3 personnages

La Paix du ménage ou Duel au canif de Guy de Maupassant

Comédie en deux actes, écrite en 1880, représenté pour la première fois à Paris à la Comédie-Française, le 6 mars 1893.
Distribution : 2 hommes, 1 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Le comte Jean de Sallus est un homme infidèle, qui délaisse son épouse et multiplie les aventures avec de jeunes comédiennes. Sa femme, Madeleine, après s’être révoltée, a fini par prendre un amant, Jacques de Randol, qui est follement amoureux d’elle. Mais Sallus modifie brusquement son comportement et décide de reconquérir Madeleine. Celle-ci ne se laisse pas avoir…
Une courte pièce qui offre un beau rôle de femme déterminée.

Autour de la pièce

Le titre

Dans une lettre adressée à sa mère en 1880, Guy de Maupassant écrivait : « Je viens de retoucher, même de refaire toute ma petite pièce en un acte, autrefois en deux actes, sous le titre : La Paix du Foyer. Je la crois maintenant parfaite et je ne doute pas du succès quand je trouverai une occasion très favorable de la faire jouer. J’ai pris comme titre une réplique de la femme, le voici : Un duel au canif. C’est en effet un duel au canif entre elle et son mari. C’est en parlant de lui seul qu’elle emploie ce mot, bien entendu ; mais le public l’applique aux deux… » (note : la référence du duel au canif a disparu dans le texte final.

La nouvelle Au bord du lit

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7519808r

Le 23 octobre 1883, la revue Gil Blas publie en première page une nouvelle intitulée « Au bord du lit » , signée « Maufrigneuse » (pseudonyme de Maupassant). Elle reprend la situation et met en scène uniquement le Comte de Sallure et sa femme. On y retrouve l’argument de la pièce et quelques expressions « vous êtes à jeun ». La nouvelle se conclut quand le comte jette à sa femme son portefeuille contenant 6000 francs et que sa femme les accepte. (lien vers la revue sur Gallica)

La création à la Comédie-Française

Source : Le Temps 6 mars 1893. Sur Gallica

La « Paix du ménage »
Demain, le Théâtre-Français donnera la première représentation d’une comédie en deux actes de M. Guy de Maupassant. L’éminent écrivain, toujours en proie à la terrible maladie qui l’a frappé, n’aura point la douce consolation d’entendre les applaudissements qui seront prodigués à son oeuvre; même, s’il les entendait, il ne les comprendrait point. Il était assez difficile, en une- aussi pénible circonstance, de savoir exactement comment le fécond romancier avait été amené à écrire la pièce de théâtre dont il s’agit. D’après les renseignements, puisés à bonne, source, que nous avons recueillis, il nous semble que les détails qu’on a fournis jusqu’ici à ce sujet sont un peu incomplets : qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. La vérité serait plutôt ce qui suit: M. Guy de Maupassant, lorsqu’il écrivit la Paix du foyer (c’était alors le titre de la comédie), songea tout d’abord, pour le rôle de la femme,  à Mlle Réjane. L’excellente comédienne était alors au théâtre du Vaudeville, où elle se morfondait un peu. L’écrivain donna sa pièce au directeur, Raymond Deslandes. Celui-ci l’accepta avec plaisir. Mais d’autres comédies plus importantes étaient en répétition. La Paix du foyer attendit, et, sur ces entrefaites,  Mlle Réjane quitta le Vaudeville
La pièce partit aussi, l’auteur tenant essentiellement à son interprète, et attendit de nouveau l’occasion nécessaire. Pourquoi ne la jouerait-on pas dans un cercle, dans un salon ? dit M. de Maupassant.
Entendu, répondit Mlle Réjane. Mais mon directeur, M. Porel, ne veut me donner l’autorisation de jouer votre comédie que si, ensuite, on la représente sur son théâtre, à l’Odéon.
M. de Maupassant fit la moue L’Odéon, répliqua-t-il, c’est bien loin. Et on ne reparla plus de la Paix du foyer.
Les années se passèrent, Des amis de l’écrivain causèrent de la pièce, au Théâtre-Français. Mais M. de Maupassant, qui est – nous allions dire qui était très entier, très autoritaire, posa en quelque sorte ses conditions : « Aux Français, je veux, je veux Mlle Bartet. Et puis j’entends ne point passer devant la commission d’examen. Si je lis ma pièce au comité, c’est qu’elle sera reçue d’avance. » On négocia longtemps sur toutes ces questions sans arriver à s’entendre.
Survint la maladie de l’écrivain et la catastrophe finale. Les amis de M. de Maupassant songèrent de nouveau à la Paix du foyer. (Le titre, depuis, a été changé : on sait que M. Auguste Germain a fait représenter aux matinées du Vaudeville une jolie pièce du même nom.) Et ils portèrent le manuscrit à M. Alexandre Dumas, en lui demandant, s’il le jugeait convenable, d’intercéder en sa faveur auprès de M. Jules Claretie.
M. Alexandre Dumas lut la pièce, et il écrivit à l’ami fidèle de l’écrivain qui la lui avait apportée le billet suivant : 

