3 actes

Pièce en trois actes

La Nouvelle Idole de François de Curel

Pièce en trois actes, représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre Antoine, le 11 mars 1899. Représentée à la Comédie-Française le 26 juin 1914.
Distribution : 4 hommes, 4 femmes
Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition du Théâtre complet de Françoise de Curel (tome 3) : textes remaniés par l’auteur avec l’historique de chaque pièce, suivi des souvenirs de l’auteur. (Source : Gallica)
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
Lien vers le Théâtre de François de Curel

Argument

Albert Donnat, médecin réputé et professeur à l’Ecole de médecine, a commis un acte irréparable. Travaillant sur le cancer et soignant une jeune religieuse phtisique dont le diagnostic laisse présager sa mort prochaine, il lui inocule une tumeur pour en pouvoir suivre l’évolution. Le scandale de ses expérimentations humaines est dévoilé par la presse. Sa femme le rejette violemment, dans un premier temps, et essaie de trouver du réconfort auprès d’un jeune psychologue expérimental. La jeune fille guérit miraculeusement de sa phtisie, après avoir bu de l’eau de Lourdes, sans savoir qu’elle va bientôt mourir d’un autre mal : le savant constate que le cancer « inoculé » se développe à grande vitesse dans le corps de la patiente. Albert décide alors de s’injecter à son tour les cellules cancéreuses.


À propos de la pièce

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9030893j/
M. de Curel, académicien / Agence Meurisse. Source : Gallica

Les pièces de François de Curel sont des « pièces à thèses ». Elles s’inscrivent dans la veine naturaliste et mettent en scène des problèmes philosophiques et moraux : les rapports familiaux, la réalité sociale, les questions morales…

François de Curel, dans la Nouvelle Idole, oppose trois Idées qui permettent, selon lui, à l’homme de s’élever : la Science (incarnée par Albert Donnat), la Foi (incarnée par la jeune religieuse Antoinette Milat) et l’Amour (incarnée par la femme d’Albert Donnat, Louise).


La création

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10501855q/f13.item
Caricature d’André Antoine par Camara (vers 1905). Source Gallica

La pièce est crée le 11 mars 1899 au Théâtre Antoine, par André Antoine, qui signe la mise en scène et interprète le rôle principal d’Albert Donnat.
Les réactions de la presse sont très positives comme se plaît à le rappeler François de Curel dans la préface introduisant la pièce dans l’édition de ses œuvres complètes (consultable sur Gallica)
Dans le Journal Catulle Mendès écrit : « pour la première fois sur la scène française, des idées abstraites en opposition sont devenues des êtres réels en conflit, réels et vivants, d’une humanité si douloureuse qu’elles créent, dans la sublimité spirituelle, un poignant drame sensuel. »
Léon Kerst dans le Petit Journal : « J’ai bien dit un chef-d’oeuvre. Et j’entends maintenir le mot ; car jamais, si j’interroge mes souvenirs, je n’ai éprouvé sensation pareille ni émotion comparable… Que cela est beau ! Et quelle puissance détient le penseur qui peut vous faire ainsi vibrer par la seule force de l’Idée et du Verbe qui l’exprime. »
Robert de Flers dans la Liberté : « À peu près seul en ce temps où l’ironie, le scepticisme et la rosserie se partagent les scènes parisiennes, M. de Curel a eu la noble audace de porter à la rampe les conflits des plus graves problèmes contemporains. »
Seul le célèbre critique Sarcey émet des réserves mais François de Curel retient les aspects positifs le concernant : « Il a des qualités indéniables d’homme de théâtre. Il y a, dans la Nouvelle Idole, une scène dont l’idée, au point de vue purement dramatique, est géniale. »


La mise en scène d’André Antoine

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Une_le%C3%A7on_clinique_%C3%A0_la_Salp%C3%AAtri%C3%A8re.jpg
Une leçon clinique à la Salpêtrière, André Brouillet, 1887. Source : wikimedia.

Le deuxième acte se déroule chez le psychologue expérimental, Maurice Cormier, où la femme d’Albert Donnat vient se réfugier. Il pratique l’hypnose pour soigner les névroses hystériques de jeunes femmes. Le cabinet permet d’observer sans se faire voir les réactions des jeunes femmes une fois hypnotisées. Mireille Losco-Lena dans un article intitulé «Une leçon clinique à la Salpêtrière, 1887 : trois conceptions de la mise en scène théâtrale » souligne la mise en abyme du dispositif théâtral sur lequel travaille André Antoine avec le Théâtre-Libre : observer depuis le « quatrième mur » les milieux et les gestes (voir aussi sur Libre Théâtre, le théâtre de Zola et le naturalisme) : « Antoine invente un usage nouveau de la mise en scène : il en fait un outil d’observation en faisant glisser dans le champ du spectacle théâtral l’expérience du regard clinique. »


Une histoire inspirée d’articles concernant d’Eugène Doyen

Caricature du docteur Eugène Doyen dans La Vie ardennaise illustrée. Journal artistique et littéraire. Source : wikimedia

Eugène Doyen est considéré comme l’un des rénovateurs de la chirurgie française de la fin du XIXème siècle malgré ses théories inexactes sur le cancer et ses pratiques controversées. Il est l’inventeur de nombreux instruments chirurgicaux et de perfectionnements dans la technique opératoire.
À partir de 1888, il s’engage dans des expériences d’immunisation contre le cancer. En 1891, éclate « l’affaire Doyen » dite de la « greffe cancéreuse » qui fait scandale dans les journaux. Sur deux de ses patientes, il est accusé d’avoir prélevé un fragment tumoral sur un sein malade pour le greffer sur le sein indemne. La justice ouvre une enquête qui, faute de preuves, reste sans suites. Ces travaux l’éloignent de la Faculté et l’isolent dans ses recherches.
Il croit plus tard découvrir le germe en cause dans les cancers et utilise des sérums et un vaccin censé permettre la rémission de certaines tumeurs. Sa renommée internationale lui permet de proposer des traitements très onéreux qui n’aboutissent pas. Il est définitivement discrédité aux yeux de la communauté académique mais continue de faire paraître des articles dans les publications médico-chirurgicales.


La Nouvelle Idole est l’une des premières œuvres littéraires qui mentionne le cancer, au moment où se développe la peur de cette maladie.

Pour aller plus loin :

Les Jumeaux de Brighton de Tristan Bernard

Les Jumeaux de BrightonComédie en trois actes représentée pour la première fois le 16 mars 1908, au Théâtre Fémina (direction F. Gémier).
Distribution : 9 hommes, 5 femmes (plusieurs rôles peuvent être interprétés par le même comédien)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

La comédie a été adaptée au cinéma en 1936, réalisation par Claude Heymann avec Raimu, Michel Simon, Suzy Prim, Charlotte Lyses et Germaine Aussey 

Résumé

Séparés à leur naissance à cause d’une affaire d’héritage, deux jumeaux ne soupçonnent ni l’un ni l’autre qu’ils ont un frère. Achille Beaugérard, avocat au Tribunal du Havre, porte le même nom que son frère jumeau, qui habite en Amérique et vient de débarquer au Havre pour affaires.
Achille Beaugérard I, après une dispute avec sa femme, va rendre visite à sa jeune et avenante voisine à qui il offre un voile de dentelle qu’il destinait à sa femme. Il doit s’absenter mais est rapidement remplacé par Achille Beaugérard II. Les quiproquos se multiplient.
Une adaptation des Ménechmes de Plaute.

