de l’INA 

Lien vers l’entretien de Libre Théâtre avec Anne Delbée


Luc Bondy, Théâtre de l’Odéon, 1998

Extrait de la scène 3 de l’acte I, où Phèdre (Valérie Dreville) fait à sa nourrice Œnone l’aveu de son amour pour Hippolyte et raconte ses efforts vains pour échapper à cette passion coupable.

Lorsque Luc Bondy met en scène Phèdre au Théâtre Vidy-Lausanne en 1998, il s’agit de sa première mise en scène d’une pièce de Racine. Plus familier d’Ibsen et de Strinberg, Bondy dit avoir voulu proposer « une Phèdre réaliste », mettant un accent particulier sur les relations transgressives des personnages entre eux. Le spectacle est centré avant tout sur le duo Phèdre-Œnone : face à la Phèdre de Valérie Dréville, dont la robe dorée renforce la personnalité lumineuse, à la fois passionnée et froide, Dominique Frot campe une Œnone petite et noiraude, figure de la rage destructrice. Autour d’eux, Hippolyte (Sylvain Jacques) est un adolescent inexpérimenté et falot, tandis que la force apparente de Thésée (Didier Sandre) se révèle impuissante. La scénographie, qui figure une plage, se transforme en arène au fil des affrontements, qui laisseront sur la scène trois morts sans vainqueur. (Source : Céline Candiard, INA)

Patrice Chéreau, Théâtre de l’Odéon, 2003

Extrait de la scène 5 de l’acte II, où Phèdre (Dominique Blanc) fait à Hippolyte (Eric Ruf) l’aveu de son amour en empruntant le détour d’un récit de sa rencontre avec Thésée, puis le voyant se dérober laisse éclater toute la violence de sa passion.
Patrice Chéreau se souvient de Sénèque lorsqu’il présente en 2003 sa Phèdre au Théâtre de l’Odéon : son spectacle, loin de se dérober à la violence de l’action, va jusqu’à montrer ce que Racine dissimule, à l’exemple du cadavre mutilé d’Hippolyte que l’on exhibe sur une table d’opération pendant le récit de Théramène. Le public est en disposition bi-frontale, en un huis-clos oppressant qui lui offre des points de vue multiples sur l’action, mais forme également comme deux camps opposés de témoins. À l’inverse de la tradition dominante, Chéreau choisit de mettre en valeur un Hippolyte (Eric Ruf) mûr et solide, dont l’intensité et les contradictions répondent à celles de Phèdre (Dominique Blanc) : l’un et l’autre disent l’amour tout en le rejetant, mélangent quête et fuite, et luttent entre l’instinct et la culpabilité. Autre jeu de miroirs, Hippolyte et Thésée (Pascal Greggory) présentent une ressemblance physique frappante, donnant ainsi une motivation évidente au désir de Phèdre. Loin d’un monstre mythologique, Patrice Chéreau cherche à faire voir l’humanité et l’érotisme poignant de son personnage principal, et à donner sens à sa violence. (Céline Candiard. Source : INA)
Lien vers le dossier pédagogique sur le site de l’Odéon-Théâtre de l’Europe

Dossiers pédagogiques

Parcours Phèdre dans les collections iconographiques de la Comédie-Française présentées au sein de la base La Grange. Lien vers le dossier

Mise en scène de Christophe Rauck au Théâtre du Nord, 2014. Lien vers le dossier pédagogique 

Autres ressources

Nouveaux chemins de la connaissance (France Culture) avec Patrick Dandrey. Lien vers l’émission

Quatrième documentaire d’une série de six consacrée aux grands rôles du théâtre, ce numéro analyse le personnage de Phèdre. Intervenants Dominique Blanc, Georges Forestier, Daniel Mesguich, Michel Schneider, Philippe Adrien. Lien vers l’émission sur le site de l’INA (extrait gratuit, contenu intégral payant)

Dossier de l’INA sur Phèdre à travers quelques dramatiques et émissions radiophoniques. Lien vers le site de l’INA

À signaler au Festival d’Avignon 2019 une adaptation de Phèdre  par François Gremaud, du 11 au 21 juillet (relâche le 16) à 11h40 à la Collection Lambert : Phèdre !  Pour en savoir plus : https://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2019/phedre

Britannicus de Jean Racine

Tragédie en cinq actes  et en vers de Jean Racine, représentée pour la première fois le 13 décembre 1669 à Paris, à l’Hôtel de Bourgogne
Distribution : 4 hommes, 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

L’empereur Claude a eu un fils, Britannicus, avant d’épouser Agrippine et d’adopter  Néron, fils qu’Agrippine a eu d’un précédent mariage. Néron a succédé à Claude. Il gouverne l’Empire secondé des gouverneurs Sénèque et Burrhus. La tragédie débute au moment où Néron tente de se libérer de la domination d’Agrippine sa mère. Il vient d’enlever Junie, fiancée de Britannicus et en tombe amoureux.

Quelques répliques illustrées à travers Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8446869s/f1.item
Estampe. Source : BnF/Gallica
Acte I, scène 3
Britannicus
De mille affreux soldats Junie environnée
S’est vue en ce Palais indignement traînée.
Hélas ! De quelle horreur ses timides esprits
À ce nouveau spectacle auront été surpris !
Enfin on me l’enlève. Une loi trop sévère
Va séparer deux cœurs, qu’assemblait leur misère.
Sans doute on ne veut pas que mêlant nos douleurs
Nous nous aidions l’un l’autre à porter nos malheurs.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8446870f
Estampe. Source : BnF/ Gallica

Acte II, Scène 3

Néron.
Caché près de ces lieux je vous verrai, Madame.
Renfermez votre amour dans le fond de votre âme.
Vous n’aurez point pour moi de langages secrets.
J’entendrai des regards que vous croirez muets.
Et sa perte sera l’infaillible salaire
D’un geste, ou d’un soupir échappé pour lui plaire.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8427271j/f70
Paris, Théâtre Français, 16 novembre 1814, Talma dans le rôle de Néron. Source : BNF/Gallica

Acte IV, scène 2

Néron.
Je me souviens toujours que je vous dois l’empire.
Et sans vous fatiguer du soin de le redire,
Votre bonté, Madame, avec tranquillité
Pouvait se reposer sur ma fidélité.
Aussi-bien ces soupçons, ces plaintes assidues
Ont fait croire à tous ceux qui les ont entendues,
Que jadis (j’ose ici vous le dire entre nous)
Vous n’aviez sous mon nom travaillé que pour vous.
Tant d’honneurs (disaient-ils) et tant de déférences
Sont-ce de ses bienfaits de faibles récompenses ?
Quel crime a donc commis ce fils tant condamné ?
Est-ce pour obéir qu’elle l’a couronné ?
N’est-il de son pouvoir que le dépositaire ?


Estampe. Source : BnF/ Gallica
Estampe. Source : BnF/ Gallica

Acte IV, scène 3
Burrhus.
Ma mort m’épargnera la vue et la douleur.
On ne me verra point survivre à votre gloire.
Si vous allez commettre une action si noire,
Me voilà prêt, seigneur. Avant que de partir,
Faites percer ce cœur qui n’y peut consentir.
Appelez les cruels qui vous l’ont inspirée,
Qu’ils viennent essayer leur main mal assurée.
Mais je vois que mes pleurs touchent mon empereur.
Je vois que sa vertu frémit de leur fureur.
Ne perdez point de temps, nommez-moi les perfides
Qui vous osent donner ces conseils parricides.
Appelez votre frère. Oubliez dans ses bras…


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438754b
Sarah Bernhardt dans « Britannicus » 1872. Source : BnF/ Gallica

Acte V, Scène 5

Junie.
Et que sais-je ? Il y va, seigneur, de votre vie.
Tout m’est suspect. Je crains que tout ne soit séduit.
Je crains Néron. Je crains le malheur qui me suit.
D’un noir pressentiment malgré moi prévenue,
Je vous laisse à regret éloigner de ma vue.
Hélas ! Si cette paix, dont vous vous repaissez,
Couvrait contre vos jours quelques pièges dressés !
Si Néron irrité de notre intelligence
Avait choisi la nuit pour cacher sa vengeance !
S’il préparait ses coups tandis que je vous vois !
Et si je vous parlais pour la dernière fois !