« Cher monsieur,
Je viens de lire la Paix du foyer. C’est excellent. Le succès est sûr et sera productif. J’écris dans ce sens à Claretie. Je lirai au comité et je ferai toutes les répétitions nécessaires, très heureux de prouver à Maupassant, bien qu’il ne doive jamais le savoir, la grande estime et la grande affection que j’avais pour lui. » ALEXANDRE DUMAS

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53144749f
Julia Bartel à la Comédie-Française dans le Bourgeois gentilhomme [photographie de l’Atelier Nadar]. Source : BnF/Gallica

Le Théâtre-Français se décida. Et la pièce entra bientôt en répétition. Demain, tous les admirateurs et amis de l’auteur tiendront à venir l’applaudir. (…) Mme de Maupassant mère a eu une bien touchante pensée. Il est de mise que l’auteur d’une œuvre nouvelle envoie aux artistes femmes qui y interprètent des rôles des corbeilles de fleurs. Voici comment Mme de Maupassant enverra les fleurs que doit recevoir Mlle Bartet. Elle a écrit à M. Paul Ollendorff: « Je voudrais que vous me fassiez connaître immédiatement, c’est-à-dire aussitôt que la chose paraîtra irrévocable, la date de la première représentation, afin que les fleurs que je destine à Mlle Bartet puissent arriver pour ce jour-là. Je veux que ces fleurs soient coupées tout exprès au dernier moment, afin d’arriver dans toute leur fraîcheur. »
Cette dernière phrase, sûrement, fera autant de joie à Mlle Bartet que tous les applaudissements qu’elle recueillera demain. AD. ADERER.

Un garçon de dix-huit ans de Tristan Bernard

Saynète jouée en mars 1914 au Théâtre Sarah-Bernhardt lors d’une matinée de bienfaisance.
Le personnage d’Eugénie était interprété par Sarah Bernhardt et le personnage de Prosper par Tristan Bernard. Albert était joué par Félix Grouillet. Retraitement par Libre Théâtre du recueil Théâtre sans directeur (Editions Albin Michel, 1930). Source BnF/Gallica
Distribution : 2 hommes, 1 femme
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre


Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre


L’argument

Un père et une mère attendent angoissés dans la nuit  le retour de leur fils de 18 ans. Il ne rentre que fort tard au moment où ses parents redoutent le pire…

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5360804/f3.item
Le Gaulois : littéraire et politique du 26/02/1914. Source : BnF/gallica

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53104110n.item
Tristan Bernard et Sarah Bernhardt / dessin de Yves Marevéry. Source : BnF/Gallica

Sur la lisière d’un bois de Victor Hugo

Comédie en une scène et en vers.
Datée du16 juin 1873, créee en mai 1889, première à la Comédie-Française le 22 mai 1895.
Publiée dans le recueil Théâtre en liberté en 1886.
Distribution : 2 hommes, 1 femme
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Léo et Léa conversent amoureusement à la lisière d’un bois. Léo exprime son amour, par une verve poétique débridée, insistant sur l’aspect platonique de leur relation. Léa répond laconiquement « Je t’aime ». Un satyre ponctue d’apartés cyniques leur discours amoureux. Lorsque Léo entraîne Léa dans le bois, il conclut :  « Fin de l’idylle : un mioche. »

http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/victor-hugo_fracta-juventus_lavis_fusain_aquarelle_crayon-graphite_encre-brune_gouache_plume-dessin_1864?force-download=63251
Fracta Juventus par Victor Hugo. Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz. 1864. Source : RMN

Pour en savoir plus, sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

La Femme qui perd ses jarretières d’Eugène Labiche

Comédie en un acte d’Eugène Labiche et Marc-Michel, représentée pour la première fois  à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal le 8 février 1851.
Distribution : 2 hommes, 1 femme
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Laverdure est un ancien domestique devenu rentier grâce au testament de son ancien maître. Il vient d’engager Gaspard,  qui arrive tout droit son Morvan natal. Laverdure veut le « styler » et se consacrer à Fidéline, chemisière de son état, dont il est tombé éperdument amoureux…

Un extrait

LaverdureIl est en habit de livrée, une brosse au pied et un balai à la main.