Extrait de la conférence de Tristan Bernard  ayant précédé la première présentation au Théâtre Fémina le 16 mars 1908

« La pièce que nous allons avoir l’honneur de jouer devant vous est de Plaute, Titus Maccius Plautus, qui vivait environ deux cents ans avant l’ère chrétienne.
Je n’ai pas le dessein de vous raconter ici la vie de Plaute… D’abord, il faudrait la connaître. J’aurais pu, me direz-vous, me documenter en lisant le Larousse ; vous n’ignorez pas que beaucoup de conférences de pièces classiques sont précédées d’une lecture publique du Larousse. J’ai, en effet, songé à m’instruire ce matin, mais le Larousse était dans une chambre très froide ; j’ai donc jugé inutile de le déranger. D’autant que vous n’avez pas besoin de connaître la vie de Plaute pour comprendre la pièce qu’on va vous jouer.
Ce n’est pas une pièce très compliquée. Elle est plus simple et beaucoup moins enchevêtrée que les vaudevilles d’aujourd’hui. Les incidents s’y suivent très clairement, après une préparation pour ainsi dire immédiate. Ce n’est pas comme dans maints vaudevilles modernes où il faut suivre avec une attention scrupuleuse tous les personnages, leur mettre des petits drapeaux sur la tête, et ne perdre de vue aucun accessoire, car on ne sait pas ce que la montre placée au premier acte sous un des candélabres peut amener de complications deux actes plus tard. Dans la pièce de Plaute, les incidents ne sont pas préparés d’aussi longue main. C’est très frappant dans les Ménechmes, et surtout (note d’érudition) dans une autre pièce du même auteur : le Capitaine Fanfaron, Miles Gloriosus.
Donc, le vaudeville que vous allez voir est plus simple que nos vaudevilles actuels, mais il me semble que les situations y sont traitées plus complètement, plus « en comédie ». On ne s’y contente pas de l’effet mécanique d’une porte ou d’un auvent qui tombe sur le nez d’un homme, ou d’un lit qui sort brusquement d’un mur. L’effet y est commenté par des mots en situation. On y rit peut-être moins bruyamment, mais, ce me semble, avec beaucoup plus de reconnaissance. C’est ce qui doit arriver ce soir, si du moins le traducteur n’a pas trahi l’auteur.
Vous trouverez dans cette pièce des situations comiques que vous avez déjà vues assez souvent ailleurs. Il faut dire que, depuis deux mille ans que Plaute existe, il a eu des traducteurs avoués et pas mal de traducteurs inavoués. Il y a parmi les auteurs comiques beaucoup de gens qui se sont fournis chez Plaute, les uns directement, la plupart indirectement (car tout le monde ne le connaît pas), en prenant des scènes à d’autres auteurs qui, eux-mêmes, étaient des clients de Plaute. Je dois dire que Plaute avait pris ces situations à des auteurs encore plus anciens.
Ces emprunts peuvent très bien être involontaires : les auteurs comiques sont pareils aux abeilles qui sans s’être donné le mot, fabriquent partout leurs alvéoles de la même façon. Deux vaudevillistes normalement constitués, l’un Français et l’autre Chinois, arriveront au même développement dramatique s’ils partent d’un point de départ analogue.
J’espère que ces scènes connues auront néanmoins pour vous le charme de la nouveauté, si toutefois j’ai su garder à la pièce latine la fraîcheur éternelle qui m’a tant séduit quand je l’ai lue pour la première fois.
J’ai conservé des procédés d’ancien théâtre, tels que le monologue au public : un monologue franc, à l’avant-scène, est bon enfant et familier. Il y a dans ce genre de théâtre comme une passerelle entre la scène et la salle. Le personnage de la pièce prend le public comme confident ; le public est assez content, parce que c’est toujours flatteur d’être choisi par quelqu’un pour confident de quelque chose. D’autre part, l’acteur étant bien en face du public, on détaille son jeu plus à l’aise et l’on profite de sa bonne figure.
Les Jumeaux de Brighton ne sont pas une traduction. C’est une adaptation, une transposition. Je ne suis pas très fort en latin. Je vous dirai que, lorsque j’étais au lycée et qu’on traduisait du Plaute, j’étais loin de prêter à notre professeur la bienveillante attention que vous voulez bien m’accorder aujourd’hui ; pour dire le mot, je n’écoutais pas une syllabe.
Nous étions d’ailleurs beaucoup d’élèves dans mon cas, mais le professeur ne s’en inquiétait guère. Il avait un auditeur qui lui était plus cher que tous les autres : il s’écoutait lui-même. Il se berçait avec les phrases latines, et pendant ce temps-là, tous les petits élèves se livraient à des occupations favorites, selon leurs tendances. Les uns imprimaient dans le bois des pupitres des incrustations définitives : un nom profondément gravé dans le bois révélait aux générations futures qu’un tel n’avait pas été attentif à la leçon.
Moi, pendant qu’on traduisait Plaute, je faisais des pièces de théâtre; maintenant que mon métier m’oblige à écrire des pièces de théâtre, je traduis Plaute.
Je ne vous apporte donc pas une traduction de latiniste, mais un ouvrage d’auteur comique. J’ai lu, avec une attention que je qualifierai naturellement de scrupuleuse, différentes traductions de Plaute; j’ai été frappé de voir à quel point le mot essentiel de la phrase latine, le mot que l’auteur de théâtre avait voulu mettre en valeur, à quel point ce mot capital était noyé dans la phrase française. C’est que le traducteur, bon latiniste, n’était pas un écrivain de théâtre.
Il m’a semblé qu’il fallait retrouver chez l’auteur latin tous ses moyens de faire rire, non seulement l’agencement des situations, mais la façon de placer les mots, et mon ambition a été de vous amuser aujourd’hui exactement par les procédés qui avaient si bien réussi à Plaute, quand il faisait rire aux éclats le public romain d’il y a deux mille cent cinquante ans. Il est même assez curieux de constater que le public d’aujourd’hui rit pour les mêmes raisons et du même rire qu’à cette époque lointaine.
Mais, pour arriver à rendre à la pièce de Plaute la majeure partie de son effet, je me suis vu obligé de changer le milieu et l’époque. Je suis persuadé, en effet, que les pièces comiques ne réussissent pleinement que lorsque les personnages parlent la langue même du spectateur, car, entre le langage des différentes époques, c’est la langue actuelle qui possède la plus grande intensité, la plus grande force de pénétration.
C’est facile à expliquer : le langage comique s’use énormément parce qu’il nous sert à tout instant dans nos épanchements et dans nos discussions domestiques. Quand un mari a appelé sa femme « Petite rosse ! » pendant une dizaine d’années, cette expression finit par perdre sa force. Il faut qu’il trouve autre chose, il faut qu’il renouvelle son fonds d’injures, qui est comme éventé.
Nous avions, à la campagne, un vieux jardinier qui était très malheureux, parce que son fils se levait tard. Il faut dire que son fils arrivait du service militaire où il était trompette en pied. Au régiment, le trompette doit se lever de bonne heure, car c’est à lui de sonner le réveil. Du jour où ce jeune homme arriva au grade de trompette en pied, il confia le soin de sonner le réveil à un élève-trompette qui était chargé également de toutes les sonneries du matin, la visite du major, le rapport du colonel. Notre trompette en pied ne se levait qu’à dix heures un quart pour la soupe. Il avait gardé dans la vie civile cette bonne habitude qui désespérait son père. Alors, le vieux jardinier me disait : « Je ne sais plus quoi faire, je l’appelle « feignant », je l’appelle « limace », je l’appelle « vache », je ne sais plus comment l’appeler.
Voilà un exemple de plus de la nécessité de renouveler constamment la langue comique. Le langage noble, celui qui est usité dans les comédies dramatiques et dans les tragédies, c’est une autre affaire : il ne s’emploie pas constamment dans la vie. On reste quelquefois deux mois sans prononcer les mots d’honneur, de générosité, de vaillance, d’héroïsme : ces mots s’entendent rarement, même dans les familles les moins honnêtes. Ils se conservent donc plus longtemps, et, quand les auteurs dramatiques les emploient, ils sont moins usagés, comme on dit.
Je me suis trouvé dans la nécessité, pour traduire Plaute qui emploie des expressions violentes, de chercher dans l’argot tout à fait actuel des mots équivalents. Mais je ne pouvais laisser à des personnages qui parlaient notre français populaire des vêtements romains. Ils eussent ressemblé à des héros de la Belle Hélène. Du moment qu’ils parlaient votre langage, j’ai dû leur donner votre costume.
La grosse modification que j’ai introduite dans la pièce de Plaute, c’est le prologue. Le prologue du poète latin était en monologue. Il n’était, d’ailleurs, pas l’œuvre de Plaute, mais d’un chef de troupe. Le personnage du prologue venait faire le récit de la pièce aux spectateurs. Après leur avoir souhaité ce que je vous souhaite, c’est-à-dire salut et félicité, il leur recommandait de prêter à ses paroles une grande attention, car il leur racontait le sujet de la pièce dans le moins de mots possible. Un peu d’attention était évidemment nécessaire, car le postulat de ces pièces latines était compliqué, – pas si compliqué toutefois que celui de la Comédie des Erreurs, une pièce que mon illustre confrère en adaptation, William Shakespeare, a également tirée des Ménechmes.
Dans les Ménechmes, de Plaute, il n’y a qu’une paire de jumeaux. Mais cela ne suffisait pas au génie monstrueux de Shakespeare ; il en a imaginé simplement deux paires qui sont nées le même jour, dans la même maison : une des paires étant esclave de l’autre. Tout ce lot de phénomènes s’embarque à bord d’un navire… Il arrive à ce navire ce qui arrive généralement à tous les navires des pièces comiques : il fait naufrage. Les jumeaux se précipitent sur un mât déraciné. À l’extrémité de ce mât se trouvait un des jumeaux de la paire numéro 1 avec un jumeau de la numéro 2, tandis que les deux autres jumeaux correspondants se trouvaient à l’autre extrémité du mât. Par une dernière complaisance de la bourrasque, le mât est partagé en deux et chacun de ses morceaux va atterrir dans des rivages très lointains et très différents. Une vingtaine d’années après, la pièce commence, et il résulte de ce fait divers un peu anormal des complications, d’ailleurs pas toujours amusantes.
Dans la pièce de Plaute, qui est moins compliquée, un des jumeaux connaît l’existence de l’autre et il est même à sa recherche, il semble un peu invraisemblable, dans ces conditions, qu’il n’ait pas de méfiance au moment où commencent les quiproquos.
Dans les Ménechmes, de Regnard, qui sont aussi une adaptation de Plaute, un des jumeaux connaît également l’existence de l’autre et en profite pour commettre toutes sortes d’escroqueries. Cela gêne un peu le rire.
Je me suis efforcé d’imaginer un postulat d’après lequel aucun des jumeaux ne connaît l’existence de son frère. Il m’a fallu écrire une saynète, un petit lever de rideau qui expose les faits le plus clairement possible et qui se passe à Brighton (Angleterre) trente-sept ans avant le premier acte, qui se passe de nos jours. J’ai imaginé un concours de circonstances qui est, je vous l’accorde, un peu rare et exceptionnel, mais, ce me semble, assez plausible.
Je vous demanderai, d’ailleurs, un peu du crédit que le public accorde toujours aux auteurs comiques.
Les actes suivants se passent au Havre, trente-sept ans après le prologue.
Encore un peu de pédantisme :
En dehors des adaptations de Shakespeare et de Regnard, je signalerai parmi les nombreuses pièces qui ont mis en scène deux jumeaux : Prosper et Vincent, de Duvert et Lausanne, et Giroflé-Girofla. Dans ces deux pièces, les rôles des jumeaux ou des jumelles sont joués par le même artiste.
Il y a encore nombre de pièces dans le répertoire comique qui tirent leur effet de rire de ressemblances entre deux personnages. Je citerai : la Puce à l’oreille, de M. Georges Feydeau. Le Jumeau, de MM. Larcher et Monnier, mettait en scène un personnage qui se donnait alternativement pour deux hommes différents. Une situation analogue a été traitée également d’une façon très comique, dans le Coup de fouet de MM. Bilhaut et Hennequin. Citons encore parmi les anciennes pièces adaptées de Plaute : le Jumeau de Bergame de Florian.
Tous ces détails, qui vous intéressent plus ou moins, vous prouveront qu’à défaut de verve oratoire le conférencier a travaillé sérieusement la question dont il vous entretient aujourd’hui. »