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8436362w/f45
Mademoiselle George dans le rôle d’Agrippine. Source : BnF/ Gallica

Acte V, scène 6
Agrippine.
Poursuis, Néron ; avec de tels ministres,
Par des faits glorieux tu te vas signaler.
Poursuis. Tu n’as pas fait ce pas pour reculer.
Ta main a commencé par le sang de ton frère.
Je prévois que tes coups viendront jusqu’à ta mère. Dans le fond de ton cœur je sais que tu me hais.
Tu voudras t’affranchir du joug de mes bienfaits. Mais je veux que ma mort te soit même inutile :
Ne crois pas qu’en mourant je te laisse tranquille. Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi,
Partout, à tout moment, m’offriront devant toi.
Tes remords te suivront comme autant de furies.
Tu croiras les calmer par d’autres barbaries.
Ta fureur, s’irritant soi-même dans son cours
D’un sang toujours nouveau marquera tous tes jours.
Mais j’espère qu’enfin le ciel, las de tes crimes
Ajoutera ta perte à tant d’autres victimes,
Qu’après t’être couvert de leur sang et du mien,
Tu te verras forcé de répandre le tien ;
Et ton nom paraîtra, dans la race future
Aux plus cruels tyrans une cruelle injure.
Voilà ce que mon cœur se présage de toi.
Adieu. Tu peux sortir.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84468728
Estampe. Source : BnF/ Gallica

Acte V, Scène 7

Agrippine.
Arrêtez Néron. J’ai deux mots à vous dire.
Britannicus est mort, je reconnais les coups.
Je connais l’assassin.


Quelques mises en scène de Britannicus à travers des vidéos

Jean Marais Comédie-Française, 1952

http://www.ina.fr/video/I00019264
Jean Marais dans le rôle de Néron à la Comédie-Française. Source : INA

En 1952, Jean Marais met en scène « Britannicus » à la Comédie Française et interprète le rôle de Néron. Il raconte les réactions du public scandalisé : huées, sifflets, gens qui se battent…
Interview de 1968 sur le site de l’INA
Sur cet épisode, lire aussi le dossier de presse de la Comédie-Française sur les mises en scène de Britannicus


Réalisation en 1959 pour la télévision pour la télévision par Jean Kerchbron.

http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu05409/britannicus-de-jean-racine.html
Adaptation de la tragédie par Jean Kerchbron en 1959. Source : INA

Jean Kerchbron, fidèle aux choix du dramaturge, il opte pour un décor antique et solennel, la circularité des colonnes figurant peut-être déjà l’enfermement des personnages dans le piège des passions. Le choix du direct sied parfaitement au genre du théâtre, tandis que la caméra, à la télévision, a la spécificité de mettre en valeur le visage et les mouvements symboliques des acteurs. Extraits de l’ acte II, scènes 6 à 8. Lien vers le site de l’INA
Vidéo complète en version payante :  Lien vers le site de l’INA


Croquis réalisé par à partir de la mise en scène de Kerchbron. CC BY-NC-ND . Source : lescroquis.fr
Croquis réalisé par <BR> à partir de la mise en scène de Kerchbron. CC BY-NC-ND. Source : lescroquis.fr
Croquis réalisé par à partir de la mise en scène de Kerchbron. CC BY-NC-ND . Source : lescroquis.fr
Croquis réalisé par <BR>
à partir de la mise en scène de Kerchbron. CC BY-NC-ND. Source : lescroquis.fr

Antoine Vitez, Théâtre National de Chaillot en 1981

http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu05402/britannicus-de-jean-racine.html
Mise en scène de Vitez. Source : INA

Extrait de la mise en scène de Britannicus de Jean Racine au Théâtre National de Chaillot en 1981 et interview d’Antoine Vitez. Fin de la tirade d’Agrippine, acte IV, scène 2.


Brigitte Jaques-Wajeman au Théâtre du Vieux-Colombier, 2004

http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00274/britannicus-mis-en-scene-par-brigitte-jaques-wajeman-au-theatre-du-vieux-colombier.html
Mise en scène par Brigitte Jaques-Wajeman au Théâtre du Vieux-Colombier, 2004. Source : INA

Interview de Brigitte Jaques-Wajeman, qui explique avoir choisi Dominique Constanza pour jouer Agrippine afin de donner au personnage charme et féminité, à l’encontre des mises en scène traditionnelles. Extrait de la scène 2 de l’acte IV, entre Agrippine et Néron. Reprise de l’interview, où la metteuse en scène évoque l’« amour de prédation » qui traverse les pièces de Racine.

Lien vers le site de l’INA


Jean Louis Martinelli au théâtre Nanterre – Amandiers, 2012.

http://www.nanterre-amandiers.com/2013-2014/britannicus/photos-videos/
(c) Pascal Victor. Source : Théâtre des Amandiers Nanterre.

Vidéos sur le site Nanterre-Amandiers : bande annonce, présentation de la saison et journal de la création.
Interview de Jean-Louis Martinelli (25  minutes) : « l’imbrication du politique et du sentiment amoureux, la conquête de l’autonomie, plus que la conquête du pouvoir »
Lien vers le site Nanterre-Amandiers


Dossiers pédagogiques

Dossier de presse de la mise en scène de Jean Louis Martinelli au théâtre Nanterre – Amandiers, 2012.Lien vers le site Nanterre-Amandiers

Dossier de presse pour la mise en scène de Stéphane Braunschweig à la Comédie-Française en 2016 avec notamment un historique des mises en scène de Britannicus à la Comédie-Française. Lien vers le site

Emission les Nouveaux Chemins de la Connaissance, France Culture, 2012. Lien vers le site

Diriger l’acteur à partir d’une scène de Britannicus.
Fernand Ledoux, acteur de théâtre et de cinéma et professeur au Conservatoire national d’art dramatique, dirige d’une main de fer deux jeunes comédiens qui répètent une scène de Britannicus de Racine. Extrait de Qu’est-ce qu’un comédien, série « Initiation au théâtre »
© IPN/CNDP, 1962 . Lien vers le site pour télécharger la vidéo

Actuellement à l’Affiche

Mise en scène de Stéphane Braunschweig à la Comédie-Française.
Lien vers le site de la Comédie-Française
Lien vers CultureBox

Bérénice de Jean Racine

Tragédie en cinq actes et en vers, représentée pour la première fois le 21 novembre 1670 à l’Hôtel de Bourgogne.
Distribution : 5 hommes et 2 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Titus, empereur de Rome, aime passionnément Bérénice, reine de Palestine mais il décide de la quitter par devoir…

« Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Préface de Bérénice

Bérénice à travers Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8446859d
Illustrateur Serangeli ; Sculpteur Massard. 1802. Source : BnF/ Gallica

Acte II Scène IV

Bérénice
Hé quoi ? vous me jurez une éternelle ardeur,
Et vous me la jurez avec cette froideur ?
Pourquoi même du ciel attester la puissance ?
Faut-il par des serments vaincre ma défiance ?
Mon cœur ne prétend point, Seigneur, vous démentir,
Et je vous en croirai sur un simple soupir.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8427272z/f102.item
Estampe. Source : BnF/Gallica

 

