Drame

Orphée-Roi de Victor Segalen

Drame en 4 actes avec prologue et épilogue, écrit entre 1907 et 1915 et publié en 1921 (deux ans après le décès de Victor Segalen)
Distribution : 4 hommes, 4 femmes
Lien vers le texte intégral sur Libre Théâtre

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9116820q/f9.item
Gravure de Georges Daniel de Monfreid illustrant l’édition de 1921 dans la Collection Le Théâtre d’Art Source Gallica


Orphée-Roi
 est une oeuvre remarquable par son traitement original du mythe d’Orphée, par son lyrisme et surtout comme expérimentation concrète d’une authentique synesthésie. En effet, Victor Segalen développe dans cette pièce un thème évoqué une première fois de manière théorique dans son essai « Les synesthésies et l’école symboliste », puis de façon romanesque avec sa nouvelle « Dans un monde sonore », deux textes parus au Mercure de France.

Libre Théâtre a édité la pièce Orphée-Roi, en l’association avec l’essai Les synesthésies et l’école symboliste et la nouvelle Dans un monde sonore.
Lien vers l’édition

 

La Nouvelle Idole de François de Curel

Pièce en trois actes, représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre Antoine, le 11 mars 1899. Représentée à la Comédie-Française le 26 juin 1914.
Distribution : 4 hommes, 4 femmes
Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition du Théâtre complet de Françoise de Curel (tome 3) : textes remaniés par l’auteur avec l’historique de chaque pièce, suivi des souvenirs de l’auteur. (Source : Gallica)
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
Lien vers le Théâtre de François de Curel

Argument

Albert Donnat, médecin réputé et professeur à l’Ecole de médecine, a commis un acte irréparable. Travaillant sur le cancer et soignant une jeune religieuse phtisique dont le diagnostic laisse présager sa mort prochaine, il lui inocule une tumeur pour en pouvoir suivre l’évolution. Le scandale de ses expérimentations humaines est dévoilé par la presse. Sa femme le rejette violemment, dans un premier temps, et essaie de trouver du réconfort auprès d’un jeune psychologue expérimental. La jeune fille guérit miraculeusement de sa phtisie, après avoir bu de l’eau de Lourdes, sans savoir qu’elle va bientôt mourir d’un autre mal : le savant constate que le cancer « inoculé » se développe à grande vitesse dans le corps de la patiente. Albert décide alors de s’injecter à son tour les cellules cancéreuses.


À propos de la pièce

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9030893j/
M. de Curel, académicien / Agence Meurisse. Source : Gallica

Les pièces de François de Curel sont des « pièces à thèses ». Elles s’inscrivent dans la veine naturaliste et mettent en scène des problèmes philosophiques et moraux : les rapports familiaux, la réalité sociale, les questions morales…

François de Curel, dans la Nouvelle Idole, oppose trois Idées qui permettent, selon lui, à l’homme de s’élever : la Science (incarnée par Albert Donnat), la Foi (incarnée par la jeune religieuse Antoinette Milat) et l’Amour (incarnée par la femme d’Albert Donnat, Louise).


La création

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10501855q/f13.item
Caricature d’André Antoine par Camara (vers 1905). Source Gallica

La pièce est crée le 11 mars 1899 au Théâtre Antoine, par André Antoine, qui signe la mise en scène et interprète le rôle principal d’Albert Donnat.
Les réactions de la presse sont très positives comme se plaît à le rappeler François de Curel dans la préface introduisant la pièce dans l’édition de ses œuvres complètes (consultable sur Gallica)
Dans le Journal Catulle Mendès écrit : « pour la première fois sur la scène française, des idées abstraites en opposition sont devenues des êtres réels en conflit, réels et vivants, d’une humanité si douloureuse qu’elles créent, dans la sublimité spirituelle, un poignant drame sensuel. »
Léon Kerst dans le Petit Journal : « J’ai bien dit un chef-d’oeuvre. Et j’entends maintenir le mot ; car jamais, si j’interroge mes souvenirs, je n’ai éprouvé sensation pareille ni émotion comparable… Que cela est beau ! Et quelle puissance détient le penseur qui peut vous faire ainsi vibrer par la seule force de l’Idée et du Verbe qui l’exprime. »
Robert de Flers dans la Liberté : « À peu près seul en ce temps où l’ironie, le scepticisme et la rosserie se partagent les scènes parisiennes, M. de Curel a eu la noble audace de porter à la rampe les conflits des plus graves problèmes contemporains. »
Seul le célèbre critique Sarcey émet des réserves mais François de Curel retient les aspects positifs le concernant : « Il a des qualités indéniables d’homme de théâtre. Il y a, dans la Nouvelle Idole, une scène dont l’idée, au point de vue purement dramatique, est géniale. »


La mise en scène d’André Antoine

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Une_le%C3%A7on_clinique_%C3%A0_la_Salp%C3%AAtri%C3%A8re.jpg
Une leçon clinique à la Salpêtrière, André Brouillet, 1887. Source : wikimedia.

Le deuxième acte se déroule chez le psychologue expérimental, Maurice Cormier, où la femme d’Albert Donnat vient se réfugier. Il pratique l’hypnose pour soigner les névroses hystériques de jeunes femmes. Le cabinet permet d’observer sans se faire voir les réactions des jeunes femmes une fois hypnotisées. Mireille Losco-Lena dans un article intitulé «Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887 : trois conceptions de la mise en scène théâtrale » souligne la mise en abyme du dispositif théâtral sur lequel travaille André Antoine avec le Théâtre-Libre : observer depuis le « quatrième mur » les milieux et les gestes (voir aussi sur Libre Théâtre, le théâtre de Zola et le naturalisme) : « Antoine invente un usage nouveau de la mise en scène : il en fait un outil d’observation en faisant glisser dans le champ du spectacle théâtral l’expérience du regard clinique. »


Une histoire inspirée d’articles concernant d’Eugène Doyen

Caricature du docteur Eugène Doyen dans La Vie ardennaise illustrée. Journal artistique et littéraire. Source : wikimedia