Quelqu’un qui me verrait ainsi, en habit de livrée, en train de frotter… dirait bien certainement : Voilà un domestique qui fait l’appartement de son maître… Eh bien! cette dame se tromperait… Cet appartement est le mien, ce mobilier est à moi, ce balai est ma propriété… Je ne suis pas domestique… je n’ai pas de maître… Je vis de mes rentes! J’ai servi dix ans… pas comme militaire… comme valet de chambre… un Anglais puissamment riche, mais qui avait des maux d’estomac ! (Montrant le portrait.) Le voilà, mon bienfaiteur ! les médecins de son pays lui conseillèrent de boire du rhum… il en but… Touché par la compassion, je lui proposai la racine de guimauve… il me répondit : Taisez-toi, vô!… C’était son mot… et il continua à boire du rhum. Alors, au bout de six mois, le pauvre cher homme…. (S’attendrissant.) il avait pensé à faire un testament par lequel il me laissait mille livres sterling de revenu… Vingt-cinq mille livres de rentes… à moi !… Je n’ai pas été ingrat!… généreux ami!… je lui ai fait faire un beau cadre !—Soixante francs!… et je 1’époussette religieusement soir et matin… (Il époussette le portrait, puis redescend.) Mais épousseter un bienfaiteur encadré, ce n’est pas une occupation! … quand j’ai ciré mes bottes et fait mon ménage, quand je quitte mon habit de livrée où je suis si à l’aise, pour endosser mon habit de monsieur, de rentier qui me gêne aux entournures… je ne sais plus que faire… je suis désœuvré… je m’ennuie!… Ne pouvant plus être domestique… j’ai songé à en prendre un… qu’on doit m’expédier au premier jour… j’ai demandé la plus grosse bête du Morvan… mon pays, qui en fournit beaucoup… je m’amuserai à le styler… et quand je l’aurai bien dressé… je le flanquerai à la porte… pour prendre une autre grosse bête… et ainsi de suite… si toutefois, l’amour m’en laisse les loisirs… car (je palpite à cette seule idée!...) je suis sur la limite d’une aventure… O Fidéline!… elle est chemisière!… Profession pudique et morale!… C’était lundi dernier, passage Choiseul… j’y flânais… en rentier… Tout à coup, deux yeux noirs m’arrêtent net devant un magasin… j’entre témérairement. — Que demande Monsieur ? — Des jarretières, dis-je à tout hasard. — Comment les voulez-vous ? — Comme les vôtres ! Ce madrigal la fit sourire…— elle m’avoua qu’elle était orpheline… et je lui commandai, incontinent, douze douzaines de paires de chemises… moyen adroit de l’attirer dans mon antre!… Elle devait venir me prendre mesure hier. Je m’étais nanti d’un bonnet coquet dont je comptais lui faire hommage ! Mais personne ! — Fidéline est à Avallon, pour affaire… elle revient aujourd’hui… Si, à midi, elle ne paraît pas… ma malle est faite; je ne peux pas vivre sans chemises, crac! je vais me faire prendre mesure à Avallon!… avec mon bonnet… coquet! (On entend un bruit au-dehors.) Ah! mon Dieu!… — Quelqu’un qui dégringole !… si c’était elle !… l’escalier est ciré de ce matin!… Vite, un flacon!… des sels !

(Il prend un flacon sur la cheminée et court pour sortir. La porte s’entrouvre, la tête de Gaspard paraît.)

L’Amour de l’art d’Eugène Labiche

Comédie en un acte d’Eugène Labiche, publiée en 1877 aux éditions Paul Ollendorff, pas de date, ni de lieu concernant le premier montage.
Distribution : 1 homme, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Antoine, le nouveau domestique de la Comtesse est bien savant… La Comtesse est intriguée: elle redoute qu’il soit un voleur, un amoureux éperdu… mais c’est en réalité un artiste à la recherche du modèle de Judith

Un extrait

Antoine, seul, le bâton à frotter à la main.

Frotter! frotter! mais sapristi! ce n’est pas mon état… je suis artiste, je suis peintre. (Se présentant.) Eusèbe Boucaruc… lauréat du collège Stanislas… premier prix d’histoire et de chronologie… On ne me colle pas sur les dates! Comme peintre, je suis connu… je ne vends pas encore… mais je suis connu… de tous mes amis. L’année dernière j’ai exposé au Salon… des invalides une Hérodiade, une tête de saint Jean sur un plat… elle a beaucoup plu… Cette année, j’ai entrepris une grande toile… un sujet historique… qui n’a pas été traité depuis longtemps… — Judith et Holopherne!… J’ai choisi le moment où Judith tient à la main la tête d’Holopherne… c’est un pendant à ma tête de saint Jean… Moi, je suis pour les morceaux détachés… Le difficile était de me procurer une Judith… où rencontrer cette tête inspirée, ce profil biblique, cette énergie dans la grâce et dans la pudeur ?… J’ai vainement parcouru tous les bals publics… rien !… rien !… des cocottes ! J’allais renoncer à mon œuvre… lorsqu’il y a trois jours, chez Bourbonneux, un pâtissier, je me trouve en face d’une apparition… qui mangeait un petit pâté chaud, aux crevettes. Ciel! m’écriai-je… tout bas, c’est elle! mon idéal! ma Judith! Je la suis, j’apprends qu’elle est veuve, comtesse et qu’elle cherche un valet de chambre. Crac! une inspiration me tombe dans le cerveau… J’achète son certificat à un nommé Antoine Petit-Gras… un vilain nom!… j’endosse une livrée, je me présente comme domestique et l’on m’arrête, et depuis hier je fends du bois, et maintenant je me dispose à frotter… Oh! l’amour de l’art! Mais je la vois, je l’étudie, je me la mets dans l’œil. (Tirant un album de sa poche.) J’ai déjà commencé une petite ébauche… quand elle me tourne le dos, je la croque… ce n’est même pas très commode pour saisir la ressemblance… La comtesse a un défaut, elle est trop gracieuse, elle sourit toujours, c’est une affabilité perpétuelle… Moi, ça ne me va pas… que diable! Quand Judith a procédé à son opération, elle a dû avoir un petit mouvement de sévérité! Ce n’est rien, ce que je demande… c’est un pli, un froncement de sourcil, un trait!… mais il me le faut!… Oh! je l’aurai! Je ferai mettre la comtesse en colère… elle a un perroquet… Si je lui apprenais des inconvenances?