Acte V. Scène 5

Titus
Vous ne sortirez point, je n’y puis consentir.
Quoi? ce départ n’est donc qu’un cruel stratagème ?
Vous cherchez à mourir ? et de tout ce que j’aime
Il ne restera plus qu’un triste souvenir ?
Qu’on cherche Antiochus, qu’on le fasse venir.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8427272z/f62.item
Par Moreau le jeune. Source : BnF/ Gallica

 

Acte V. Scène 5

Bérénice
Vous m’aimez, vous me le soutenez,
Et cependant je pars, et vous me l’ordonnez!
Quoi ? dans mon désespoir trouvez-vous tant de charmes ?
Craignez-vous que mes yeux versent trop peu de larmes ?
Que me sert de ce cœur l’inutile retour ?
Ah, cruel! par pitié, montrez-moi moins d’amour;
Ne me rappelez point une trop chère idée,
Et laissez-moi du moins partir persuadée
Que déjà de votre âme exilée en secret,
J’abandonne un ingrat qui me perd sans regret.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8427272z/f88.item
Illustration Dessenne et Girardet. Source : BnF/ Gallica

 

Acte V. Scène 5

Titus
Oui, Madame, il est vrai, je pleure, je soupire,
Je frémis. Mais enfin, quand j’acceptai l’empire,
Rome me fit jurer de maintenir ses droits :
Je dois les maintenir. Déjà plus d’une fois ,
Rome a de mes pareils exercé la constance.
Ah ! si vous remontiez jusques à sa naissance,
Vous les verriez toujours à ses ordres soumis :
L’un, jaloux de sa foi, va chez les ennemis
Chercher, avec la mort, la peine toute prête ;
D’un fils victorieux l’autre proscrit la tête ;
L’autre, avec des yeux secs et presque indifférents,
Voit mourir ses deux fils, par son ordre expirants.
Malheureux ! mais toujours la patrie et la gloire
Ont parmi les Romains remporté la victoire.
Je sais qu’en vous quittant le malheureux Titus
Passe l’austérité de toutes leurs vertus,
Qu’elle n’approche point de cet effort insigne,
Mais, Madame, après tout, me croyez-vous indigne
De laisser un exemple à la postérité,
Qui sans de grands efforts ne puisse être imité ?


Acte V. Scène dernière.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8446859d
Source : BnF/Gallica

Bérénice
Arrêtez, arrêtez ! Princes trop généreux,
En quelle extrémité me jetez-vous tous deux !
Soit que je vous regarde, ou que je l’envisage,
Partout du désespoir je rencontre l’image,
Je ne vois que des pleurs, et je n’entends parler
Que de trouble, d’horreurs, de sang prêt à couler.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8427272z/f74.item
Planches d’après Le Barbier. Source : BnF/ Gallica

 

Acte V. Scène dernière.

Bérénice à Antiochus.
Prince, après cet adieu, vous jugez bien vous-même
Que je ne consens pas de quitter ce que j’aime
Pour aller loin de Rome écouter d’autres vœux.
Vivez, et faites-vous un effort généreux.
Sur Titus et sur moi réglez votre conduite:
Je l’aime, je le fuis; Titus m’aime, il me quitte.
Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers.
Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse.
Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.


Bérénice par la Comédie Française

Enregistrement en public de Bérénice de Racine avec les comédiens de la troupe de la Comédie-Française le mardi 31 octobre 2017 à 20h en public au Studio 104 de la Maison de la Radio


Les mises en scène de Bérénice à travers le site de l’INA

Mise en scène d’Antoine Vitez, 1980

http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00263/berenice-de-racine-mis-en-scene-par-antoine-vitez.html
Source : INA

Lorsqu’il met en scène Bérénice en 1980, Antoine Vitez semble se désintéresser de Titus, joué par le jeune Pierre Romans, au profit d’Antiochus, dont il assume lui-même le rôle face à la Bérénice de Madeleine Marion. La pièce est jouée en costumes du XVIIIe siècle comme pour souligner l’universalité de ce qui s’y joue. Pour Vitez, cette tragédie est celle des amours interdites d’une femme pour un homme dont tout la sépare, et de son impossibilité d’en aimer un autre dont tout la rapproche : Bérénice et Antiochus présentent d’ailleurs tout au long du spectacle un rapport d’étrange camaraderie amoureuse, tandis que Titus est un adolescent veule qui fuit. Ces personnages, qui se confondent avec le politique, ne songent jamais à y renoncer et leur douleur est d’autant plus déchirante qu’elle est, dès le début, lucide.
Entrecoupée d’extraits du spectacles, tirés de la scène 3 de l’acte III et de la scène 5 de l’acte IV, une interview du metteur en scène Antoine Vitez analyse le jeu amoureux décrit par la pièce et l’incapacité des trois personnages principaux à se rejoindre.
Lien vers le reportage sur le site de l’INA

Mise en scène de Klaus-Michael Grüber à la Comédie-Française en 1984

http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00264/berenice-de-racine-mis-en-scene-par-klaus-michael-gruber-a-la-comedie-francaise.html
Source : INA

Premier metteur en scène allemand invité à la Comédie-Française, Klaus-Michael Grüber impose pour la saison 1984-1985 l’une des mises en scène les plus mémorables de la tragédie de Racine. Dans un décor minéral et nu, il oppose à un Titus sculptural et impérial (Richard Fontana) une Bérénice orientale à la lourde perruque (Ludmila Mickaël), superposant aux deux personnages les figures plus anciennes d’Antoine et de Cléopâtre. Très statiques, les comédiens ne s’approchent jamais les uns des autres, comme pour figurer leur incapacité à se rejoindre, et donnent à entendre une diction chuchotée qui produit une impression d’épuisement.

. Extrait du spectacle, tiré de la scène 4 de l’acte II, puis interview de Jean-Pierre Vincent, administrateur de la Comédie-Française, qui appuie le choix d’une mise en scène statique en rappelant la raréfaction des effets opérée par Racine en son temps et défend le metteur en scène allemand Klaus Michael Grüber face aux réflexes nationalistes de certains critiques.
Lien vers le reportage sur le site de l’INA

. Les comédiens interprètent dans l’escalier de la Comédie Française des extraits de »Bérénice ». Historique du rôle de Bérénice à l’aide de photos et d’interviews d’actrices ayant tenu ce rôle : Germaine ROUER et Geneviève CASILE. Les comédiens évoquent ensuite Klaus Michael GRUBER, le metteur en scène et sa façon de travailler).
Lien vers l’émission Plaisir du Théâtre sur le site de l’INA

Mise en scène de Lambert Wilson au Théâtre des Bouffes du Nord en 2007

http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00287/berenice-de-racine-mis-en-scene-par-lambert-wilson-au-theatre-des-bouffes-du-nord.html
Source : INA

La mise en scène de Bérénice que Lambert Wilson présente en 2007 au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris est une seconde tentative : il avait déjà proposé une Bérénice en 2001 au Festival d’Avignon, puis au Théâtre National de Chaillot, avec Kristin Scott-Thomas et Didier Sandre dans les rôles de Bérénice et de Titus, mais la transposition qu’il avait alors opérée, situant l’action dans la Rome de Mussolini, n’avait guère convaincu. Pourtant, irrésistiblement porté vers une pièce qu’il considère comme « la pièce de Racine », contenant à ses yeux « tout le théâtre ou presque », Lambert Wilson y revient six ans plus tard, construisant une mise en scène très différente, beaucoup plus dépouillée et plus intime : s’appuyant sur les costumes et les décors sobres, à la romaine, de Chloé Obolensky, il parie avant tout sur le texte de Racine, cultivant la clarté de l’alexandrin et le respect de la prosodie. Formant avec Carole Bouquet le couple central de la tragédie, auquel les deux comédiens prêtent une distinction aristocratique, il confie à Fabrice Michel le rôle d’Antiochus et à son père Georges Wilson, âgé de quatre-vingt-six ans, celui du conseiller Paulin.
Présentation du spectacle en voix off sur des images de la préparatifs de la dernière répétition. Lambert Wilson souligne le caractère exigeant de la pièce, qui nécessite à la fois un engagement émotionnel et une attention plus intellectuelle à la langue. Extrait de la scène 6 de l’acte V en répétition. Carole Bouquet insiste sur l’exceptionnelle qualité de la langue et du théâtre de Racine.
Lien vers le reportage sur le site de l’INA

Voir aussi le reportage réalisé lors de la mise en scène de Wilson avec Kristin Scott Thomas et Didier Sandre au Palais des rois de Majorque. Lien vers le reportage sur le site de l’INA

Dramatique pour la télévision, réalisée par Raymond Rouleau, avec Laurent Terzieff
Lien vers un extrait sur le site de l’INA (intégralité en version premium).