Eugène Doyen est considéré comme l’un des rénovateurs de la chirurgie française de la fin du XIXème siècle malgré ses théories inexactes sur le cancer et ses pratiques controversées. Il est l’inventeur de nombreux instruments chirurgicaux et de perfectionnements dans la technique opératoire.
À partir de 1888, il s’engage dans des expériences d’immunisation contre le cancer. En 1891, éclate « l’affaire Doyen » dite de la « greffe cancéreuse » qui fait scandale dans les journaux. Sur deux de ses patientes, il est accusé d’avoir prélevé un fragment tumoral sur un sein malade pour le greffer sur le sein indemne. La justice ouvre une enquête qui, faute de preuves, reste sans suites. Ces travaux l’éloignent de la Faculté et l’isolent dans ses recherches.
Il croit plus tard découvrir le germe en cause dans les cancers et utilise des sérums et un vaccin censé permettre la rémission de certaines tumeurs. Sa renommée internationale lui permet de proposer des traitements très onéreux qui n’aboutissent pas. Il est définitivement discrédité aux yeux de la communauté académique mais continue de faire paraître des articles dans les publications médico-chirurgicales.


La Nouvelle Idole est l’une des premières œuvres littéraires qui mentionne le cancer, au moment où se développe la peur de cette maladie.

Pour aller plus loin :

La Révolte d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam

Drame en un acte publié créé le 6 mai 1870 au Théâtre du Vaudeville et publié en 1870.
Distribution : 1 homme, 1 femme
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84031092
La révolte, drame de Villiers de L’Isle-Adam : estampe de 1870. Source : BnF/Gallica

L’argument

Alors qu’il est presque minuit, Félix, un banquier, et sa femme Élisabeth font le point sur les comptes. La fortune de Félix a presque triplé grâce aux initiatives d’Élisabeth et elle tente de le convaincre Félix de ne pas envoyer d’assignation à de pauvres locataires incapables de payer.  Peu à peu l’attitude d’Elisabeth change : elle annonce à Félix qu’elle le quitte pour toujours. 

Cette pièce est passionnante à plus d’un titre. La critique de 1870 a été choquée par la modernité du sujet : la tentative de révolte d’une femme, intelligente et sensible, dans une société matérialiste et bourgeoise, qui la cantonne au rôle d’épouse et de mère. Le personnage d’Élisabeth se nourrit de sentiments contradictoires: elle est tour à tour soumise, ironique, lyrique, mélancolique, révoltée, désespérée. Dans l’histoire du théâtre, cette pièce marque également une rupture par son audace formelle et son style épuré.

 

Les réactions de la critique lors de la création

Face à ce drame d’un genre nouveau, certains critiques s’enthousiasmèrent ; d’autres réagirent avec violence. Villiers de l’Isle Adam revint sur ces réactions, quelques mois après la création de la pièce  dans la préface de l’édition de la Révolte. (Lien sur l’édition en ligne sur archive.org)

Voici les trois scènes, si simples, qui ont, un instant, mis quelque peu en émoi la Critique de France, et dont l’exécution au Théâtre du Vaudeville a dû être arbitrairement interdite, à la cinquième soirée, comme blessante pour la dignité et la moralité du public de la Bourse
et des boulevards.
J’eusse préféré le silence à tous ces volumineux articles qui ont jeté sur cette œuvre un semblant de célébrité. Merci, toutefois, et « du cœur de mon cœur, » comme dit Hamlet, à ces maîtres de la Pensée, de l’Art et du Style, qui l’ont si magnifiquement acclamée, expliquée ou défendue ! À Richard Wagner, à Théodore de Banville, à Théophile Gautier, à Franz Listz, à Leconte de Lisle, à Alexandre Dumas fils, sans la violente intervention duquel ce drame n’aurait même pas vu la lumière. — Merci à tous ceux qui ont écrit, au sujet de La Révolte, ces belles pages dédaigneuses que de joyeux critiques se bornaient à répéter un peu à l’instar des oiseaux (…) Et aux deux vaillants artistes qui ont imposé à toute la salle l’obsession de ces trois scènes! Et à toute cette jeunesse enthousiaste qui applaudissait et qui avait le courage de sa pensée, comme devant toute la « Bêtise au front de taureau » j’avais le courage de la mienne.
(…)
Aujourd’hui, le Théâtre aux règles posées par des hommes amusants (et qui nous encombre de sa Morale d’arrière-boutique, de ses Ficelles et de sa « Charpente » pour me servir des expressions de ses Maîtres) tombe de lui-même dans ses propres ruines, et nous n’aurons malheureusement pas grands efforts à déployer pour achever son paisible écroulement dans l’ignominie et l’oubli. On y assiste, on rit, mais on le méprise. On dit de ce qu’il enfante : « C’est un Succès !» — Le mot Gloire ne se prononce plus.
Eh bien! — et c’est pour cela que j’écris ces lignes, — puissé-je garder cette illusion légitime
de penser que La Révolte (si restreinte que soient les proportions de ce drame) est la première tentative, le premier essai, risqués sur la scène française, pour briser ces soi-disant règles déshonorantes! C’est son seul mérite à mes yeux! Et j’ai tenu à le constater, voilà tout. Encore quelques aventures comme celle-ci, et la Foule se décidera à penser par elle-même et non par deux ou trois cerveaux dont l’intelligence, stérilisée par la fonction qu’elle exerce, est devenue notoirement impropre à saisir les aspects ou les profondeurs d’une Œuvre, si celle-ci est en dehors des complications routinières où s’agite leur imagination.