L’Accord parfait de Tristan Bernard et Michel Corday

Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre Fémina, le 25 novembre 1911. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition de La Petite Illustration théâtrale du 17 février 1912.
Distribution : 4 hommes, 3 femmes
Télécharger gratuitement le texte sur Libre Théâtre

L’argument

L’accord parfait propose une version moderne du triangle amoureux, multipliant les situations inattendues et les pieds de nez à la morale bourgeoise et hypocrite. Les arrangements entre le mari, la femme et l’amant sont présentés avec un grand naturel et une sensibilité délicate.  L’ironie mordante de cette comédie de mœurs traverse les âges et séduit encore aujourd’hui.

Présentation par les auteurs

«  L’Accord parfait est une comédie de mœurs ironique. (…) Il y a peut-être des gens qui vont trouver notre pièce immorale, et il y en a d’autres sans doute qui vont la trouver très morale. À défaut de la Moralité, avec un grand M, je crois qu’on rencontrera beaucoup de petites moralités. Nous avons mis en scène des êtres un peu spéciaux, moins exceptionnels qu’ils n’en ont l’air, plus généraux, en tout cas, qu’ils ne le croient eux-mêmes. Car, au fond, c’est une vérité assez vieille que de dire que les hommes se ressemblent beaucoup. Si, depuis pas mal de temps, les hommes appellent d’autres hommes leurs semblables, c’est qu’il y a peut-être à cela une petite raison… Nous pensons que parmi les tâches diverses de l’écrivain, une des plus intéressantes est de montrer comment des êtres soi-disant exceptionnels se rattachent toujours à l’humanité. »

La critique au moment de la création

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9804248h/f13.item
Source : Gallica/Bnf

Léon Blum déclare, dans Comœdia, que cette œuvre, comique en apparence, pleine de mots et de traits d’un humour charmant ou profond, est si hardie dans son fond, et pose avec une sereine tranquillité des idées si graves qu’il n’a pu l’écouter sans une sorte de frisson : « On n’y prend pas garde, tant la pièce est agréable et heureuse, tant les personnages sont faciles et nonchalants, tant MM. Tristan Bernard et Michel Corday ont apporté de tact et d’apparente insouciance à voiler leurs hardiesses très volontaires. Mais cependant, ce qui est dit reste dit, et je ne crois pas que jamais on ait fait accepter au public rien de plus audacieux. »

Adolphe Brisson, dans le Temps : « L’anarchisme indolent et souriant de M. Tristan Bernard – et M. Brisson prie M. Michel Corday de prendre pour lui la moitié des observations et des compliments que, pour plus de commodité, il adresse au seul Tristan Bernard – cet anarchisme s’y épanouit avec une sorte de sérénité. Il semble que le délicieux écrivain se dise : les vérités contenues dans mon ouvrage sont désormais établies ; elles ont la force de l’évidence et presque la banalité du lieu commun ; il est superflu d’y insister. Jamais M. Tristan Bernard ne s’était montré si affirmatif tout ensemble et si paisible, n’avait enveloppé de formes plus aimables son nihilisme agressif. Car ne vous y trompez pas, cet auteur nonchalant de qui la grâce nous charme et la gaieté nous ravit, a des idées violentes. Traditions séculaires, principes ou préjugés de notre vieille morale, conventions ayant pour but de maintenir l’ordre social, toutes ces choses que de furieux coups de bélier n’ont pas ébranlées, le flegme de M. Tristan Bernard les énerve, les dissout, les détruit. Rien n’est plus curieux qu’un travail de désagrégation si énergique et poursuivi par des moyens en apparence si inoffensifs. On ne se méfie pas. La comédie s’intitule l’Accord parfait. Ce pourrait être le titre d’une estampe galante de Fragonard. C’est, en effet, fort galant, mais nous allons voir de quelle façon, et tout ce que recouvrent ces légèretés, ces gentillesses, ces ironies. Il y a là une audace tranquille, très symptomatique, très « moderne. »

M. Adolphe Brisson, s’étant livré à l’analyse de ces trois actes, conclut : « Une impression singulière se dégage de ce dialogue dont la hardiesse souriante et paisible eût soulevé jadis des orages. Vous figurez-vous la stupeur du public de 1865, ou de 1875, ou de 1880…, si on le lui avait offert ? L’indifférence amusée des spectateurs de 1911 indique l’étape parcourue, l’évolution accomplie. Ils n’éprouvent pas le besoin de s’insurger. Leur attitude est d’autant plus significative qu’ils sentent bien que l’exposé de ces principes, de ce traité conclu entre le mari, la femme et l’amant, que cette réglementation méthodique et si l’on peut dire familiale de l’adultère, que ces choses ne sont nullement paradoxales dans l’intention des auteurs, que ceux-ci ne blaguent pas, ne bluffent pas, qu’ils ne soutiennent pas une gageure, mais expriment sincèrement, et sans hypocrisie, ce qu’ils pensent. »

Edmond Sée, dans Gil Blas, juge cette petite comédie tendre cyniquement, comiquement émouvante.