Un jeune homme pressé d’Eugène Labiche

Vaudeville en un acte, représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Montansier (Palais-Royal), le 4 mars 1848.
Distribution : 3 hommes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Il est deux heures du matin… Dardard fait irruption chez Pontbichet, un marchand de gants, pour lui demander la main de sa fille, qu’il a aperçue le soir même au spectacle. Mais la jeune fille est déjà promise à Colardeau.  Dardard essaie de convaincre Pontbichet en lui achetant quarante mille paires de gants…. lorsqu’ il se rend compte que ce n’est pas de la fille de Pontbichet dont il est amoureux mais de la  soeur de Colardeau.

L’extrait

Pontbichet.
Ah çà ! monsieur, vous faites de l’esprit… moi, j’ai envie de dormir.
Dardard.
Recouchez-vous.
Pontbichet.
Quand vous serez parti.
Dardard.
Moi ! partir sans l’avoir vue, sans avoir revu Cornélie ?…
Pontbichet.
C’est ça, je vais la faire habiller pour vous.
Dardard.
Ah ! je ne demande pas ça !
Pontbichet.
C’est heureux.
Dardard.
Qu’elle vienne comme elle est… ce n’est pas sa robe que j’aime… ce n’est pas sa robe que j’épouse…
Pontbichet.
Mais, monsieur…
Dardard.
Ah ! vous ne me connaissez pas ; je suis de Bordeaux, monsieur !… j’ai la tête chaude !…
Pontbichet.
Qu’est-ce que ça me fait ?
Dardard.
Et, à Bordeaux, quand on aime, quand on distingue une jeune fille au spectacle, on ne s’informe ni de son rang, ni de son nom, ni de son sexe…
Pontbichet.
Mais, monsieur…
Dardard, s’animant.
On la suit. Si elle monte dans un fiacre, on galope, on traverse les ponts, on rejoint le sapin, on grimpe derrière…
Pontbichet.
Mais, monsieur…
Dardard, de même.
On reçoit un coup de fouet, v’lan ! ça ne fait rien… on tombe, on se relève, on arrive chez le père…
Pontbichet.
Mais, monsieur…
Dardard, continuant.
Un gros qui dort ; on lui dit : « Réveillez-vous, habillez-vous, mariez-nous !  »
Pontbichet.
Est-ce que vous êtes tous comme ça à Bordeaux ?
Dardard.
Tous !
Pontbichet.
Eh bien, à Paris, c’est différent ; quand on nous réveille… nous prenons un bâton, bien rond, que nous cassons, sans façon, sur le Gascon.
Dardard.
Tiens, nous jouons au corbillon ! qu’y met-on ?
Pontbichet.
Terminons…
Dardard.
Ah !… le mot est bon.
Pontbichet.
Vous désirez voir ma fille ?
Dardard.
Oui.
Pontbichet.
Eh bien, vous ne la verrez pas…
Dardard.
Très bien !
Pontbichet.
Vous demandez à l’épouser ?
Dardard.
Oui.
Pontbichet.
Eh bien, vous ne l’épouserez pas.
Dardard.
Très bien !
Pontbichet.
Maintenant, mon petit ami, je vais vous mettre à la porte.
Dardard.
Non.
Pontbichet.
Savez-vous que je suis plus gros que vous… et par conséquent plus…
Dardard.
Gras ?
Pontbichet.
Non, plus fort.
Dardard.
En entrant, j’ai fermé votre porte à double tour, et j’ai mis la clef dans ma poche… la voici !
Pontbichet.
Eh bien ?
Dardard.
Pour rester, il ne tiendrait qu’à moi de la lancer par la fenêtre !
Pontbichet.
Oui, mais je vous ferais prendre le même chemin.
Dardard.
Non.
Pontbichet.
Pourquoi ?
Dardard.
Parce que, casser un Gascon, c’est très cher, c’est un grand luxe !… Ça se paye double.
Pontbichet, à part.
Il a raison.
Dardard.
Tenez, je suis bon diable, je sors de bonne volonté !… mais pour revenir… Dites donc, je vais toujours acheter la corbeille !
Pontbichet.
La corbeille ?
Dardard.
Oh ! soyez donc tranquille ! je ferai bien les choses.
Pontbichet.
C’est trop fort !…
Dardard.
Au revoir… beau-père !