Parmi les analyses intéressantes parues lors de la création, on citera l’article de Théodore de Banville, publié dans Le National le 8 mai 1870 (dans Villiers de l’Isle-Adam : biographie et bibliographie. Edouard de Rougemont. Mercure de France.1910 sur Gallica )

Elle a éclaté comme un orage furieux, cette terrible sincère et violente pièce de M. Villiers de l’Isle-Adam, la Révolte. C’est, au milieu d’une implacable et patiente analyse à la Balzac, illuminée par des éclairs du génie de Balzac, une grande imprécation tragique aux invincibles élans, qui à la fois vous subjugue l’esprit et vous prend aux entrailles. M. Villiers de l’Isle-Adam, poète et prosateur n’est pas un artiste ordinaire, il a, non pas du talent, mais cette abondance d’invention, cette hauteur de conception, cette puissance de créer, parfois égarée, hésitante, mais parfois aussi complète et sublime, qui, en tous pays constitue une portion de génie. (…)
Le sujet de la Révolte est bien simple…et bien terrible I C’est le supplice d’une femme jeune, belle, aimée, profondément honnête et vertueuse, et douée même de la science des affaires et d’un remarquable esprit pratique, unie, mariée, enchaînée à un homme qui est un formidable imbécile. Non cet imbécile appelé Jocrisse, qui du moins réjouit les yeux par le vermillon acharné de sa veste et sa queue rouge envolée, surmontée du tricorne sur lequel voltige un papillon symbolique ; mais l’imbécile riche, heureux, beau, bien fait, banquier, considéré, pas voleur, au contraire honnête par politesse, vêtu à la dernière mode, comme le dictionnaire de Bouillet, membre de tous les conseils et de toutes les commissions, beau joueur, beau cavalier, ayant de la considération en portefeuille, mais bête à manger du foin, si bien que toutes les tortures inventées par le moyen âge ne sont rien auprès de celle qui consiste à voir sans cesse ses yeux atones qui contiennent des océans d’ineptie, ses lèvres où voltige un sourire plein de solécismes. et son geste absurde ! et que la lente goutte d’eau tombant sans s’arrêter jamais sur le front du condamné enchaîné sous une roche, n’est rien auprès du lieu commun toujours prêt et toujours le plus vulgaire de tous qui, inévitablement tombe de la bouche de cet assassin. M. Tarbé,dans son article d’hier proteste sur ce point et affirme que le type n’existe pas. Certes, notre excellent confrère est personnellement assez spirituel et vit au milieu de gens assez spirituels pour avoir le droit de croire que la bêtise est absente de ce bas monde, et même que certaines âmes angéliques se refusent à croire au mal et aux méchants. Cependant les imbéciles existent ; il y en a, et c’est un fait avéré. Malheur à la femme mal mariée, enchaînée à ce rocher ridicule où elle est dévorée par une oie.

 

Pour aller plus loin 

Lydie Parisse, « La Révolte. Une écriture vers la scène. Théâtralité et métathéâtralité », Littératures [En ligne], 71 | 2014, mis en ligne le 24 avril 2015, consulté le 30 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/litteratures/329

Dossier de presse de la mise en scène de Charles Tordjman au Théâtre de Poche Montparnasse, 2017-2018.

 

Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53117195j
Gravure de Jean Donnay. Source Gallica

Pièce de théâtre symboliste en cinq actes publiée en 1892 et créée le 17 mai 1893 au Théâtre des Bouffes-Parisiens.
Distribution : 3 hommes, 3 femmes, 1 enfant (rôles principaux) – une dizaine de rôles secondaires (médecin, servantes…)
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Le prince Golaud se perd dans une forêt et rencontre Mélisande en pleurs au bord d’une fontaine. Sa couronne est tombée mais elle ne veut pas la reprendre. Golaud la console et la convainc de partir avec elle. Il l’épouse et revient six mois après dans le royaume d’Allemonde où règne Arkël, son grand-père et où vit Geneviève, sa mère. Mélisande rencontre Pelléas, le jeune demi-frère de Golaud. Ils tombent amoureux peu à peu l’un de l’autre, sans oser en parler. Amour pur, interdit et mortel face à la folle jalousie de Golaud.

L’intérêt de la pièce ne repose pas sur ce fragile argument, ni sur les motivations psychologiques des personnages. Maurice Maeterlinck bouleverse totalement les conventions théâtrales en mettant en scène de « pauvres marionnettes agitées par le destin » (expression d’Antonin Artaud). Pelléas, dans la scène 4 de l’acte IV,  résume ainsi l’impuissance de l’homme face à la destinée :

Voilà, voilà… Nous ne faisons pas ce que nous voulons… Je ne t’aimais pas la première fois que je t’ai vue…

Mélisande à l’agonie aura ces mots : 

Je ne comprends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous… Je ne sais pas ce que je dis… Je ne sais pas ce que je sais… Je ne dis plus ce que je veux…

Les décors sont autant de symboles : la forêt, la grotte souterraine, la fontaine ou la  mer. Quelques motifs reviennent régulièrement :  l’eau, la chevelure, l’anneau…. Les allégories  et les analogies se croisent et tissent de multiples correspondances.

 

La création de la pièce

Maurice Maeterlinck a publié en 1889 un recueil de poèmes intitulé les Serres Chaudes. En août 1890, Octave Mirbeau consacre un article à la une du Figaro  à l’occasion de la parution de la Princesse Maleine

Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck. Je sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui et je sais aussi qu’il a fait un chef d’œuvre, non pas un chef-d’œuvre étiqueté chef-d’œuvre à l’avance, comme en publient tous les jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante lyre ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine ; mais un admirable et pur et éternel chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés du beau et du grand, un chef-d’œuvre comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois, aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un, et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. Enfin, M. Maurice Maeterlinck nous a donné l’œuvre la plus géniale de ce temps, et la plus extraordinaire et la plus naïve aussi, comparable et oserai-je le dire supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle la Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute.

En juin 1892, Maurice Maeterlinck, âgé de trente ans, publie Pelléas et
Mélisande  chez Paul Lacomblez à Bruxelles. Maeterlinck définit son projet dans ses Carnets intimes.

Exprimer surtout cette sensation d’emprisonnés, d’étouffés, de haletants en sueur qui veulent se séparer, s’en aller, s’écarter, fuir, ouvrir, et qui ne peuvent pas bouger. Et l’angoisse de cette destinée contre laquelle ils se heurtent la tête comme contre un mur et qui les serre de plus en plus étroitement l’un contre l’autre. 