Edition de la pièce par Libre Théâtre.

L’édition contient également la postface de Gaston Sorbets parue dans La Petite Illustration théâtrale, en 1912. Il  rapporte les conditions dans lesquelles les deux auteurs ont composé ces trois actes et détaille les réactions de la presse lors de la création de la pièce.


Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

Un Perdreau de l’année de Tristan Bernard

Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre Michel, le 24 avril 1926. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition de La Petite Illustration théâtrale, 1926. (Source : Gallica/ BnF)

Distribution : 4 hommes, 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Thibaut et Thierry sont amis et se retrouvent à Deauville. Thierry est un séducteur d’une quarantaine d’années qui ne cesse de multiplier les conquêtes. Thibaut, qui est plus jeune, lui demande d’arranger ses affaires de cœur. Mais les choses tournent toujours de la façon la plus déplorable et le jeune perdreau est plumé par le braconnier malgré lui ! Trois actes, trois expériences semblables… Mais, une jeune fille intelligente et sincère, va rebattre les cartes de ces jeux amoureux.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k98088304/f23.item
Source : Bnf/Gallica

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k98088304/f23.item
Source : BnF/Gallica


Les réactions de la critique lors de la création

Le Petit Journal

M. Pierre Veber nous confie, dans le Petit Journal, la prédilection de l’auteur pour cette dernière œuvre, et il la partage : « Je parie que cette pièce est celle que Tristan Bernard préfère dans toute son œuvre ; et je parie à coup sûr, car il me l’a dit ! Et comme je le comprends ! C’est écrit avec une recherche, une habileté de nuances à la Marivaux, un sens de la phrase qui formule joliment une pensée, un esprit continuel et qui n’a rien de commun avec le faux esprit de théâtre. C’est un art supérieur très personnel, infiniment savoureux, dont le comique réticent s’indique à peine, et dont la psychologie semble s’excuser d’être trop délicate. Avez-vous remarqué, comme l’a fait Charles Oulmont, dans ses Lunettes de l’Amateur, que les marchands de curiosités gardent leurs meilleurs objets dans l’arrière-boutique ? C’est ainsi que Tristan semble garder ses meilleures trouvailles dans son arrière-pensée. Mais si vous forcez la porte, vous ne serez pas volés, je vous l’assure. Cet écrivain a le génie de l’indication ! Avec deux mots très simples, il vous révèle un état d’âme assez compliqué. Il n’insiste pas, et vite il vous échappe, dans l’inquiétude qu’il a d’échapper à lui-même. Méfiez-vous de la minute où il vous amuse, c’est justement celle où il vous fait réfléchir. Ce jeu de cache-cache avec le spectateur ne peut être réussi que par un grand artiste, qui dédaigne désormais les faciles moyens de gagner son public. »

Le Journal

Dans le Journal, M. G. de Pawlowski remarque judicieusement : « Si Un Perdreau de l’année était d’un jeune auteur, on crierait certainement au chef-d’œuvre. De M. Tristan Bernard, cette pièce ne surprend pas. Elle n’a peut-être cependant à ses yeux que l’importance d’un divertissement dans son œuvre. C’est du moins un divertissement qui est divertissant avec délicatesse. Ce qui n’est pas si fréquent aujourd’hui. Voilà même, sans doute, une pièce qui survivra à bien d’autres œuvres contemporaines qui se présentent avec moins de modestie. Et puis, M. Tristan Bernard est à la fois un excellent observateur du cœur humain et un écrivain… »

Le Journal des Débats

M. Henry Bidou, dans le Journal des Débats, est lui aussi sous le charme : « Que dire de la pièce de M. Tristan Bernard au théâtre Michel, sinon qu’elle est une merveille de finesse ciselée, et d’un comique si subtil qu’on en est saisi sans l’avoir aperçu ? Je voudrais vous la raconter, mais il faudrait retrouver les mots eux-mêmes. Chaque phrase est riche de sens et cette richesse est voilée. Il ne s’agit que d’un homme à qui un ami, sans que ni l’un ni l’autre le veuille, jette toutes ses maîtresses dans les bras. La fatalité, mais une fatalité sourde, discrète, secrète, inexorable et, en somme, optimiste, ne permet pas que Thierry échappe à son destin, qui est agréable. Un agencement de trébuchets le fait tomber dans des pièges, où le remords et le plaisir lui tiennent compagnie. La pièce est si bien faite que les personnages y ont du temps devant eux, et, comme ils parlent avec beaucoup de grâce, ils prononcent des petits discours persuasifs, ou ils font de petits portraits qui sont des réquisitoires. En tout cela, pas un mot de trop, mais une justesse exquise, des phrases qui font mouche, mais sans rigaudon : l’aisance dans la perfection. »

Comœdia

Si M. Etienne Rey, de Comœdia, s’est d’abord un peu défendu, il n’a pu résister longtemps : « On est en train de suivre la pièce, d’écouter le dialogue, et on se dit, tout bas : « Tiens, tiens ! Ça n’a pas l’air d’être du meilleur Tristan… » Puis, tout d’un coup, sans s’annoncer, sans crier gare, arrivent un de ces mots, une de ces réflexions de la qualité la plus rare, de l’observation la plus pénétrante, et qui en disent plus long, à eux seuls, que toute une scène, Et nous sommes ravis. C’est une petite pièce aimable, nonchalante, facile, comme les aime M. Tristan Bernard, et comme lui seul peut s’en permettre. Elle ne se guinde pas ; elle se refuse à paraître brillante ; elle ne force pas l’allure, et elle ne cherche pas à provoquer notre intérêt par ces effets de surprise ou ces ingéniosités de l’action qui suppléent si souvent au reste ; ce n’est pas qu’elle dédaigne certains procédés de théâtre, tels par exemple que des répétitions ou des retournements de situation ; mais l’auteur paraît toujours vouloir nous dire : « Je sais bien que vous devinez où je vous conduis et que vous attendiez cette scène… mais ça n’a pas d’importance. Le vrai jeu n’est pas là ! Et, en effet, ça n’a pas d’importance. Car toujours, sous le dialogue le plus naturel et le plus aisé du monde, ce que nous aimons dans les pièces de Tristan Bernard, c’est sa souriante philosophie, sa sagesse narquoise, et cette expérience du cœur des hommes et des femmes grâce à laquelle des personnages, même dessinés d’un trait léger ou négligent, nous paraissent vrais et humains. »