Les Mauvais Bergers d’Octave Mirbeau

http://www.europeana.eu/portal/record/2026109/Partage_Plus_ProvidedCHO_KIK_IRPA__Brussels__Belgium__10136476.html#
Théatre de la Renaissance, Représentations de Mme Sarah-Bernardt: Mauvais Bergers | Mucha, Alfons. © KIK-IRPA, Brussels (Belgium) . Source Europeana CCBYNCSA

Tragédie en cinq actes et en prose, représentée au Théâtre de la Renaissance le 15 décembre 1897, avec Sarah Bernhardt et Lucien Guitry dans les rôles principaux.
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

L’histoire tragique d’une grève ouvrière, lancée par Jean Roule, ouvrier anarchiste, et Madeleine Thirieux, qui vient de perdre sa mère morte d’épuisement. Malgré les tentatives de conciliation du fils du patron, Robert Hargand, la troupe est envoyée.


Pour en savoir plus

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53094810t/f77
Le bon berger, O. Mirbeau, fustige les mauvais bergers : Ch. Léandre. Source : BnF/Gallica

Octave Mirbeau a regretté certains passages trop emphatiques, apparement écrits à la demande de Sarah Bernhardt. Cette pièce reste malgré tout une très belle tragédie sociale et un témoignage poignant sur la lutte des ouvriers (voir les extraits ci-dessous).  Elle évite tout manichéisme : le patron Hargand apparaît très humain, son fils Robert prend le parti des ouvriers, les ouvriers sont versatiles voire violents envers leur propre camp. On comprend que les « mauvais bergers » sont tous les politiques, et notamment les députés socialistes qui utilisent les grèves ouvrières, mais également Jean ou Madeleine qui entraînent les ouvriers à la mort, avec des discours exaltés.

A lire :  l’édition préfacée et commentée par Pierre Michel en libre accès sur Scribd.
Pour en savoir plus sur Octave Mirbeau : le site  mirbeau.asso.fr

Quelques extraits à travers la pièce

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Les_mauvais_bergers.jpg
Affiche de Malterre, décembre 1897. Source wikipedia.

Jean Roule  à Louis Thirieux qui vient de perdre sa femme :

Mais regarde en toi-même… regarde autour de toi ?… Te voici au bord de la vieillesse, épuisé par les labeurs écrasants, à demi tué par l’air empoisonné que l’on respire ici… Tu n’es plus qu’une scorie humaine… Tes deux grands qui, maintenant, seraient pour toi un soutien… sont morts de ça… (Il montre l’usine.) Ta femme est morte de ça… Madeleine et les petits à qui il faudrait de l’air, de la bonne nourriture, un peu de joie, de soleil au cœur, de la confiance… meurent de ça, lentement, tous les jours… Et c’est pour de tels bienfaits, qui sont des meurtres, que tu aliènes aux mains de tes assassins… des assassins de ta famille… ta liberté et la part de vie des tiens… C’est pour des mensonges, de honteuses aumônes, pour des chiffons inutiles… pour la desserte des cuisines que leur charité jette à ta faim, comme on jette un os à un chien… c’est pour ça… pour ça… que tu t’obstines à ne pas te plaindre, à ne pas prendre ce qui est à toi… et à rester la brute servile soumise au bât et au joug, au lieu de t’élever jusqu’à l’effort d’être un homme ?

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Echanges entre deux propriétaires et le jeune Robert, le fils du patron qui a pris fait et cause pour les ouvriers

Capron.
Eh bien, cela m’est indifférent… Ce que je veux constater, c’est que les intérêts sont immuables… immuables, comprenez-vous ?… Or, l’intérêt exige que je m’enrichisse de toutes les manières, et le plus qu’il m’est possible… Je n’ai pas à savoir ceci et cela… je m’enrichis, voilà le fait… Quant aux ouvriers… ils touchent leurs salaires, n’est-ce pas ?… Qu’ils nous laissent tranquilles… Ah ça ! vous n’allez pas, je pense, établir une comparaison entre un économiste et un producteur tel que je suis, et le stupide ouvrier qui ignore tout, qui ignore même ce que c’est que Jean-Baptiste Say et Leroy-Beaulieu ?…

Robert, ironique.
Lesquels, d’ailleurs, ignorent aussi totalement ce qu’est l’ouvrier…

Capron.
L’ouvrier ?… Heu !… L’ouvrier, mon jeune ami, mais c’est le champ vivant que je laboure, que je défonce jusqu’au tuf… (S’animant.) pour y semer la graine des richesses que je récolterai, que j’engrangerai dans mes coffres. Quant à l’affranchissement social… à l’égalité… à — comment dites-vous cela ? — la solidarité ?… Mon Dieu ! je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’ils s’établissent, dans l’autre monde… Mais dans ce monde-ci… halte-là !… Des gendarmes… encore des gendarmes… et toujours des gendarmes… Voilà comment je la résous, moi, la question sociale…

Duhormel.
Vous allez un peu loin, Capron… et je ne suis pas aussi exclusif que vous… étant plus libéral que vous… Pourtant, je ne puis nier qu’il y ait beaucoup de vérité dans ce que vous avancez…

Capron.
Parbleu !… ce ne sont pas des paroles en l’air. Je ne suis ni un poète ni un rêveur, moi… je suis un économiste… un penseur… et, ne l’oubliez pas, un républicain… un véritable républicain… Ce n’est pas l’esprit du passé qui parle en moi… c’est l’esprit moderne… Et c’est comme républicain, que vous me verrez toujours prêt à défendre les sublimes conquêtes de 89, contre l’insatiable appétit des pauvres !…

Duhormel.
Il est certain qu’on ne peut rien changer à ce qui est… Dans une société démocratique bien construite, il faut des riches…

Capron.
Et des pauvres…

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Dialogue entre Hargand, le patron de l’usine, et son fils Robert, qui a pris le parti des ouvriers.

Hargand.
Écoute-moi encore ! Dans la vie, je n’ai pas eu d’autre passion… que le travail… non pour l’argent, les richesses, le luxe… mais pour la forte et noble joie qu’il donne… et aussi, depuis quelques années, pour l’oubli qu’il verse au cœur !… Je puis me rendre cette justice que mon rôle social, mon rôle de grand laborieux aura été utile aux autres, plus que les théories nuageuses… les vaines promesses… et les impossibles rêves… Par tout ce que j’ai produit, par tout ce que j’ai tiré de la matière… si je n’ai pas enrichi les petites gens… du moins, j’ai considérablement augmenté leur bien-être… adouci la dure condition de leur existence… en les mettant à même de se procurer à bon marché des choses nécessaires et qu’ils n’avaient pas eues, avant moi… et que j’ai créées pour eux… pour eux !… J’ai été sobre de paroles… mais j’ai apporté des résultats… fourni des actes… Est-ce vrai ?