La pièce est créée le 17 mai 1893 au Théâtre d’Art sur la scène des Bouffes-Parisiens par la compagnie du Théâtre de l’Œuvre dirigée par Aurélien Lugné-Poe. L’audience est prestigieuse: Tristan Bernard, Léon Blum, Paul Hervieu, Georges Clémenceau,Romain Coolus, le peintre américain Whistler, Claude Debussy… 
De nombreux articles témoignent des fortes émotions ressenties par le public face à cette pièce 

Octave Mirbeau décrit ainsi son émotion (publié dans Les Ecrivains)

J’ai pu assister à une répétition de Pelléas et Mélisande et, après trois jours, j’en garde une impression bouleversante… comme d’une hantise j’en garde aussi une lumière, très vive et très douce, et qui, loin de se dissiper, entre en moi, à chaque minute, davantage, me baigne, me pénètre… Maurice Maeterlinck permettra t-il à mon amitié, jalouse de son bonheur autant que de sa gloire, de le défendre contre lui-même, et contre ces lettres publiées récemment, et de lui dire, avec cette tranquillité facilement prophétique que donne la certitude éblouissante de la beauté réalisée… que Pelléas et Mélisande sera un grand et juste triomphe… Je ne me souviens pas d’avoir entendu quelque chose de plus absolument exquis, de plus absolument poignant aussi… N’était le scrupule où je suis de ne point déflorer une œuvre qui ne m’appartient pas encore, puisqu’elle n’a point été livrée au public, avec quelle joie je voudrais exprimer tout ce que j’ai ressenti de sensations neuves et profondes, et infiniment pures, et vraiment humaines, en écoutant chanter ces pauvres petites âmes, douloureuses et charmantes, et qui, dans leur balbutiement, contiennent tout le charme du rêve et toute la douleur de la vie !… Il y avait, ce soir-là, dans la salle, une trentaine de personnes, toutes différentes de sensibilité et d’idées… quelques-unes, même, facilement portées à l’ironie, et qui considèrent volontiers l’émotion comme une tare, ou comme une faiblesse… Eh bien ! toutes étaient sous le même charme angoissant ; toutes avaient au cœur la même émotion, et, durant les trois derniers tableaux, toutes pleuraient les mêmes larmes… Par conséquent, je ne me trompais pas d’être ému à ce point… Mon admiration et mon émotion n’étaient point les dupes de mon amitié… Cela était ainsi. Et votre héroïsme, mon cher Maeterlinck, qui va jusqu’à la haine de votre œuvre, qui souhaite si ardemment, avec une telle ferveur d’injustice, la chute de cette œuvre admirable, ne pourra pas tenir plus longtemps contre cette évidence, et contre ces larmes des plus chers de vos amis, qui n’ont point l’habitude, croyez-moi, de pleurer à de petites niaiseries et à des pauvretés sentimentales, comme on en entend sur tant de théâtres !… Et, rien ne pourra faire, non plus, que le nom de M. Debussy, en qui vous avez trouvé le seul interprète de votre génie, plus qu’un interprète, une âme créatrice fraternellement pareille à la vôtre, ne rayonne à côté de votre nom, comme le nom d’un maître glorieux !… En sortant de cette répétition, ébloui, si fier d’être votre ami, et que vous m’ayez fait l’honneur de me dédier cette œuvre, je me disais : « Comme c’est triste que Maurice Maeterlinck soit obligé de renier publiquement son génie si pacifiquement pur, si harmonieusement beau ! » Et j’étais tenté de m’écrier, comme un des personnages de votre poème, et en vous aimant davantage : « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du pauvre cœur des hommes ! »

Extrait de l’article de Robert Charvay, paru dans l’ Echo de Paris le 17 ami 1893

J’ai assisté hier à la première répétition générale de Pelléas et Mélisande et j’en sors ému, troublé, pris aux entrailles par une des plus intenses sensations d’art dramatique qu’il m’ait été donné d’éprouver. (…)

Les décors sont d’une simplicité grise et voulue; ils encadrent les acteurs d’une teinte neutre et vaporeuse. Ce sont de lourds feuillages, aux grandes lignes ornementales, des salles de palais sans architecture précise. On dirait que l’habile artiste Paul Vogler, en les peignant, s’est inspiré des admirables camaïeux indécis et symboliques de Puvis de Chavannes. Pas d’accessoires, pas de meubles, et surtout point de prétendue exactitude dans la reproduction scénique des choses inanimées. La rampe est supprimée; les hommes et les femmes en scène sont éclairés d’en haut comme par des rayons de lune; l’ensemble demeure dans l’ombre et le regard flotte, indistinct, sur des entités de rêve. Les costumes s’harmonisent avec le reste: des étoffes passées, comme lavées, sans effets criards, sans taches crues.

Voir aussi l’article du Figaro du 18 mai 1893 et l’article paru en une du Figaro du 31 août 1910.

Images de quelques mises en scène

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438721z/f7.item
Sarah Bernhardt dans Pelléas et Mélisande, (rôle de Pelléas) Londres 1904. Source : Gallica

 

Compagnie La Mandarine Blanche
Compagnie la Mandarine Blanche Mise en scène Alain Batis (2015)

 

 

 

 

 

 

 

 


Podcast original de France Culture

Version radiophonique de la pièce de Maurice Maeterlinck, proposée par Denis Podalydès de la Comédie Française et Louis Langrée.  Musique de scène de Gabriel Fauré. Premier enregistrement mondial avec l’Orchestre national de France. Chef d’orchestre : Louis Langrée  Conseillère Littéraire : Pauline Thimonnier.  Réalisation : Laure Egoroff.
Lien vers le site de France Culture


Pour aller plus loin : 
Pour situer cette œuvre dans le théâtre du XIXème siècle, voir la notice sur Libre Théâtre 
Pelléas et Mélisande, Groupe de recherche interuniversitaire “Littérature et nation”, avec le concours du Conseil Scientifique de l’Université de Tours, Juin 1990.  Lien vers le document
Dossier pédagogique élaboré par Louise Flipo sur le site Espace Nord
Le Trésor des Humbles, essai de Maurice Maeterlinck (1896) où il développe sa pensée (voir et savoir, « avertis » et « divertis », lumière/jeunesse et obscurité/vieilles…) sur archive.org

De nombreux compositeurs furent inspirés par le texte de Maerterlinck dont Claude Debussy, qui créera une œuvre unique dans l’histoire de l’opéra. Pour en savoir plus sur l’opéra de Debussy sur opera-online , sur resmusica.com

 

Pelléas et Mélisande est à l’affiche du Festival d’Avignon 2019, dans une mise en scène de Julie Duclos.
Lien vers l’entretien de Julie Duclos sur le site du Festival qui souligne la force poétique du texte de Maeterlinck.