Le Temps

Dans le Temps, M. Pierre Brisson estime : « On écoute les trois petits actes de cette brève comédie du Perdreau de l’année avec un charmant plaisir. Le dialogue trahit un soin particulier. Certaines scènes sont de l’art le plus fin, le plus narquois, le plus aisé qu’on connaisse à M. Tristan Bernard. Vous savez avec quelle nonchalance il aime à répandre son talent. Les faiblesses d’un héros lui sont plus chères que ses vertus. Elles lui paraissent plus naturelles et plus vraies. Il étend parfois jusqu’à lui-même cette affection pleine d’indulgence. Il s’abandonne à une douce mollesse. De petits ouvrages flâneurs et négligés naissent volontiers sous sa plume. Lorsqu’il veut s’en donner le loisir il écrit un théâtre dont vous connaissez le prix. C’est une merveille d’ironie savante, d’adresse et de vérité. Les personnages qu’on y rencontre sont pour la plupart incertains et médiocres. Ils suivent le train de la vie. Leur condition est ordinaire. Les mots qu’ils prononcent, les gestes qu’ils font restent ordinaires aussi. Leur spectacle pourtant nous ménage un plaisir délicat. M. Tristan Bernard est le peintre incomparable des petits sentiments qui forment la trame de l’existence. Il excelle à flatter ce goût singulier que nous avons pour les ennuis des autres. Le léger ouvrage qu’il nous donne aujourd’hui prend une allure quelque peu différente. C’est un vaudeville traité dans le ton de la comédie la plus nuancée. L’intrigue se développe d’un mouvement mécanique, les personnages ont une conduite tout à fait improbable. Leurs propos cependant abondent en remarques justes, fines et spirituelles. Ce contraste-là fait précisément la meilleure qualité de la pièce et son attrait subtil… Ce qui fait le prix, me semble-t-il, de ces trois actes légers, c’est la science aisée qui s’y cache et dont on sent plusieurs fois très vivement l’effet. M. Tristan Bernard est un mandarin du théâtre. Ayant peu à peu déchiffré les secrets du métier et rompu son esprit aux exercices les plus divers, il revient à des jeux fort simples dont il s’amuse à compliquer les règles. Les divertissements qu’il s’offre ainsi nous valent parfois des comédies un peu minces et d’une nonchalance extrême, mais parfois aussi de petits ouvrages d’une perfection achevée dans le détail et d’un humour délicieux… Ces habiletés savantes prennent un bien vif agrément lorsqu’elles s’allient à tant de naturel. »
Et M. Nozière ajoute : « C’est une petite comédie d’une réelle distinction et qui pourtant déchaîne parfois le rire violent du public. »

L’Œuvre

Enfin, ces lignes de M. Edmond Sée, dans l’Œuvre, compléteront significativement ce florilège louangeur : « Cette pièce-là, c’est du Tristan Bernard « de derrière les fagots » ; le Tristan de Monsieur Codomat, des Petites Curieuses, de Daisy, de la Volonté de l’homme, de l’Accord parfait. Vraiment, on ne saurait allier plus de tendre et délicate observation à plus de fine, incisive et profonde malice. En trois petits actes, l’écrivain fait vivre, anime des personnages criants d’humanité ; leur fait avouer tout ce qu’ils pensent, ce qu’ils sentent (ce que nous penserions et sentirions nous-mêmes, à leur place). Lorsque le rideau tombe, pas un mot de trop n’a été dit, pas une scène nécessaire n’a été « loupée », pas un coup de pouce n’a été donné à la quotidienne et générale vérité : celle qu’expriment naturellement nos faibles cœurs, nos consciences incertaines, et qu’un philosophe implacable mais souriant dégage, comme en se jouant !… L’ouvrage vaut par l’esprit éblouissant du dialogue, la grâce des détails, le dessin subtil et vigoureux des scènes, la présentation et l’éclosion adorables des personnages, dont chacun est un caractère (même lorsqu’il semble en manquer). Il faut aller entendre Un Perdreau de l’année ; et l’on ira, je l’espère. Dans la salle, on murmurait : « Un bijou, mais trop délicat pour le public d’après guerre. » Aux spectateurs de démentir une si injurieuse insinuation. Car, tout de même, je me refuse à croire que, seuls, les étrangers font la loi au théâtre et que ce public jadis, hier, le plus fin, le plus spirituel du monde s’écarte d’un ouvrage, parce qu’il est trop spirituel et trop fin !… »


Edition de la pièce par Libre Théâtre.

L’édition contient également la postface de Robert de Beauplan parue dans la Petite Illustration théâtrale (1923) qui détaille les réactions de la presse lors de la création de la pièce.


Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

Le Costaud des Epinettes de Tristan Bernard et Alfred Athis

Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre du Vaudeville, le 14 avril 1910. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition de L’Illustration théâtrale, 1910. (Source : BnF/Gallica)

Distribution : 23 hommes, 11 femmes (nombreux rôles pouvant être joués par un seul comédien)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Claude Brévin, un garçon sensible et de bonne famille est obligé de vivre d’expédients et fréquente le bar louche du père Tabac. Celui-ci le fait passer pour le « Costaud des Epinettes » et lui propose une affaire : il s’agit de récupérer un paquet de lettres compromettantes chez une comédienne, Irma Lurette, et de l’éliminer. Claude, désespéré, accepte. Il se rend à une fête, où on célèbre la centième de la pièce dans laquelle Irma a un petit rôle. Claude la séduit et la reconduit chez elle. Mais une fois dans son appartement, rien ne se passe comme prévu.

Le Costaud des Epinettes est une comédie truculente, riche en expressions argotiques et imagées, mais qui, à certains moments, flirte avec le mélodrame.

Récit de la création par les deux auteurs

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53104261j
Geneviève Lantelme dans « Le costaud des Epinettes » de Tristan Bernard, Alfred Athys / dessin de Yves Marevéry. Source : Bnf/ Gallica

(Extraits de la préface parue dans l’Illustration théâtrale)

Comment M. Alfred Athis a collaboré de nouveau avec M. Tristan Bernard, nous le savons par une lettre que les deux auteurs ont adressée au Figaro : « C’était un de ces derniers étés, sur le bord de la mer. Un jour, à la nuit tombante, l’un de nous dit à l’autre de nous : « J’ai un bon sujet de pièce en deux actes ; mais ce n’est pas tout à fait une pièce comique, et j’aurais besoin d’un auteur tragique pour la terminer. » À quoi l’autre de nous répondit : « Moi aussi j’ai un sujet de pièce en deux actes, qui n’est pas tout à fait un sujet gai. » Nous nous racontâmes nos sujets, et nous trouvâmes qu’en les fondant on arriverait à faire une pièce en trois actes qui serait ou tâcherait d’être tantôt gaie, tantôt grave, tantôt angoissante, tantôt souriante. Mais ce qui nous manquait toujours à l’un et à l’autre, c’était le collaborateur tragique, jusqu’au jour où nous nous dîmes que rien ne ressemblait autant au théâtre sombre que le théâtre joyeux, et qu’en associant leurs fantaisies, deux auteurs gais pouvaient donner quelquefois, pas très longtemps, le plus furtivement possible, l’impression qu’ils sont un auteur grave. Ayant fait cette constatation, nous écrivîmes le Costaud des Epinettes. »
Le Vaudeville le reçut, le mit en scène, le joua et ce fut un amusant et vif succès de plus.

Les critiques lors de la création

Extraits de la préface parue dans l’Illustration théâtrale

M. J. Ernest-Charles constate, dans l’Opinion, que le costaud qui évolue au cours de ces trois actes est cousin germain de ces « héros misérables et de ces bandits à la manque » que M. Tristan Bernard nous a présentés dans son livre de nouvelles intitulé : Amants et Voleurs. « Est-ce parce qu’il avait fréquenté ces criminels de fantaisie que Tristan Bernard eut le dessein d’écrire le Costaud des Epinettes ? L’idée, au contraire, vint-elle de M. Alfred Athis, l’original auteur de Boute-en-Train ? Il est puéril, il est dangereux, parfois, de vouloir pénétrer le mystère des collaborations. Et la tentative est bien superflue lorsque les collaborateurs s’accordent on ne peut mieux et font, à eux deux, une œuvre qu’un seul aurait pu faire… Tristan Bernard et Alfred Athis professent volontiers que personne n’est méchant et que l’homme est uniquement la proie du hasard. Leur œuvre est charmante du commencement jusqu’à la fin… Et beaucoup d’esprit s’y répand sur beaucoup de sagesse. »