Robert.
Je n’ai jamais nié la bonne volonté de vos intentions… ni la persistance de vos efforts !…

Hargand.
Quant aux rapports sociaux que j’ai établis — au prix de quelles luttes — entre les ouvriers et moi… j’ai été aussi loin que possible dans la voie de l’affranchissement… tellement loin, que mes amis me le reprochent comme une défaillance… comme une abdication… Enfants, je me préoccupe de les élever et de les instruire ;… hommes, de les moraliser, de les amener à la pleine conscience de leur individu ;… vieillards, je les ai mis à l’abri du besoin… Chez moi, ils peuvent naître, vivre et mourir…

Robert, interrompant.
Pauvres !… (Un temps.) Oui, vous avez fait tout cela… et c’est toujours… toujours de la misère ! …

Hargand, d’une voix plus haute.
Ce n’est pas de ma faute !

Robert.
Est-ce de la leur ?

Hargand.
Puis-je donc transgresser cette intransgressible loi de la vie qui veut que rien ne se crée… rien ne se fonde que dans la douleur ?

Robert.
Justification de toutes les violences… excuse de toutes les tyrannies… parole exécrable, mon père !

Hargand.
Elle a dominé toute l’histoire !

Robert.
Tortures… massacres… bûchers !… voilà l’histoire !… L’histoire est un charnier… N’en remuez pas la pourriture… Ne vous obstinez pas toujours à interroger ce passé de nuit et de sang !… C’est vers l’avenir qu’il faut chercher la lumière… Tuer, toujours tuer ! Est-ce que l’humanité n’est point lasse de ces éternelles immolations !… Et l’heure n’a-t-elle point sonné, enfin, pour les hommes, de la pitié ?

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Les revendications des ouvriers, présentées par Jean Roule à Hargand.

Jean Roule, un peu solennel.
Nous venons ici pour la paix de notre conscience. (Un temps.) Si vous repoussez les propositions, qu’au nom de cinq mille ouvriers, je suis, pour la dernière fois, chargé de vous transmettre… je n’ai pas besoin de vous déclarer que nous sommes prêts à toutes les résistances. Ce ne sont point les régiments que vous appelez à votre secours, ni la famine que vous déchaînez contre nous qui nous font peur !… Ces propositions sont raisonnables et justes… À vous de voir si vous préférez la guerre… (Un temps.) Je vous prie de remarquer en outre que, si nous avons éliminé de notre programme certaines revendications, nous ne les abandonnons pas… nous les ajournons… (Avec une grande hauteur.) C’est notre plaisir !… (Un temps. Hargand est de marbre, pas un pli de son visage ne bouge. Jean prend dans la poche de sa cotte un papier qu’il consulte de temps en temps.) Premièrement… Nous maintenons, en tête de nos réclamations, la journée de huit heures… sans aucune diminution de salaire… Je vous ai expliqué pourquoi, déjà… je ne vous l’expliquerai pas à nouveau… (Silence d’Hargand.) D’ailleurs je vois que vous n’êtes pas en humeur de causer, aujourd’hui !… Deuxièmement… Assainissement des usines… Si, comme vous le faites dire par tous vos journaux, vous êtes un patron plein d’humanité, vous ne pouvez exiger des hommes qu’ils travaillent dans des bâtiments empestés, parmi des installations mortelles… Au cas où vous accepteriez en principe cette condition à laquelle nous attachons un intérêt capital, nous aurions à nous entendre, ultérieurement, sur l’importance et la nature des travaux, et nous aurions aussi un droit de contrôle absolu sur leur exécution… (Hargand est toujours immobile et silencieux. Jean Roule le regarde un instant fixement, puis il fait un geste vague.) Allons jusqu’au bout ! puisque c’est pour la paix de notre conscience que nous sommes ici… (Un temps.) Troisièmement… Substitution des procédés mécaniques à toutes les opérations du puddlage… Le puddlage n’est pas un travail, c’est un supplice ! Il a disparu d’une quantité d’usines moins riches que les vôtres… C’est un assassinat que d’astreindre des hommes, pendant trois heures, sous la douche, nus, la face collée à la gueule des fours, la peau fumante, la gorge dévorée par la soif, à brasser la fonte, et faire leur boule de feu !… Vous savez bien, pourtant, que le misérable que vous condamnez à cette torture sauvage… au bout de dix ans… vous l’avez tué !… (Hargand est toujours immobile. Jean Roule fait un geste… Un temps…) Quatrièmement… Surveillance sévère sur la qualité des vins et alcools… (Un temps.) Bien que sous le prétexte fallacieux de sociétés coopératives, vous ayez accaparé tout le commerce d’ici… que vous soyez notre boucher… notre boulanger… notre épicier… notre marchand de vins !… etc…, etc…, il y aurait peut-être lieu de vous résigner à gagner un peu moins d’argent sur notre santé, en nous vendant autre chose que du poison… Tout ce que nous respirons ici, c’est de la mort !… tout ce que nous buvons ici… c’est de la mort !… Eh bien… nous voulons boire et respirer de la vie !… (Silence d’Hargand.) Cinquièmement… Ceci est la conséquence morale, naturelle et nécessaire de la journée de huit heures… Fondation d’une bibliothèque ouvrière, avec tous les livres de philosophie, d’histoire, de science, de littérature, de poésie et d’art, dont je vous remettrai la liste… Car, si pauvre qu’il soit, un homme ne vit pas que de pain… (Un temps.) Il a droit, comme les riches, à de la beauté !… (Silence glacial.) Enfin… réintégration à l’usine, avec paiement entier des journées de chômage, de tous les ouvriers que vous avez chassés depuis la grève… Je vous fais grâce de ma personne… L’accord signé, je partirai…
Il dépose son papier sur le bureau d’Hargand.

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Hargand discutant avec Maigret, le contremaitre, après le départ de son fils et avant l’arrivée de la troupe

Hargand.
Je suis sans force maintenant… sans courage… Je suis frappé là… (Il met sa main avec celle de Maigret sur son cœur.) là !… Ils m’ont pris mon fils, comprenez-vous ?… Et c’est ma faute !… Je n’ai pas su l’émouvoir… je l’ai trop tenté !… Et puisqu’ils ont pris mon fils… eh bien ! qu’ils prennent l’usine !… qu’ils prennent tout… tout !… Je leur abandonne tout… (…)
Et puis… (Avec plus d’efforts.) Je croyais avoir été un brave homme… avoir fait du bien autour de moi… avoir vécu, toujours, d’un travail acharné, utile et sans tache… Cette fortune dont j’avais l’orgueil — un sot orgueil, Maigret — parce qu’elle était un aliment à ma fièvre de production, et qu’il me semblait aussi que je la répandais, avec justice, sur les autres… oui, cette fortune, je croyais n’en avoir pas mésusé… l’avoir gagnée… méritée… qu’elle était à moi… quelque chose, enfin, sorti de mon cerveau… une propriété de mon intelligence… une création de ma volonté…
Maigret.
Alors !… ça n’est plus ça maintenant ?…
Hargand, avec découragement.
Il paraît !…
Maigret.
Je rêve, ma parole !… Ces gens-là vous ont donc tourné la tête ?… Ah ! c’est trop fort !
Hargand.
Ils ne m’ont demandé que des choses justes, après tout !…
Maigret, hochant la tête.
Des choses justes !… Jean Roule !… ça m’étonnerait !…
Hargand.
Ils veulent vivre !… ça n’est pourtant pas un crime !…