 

Molière de George Sand

Drame en cinq actes et en prose, représenté pour la première fois au Théâtre de la Gaîté le 10 mai 1851
Distribution : 11 hommes, 8 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

La pièce propose cinq moments de la vie de Molière, en insistant sur ses relations avec Armande Béjart. Au premier acte, Molière est encore inconnu et parcourt la France à la tête d’une petite troupe de comédiens. Il rencontre le prince de Condé, le reconnaît mais ne le trahit pas. Nous nous retrouvons à Versailles dans le deuxième acte. Molière est devenu un auteur reconnu et soutenu par le Roi, mais il est maussade : il est amoureux d’Armande Béjart, la sœur de Madeleine. Quand Armande entend l’éloge du prince de Condé qui rend  hommage à Molière et témoigne de sa gloire,  elle décide de jouer la comédie de l’amour. Molière est fou de joie et  Louis XIV donne son consentement au mariage.

Le troisième acte nous transporte dans la maison de Molière à Auteuil, au moment où Tartuffe est interdit  : Molière est seul, triste et malade.  Il reçoit chaque matin des lettres d’injures qui accusent Armande d’être la maîtresse du prince de Condé. De retour chez elle, Armande fait face à l’hostilité des comédiens de la troupe, Brécourt, Duparc, le jeune Baron et Madeleine Béjart. L’acte IV se déroule pendant la première du Tartuffe, au théâtre du Palais-Royal.  Molière pardonne à sa femme, grâce à l’intervention du prince de Condé. Au Vème acte, nous sommes au Palais-Royal sur la scène où vient de se jouer le Malade imaginaire ; le rideau est tombé, la salle est vide. Molière est épuisé alors qu’Armande lui rapporte de nouvelles calomnies qui accusent Molière d’avoir épousé sa propre fille. Armande lui montre également une lettre de Baron où il lui déclarait son amour. C’est en réalité une ancienne missive. Molière est dévasté par ce qu’il pense être une nouvelle trahison.

Extrait de la dédicace de George Sand à Alexandre Dumas

« Je n’ai cherché à représenter que la vie intime, et où rien ne m’a intéressé que les combats intérieurs et les chagrins secrets. Existence romanesque et insouciante au début, laborieuse et tendre dans la seconde période, douloureuse et déchirée ensuite, calomniée et torturée à son déclin, et finissant par une mort profondément triste et solennelle. Un mot navrant, un mot historique résume cette vie près de s’éteindre : Mais, mon Dieu, qu’un homme souffre avant de pouvoir mourir ! »

Les réactions

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8415869n
Bocage jouait le rôle de Molière à la création. Lithographie de Benjamin de 1835. Source : BnF/Gallica

Extrait de l’article de Clément Caraguel paru dans l’Argus du 13 mai 1851, source : Gallica. 
Remarque : la version de la pièce présentée en 1851 a été resserrée et ne comportait que quatre actes (les 3ème et 4ème actes étaient réunis).

« Ces quatre actes, pour mieux dire ces quatre tableaux ne contiennent, à proprement parler, que la biographie de Molière. L’auteur a limité autant que possible la part de l’invention, il s’est attaché à reproduire avec une exactitude historique la physionomie du grand comique et il l’a fait avec la puissance d’exécution d’un artiste supérieur. C’est bien là le véritable Molière , tel qu’il apparaît dans l’histoire, aussi honnête que grand, aussi élevé par le cœur que par le génie. L’homme, l’auteur et le comédien, savamment étudiés, revivent dans cette rayonnante figure. Il faut remercier Georges Sand d’avoir consacré sa plume à ce beau travail sur une des gloires de la France.

Armande Béjart est peinte avec une vérité et une vigueur magistrales ; c’est un caractère dans toute l’acception du mot et qui tiendrait sa place dans la grande galerie des physionomies humaines laissées par Molière lui-même. Cependant le dernier trait nous semble de trop. Le public, comme nous, a trouvé outrée la scène du quatrième acte où Armande remet  à Molière mourant une lettre d’amour qui lui fut écrite par Baron avant son mariage. Ce n’est plus seulement la sécheresse de cœur d’une coquette, c’est de la cruauté à froid ; entre les deux il y a plus qu’une nuance. Le comédien Duparc est un type de bourru bonhomme des plus réjouissants et des plus vrais qu’on ait vus au théâtre ; il a été rendu avec beaucoup d’originalité et de verve par Paulin Ménier. Bocage jouait le rôle de Molière ; le succès a été très grand, tous les acteurs ont été rappelés à la chute du rideau. »

La pièce est à l’affiche 12 fois au  Théâtre de la Gaité mais ne rencontre pas le succès attendu.


Publication aux Editions La Comédiathèque

La pièce de George Sand propose cinq moments de la vie de Molière, en insistant sur ses relations difficiles avec Armande Béjart.
« Je n’ai cherché à représenter que la vie intime, et où rien ne m’a intéressé que les combats intérieurs et les chagrins secrets. Existence romanesque et insouciante au début, laborieuse et tendre dans la seconde période, douloureuse et déchirée ensuite, calomniée et torturée à son déclin, et finissant par une mort profondément triste et solennelle. Un mot navrant, un mot historique résume cette vie près de s’éteindre : Mais, mon Dieu, qu’un homme souffre avant de pouvoir mourir ! » Extrait de la dédicace de George Sand à Alexandre Dumas.