Interview d’Octave Mirbeau

Farce en un acte, créée le 1er février 1904 sur la scène du Grand-Guignol et publiée la même année dans les Farces et moralités.

Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Un journaliste vient interviewer un marchand de vin : une charge contre l’alcoolisme, avec un premier dialogue mettant en scène le marchand de vin et une mère de famille pauvre et alcoolique, contre la presse à scandale et contre les théories absurdes de Cesare Lombroso sur le « criminel né ».
Pour en savoir plus : la préface de Pierre Michel

Un extrait

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53097434z/f97
Illustration d’Henri Mirande : « les piliers de café ». Source : BnF/ Gallica

L’Interviewer
Taisez-vous… ne mentez pas. (Il déclame.) Oh ! ne mentez jamais… le mensonge est impie… Et il ne sert à rien avec la Presse… Je vais encore essayer… bien que vous n’ayez pas de traité de publicité avec le Mouvement… Voyons ?… (Il lui tape amicalement sur l’épaule.) Voyons… mon cher Chapuzot… mon vieux Chapuzot… (Très doucement.) Quel est le mobile de cet acte de brutalité sauvage ?… Car enfin, vous avez l’air d’un brave homme, que diable !… Est-ce une vengeance vulgaire ?… Une explosion soudaine de colère irréfléchie ?… Une suggestion ?… Une congestion ?… (Un temps.) Oui ?… (Chapuzot exprime le plus complet abrutissement.) Continuons… par la douceur. (Il lui caresse l’épaule.) Sommes-nous en présence d’un cas passionnel… ou purement physiologique… ou simplement atavique ?…


Pour aller plus loin :

Tout le théâtre d’Octave Mirbeau
Biographie d’Octave Mirbeau
Le site mirbeau.asso.fr consacré à Mirbeau

Publication aux Editions La Comédiathèque

Recueil de six pièces en un acte jouées pour la première fois entre 1898 et 1904 : L’Épidémie, Vieux Ménage, Le Portefeuille, Les Amants, Scrupules, Interview.

Utilisant la parodie, la satire ou la farce, Octave Mirbeau propose une critique féroce de la société bourgeoise de son époque, qui trouve d’étranges résonances avec le monde d’aujourd’hui. La modernité de l’écriture et des thèmes abordés préfigure à la fois le théâtre de Brecht et celui de Ionesco, tout en développant un humour très corrosif.

Pour 2 à 10 comédiens ou comédiennes.

ISBN 978-237705-103-8
Août 2017 – 122 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 14,00€

Vieux ménage d’Octave Mirbeau

Comédie en un acte, créée au Théâtre d’Application le 20 décembre 1894. La pièce a été publiée chez Fasquelle en 1901, dans un petit volume de 35 pages, puis en 1904 dans le recueil Farces et moralités.
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Un vieux couple se déchire dans un face à face haineux. Les personnages sont ainsi décrits par Mirbeau :
Le Mari, soixante-cinq ans, grand, maigre. Figure sèche et sanguine dans des favoris grisonnants et durs. La tenue et l’allure d’un ancien magistrat.
La Femme, soixante ans. Infirme, presque paralysée, énorme, les cheveux tout blancs. Visage bouffi de graisse maladive
La Femme de chambre, jeune, jolie, effrontée.

Autour de la pièce

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53091592v
Mlle Régnault (femme de Mirbeau) : photographie, tirage de démonstration. Atelier Nadar 1910. Source : BnF/Gallica

Dans un article consacré aux Farces et moralités, Pierre Michel souligne : « si monstrueux que puissent, à froid, nous apparaître les deux personnages – au point que le doux et timide Elémir Bourges, après la lecture de la pièce, écrit avec jubilation : « ce n’est qu’au vitriol qu’on peut débarbouiller les salauds » – ils n’en sont pas moins des êtres de chair et de sang que l’auteur a nourri de son expérience de l’enfer conjugal, et dans lesquels le spectateur peut retrouver des traits de sa propre existence. A défaut d’une improbable identification, l’émotion n’est pas exclue ».  Lien vers l’article complet en libre accès sur Scribd.

On lira également avec intérêt, dans le Dictionnaire Octave Mirbeau, l’article concernant Alice Regnault qu’Octave Mirbeau a épousé en secret en 1887 et qui l’a trahi au lendemain de sa mort en faisant paraître un faux Testament politique d’Octave Mirbeau


Quelques  extraits

Le Mari
Ma chère, tu avoueras que je suis patient… que je fais tout ce que je peux, que je fais l’impossible même, pour te bien soigner, pour respecter tes manies… tes lubies… J’impose à mes habitudes, à mes goûts, à mes besoins, à toute ma manière de vivre, des sacrifices quotidiens… des sacrifices énormes…

La Femme
Ah !