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53129754q
Geneviève Lantelme, Louis Gauthier et Léon Lérand dans « Le costaud des Epinettes » de Tristan Bernard, Alfred Athys / dessin de Yves Marevéry. Source : BnF/Gallica

M. Adolphe Brisson observe, dans le Temps, que le tourment des dramaturges est de se renouveler, de ne pas éternellement écrire la même pièce, comme il arrive à des peintres de brosser toujours le même tableau : « La monotonie dans la production est une force et une faiblesse ; elle assigne à l’auteur une spécialité fructueuse, mais elle l’y emprisonne ; il ne peut plus sortir de la petite tour qu’il s’est bâtie. Les gens d’humeur paisible, doués d’une médiocre curiosité d’esprit, s’accommodent d’une telle immobilité. D’autres ressentent l’impérieuse envie de s’évader de la tour, de vagabonder à travers champs, de se divertir, de s’ennoblir en se prouvant à eux-mêmes leur souplesse et d’étonner un peu, à chaque fois, le public. L’étonnement est le piment du plaisir. Je croirais volontiers que M. Tristan Bernard et son collaborateur M. Alfred Athis ont cédé à cet attrait et qu’il leur a paru piquant de composer un ouvrage d’une forme inusitée, paradoxale, extrêmement varié de ton et d’allure… N’est-il pas amusant de réunir dans le cadre d’une comédie légère les personnages les plus hétéroclites, des exemplaires de tous les milieux, de toutes les catégories sociales, de grouper l’homme de finance, l’homme de théâtre, le fils de famille, l’apache, l’escroc, le fêtard, la petite courtisane, de montrer qu’il existe entre ces figures de nombreux points de contact, et que, malgré l’apparence, elles ont un fond commun ? Ceci, c’est l’essence même de la philosophie anarchiste et savoureuse de M. Tristan Bernard… Les créatures humaines se valent, ou à peu près… Des combinaisons d’événements, hostiles ou favorables, les dominent, les gouvernent. Il en résulte du mal ou du bien, de la souffrance ou de la joie, du vice ou de la vertu… Et d’ailleurs aucun de ces faits n’a d’importance… »

M. Robert de Flers estime, dans la Liberté, que MM. Tristan Bernard et Alfred Athis viennent surtout de nous donner là une pièce audacieusement pittoresque et originale : « C’est en vain qu’on cherchera à rapprocher ces trois actes d’une œuvre antérieure ; ces petits jeux des mémoires malveillantes seront cette fois déçus. Ce costaud appartient en propre à MM. Tristan Bernard et Alfred Athis ; il leur doit tout et j’imagine qu’il s’acquittera intégralement de cette dette. Nous avons retrouvé dans ces trois actes les admirables dons d’observation sensible et de clair-voyante ironie de M. Tristan Bernard et les qualités si sûres, si personnelles de composition et d’autorité scéniques de M. Alfred Athis, qui a été pour l’auteur du Danseur inconnu un précieux collaborateur. Je suis assuré, en faisant cette dernière constatation, d’être particulièrement agréable à l’un des deux auteurs du Costaud des Epinettes, et, ce qui est tout à fait curieux, c’est que celui-là ce sera certainement M. Tristan Bernard. Cette comédie nous a charmés par la nouveauté de son sujet et par la variété des milieux à travers lesquels elle évolue. Elle se tient, avec une vigueur qui ne se dément pas un instant, à égale distance de la fantaisie et du réalisme, de sorte qu’elle est tout près d’être bouffonne et pas bien loin d’être poignante. Il en résulte une impression très curieuse, très savoureuse. Les faits peuvent être un peu arbitraires, mais les sentiments ne le sont pas, et il y a dans ces trois actes l’analyse subtile, forte et dramatique d’un caractère, celui d’un déclassé qui s’essaye au crime, et dont les hésitations, les craintes, les remords, nous sont habilement dépeints. Cela est tout à fait remarquable. Il est très curieux de voir comment MM. Tristan Bernard et Athis ont pu mettre en relief dans la personne du criminel non point le côté monstrueux, mais le côté humain. C’est d’ailleurs la voix de la conscience qui finit par être la plus forte ; il est vrai que cette fois, elle se confond avec la voix câline et tendre d’une petite femme. »

M. Francis Chevassu, dans le Figaro, trouve aussi cette pièce charmante et singulière : « Elle côtoie le mélodrame sans abandonner jamais le ton de la comédie ; on y parle de cambriolages, d’attaques nocturnes et de vols avec effraction de la manière la plus plaisante. Œuvre tout à fait déraisonnable et cependant délicieuse : sur sa trame fragile, les auteurs ont brodé de fines arabesques, et l’exactitude de leur observation est égale à l’audace de leur fantaisie. Oui, le Costaud des Epinettes est une pièce surprenante : MM. Tristan Bernard et Alfred Athis affichent le réalisme minutieux de philosophes qui se plaisent à la représentation pittoresque des bas-fonds sociaux et en même temps ils montrent, dans la façon de conduire les événements et de disposer des circonstances, la désinvolture, l’aisance cavalière, qui semblent être le privilège des écrivains de contes moraux. En effet, ce roman d’un jeune apache sensible est, à sa façon, une berquinade, une idylle de la basse pègre que traverse un oiseau bleu dont l’aile, encore humide d’avoir touché le ruisseau, garderait une petite tache de boue. »


Edition de la pièce par Libre Théâtre.
Le texte est complété par des notes qui explicitent les très nombreuses expressions argotiques.

L’édition contient également la préface de Gaston Sorbets parue dans l’Illustration théâtrale (1910). Il y raconte notamment la collaboration entre les deux auteurs et détaille les réactions de la presse lors de la création de la pièce.


Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

Le Danseur inconnu de Tristan Bernard

Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre de l’Athénée, le 29  décembre 1909, publiée dans l’Illustration théâtrale en 1910 (disponible sur Gallica).
Distribution : 14 hommes, 9 femmes (plusieurs rôles peuvent être interprétés par le même comédien)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Argument

Henri est un jeune homme très sympathique, de ressources modestes, dont la famille a fait faillite. Il participe à un mariage auquel il n’est pas invité. Il rencontre Berthe, une des amies de la mariée. C’est le coup de foudre.
Tristan Bernard définissait ainsi la pièce : « Le Danseur inconnu, pièce morale à morale tournante, est aussi une pièce comique et sentimentale. Je souhaite qu’on dise qu’elle est franchement comique et délicatement sentimentale. »


Les critiques lors de la création

Extraits de la préface de l’Illustration théâtrale disponible sur Gallica

Ainsi M. Léon Blum, après avoir observé, dans Comœdia, que le mot « délicieux » a beaucoup servi ces temps derniers, poursuit : « Voici l’occasion venue de procurer à ce mot un juste emploi ! La pièce de M. Tristan Bernard est délicieuse. Elle l’est cette fois, au sens exact et fort du terme, c’est-à-dire qu’on ne peut l’écouter sans un sentiment de plaisir continu, qu’elle contente et rafraîchit le goût, qu’elle délecte et épanouit chez le spectateur ce que j’appellerai sa sensualité spirituelle. M. Tristan Bernard n’a jamais donné, au théâtre, rien de supérieur ni peut-être d’égal à cette comédie, et elle est aussi le plus complet succès de théâtre que M. Tristan Bernard ait remporté jusqu’à ce jour. »

M. Henri de Régnier admire dans le Journal des Débats, que, sur un si mince canevas, M. Tristan Bernard ait écrit une si « délicieuse », si vivante et si légère comédie : «… Une sorte de chef-d’œuvre d’observation, de bonne humeur narquoise attendrie et bouffonne, de naturel et de gaieté, une comédie d’un comique abondant et fin, délicat et irrésistible, qui va du rire le plus franc à l’émotion la plus discrète et la plus tendre. Rarement, M. Tristan Bernard a été plus aisé et plus savoureux que dans ce Danseur inconnu. Rarement ses qualités de dialogue ont eu plus de vérité et de pittoresque que dans ces trois actes délicieux, conduits avec une verve et un entrain admirables, avec un étonnant mélange de réalisme et de fantaisie. »