ISBN 978-2-3770-5100-7
Juillet 2017
100 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 13,00 €

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Claudie de George Sand

Drame en trois actes représenté pour la première fois au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 11 janvier 1851.
Distribution: 5 hommes, 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Claudie fait les moissons avec son grand-père le Père Rémy chez les métayers Fauvreau. Le fils Fauveau, Sylvain tombe amoureux de la jeune fille, travailleuse et réservée. Mais le père Fauveau a d’autres vues pour son fils : la Grand’Rose, la propriétaire de la métairie, une belle femme riche et élégante que convoite également Denis Ronciat. Claudie rencontre par hasard sur Denis Ronciat.  On comprend très vite qu’il est à l’origine de ses malheurs : il a séduit Claudie quand elle avait 15 ans en lui promettant le mariage mais il l’a abandonnée. Un enfant est né de cette liaison. C’est dans la misère que Claudie a élevé son enfant,  décédé à l’âge de trois ans. Denis Ronciat révèle une partie de l’histoire à Rose qui, jalouse de l’intérêt de Sylvain pour Claudie, veut éloigner la jeune fille et son père. Sylvain est désespéré. Dans une très belle scène, le Père Rémy prend la défense de Claudie et ridiculise Denis Ronciat, qui est chassé. Tout le village entoure et soutient Claudie. Sylvain lui demande sa main.

À propos de Claudie

Jules Lemaître dans Impressions de théâtre 1ère série à propos de la reprise de Claudie au Théâtre national de l’Odéon, 16 mai 1887 sur Gallica

« J’ai constaté avec joie, la semaine dernière, le grand succès de Claudie. Personne, je crois, n’a complètement échappé au charme de cette dramatique idylle. (…)
Oui, tous ces personnages sont vrais. Du moins ils le sont assez à mon gré. L’action est d’une simplicité lumineuse ; elle sort tout entière d’une situation initiale et se développe sans aucune intrusion du hasard : ce qui est une des marques des belles œuvres dramatiques. Et le décor, qui agrandit et embellit les personnages, explique l’action et y contribue. Ce drame est aussi une géorgique ; et géorgique et drame semblent ici inséparables. Le « milieu » est justement celui où le dénouement de la pièce (le mariage d’une fille-mère avec un autre homme que le séducteur) pouvait être accepté le plus aisément : car les paysans, s’ils ont plus de superstitions, ont moins de préjugés sociaux que la bourgeoisie. M. Dumas fils, rien qu’en transportant la même histoire dans une classe supérieure (Denise), s’est créé des difficultés dont lui seul peut-être pouvait triompher.
Dans Claudie, cela va tout seul. C’est en pleine campagne qu’un drame évangélique se trouve encore le mieux à sa place. On a cette impression, que le profond sentiment de justice et de charité, en vertu duquel Ronciat est condamné et Claudie absoute et relevée par le père Rémy, par Sylvain, par la mère Fauveau, par la Grande Rose, et même par le père Fauveau, est, comme la gerbe de blé, un produit du travail de la terre. »

Voir aussi la critique de Clément Caraguel dans l‘Argus du 24 janvier 1851 : « La hardiesse de l’idée, la réalité et la logique des caractères, la hauteur soutenue de la pensée et la force de l’exécution font de cette pièce une des œuvres les plus vivantes de Georges Sand. L’effet produit a été immense. Nous avons entendu crier au paradoxe; avouez cependant qu’il est bien rare qu’un paradoxe s’empare à ce point de la foule et produise ces frémissements d’une émotion irrésistible. »

Illustrations sur Gallica

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Théâtre de la Porte Saint Martin. Claudie. 3e acte. Claudie, mademoiselle Lia-Félix ; madame Fauveau, madame Genot ; la Grand’Rose, Daubrun ; Rémy, M. Bocage ; Sylvain, M. Fechter ; Fauveau, M. Perrin ; Denis Ronciat, M. Barré. Dessin de Janet Lange.1851. Source : BnF/Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8437033f
Le théâtre illustré. Claudie, représentée au théâtre de Cluny : dessin de M. Adrien Marie et Gillot sc. 1879. Source : BnF/Gallica

Cosima ou la haine dans l’amour de George Sand

Drame en cinq actes et un prologue, représenté pour la première fois à Paris, par les comédiens ordinaires du roi, sur le Théâtre-Français, le 29 avril 1840.
Distribution : 11 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger sur Libre Théâtre

L’argument

Cosima est l’épouse d’Alvire, un bourgeois et négociant de Florence. Elle passe ses journées à s’ennuyer terriblement lorsqu’un riche Vénitien, Ordonio Éliséi, se met à la courtiser. Elle résiste, mais peu à peu tombe sous le charme de cet habile séducteur. Lorsque l’on croit qu’Ordonio a été assassiné, Alvire est arrêté. Mais c’est en réalité le serviteur d’Ordonio, qui se déguisait à la demande de son maître, qui a été tué. Ordonio réapparaît : Alvire, qui échappe ainsi à la sentence de mort,  lui ouvre sa maison, pour lui marquer sa reconnaissance. Cosima est amoureuse mais fidèle à son époux. Ordonio utilise toutes les ruses pour la convaincre de partir avec lui. La pièce s’achève tragiquement avec le suicide de Cosima.

La création au Théâtre-Français

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Marie Dorval dans le rôle de Clotilde à la Comédie-Française en 1840-1841, à la même époque que son rôle de Cosima. Source : BnF/Gallica

George Sand impose Marie Dorval au Théâtre-Français en 1840, en lui confiant le rôle-titre. 