Le Mari
Énormes, oui… et je le répète, quotidiens… Tu le reconnais toi-même, quand tu es raisonnable… Mais enfin, il y a une limite à tout… Et, véritablement, tu abuses de mon dévouement et de ta position…

La Femme
André… reviens… Je ne t’ai pas vu de toute la journée… Je n’ai vu personne, de toute la journée… Toute la journée, j’ai été seule, seule, comme une pauvre chienne… André !…

Le Mari
Est-ce de ma faute ?… Tu ne tiens compte de rien, ni de mes tristesses… ni de ma vie gâchée, de mon intérieur détruit, de mes amitiés perdues… Toutes les bonnes volontés autour de toi, tu les décourages et tu te les aliènes… Et tu te plains !… Ça n’est pas juste… Je ne te reproche rien… mais enfin, il faut que je te le dise… tu exagères tes souffrances, et tu les rends insupportables… aux autres…

********************

Le Mari
En voilà assez… Je ne veux pas recevoir ici, chez moi, dans ma maison, une femme sans mari, dont la position sociale est au moins équivoque… une intrigante… une déclassée, enfin… et peut-être une prostituée… Est-ce clair ?…

La Femme
André !…

Le Mari
Comme ancien magistrat… comme catholique… comme conseiller général de l’opposition, j’ai des principes avec lesquels je ne veux pas… je ne peux pas transiger… Et je m’étonne que tu les méconnaisses à ce point… Mais c’est incroyable… Je tombe des nues… Il faut que tu sois devenue folle…

La Femme
Tu es bien sévère, aujourd’hui… Et je ne sens aucune sincérité dans ton indignation… Voyons, André… ne joue donc pas ce jeu avec moi… Elle te plaît… tu en as envie… (Le mari proteste par gestes.) Tes désirs ?… Ah ! je les connais, va ! Et je les vois… je les ai vus, tout à l’heure, à tes yeux, à tes lèvres ; je les ai entendus dans le son de ta voix… Tu as beau faire l’indifférent… ou le dégoûté… ou le moraliste rigide… rien ne m’échappe de tes sentiments cachés… Je sais quand tu es en amour…

*********************

La Femme
Reste… Puisque nous sommes dans la honte, il faut que tu en entendes plus encore… Et ne te fâche pas… c’est tout à fait inutile… Je ne te demande pas l’impossible, mon Dieu !… Je sais bien que je ne suis plus une femme, que je ne puis plus être une femme pour toi… Je ne suis pas jalouse, non plus… Comment le serais-je ?… Avec ta nature de vieux passionné, j’admets… j’accepte que tu cherches, en dehors de mon lit, des plaisirs que je ne peux plus te donner… Tu vois que je suis raisonnable… que je fais la part de tout… de mes déchéances… et de tes besoins… Mais, prends garde… Tu as des ennemis, d’autant plus redoutables qu’ils masquent leur haine d’un respect hypocrite et d’une fausse soumission. On te craint, soit… Mais on te déteste plus qu’on te craint… On te déteste parce que tu es dur au monde, despotique et tracassier, implacable dans ce que tu appelles tes droits de propriétaire… Et le jour où l’on ne te craindra plus ?… Et s’il t’arrivait… demain… un malheur ?… Y as-tu songé ?… L’on jase, déjà, autour de nous…


Pour aller plus loin :

Tout le théâtre d’Octave Mirbeau
Biographie d’Octave Mirbeau
Le site mirbeau.asso.fr consacré à Mirbeau


Publication aux Editions La Comédiathèque

Recueil de six pièces en un acte jouées pour la première fois entre 1898 et 1904 : L’Épidémie, Vieux Ménage, Le Portefeuille, Les Amants, Scrupules, Interview.

Utilisant la parodie, la satire ou la farce, Octave Mirbeau propose une critique féroce de la société bourgeoise de son époque, qui trouve d’étranges résonances avec le monde d’aujourd’hui. La modernité de l’écriture et des thèmes abordés préfigure à la fois le théâtre de Brecht et celui de Ionesco, tout en développant un humour très corrosif.

Pour 2 à 10 comédiens ou comédiennes.

ISBN 978-237705-103-8
Août 2017 – 122 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 14,00€

Grandeur d’âme de Georges Courteline

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11580090
Ombres parisiennes. Edition Flammarion 1894. Source : : BnF/ Gallica

Extrait des Ombres parisiennes.
Distribution : 3 hommes (et figurants)
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Une partie de cette saynète est reprise dans Le Prix d’une Gifle. Petin et Bougnasse se trouvent devant le tribunal.
Une autre scène de duel chez Courteline : Le principal témoin

Le Texte

Sur le terrain

Le Médecin.
A cette heure vraiment solennelle, comment vous trouvez-vous, monsieur de la Mouillette ? Pas de fièvre (Il lui tâte le pouls.) Eh là ! Que de fièvre, au contraire ! Plus de cent pulsations à la minute. Mauvais, cela ! Très mauvais ! Excessivement mauvais.