M. Adolphe Brisson estime, dans le Temps, que M. Tristan Bernard se peint tout entier dans cette comédie : « Il y a mis sa grâce, son ironie nonchalante, son nihilisme indulgent, son sens particulier de la vie (qui consiste à ne pas la prendre au sérieux), son tranquille et, si j’ose accoupler ces mots, son bienveillant, mépris des hommes. Ces choses, on les trouve dans les œuvres antérieures de l’exquis écrivain. Pourtant, il me semble que celle-ci exhale une certaine fraîcheur d’âme qui n’existait point dans celles-là. Elle est par endroits ingénue, naïve. Et cette simplicité, au lieu de lui nuire, a accru son succès. Le public a eu l’impression que l’auteur, pour la première fois, ajoutait à son sarcasme habituel un peu d’émotion sentimentale. Or, le public adore la romance. Ce qui le touche le plus, c’est le mélange de la gaieté et du sentiment. Il l’a vivement goûté dans le Danseur inconnu. »

M. Robert de Flers déclare, dans la Liberté, qu’il ne pense point que M.Tristan Bernard nous ait jamais donné une preuve plus évidente, plus décisive de son talent ingénieux et profond que cette comédie si fantaisiste, si finement divertissante, si poétique : « Mais oui, poétique, et au point que le mouvement et la grâce du dialogue m’ont rappelé à plusieurs reprises l’enchantement délicat des comédies d’Alfred de Musset. Dites-moi si, au premier acte, la scène de Barthazard et d’Henri Calvel n’évoque point celle d’Octave et de Cœlio. Sans doute le Cœlio de Tristan Bernard est un amoureux assez veule et peu difficile sur le choix des moyens de parvenir. Sans doute, Barthazard est un Octave qui a un peu trop lu Nietzsche — ou plutôt qui n’a a rien lu du tout — et qui fait, dans un but de lucre frauduleux, tout ce qu’Octave faisait pour le plaisir de l’aventure et par dilettantisme de débauché distingué. Mais on a les Cœlio et les Octave que l’on mérite. J’insiste sur le côté poétique de ce Danseur inconnu, parce qu’il a je ne sais quoi de savoureux et d’inattendu et qu’il voisine avec la farce la plus outrancière. C’est à force de trouver de justes et de neuves images que M. Tristan Ber- nard est parvenu à nous donner cette impression de fraîcheur et de doux lyrisme. »


Sur Gallica

Illustrations d’Yves Marevéry 1909 à l’Athénée

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b531041365
André Brulé dans « Le danseur inconnu » de Tristan Bernard / dessin de Yves Marevéry .1909. Source : Gallica /Bnf

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53129709w
André Brulé dans « Le danseur inconnu » de Tristan Bernard / dessin de Yves Marevéry .1909. Source : Gallica /Bnf

Extrait de Comœdia illustré du 15 janvier 1910 sur Gallica


Texte illustré des photographies du film, réalisé en 1929 par René Barberis

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3413403c
Source : BnF/Gallica

L’ensemble de l’ouvrage est disponible sur Gallica


Edition par Libre Théâtre

Texte de la pièce et préface de Gaston Sorbet qui rappelle les conditions de création de la pièce et propose une « revue des critiques ».


Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

L’Heureux Stratagème de Marivaux

Comédie en trois actes et en prose créée pour la première fois le 6 juin 1733 par les Comédiens italiens.
Distribution :  6 hommes et 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Cette pièce, rarement représentée, est jouée pour la première fois en 2018  à la Comédie-Française dans une mise en scène d’Emmanuel Daumas. Lien vers la recommandation de Libre Théâtre.

L’argument

Dorante est éperdument amoureux de la Comtesse, qui s’est éprise du Chevalier Damis, qui lui-même a délaissé la Marquise. Celle-ci échafaude alors avec Dorante un stratagème : ils vont feindre de s’aimer et annoncer leur mariage, afin de provoquer la jalousie de ceux qu’ils aiment. Parallèlement, Arlequin, le valet de Dorante, se désespère de voir Lisette, la servante de la Comtesse, qu’il devait épouser, s’éprendre de Frontin, le serviteur du Chevalier, sous le regard agacé du père de Lisette, Blaise, qui tient à ce que sa fille reste liée par ses engagements.

Illustrations

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:MarivauxHappyStratagem02.jpg
M. Blaise, illustration de Bertall dans le Théâtre complet de Marivaux (Edition Laplace, Sanchez et Cie, Paris 1878). Source wikimedia

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8420082g/f2.item.
Mise en scène de Florent Forge au Théâtre Sarah-Bernhardt, le 30 juin 1964. Photo de Roger Pic. Source : BnF/Gallica

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9002052n/f51.item
Mise en scène de Jacques Lassalle, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, le 14-03-1985. Photo de Daniel Cande. Source : BnF/Gallica


Voir aussi sur le site de l’INA, dans la collection Grands Entretiens, Mémoires du théâtre, un entretien avec Jacques Lassalle qui évoque ses mises en scène de Marivaux.

Monsieur Codomat de Tristan Bernard

Monsieur Codomat de Tristan Bernard, comédie en trois actes, représentée pour la première fois le 17 octobre 1907 au Théâtre Antoine.
Distribution: 5 hommes, 6 femmes
Lien vers le texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

La critique de Jules Renard

Parue dans Messidor, le 19/10/1907. Source : BnF/Gallica

La nouvelle comédie de M. Tristan Bernard me paraît son plus joli tour d’adresse. Certains sujets portent l’auteur. Voici une pièce où l’auteur a d’abord, et jusqu’à la fin, le sujet contre lui. Il ne suffit pas de le traiter, il faut le vaincre. À le juger par le récit de ce qu’il fait, ce Monsieur Codomat ne serait qu’un vilain mufle. Sur la scène, ce qu’il dit le transforme, sa manière l’excuse toujours. Il finirait par avoir le rôle sympathique : c’est un mufle charmant.

Monsieur Codomat, naturel et sincère, fait ça comme ça lui vient. Aucun cynisme. Il ne s’analyse point par pose, mais pour expliquer ses scrupules, dès qu’il croit les apparences contre lui. On riait avec une légère résistance d’honnêtes bourgeois chatouilleux et la petite peur que donne l’équilibriste. Une réplique forte et ingénue de Monsieur Codomat rassurait, et le rire gêné devenait éclat de rire. Que d’écueils frôlés, caressés, nonchalamment tournés ! C’était un fin succès, de qualité extrêmement rare.

La construction de ces trois actes est simple et irréprochable. Monsieur Codomat, architecte, aurait approuvé et signé le plan qu’il garderait d’ailleurs pour lui. Monsieur Codomat, gérant d’immeubles, fait, à propos d’une fuite d’eau, une visite à sa jolie cliente Clotilde. Cette jeune femme naïve le trouve distingué, beau et bon. Il se laisse admirer, puis aimer ; il la conseille et excuse, parce qu’elle a de l’argent, sa situation irrégulière. Il reste paternel, très noble, et quand il sort du cabinet de toilette, il sait dire : «Je suis heureux de vous connaître », comme si rien ne s’était passé.

Clotilde lui confie son argent qu’il mêle avec le sien dans un tiroir, avant de le bien placer. Mais l’amant qui paie, le jeune et riche Lafauvette, respecte aussi Monsieur Codomat. Cet énorme bourgeois les séduit tous et les écrase. Lafauvette, naïf entreteneur, guidé par ce sage, verse ponctuellement les sommes que Clotilde dépose à la caisse commune. Soudain il veut se marier. — « Vous êtes fou » dit Monsieur Codomat ; et Clotilde ? — J’aime votre fille, dit Lafauvette — C’est différent je cède, par faiblesse — Comment rompre avec Clotilde ? — Ne suis-je pas là ? – Monsieur Codomat, toujours bon, toujours beau, toujours souriant, persuade Clotilde. Elle ira se régénérer en province — « J’apportais, dit-elle, ces derniers trois mille francs de Lafauvette. — Je ne peux plus les recevoir, dit Monsieur Codomat, il faut les lui rendre. » — Lafauvette, pour se montrer digne de Monsieur Codomat, assure à Clotilde, par acte notarié, une rente de dix mille francs par an. – « Dix-mille ! c’est gentil ! agréable surprise ! murmure Monsieur Codomat furieux et correct. » Il aura l’œil sur ce petit gendre stupide.