La première de la pièce a lieu le 29 avril 1840 et est un échec.  Il n’y aura que 7 représentations. George Sand en témoigne dans la préface : « La première représentation du drame de Cosima a été fort mal accueillie au Théâtre-Français. L’auteur ne s’est fait illusion ni la veille ni le lendemain sur l’issue de cette soirée. Il attend fort paisiblement un auditoire plus calme et plus indulgent. Il a droit à cette indulgence, il y compte. » (suite sur Libre Théâtre)

Dans une lettre adressée à M. Calamatta le 01 mai 1840 à Paris (extraite de la Correspondance de George Sand, disponible sur Gallica , George Sand écrit également à propos de Cosima :

« Cher Carabiacai,

J’ai été huée et sifflée comme je m’y attendais. Chaque mot approuvé et aimé de toi et de mes amis, a soulevé des éclats de rire et des tempêtes d’indignation. On criait sur tous les bancs que la pièce était immorale, et il n’est pas sûr que le gouvernement ne la défende pas. Les acteurs, déconcertés par ce mauvais accueil, avaient perdu la boule et jouaient tout de travers. Enfin la pièce a été jusqu’au bout, très attaquée et très défendue, très applaudie et très sifflée. Je suis contente du résultat et je ne changerai pas un mot aux représentations suivantes.

J’étais là, fort tranquille et même fort gaie ; car on a beau dire et beau croire que l’auteur doit être accablé, tremblant et agité : je n’ai rien éprouvé de tout cela, et l’incident me paraît burlesque. S’il y a un côté triste, c’est de voir la grossièreté et la profonde corruption du goût. Je n’ai jamais pensé que ma pièce fût belle ; mais je croirai toujours qu’elle est foncièrement honnête et que le sentiment en est pur et délicat. Je supporte philosophiquement la contradiction ; ce n’est pas d’aujourd’hui que je sais dans quel temps nous vivons et à quelles gens nous avons affaire. Laissons-les crier ! nous n’aurions plus rien à faire, s’ils n’étaient ce qu’ils sont.

Console-toi de mon accident. Je l’avais prévenu, tu le sais, et j’étais aussi calme et aussi résolue la veille que je le suis le lendemain.

Si la pièce n’est pas défendue, je crois qu’elle ira son train et qu’on finira par l’écouter. Sinon, j’aurai fait ce que je devais et je recommencerai à dire ce que je veux dire toute ma vie, n’importe sous quelle forme. Reviens-nous bientôt. Tu me manques comme une partie essentielle de ma vie.

À toi de cœur. George. »

Les réactions des critiques

Sainte-Beuve dans Premiers lundis (Tome II, sur Gallica) : « La première représentation de Cosima a eu lieu devant le public le plus nombreux, le plus choisi et le plus divers, le plus littéraire et le plus mondain qui se puisse imaginer. Il y avait une attente immense ; il y avait autre chose que de l’attente encore, c’est-à-dire bien des petites passions en jeu. (…) En général, il faut le dire, si l’on excepte Mme Dorval, qui est toujours à excepter, et Geffroy, qui souvent a été bien, la pièce nous a paru jouée d’une manière insuffisante, sans ensemble, sans célérité, comme si les acteurs entraient peu dans leur rôle. C’est avec regret que nous avons vu Beauvallet refuser au rôle d’Ordonio la noblesse et la grâce qui en font une partie essentielle, et en charger sans nécessité l’odieux avec une brusquerie vulgaire, qui pouvait compromettre les mots les plus simples. C’est ainsi que je m’explique surtout comment bien des délicatesses ont été peu senties et bien des finesses ont paru échapper. (…) Quelques inexpériences de mise en œuvre, inévitables à un début, ne me paraissent pas expliquer suffisamment le peu de relief que la première représentation a donné à des détails tels que ceux-là. La faute en est en partie aux acteurs, je l’ai dit, et en partie au public, il faut oser le dire. Une certaine fraction du public paraissait s’attendre à un genre d’extraordinaire qui n’est pas venu ; cette sorte d’attention, nécessairement fort défavorable, lorsqu’elle a cherché à se porter et à se faire jour sur certains mots du dialogue, a été bientôt déjouée, car la suite ne répondait en rien à l’intention qu’on supposait voir percer et qu’on introduisait plus sottement encore que malignement. Deux ou trois fois notamment, quelques murmures soulevés ont fait peu d’honneur au goût littéraire de ceux qui se les permettaient. »

Critique du Figaro du 5 mai 1840 (sur Gallica)

« Si jamais notre critique fut difficile et délicate, c’est assurément aujourd’hui qu’elle doit s’attaquer à l’une des gloires qu’elle est le plus accoutumée à respecter, gloire incontestable fondée sur tant de chefs-d’œuvre et que de sages conseils auraient dû préserver d’une imprudence dangereuse. Il faut le dire pourtant il faut le dire avec regret mais avec courage, en mettant de côté pour un moment tout ce respect que l’on doit à l’illustre auteur :  le drame de Mme Sand est un ouvrage malheureux. Il est long, triste, ennuyeux ; il manque d’intérêt et le style même y fait défaut. (…) Cette pièce n’était ni assez intéressante pour être jouée au boulevart ni assez littéraire pour être offerte au public éclairé de la Comédie-Française, pourquoi donc l’avoir amenée là en holocauste . That is question.  »

Voir aussi la Lettre de Méry adressée à Marie Dorval expliquant l’insuccès de Cosima, citée dans Marie Dorval, 1798-1849 : documents inédits, biographie critique et bibliographie, d’Émile Coupy, 1868 sur Gallica

Voir sur le site de la Comédie-Française, une maquette plane des costumes de Cosima

Maître Favilla de George Sand

Drame en trois actes et en prose, représenté pour la première fois le 15 septembre 1855 au Théâtre de l’Odéon.
Distribution : 5 hommes, 2 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Le bourgeois Keller hérite du chateau de Muhldorf, qui appartenait à son oncle, mort sans testament. Il s’y rend avec son fils et découvre Maître Favilla, un musicien rêveur et un peu fou, un ami du défunt qui s’est installé avec sa famille dans le chateau et qui est persuadé d’être l’héritier. La famille de Favilla demande à Keller de le ménager le temps qu’il recouvre ses esprits. Le fils de Keller tombe amoureux de la fille de Favilla…

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Maître Favilla ou le pique-assiette sans le savoir : estampe de Pochet, 1855. Source : BnF/Gallica