La Mouillette, s’efforçant de sourire.
Que voulez-vous, docteur ! L’émotion inséparable d’un premier début.

Le Médecin.
L’émotion inséparable… l’émotion inséparable… Avec tout ça, vous êtes hors d’état de tirer juste. (Lui serrant la main.) Vous êtes un homme fichu, monsieur de la Mouillette.

La Mouillette.
Vous êtes gai, avec vos pronostics.

Le Médecin.
Il ne faut pas vous fâcher pour ça, je vous le dis comme je le pense. Que diable, aussi, quand on est taffeur à ce point, on ne cherche pas des affaires aux gens.

La Mouillette.
Qu’est-ce que vous me chantez là, docteur ! Je n’ai cherché d’affaires à personne. C’est Truffe qui m’a provoqué. Tenez, pendant que les témoins comptent les pas et chargent les armes, je vais vous raconter comment c’est arrivé. Truffe, que j’avais connu au quartier Latin, était resté mon ami. Je l’avais eu pour garçon d’honneur à ma noce et depuis ce temps il venait dîner à jour fixe, le jeudi. Oh !On ne se foulait pas pour lui, on le traitait en camarade. Une bolée d’eau dans le bouillon, une pincée de sel, ça faisait le compte. Très bien ; un beau matin, voilà ma rosse de femme qui se tire des pieds avec lui. Je me dis : « Toi, mon vieux Truffe, si jamais tu me tombes sous la main, tu verras de quel bois je me chauffe ! » Et en effet, six mois plus tard, – c’était, ça, avant-hier soir – je me trouve nez à nez avec Truffe au coin du faubourg Montmartre. A sa vue, la colère me prend, un voile de sang me monte aux yeux, tout le diable et son train. Je m’avance, les poings clos, sur Truffe, et je lui dis :

– Tu es encore un joli coco. Quand on prend la femme d’un ami, on pourrait au moins la lui rendre. Si je te demandais « Donne-moi une cigarette » et que je file en mettant le paquet dans ma poche, qu’est-ce que tu dirais ? Hé bien ? C’est la même chose.

Truffe me répondit :

– Si tu veux, nous allons aller au café. Nous causerons de ça en nous rafraîchissant. Utile dulci.

J’acceptai.

Nous entrâmes dans une brasserie et Truffe se soûla comme un porc. A son onzième verre de cognac, il commença à devenir insolent, je ne sais pas à propos de quoi, et à me reprocher les défauts de ma femme, disant que les femmes étaient ce que les hommes les faisaient, que si j’avais roué de coups la mienne, elle ne s’en serait pas plus mal trouvée, au contraire, et dès lors, il n’aurait pas, lui, Truffe, le désagrément de vivre avec un chameau. Et, tout à coup, voilà qu’il me lance un soufflet.

Un soufflet !… je bondis sous l’insulte. Une carafe se trouvait à portée de ma main, je la saisis, instinctivement et debout, farouche, pâle de rage, je criai d’une voix formidable :

– Garçon !… Un bock !

Je pensais que les choses allaient en rester là. Car enfin quoi ? S’il fallait se couper la gorge avec les gens pour une méchante calotte, qu’est-ce qu’on ferait s’ils vous avaient traité de mufle ? Mais ouitche, j’avais compté sans ces imbéciles qui se mêlent de tout et s’occupent de choses qui ne les regardent pas. On me représenta que je devais me battre. Je niai qu’il en fût ainsi. Alors on me traita de tous les noms ; je dus céder pour avoir la paix, et à cette heure, me voici sur le terrain.

Le Médecin, hochant la tête.
J’ai bien peur que vous n’en reveniez pas. Enfin ! … Mais voici que les témoins s’apprêtent à donner le signal du combat. Bonne chance, monsieur de la Mouillette.

(dernières formalités. Les deux adversaires sont placés à égale distance l’un de l’autre, comme disait élégamment l’excellent Hippolyte Nazet.)

Le premier témoin.
Rien ne va plus ? (Se reprenant.) Pardon !… Vous êtes prêts, messieurs ? Un ! Deux !  Trois ! Feu !
(A la gueule du pistolet de Truffe un petit bouquet de fumée blanche est apparu.)

La Mouillette, triomphant.
Il ne m’a pas touché ! Il ne m’a pas touché ! (A part.) La Mouillette tu ne vas pas tuer un vieux camarade sans défense et qui, en somme, ne t’a rien fait. Un peu d’indulgence ! Montre une belle âme ! Epate ton lâche adversaire par ta magnanimité.
D’une voix solennelle.
Truffe! La rancune étant incompatible avec les grands caractères, je te pardonne. Tu m’as outragé : voilà comment je me venge.