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Harangue de Jean Roule devant les grévistes, qui lui reprochent de ne pas avoir accepté l’aide des députés radicaux et socialistes.
J’ai fait cela… c’est vrai !… et je m’en honore ! (Mouvements divers.) Vos députés !… ah ! je les ai vus à l’œuvre !… Et vous-mêmes, vous avez donc oublié déjà le rôle infâme… la comédie piteusement sinistre qu’ils jouèrent dans la dernière grève… et comment… après avoir poussé les ouvriers à une résistance désespérée, ils les livrèrent… diminués… dépouillés… pieds et poings liés… au patron… le jour même où un dernier effort… un dernier élan… l’eussent obligé à capituler… peut-être !… Eh ! bien, non !… Je n’ai pas voulu que, sous prétexte de vous défendre, des intrigants viennent nous imposer des combinaisons où vous n’êtes — entendez-vous — qu’un moyen pour maintenir et accroître leur puissance électorale… et qu’une proie pour satisfaire leurs appétits politiques !… Vous n’avez rien de commun avec ces gens-là ! Leurs intérêts ne se confondent pas plus dans les vôtres… que ceux de l’usurier et de son débiteur… de l’assassin et de sa victime !… (…)
Voyons !… qu’ont-ils fait pour vous ?… qu’ont-ils tenté pour vous ?… Où est-elle la loi libératrice qu’ils aient votée… qu’ils aient proposée, même ?… (…)
Et à défaut de cette loi… impossible… je l’accorde… un cri… un seul cri de pitié qu’ils aient poussé ?… ce cri qui sort des entrailles mêmes de l’amour… et qui maintient aux âmes des déshérités… l’indispensable espérance… cherchez-le… redites-le-moi… et, nommez-m’en un seul, parmi les politiques, un seul, qui soit mort pour vous… qui ait affronté la mort pour vous !… (…)
Comprenez donc qu’ils n’existent que par votre crédulité !… Votre abrutissement séculaire, ils l’exploitent comme une ferme… votre servitude, ils la traitent comme une rente… Vous, vivants, ils s’engraissent de votre pauvreté et de votre ignorance… et, morts, ils se font un piédestal de vos cadavres !… Est-ce donc ce que vous vouliez ? (…)
Et le jour où les fusils des soldats abattent sur le sol rouge, vous… vos enfants et vos femmes, où sont-ils ?… À la Chambre ?… Que font-ils ?… Ils parlent ?… (Applaudissements et protestations.) Pauvre troupeau aveugle, vous laisserez-vous donc toujours conduire par ces mauvais bergers ?…(…)
Ah ! je lis dans vos âmes… Vous avez peur d’être des hommes… De vous sentir affranchis et désenchaînés, cela vous effare… Vos yeux habitués aux ténèbres n’osent plus regarder la lumière du grand soleil… vous êtes comme le prisonnier que l’air de la plaine, au sortir du cachot, fait chanceler et tomber sur la terre libre !… Il vous faut encore… il vous faut toujours un maître !… Eh bien, soit !… Mais choisissez-le… et, oppression pour oppression… maître pour maître… (Mouvement de la foule… avec un grand geste.) gardez le patron !… (Explosion de colère.) Gardez le patron !… (Poings levés et bouches hurlantes, les grévistes se massent plus près du Calvaire. Jean descend deux marches et empoignant par les épaules, un gréviste, il le secoue, et d’une voix retentissante.) Le patron est un homme comme vous !… On l’a devant soi… on lui parle… on l’émeut… on le menace… on le tue !… Au moins il a un visage, lui… une poitrine où enfoncer le couteau !… Mais allez donc émouvoir cet être sans visage qu’on appelle un politicien !… allez donc tuer cette chose qu’on appelle la politique !… cette chose glissante et fuyante que l’on croit tenir, et toujours vous échappe… que l’on croit morte et toujours recommence !… cette chose abominable, par quoi tout a été avili, tout corrompu, tout acheté, tout vendu !… justice, amour, beauté !… qui a fait de la vénalité des consciences, une institution nationale de la France… qui a fait pis encore, puisque de sa vase immonde elle a sali la face auguste du pauvre !… pis encore… puisqu’elle a détruit en vous le dernier idéal… la foi dans la Révolution !… (L’attitude énergique de Jean, les gestes, la force avec laquelle il a prononcé ces dernières paroles, imposent momentanément le silence. La foule recule, mais reste houleuse et grondante.) Comprenez-vous ce que j’ai voulu de vous… ce que je demande encore à votre énergie, à votre dignité… à votre intelligence ?… J’ai voulu… et je veux… que vous montriez, une fois… au monde des prébendiers politiques… cet exemple nouveau… fécond… terrible… d’une grève, faite… enfin… par vous seuls… pour vous seuls !… (Un temps.) Et si vous devez mourir encore, dans cette lutte que vous avez entreprise… sachez mourir… une fois… pour vous… pour vos fils… pour ceux-là qui naîtront de vos fils… non plus pour les thésauriseurs de votre souffrance… comme toujours !

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Harangue de Madeleine, alors que les grévistes menacent de lyncher Jean Roule

Depuis le commencement de cette longue et douloureuse grève, Jean s’épuise à vous aimer, à vous servir, à vous défendre contre vos ennemis et contre vous-mêmes, qui êtes vos pires ennemis… Il n’a qu’une pensée… vous… encore vous… toujours vous !… Je le sais… et je vous le dis, moi la compagne de sa vie… moi la confidente de ses rêves, de ses projets, de ses luttes… moi qui n’étais qu’une pauvre fille, et qui pourtant ai pu puiser, dans son amour, assez de courage, assez de foi ardente, pour que j’ose vous parler comme je le fais, ce soir… moi, moi, l’enfant silencieuse et triste, que vous avez connue, et que beaucoup d’entre vous ont tenue, toute petite, dans leurs bras !… (…)
Et voilà comment vous le remerciez !… Vous lui réclamez de l’argent et du pain ?… Mais il en a moins que vous… puisque, chaque fois, il vous a donné sa part et la mienne !… Vous lui demandez d’où il vient ?… Que vous importe d’où il vient ?… puisque vous savez où il va !… Hélas !… mes pauvres enfants, il vient du même pays que vous… du même pays que tous ceux qui souffrent… de la misère… Et il va vers l’unique patrie de tous ceux qui espèrent… le bonheur libre !… (…)
Allez-y donc, vers cette patrie !… Jean connaît les chemins qui y mènent… Marchez… marchez avec lui… et non plus avec ceux dont les mains sont rouges du sang des pauvres !… Marchez !… La route sera longue et dure !… vous tomberez bien des fois sur vos genoux brisés… Qu’importe ?… Relevez-vous et marchez encore ! La justice est au bout !… (…)
Et ne craignez pas la mort !… Aimez la mort !… La mort est splendide… nécessaire… et divine !… Elle enfante la vie !… Ah ! ne donnez plus vos larmes !… Depuis des siècles que vous pleurez, qui donc les voit, qui donc les entend couler !… Offrez votre sang !… Si le sang est comme une tache hideuse sur la face des bourreaux… il rayonne sur la face des martyrs, comme un éternel soleil… Chaque goutte de sang qui tombe de vos veines… chaque coulée de sang qui ruisselle de vos poitrines… font naître un héros… un saint… (Montrant le Calvaire.) un Dieu !… Ah ! je voudrais avoir mille vies pour vous les donner toutes… Je voudrais avoir mille poitrines… pour que tout ce sang de délivrance et d’amour… en jaillisse sur la terre où vous souffrez !…


Pour aller plus loin :

Tout le théâtre d’Octave Mirbeau
Biographie d’Octave Mirbeau
Le site mirbeau.asso.fr consacré à Mirbeau

Brutus de Catherine Bernard

Couverture de Brutus, Catherine Bernard

Brutus est une tragédie de Catherine Bernard, dramaturge du siècle de Louis XIV. L’occasion de (re)découvrir Catherine Bernard, l’histoire de Brutus et de ses deux fils ainsi que les polémiques qui entourent cette œuvre.