La Dernière Nuit de Don Juan d’Edmond Rostand

Poème dramatique en deux parties et un prologue, écrite en 1911. Publié de façon posthume en 1921 et créé en mars 1922 au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Distribution : 5 hommes, 5 femmes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Don Juan est emmené par la statue du Commandeur aux Enfers mais négocie avec le Diable. Celui-ci lui accorde un sursis de dix ans. Dix ans après, le Diable revient chercher Don Juan sous les traits d’un marionnettiste. Don Juan défend l’œuvre de sa vie, mais dans une cruelle joute oratoire, le Diable va montrer à Don Juan l’échec de son existence. Don Juan croit avoir «possédé» et «connu» 1003 femmes, les ombres des femmes viennent lui prouver le contraire. Toutes arrivent masquées et lui disent quelques mots : si le séducteur en peut appeler une seule par son prénom, il sera libre. Il échoue. Don Juan affirme ensuite qu’il les a fait pleurer : si une larme est sincère et que Don Juan s’en souvient, il sera sauvé. Il échoue une nouvelle fois. Don Juan affirme ensuite avoir « fait l’aumône » mais « le pauvre » vient lui jeter l’or de l’aumône à la figure, avec mépris. Don Juan à bout d’arguments est envoyé dans la boîte à marionnettes, car il n’est même pas digne des feux de l’Enfer.

La création

Cette pièce posthume a été éditée en 1921. L’éditeur Fasquelle  précise en avant-propos : « Les deux parties de cette pièce étaient entièrement écrites avant la guerre. Le prologue, reconstitué sur des brouillons fragmentaires très raturés, ne peut être considéré que comme une ébauche. On a dû pour l’intelligence du drame, compléter les indications de scène du texte original. Celles de ces indications qui ne sont pas de la main de l’auteur ont été mises entre deux crochets. »
La création de cette pièce a eu lieu en mars 1922 au Théâtre de la Porte Saint-Martin.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6538653x/f41.item
Extrait de Vogue du 01 avril 1922. Source : BnF/Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6538653x/f40.item
Extrait de Vogue du 01 avril 1922. Source : BnF/Gallica


Tout le Théâtre d’Edmond Rostand sur Libre Théâtre
Biographie d’Edmond Rostand sur Libre Théâtre

La Princesse lointaine d’Edmond Rostand

Drame en quatre actes et en vers représenté pour la première fois à Paris le 5 avril 1895 sur le théâtre de la Renaissance.
Distribution : 21 hommes, 2 femmes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Joffroy Rudel,  un troubadour aquitain, a tant chanté la beauté légendaire de la princesse de Tripoli, Mélissinde, qu’il en est tombé amoureux. Sentant sa dernière heure venir, il veut enfin la rencontrer et organise une expédition, accompagné de son fidèle ami Bertrand d’Allamanon, troubadour de Provence. Le navire arrive près de Tripoli mais Joffroy est trop faible pour aller à la rencontre de Mélissinde. Il charge Bertrand de la convaincre de venir à son chevet. Bertrand réussit à pénétrer dans le palais. Mélissinde en le voyant est persuadée qu’il est Joffroy Rudel, dont elle connaît les poèmes et la chanson de la Princesse lointaine. Elle en tombe follement amoureuse. Bertrand, également sous le charme, lui transmet le message de Joffroy Rudel mais Mélissinde refuse d’aller le voir et persuade Bertrand de rester avec elle. Le remords peu à peu les ronge et ils décident de se rendre auprès du mourant. Mélissinde se rend compte que c’est Joffroy Rudel qu’elle aime.

Edmond Rostand s’inspire de la vida de Jaufre Rudel. De la famille des princes de Blaye (Gironde), il tomba amoureux de la comtesse de Tripoli sans l’avoir jamais vue et lui a consacré de nombreux vers. Pour la connaître il fit le voyage d’Orient mais tomba malade (voir la notice sur le site du Centre Interrégional de Développement de l’Occitan). Avant Rostand, Pétrarque a également évoqué cette figure (Trionfi III) de Giaufrè Rudel, ch’usò la vela e’l remo a cercar la sua morte (Jaufré Rudel, avec la voile et la rame à la recherche de sa mort).

La création

Le succès des Romanesques à la Comédie-Française permet à Edmond Rostand de rencontrer Sarah Bernhardt, alors en pleine gloire et à la recherche de nouveaux talents et d’argent pour son théâtre. Elle  lui commande le rôle de Mélissinde. Mucha, ami et sous contrat d’exclusivité avec Sarah Bernhardt, co-produisit la pièce et réalisa des dessins des costumes, bijoux, décors, programme du spectacle… La pièce est créée le 5 avril 1895 dans le Théâtre Sarah Bernhardt (Théâtre de la Renaissance). Elle connaît un grand succès mais se solde par un désastre financier pour l’actrice.

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Scène de la Princesse lointaine dans le Théâtre Illustré, avril 1895. Source : BnF/Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387261/f6.item
Sarah Bernhardt dans la Princesse lointaine. Source : BnF/Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387261/f57.item
Sarah Bernhardt dans le rôle de Mélissinde. Etude pour le panneau décoratif du foyer du théâtre Sarah Bernhardt à Paris par Mucha.Source : Bnf/Gallica


Pour en savoir plus

Bourgeois Jean, « Une trilogie d’Edmond Rostand : La Princesse lointaine, La Samaritaine, Cyrano de Bergerac », L’information littéraire, 2008/2 (Vol. 60), p. 27-38. URL : http://www.cairn.info/revue-l-information-litteraire-2008-2-page-27.htm

La critique impitoyable de GB Shaw La Princesse lointaine d’Edmond Rostand, au Daly’s Théâtre, le 17 juin 1895 (22 juin 1895) dans BRENNAN, Paul (dir.) ; DUBOST, Thierry (dir.). G. B. Shaw : un dramaturge engagé.Nouvelle édition [en ligne]. Caen : Presses universitaires de Caen, 1998 (généré le 01 mai 2017). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/puc/986

La critique de Jules Lemaitre dans Impressions de théâtre, 9ème série sur le site de l’OBVIL.

Tout le Théâtre d’Edmond Rostand sur Libre Théâtre
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