(Il tire par-dessus son épaule et tue le médecin placé derrière lui.)

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Le Bout de l’an de Georges Courteline

Extrait des Ombres parisiennes.
Distribution : 3 hommes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Le Texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6927788b
Eglise de la Trinité. Photographie Agence Rol. 1912. Source : Bnf/Gallica

L’huissier-audiencierappelant.
Le ministère public contre Le Gasteux de la Roche Tarpéienne !

Le Gasteux de la Roche Tarpéienneà part.
Que dira la marquise douairière ?…
(Il se lève et, entre les deux municipaux assis à ses côtés sur le banc de la correctionnelle, il apparaît costumé en sauvage.)

Le Président.
Le Gasteux, vous êtes prévenus d’avoir causé du scandale dans un lieu affecté au culte. Jeudi dernier, le jour de la Mi-Carême, vous avez pénétré au moment des Vêpres dans l’église de la Trinité, grotesquement affublé du déguisement que vous portez encore et avec lequel vous avez été été arrêté – un costume de roi nègre, je pense.

Le Gasteux de la Roche Tarpéiennetrès simple.
Behauzin.

Le Président.
Cela est possible. Vous n’en avez pas moins pénétré dans l’église, au grand émoi des fidèles assemblés ; puis, comme le suisse voulait vous faire sortir, arguant avec raison de l’inconvenance de votre tenue, vous l’avez abreuvé d’injures, le traitant de croquant et de bélître, disant que vous lui feriez bâiller les étrivières, etc. etc.

Le Gasteux de la Roche Tarpéienne.
Je voulais faire dire une messe de bout de l’an à l’intention de feu mon oncle.

Le Président.
Vous auriez pu attendre au lendemain.

Le Gasteux de la Roche Tarpéienne.
Impossible. C’eût été trop tard. Une messe de bout de l’an se mange chaude le jour anniversaire du décès de la personne.

Le Président.
Si bien qu’il vous fallait la vôtre à l’instant même ?

Le Gasteux de la Roche Tarpéienne.
Sans doute.

Le Président.
En vérité, c’est inimaginable!… Alors oui ? Vous croyez qu’on rentre dans une église se faire dire une messe de bout de l’an à quatre heures de l’après-midi, comme on rentre chez le pharmacien acheter de l’antipyrine ?

Le Gasteuxaprès un silence.
J’étais ivre.

Le Président.
Je n’en doute pas.

Le Gasteux.
Mais je jure n’avoir pas eu un seul instant une intention blasphématoire !… En somme, c’était simple comme bonjour. L’anniversaire de feu mon oncle tombait le jour de la mi-carême, en sorte qu’une messe de bout de l’an avait été, le matin, célébrée à cette occasion. Cette messe, je m’étais juré d’y assister et j’y aurais assisté en effet si je n’eusse, après de longues hésitations, opté pour le Dahomey. (Que celui qui n’a pas, une fois sacrifié le devoir au plaisir, la vertu à la volupté, me jette la première pierre.) Bref je revêtis le présent déguisement et m’en fus déjeuner en joyeuse compagnie, dans un café du boulevard.

Vers trois heures, des fumées de liquides généreux commencèrent à faire germer en ma conscience des remords de bon aloi. Devant mes yeux se dressa le fantôme de mon oncle me reprochant d’avoir négligé ses mânes, et de lui avoir posé un lapin… Un quart d’heure plus tard, la chartreuse aidant, je versais des torrents de larmes et décidais de racheter les torts en faisant dire tout exprès pour le mort une messe payée de mes deniers.

Le Président.
C’est alors que vous vous rendez à l’église de la Trinité.

Le Gasteux.
Parfaitement, j’en franchis le seuil et je jetais au suisse mon porte-monnaie. « Tiens, mon drôle, prends cette bourse et va-moi quérir le curé. » Mais comme le suisse parlait d’aller quérir les sergents de ville : «Or ça m’écriais-je, qu’est-ce ceci ? Sur mon honneur, voilà un impudent coquin ! Voyez-moi ce carême-prenant, avec son chapeau à plumes, qui se permet de manquer de respect à des personnes de qualité ! Tu périras sous le bâton, drôle ! Holà, quelqu’un ! Champagne ! Bourgogne ! Picard ! Qu’on s’empare de ce bélitre et qu’on lui baille les étrivières. » Que vous dirai-je ?… C’était un homme robuste, plus robuste que moi cent fois. De sa dextre, il saisit le collet de mon costume, cependant que de sa main gauche il empoignait le maillot par le fond… Des agents vinrent, vous savez le reste.

Le tribunal délibère puis condamne Le Gasteux de la Roche Tarpéienne à huit jours d’emprisonnement

Le Gasteuxemmené à part.
Que dira la marquise douairière ?…

FIN

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Retour en haut