Tragédie de Catherine Bernard, en 5 actes et en vers, jouée pour la première fois le 18 décembre 1690 et éditée en 1691.
distribution : 7 hommes, 4 femmes
La pièce en téléchargement gratuit sur Libre Théâtre

Catherine Bernard

Née dans une famille protestante, à Rouen en 1662, elle s’installe à Paris dès dix-sept ans et se convertit au catholicisme. Elle écrit d’abord des romans puis des poésies, des nouvelles et des tragédies qui rencontrent un certain succès. Laodomie et Brutus sont représentées à la Comédie Française en 1689 et 1690.

Couronnée par l’Académie française à trois reprises, Catherine Bernard obtient également trois prix aux Jeux floraux de Toulouse, pour ses poèmes.

À partir de 1691, elle reçoit du roi Louis XIV une pension de 200 écus. Elle est ensuite influencée par le milieu très dévot de la cour,  cesse le théâtre et n’écrit plus que rarement de la poésie. Elle s’éteint à Paris le 6 septembre 1712.

Les polémiques autour de Brutus

La tragédie Brutus, représentée pour la première fois le 18 décembre 1690 à la Comédie Française, fut donnée 25 fois. Après la publication du Brutus de Voltaire en 1730, des critiques insinuèrent que la pièce de Voltaire était fortement inspirée de celle de Catherine Bernard. Cette controverse eut également pour conséquence de jeter un doute sur l’oeuvre de Catherine Bernard : des partisans de Voltaire ont sous-entendu que Fontenelle, qui fut le mentor de la jeune Catherine Bernard, aurait largement collaboré à l’écriture de ses pièces. En 1751, Voltaire commence la notice de Catherine Bernard dans le Siècle de Louis XIV sous la forme suivante : « auteur de quelques pièces de théâtre, conjointement avec le célèbre Bernard de Fontenelle, qui a fait presque tout le Brutus. »

Il n’y a aucune preuve de la réalité et l’importance de cette éventuelle collaboration et il convient de rappeler que cette information n’est apparue que quarante ans après la première représentation, au moment de la polémique autour du Brutus de Voltaire.

L’argument

Brutus qui a contribué à établir la République romaine en chassant le roi Tarquin, est menacé par une conspiration. Les deux fils de Brutus, Titus et Tibérinus, sont amoureux d’Aquilie, fille d’Aquilius, le chef des comploteurs. Tibérinus par conviction et Titus, par amour, rejoignent la conjuration, qui échoue, découverte par un esclave. Titus, rongé par le remords vient se dénoncer à son père. Brutus, à qui le Sénat a confié le soin de décider du sort de ses deux fils, prononce leur condamnation à mort.

Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, par Jacques-Louis David.
Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, par Jacques-Louis David.

Un Brutus très humain

La passion amoureuse qui anime les principaux protagonistes fait la force de cette tragédie. Catherine Bernard dans la préface éclaire le caractère des personnages et défend son point de vue :

« Quelques-uns ont trouvé que j’avais un peu trop adouci le caractère de Brutus … Je ne l’ai pas représenté dans le Sénat, ni exposé aux yeux du peuple, mais dans un lieu, et dans des temps où il pouvait laisser agir les mouvements les plus secrets de son cœur. »

« On sait jusqu’à quel excès allait l’amour de la patrie chez les Romains… j’ai eu la liberté d’imaginer un trait fondé sur ce caractère, et sur l’état particulier où se trouve Titus… une moindre action n’aurait pas été capable d’attendrir Brutus, à qui il fallait trouver moyen de donner quelques sentiments naturels : s’il ne devait pas être sensible pour son fils, il le devait du moins être à la vertu héroïque de ce fils. »

La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Jean Giraudoux

Tragédie en 2 actes de Jean Giraudoux, créée à Paris le 21 novembre 1935, publiée le 14 décembre 1935 dans la revue La Petite Illustration puis dans La Revue de Paris avant d’être éditée en décembre 1935 par Bernard Grasset.
Une pièce qui parle de la guerre, de la paix et de la stupidité des hommes…
Distribution : 11 hommes et 7 femmes

Lien vers le texte intégral  sur Libre Théâtre

Le manuscrit autographe

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La Bibliothèque numérique du Limousin propose en lecture et en téléchargement le manuscrit autographe « officiel » de la pièce : Jean Giraudoux a lui-même réuni et fait relier ces pages sur maroquin rouge orné d’or et de noir avec titre doré sur le premier plat. 

guerre2Jean Giraudoux écrit alternativement sur les papiers à lettres des délégations française, italienne, et britannique de la Commission d’évaluation des dommages subis en Turquie. (En 1927, il avait été mis à la disposition de cette Commission par le Quai d’Orsay). 

Deux dessins de l’auteur agrémentent les pages (source : Bibliothèque francophone multimedia – ville de Limoges (cote Ms 254) – Licence ouverte)

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Les mises en scène

Le site de l’INA permet de découvrir les principales mises en scène de cette pièce : la création, la mise en scène de Jean Vilar à Chaillot et à Avignon et l’entrée au répertoire de la Comédie Française.

guerre4Création de la pièce en novembre 1935 au Théâtre de l’Athénée : extrait de l’acte II, scène XIII avec Pierre Renoir dans le rôle d’Ulysse et Louis Jouvet dans le rôle d’Hector. Lien vers le site de l’INA. (source de la photo : Coupures de presse de la reprise de La Guerre de Troie n’aura pas lieu au Théâtre de l’Athénée en 1938 – Bibliothèque nationale de France, département Arts du spectacle, 8-RSUPP-112) 

En 1962 au Festival d’Avignon, puis en 1963 au Palais de Chaillot et à nouveau en Avignon, Jean Vilar met en scène La Guerre de Troie n’aura pas lieu. Interview de Jean Vilar et extraits du spectacle sur le site de l’INA avec Pierre Vaneck, Christiane Minazzoli et Robert Etcheverry.

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Le 9 janvier 1988, la pièce entre au répertoire de la Comédie Française, mise en scène par Raymond Gérôme. Extraits de la pièce avec Cyrielle Claire sur le site de l’INA.

Jean Giraudoux

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Source : gallica.bnf.fr

Les oeuvres de Jean Giraudoux sont entrées dans le domaine public le 1er janvier 2015.
Pour redécouvrir l’oeuvre de Giraudoux, écoutez l’émission de Guillaume Gallienne du 17 mai 2014, Ca peut pas faire de mal,  consacrée au théâtre de Jean Giraudoux.
Toutes les pièces de Jean Giraudoux seront disponibles en texte intégral sur Libre Théâtre avant la fin de l’année.

Charles IX ou l’Ecole des rois de Marie-Joseph Chénier

Tragédie en 5 actes de Marie-Joseph Chénier, créé en 1789.
Ecrite en 1787, censurée puis créée au Théâtre-Français situé au Faubourg-Saint-Germain le 4 novembre 1789 sous le titre Charles IX et rebaptisée ultérieurement Charles IX ou l’école des rois. Publiée en 1790.
Distribution: 10 hommes et une femme

A l’occasion de la première « journée particulière » organisée par la Comédie Française, Libre Théâtre publie le texte de Charles IX ou l’Ecole des rois de Marie-Joseph Chénier. 

Une Journée particulière  : 7 novembre 1789

Le Ciel en me frappant donne un exemple aux rois : [estampe] / Le Barbier l'ainé inv. 1790 ; L.M. Halbou sculp. ; [eau-forte de A.J. Duclos]. Source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-QB-201 (120)
Le Ciel en me frappant donne un exemple aux rois.  Source BnF

La Comédie Française propose un nouveau rendez-vous  :  à partir d’une date « particulière », des lectures d’extraits des deux pièces et une mise en contexte offrent un nouveau regard sur des événements théâtraux et historiques. La première séance a rencontré un très grand succès avec une salle comble et enthousiaste. 

À la Comédie-Française, il y a 226 ans… 

Le 7 novembre 1789, au Théâtre-Français situé au Faubourg-Saint-Germain (à l’emplacement de l’actuel Odéon), rebaptisé Théâtre de la Nation suite aux événements révolutionnaires, la troupe donne sa troisième représentation de Charles IX de Marie-Joseph Chénier, suivie du Somnambule, comédie d’Antoine de Ferriol de Pont-de-Veyle. 

Portait de Talma. Source BnF
Portait de Talma. Source BnF

La salle bruit encore des événements survenus lors de la création de la pièce de Chénier : une foule incroyable s’est présentée aux portes du théâtre, de nombreux députés de l’Assemblée nationale occupent les places en vue des loges, dont les tribuns Danton, Desmoulins, Mirabeau… La salle entière a acclamé l’auteur qui a eu l’audace d’écrire une pièce sur la Saint-Barthélemy et un roi odieux qui massacre son peuple au nom de Dieu ! Le jeune et ambitieux Talma, acteur de seconds rôles, s’empare du rôle de Charles IX et est ainsi propulsé sur le devant de la scène théâtrale et politique…

Charles IX ou l’Ecole des rois de Marie-Joseph Chénier

Estampe. Source : Bibliothèque nationale de France, département Arts du spectacle, 4-ICO THE-971
Estampe. Source BnF

La création de la pièce de Marie-Joseph Chénier le 4 novembre 1789 est l’une des grandes dates de l’histoire du Théâtre-Français. La pièce, interdite par la censure pendant de long mois, est portée par ce très jeune auteur, convaincu qu’il a tout a attendre de la Révolution. Homme de propagande, il ne ménage pas sa peine  : il fait paraître tracts, brochures, se fait le héraut de la liberté d’expression, recrute des partisans qui réclament sa pièce et troublent les représentations. Immense succès qui égale voire dépasse celui du Mariage de Figaro, cette pièce de circonstance entre en résonance avec les événements politiques de la Révolution. Le soir de sa création, plus de deux mille personnes s’entassent dans la salle inaugurant une série de représentations triomphales. 

Mais au sein de la Troupe, l’équilibre est menacé par ce succès, par le rôle prépondérant qu’acquiert tout à coup le jeune Talma, par le cours des événements extérieurs annulant les privilèges de la Comédie-Française et modifiant sa relation au politique. Charles IX a été représenté 54 fois dont 36 représentations durant les années 1789-1790. Charles IX n’ a jamais été joué dans son entier depuis 1830. (texte extrait du programme remis à l’entrée).
Le texte est en ligne sur Libre Théâtre.

 

Le Somnambule d’Antoine de Ferriol de Pont-de-Veyle

Le Somnambule est créé le 14 janvier 1739 sous l’anonymat. La pièce n’a d’ailleurs été que tardivement attribuée à son auteur, Antoine de Ferriol, comte du Pont-de-Veyle. Cette petite comédie jouée après les tragédies Médus de Deschamps ou Rodogune de Corneille est jouée 9 fois à sa création. Elle est très régulièrement reprise à partir de 1763 à raison de quelques représentations chaque année, le plus souvent pour accompagner les tragédies de Voltaire ou de Corneille. Le Somnambule n’a jamais été joué depuis 1824. (texte extrait du programme remis à l’entrée).
Le texte est en ligne sur Libre Théâtre.

Antigone de Jean de Rotrou

Antigone_rotrouPour cette première chronique sur les œuvres théâtrales du domaine public, nous avons choisi de mettre en avant une pièce du répertoire classique, qui a connu un réel succès en 1637. Racine lui rend d’ailleurs hommage dans sa préface de La Thébaïde.

Si les versions de Sophocle, Anouilh, Cocteau ou Brecht font régulièrement l’objet de nouvelles mises en scène, l’Antigone de Rotrou est moins connue, malgré la beauté du verbe, la force des personnages et une dramaturgie particulièrement maîtrisée illustrant le déchirement entre amour et devoir, respect et rébellion contre l’autorité paternelle, soumission à l’ordre tyrannique et résistance…

A lire (à voix haute) ou à jouer, cette pièce est un vrai régal : on savoure les monologues lyriques et pathétiques, mais aussi les dialogues très rythmés avec quelques remarquables stichomythies (partie de dialogue d’une pièce de théâtre où se succèdent de courtes répliques). Aux côtés de l’héroïne Antigone, de très beaux rôles : la tragique Jocaste, le cruel Créon, la trop sage Ismène, la courageuse Argie, le tendre Hémon, les frères ennemis Etéocle et Polynice…

Téléchargez le texte intégralement et gratuitement. 

Un extrait du dialogue de la scène 5 de l’acte 4 entre Créon, roi de Thèbes et son fils Hémon, amant d’Antigone.

CRÉON
Ô conseil, ô prière et ridicule et folle !
Que j’apprenne si vieux d’une si jeune école !

HÉMON
Ne regardez pas l’âge, et pesez la raison.

CRÉON
La raison n’est pas mûre en si verte saison.
Appelles-tu raison de faire honneur au crime ?

HÉMON
Non, s’il passe pour tel ailleurs qu’en votre estime.

CRÉON
Qui m’a désobéi mérite le trépas.

HÉMON
Le peuple toutefois ne le confesse pas.

CRÉON
Lui-même est criminel s’il censure son prince.

HÉMON
Faites donc le procès à toute le province.

CRÉON
Elle et ses habitants sont esclaves des rois.

HÉMON
Oui, si les rois aussi sont esclaves des lois.

CRÉON
La folle passion qui possède ton âme
Te fait insolemment parler pour une femme,
Et de son intérêt te rend aussi jaloux.

HÉMON
Vous seriez femme donc, car je parle de vous.

CRÉON
Tu contestes, mutin, contre ton propre père ?

HÉMON
J’ai cru vous conseiller, et non pas vous déplaire.

CRÉON
Ne m’est-il pas permis de conserver mon droit ?

HÉMON
Non, s’il prive les dieux de l’honneur qu’on leur doit.

CRÉON
Vil esclave de femme, esprit lâche et débile !

HÉMON
Je n’ai fait action ni lâche ni servile.

CRÉON
Parler pour une fille est ton plus digne emploi.

HÉMON
Je parle pour les dieux, et pour vous et pour moi.

CRÉON
N’espère pas enfin l’épouser jamais vive.

HÉMON
Elle ne mourra pas qu’un autre ne la suive.

CRÉON
M’oses-tu menacer ?

HÉMON
Je n’avancerais rien.
Envers qui ne veut ni ne peut faire bien.

CRÉON
Ce fol à m’outrager encore persévère !

HÉMON
Je vous dirais bien pis si vous n’étiez mon père.

CRÉON
Va, coeur efféminé ; va lâche, sors d’ici !

HÉMON
Vous voulez donc parler sans que l’on parle aussi ?

CRÉON
Oui, traître, je le veux, et bientôt pour salaire
De ta présomption va t’apprendre à te taire
Et ne chérir pas tant ce qui m’est odieux.
Soldats, amenez-la, qu’on l’égorge à ses yeux.

HÉMON
Ce ne sera jamais au moins en ma présence
Que l’on accomplira cette injuste sentence.
Faites à vos flatteurs autoriser vos lois,
Et voyez votre fils pour la dernière fois.

Pour aller plus loin :

Article en libre accès : 
Thouret Clotilde, « Le monologue dans le théâtre de Rotrou : une convention baroque, entre ornement et dramaturgie de la pensée. », Littératures classiques 2/2007 (N° 63) , p. 207-221
URL : www.cairn.info/revue-litteratures-classiques1-2007-2-page-207.htm
DOI : 10.3917/licla.063.0207

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