M. Gémier a joué ce rôle redoutable avec une intelligence, une mesure, une pudeur, une perfection qui me mettent à l’aise pour lui dire que je ne l’aimais pas beaucoup dans Terre d’Epouvante. Oui, c’est un autre genre, et il porte. Mais un acteur comme Gémier me semble aussi nécessaire à Monsieur Codomat qu’inutile à M. Roussel, vague gouverneur.

Je suis sûr que la pièce de Tristan Bernard est également jouée comme il le désire, par tous les autres interprètes, depuis. M. Gerber (Lafauvette) jusqu’à M. Baur (plombier), depuis Mlle Jameson (Clotilde, blanche et tendre comme la neige, et si crédule, si prompte à s’offrir), jusqu’à Mlle Lavigne, petite bonne qui s’occupe sérieusement de son affaire. Oui, tous ces artistes ont été dressés, spécialement pour cette comédie, par un auteur ami qui s’intéresse au sort de ses moindres personnages. Pensez-vous que le plombier, par exemple, puisse entrer, réparer un tuyau et sortir sans un mot ? M. Tristan Bernard l’arrête au passage, cause avec lui, le confesse et les deux ne se quittent qu’avec peine. Pourquoi M. Baur s’en va-t-il déjà, avec sa boîte ? Il était bien là, de la maison. Il devait avoir encore à nous dire des choses.

Jules RENARD

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53049915m
Portrait de Firmin Gémier dans « Terre d’épouvante » d’André de Lorde et Eugène Morel et « Monsieur Codomat » de Tristan Bernard / dessin de Yves Marevéry. 1907; Source : BnF/Gallica

Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

Les Deux Canards de Tristan Bernard et Alfred Athis

Comédie en trois actes, représentée pour la première fois le 3 décembre 1913, au Palais-Royal.
Distribution : 13 hommes, 5 femmes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5472473s
Croquis d’Alfred Athis et Tristan Bernard, réalisé par Renefer, paru dans Le Monde artiste du 20 décembre 1913. Source : BnF/Gallica

L’argument

Les « Deux Canards », ce sont deux petits journaux ennemis, créés en vue d’une campagne électorale. Venu dans la petite ville de Valmoutiers pour y retrouver Madeleine, la jolie fille du baron de Saint-Amour, avec laquelle il a dansé le tango, Montillac s’est laissé détourner de ce flirt par Léontine, l’exubérante épouse de l’imprimeur Béjun. Il devient sous le nom de Gélidon, le rédacteur en chef du « canard » radical, la Torche, qu’édite Béjun. La Torche doit servir les ambitions de la femme de Béjun qui veut faire de son mari le prochain maire de Valmoutiers. Il doit affronter le baron de Saint-Amour, chef du parti réactionnaire.

Le baron de Saint-Amour achète le journal ennemi. Toute la rédaction suit le nouveau patron et se conforme à sa nouvelle politique, même Gélidon qui a retrouvé Madeleine et a senti se réveiller son amour pour elle. Mais Mme Béjun contre-attaque en fondant un autre organe, le Phare qui, lui, paraîtra le soir et auquel contribue également Gélidon. Montillac passe ses journées auprès de Madeleine, et écrit les articles de la Torche. Gélidon consacre ses nuits à Léontine et rédige les articles du Phare. La situation se tend entre les deux organes de presse et aboutit à un duel : Montillac et Gélidon doivent se rencontrer sur le terrain. Les témoins les prennent tour à tour l’un pour l’autre, et des amis se substituent à eux, à l’aide de lunettes d’automobile qui cachent leur visage. Au lieu de deux combattants, il y a bientôt trois adversaires en présence…

Illustrations de Marevéry

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53129913c
[« Les deux canards » de Tristan Bernard et Alfred Athis / dessin de Yves Marevéry]. 1913. Source : BnF/gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53129939w
[Armande Cassive, Le Gallo et Marthe Debienne dans « Les deux canards » de Tristan Bernard et Alfred Athis / dessin de Yves Marevéry]. 1913. Source : BnF/Gallica


Quelques critiques à la création de la pièce

Comoedia, du 3 décembre 1913 sur Gallica
Les Hommes du jour, du 13 décembre 1913 sur Gallica


Edition par Libre Théâtre

Le texte est précédé de trois articles parus lors de la création de la pièce : Comœdia, 3 décembre 1913, par Gaston de Pawlowski, Les Hommes du Jour, 3 décembre 1913, par Gabriel Reuillard, Gil Blas, 4 décembre 1913, par Edmond Sée « Au Palais-Royal gros très gros succès, pour les Deux Canards »


Le Théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

Amphitryon de Molière

Comédie en trois actes représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal,le 13 janvier 1668, par la Troupe du Roi.
Distribution : 9 hommes, 2 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Pour séduire Alcmène, l’épouse du général thébain Amphitryon, Jupiter prend les traits de ce dernier. Mercure se transforme également en Sosie, le valet d’Amphitryon, alors que celui-ci s’apprête à informer Alcmène de l’arrivée prochaine de son mari, de retour de guerre. Sosie se trouve face à Mercure, un autre lui-même, qui le chasse et le roue de coups. À l’intérieur, Jupiter fait ses adieux à Alcmène, en lui demandant d’être aimé comme un amant et pas seulement comme un époux.

Amphitryon rentre chez lui mais se querelle avec Alcmène, étonnée de le voir « si tôt de retour ».  De son côté, Cléanthis, la femme de Sosie le rabroue, en raison de la grossièreté  dont il a fait preuve à son égard. Jupiter reparaît sous les traits d’Amphitryon et parvient à se réconcilier avec Alcmène. Amphitryon ne comprend pas la situation alors que Mercure-Sosie lui interdit l’entrée de sa propre demeure, car Jupiter se trouve avec Alcmène. Sosie, de retour, réussit à prouver à son maître qu’il est innocent. Jupiter paraît et convainc l’assistance qu’il est le véritable Amphitryon. Enfin, après quelques péripéties, Mercure se présente sous ses propres traits et explique le mystère ; Jupiter, à son tour, annonce à Amphitryon que sa femme donnera naissance à un enfant, Hercule.

La pièce repose toute entière sur le motif du double et du miroir.

Actuellement à l’affiche au Théâtre Poche-Montparnasse

Amphitryon sur Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8436359d/f204.item
Rôle de Sosie. Source : BnF/Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8436359d/f203.item
Illustration du Prologue. Source : BnF/Gallica

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b531376829/f1.item
Mounet-Sully. Amphitryon. Photographie, tirage de démonstration – Atelier Nadar. 1875-1895. Source : BnF/Gallica


Pour en savoir plus sur la pièce

Il existe à ce jour plus de 80 réécritures du mythe d’Amphitryon.
La première version d’Amphitryon est attribuée à Plaute en 187 av. J-C qui centre l’intrigue sur la mariage d’Alcmène et Amphitryon. Molière emprunte le sujet à Plaute mais le thème est développé à l’époque par plusieurs dramaturges dont Rotrou qui publie Les Sosies en 1636. En 1690 en Angleterre, John Dryden  écrit Amphitryon ou les deux sosies. Kleist, en 1807, adaptera Amphitryon en s’intéressant particulièrement à la figure du double. Au XXème siècle, Jean Giraudoux proposera une nouvelle version du mythe,  Amphitryon 38, mise en scène par Louis Jouvet.

Au moment de l’écriture d’Amphitryon, à la fin de l’année 1667, Molière traverse une période difficile. Il n’a écrit qu’une comédie en un acte depuis un an, Le Sicilien. Il est malade. Les relations avec sa femme, Armande Béjart, commencent à se dégrader. Mademoiselle Duparc est partie pour la troupe concurrente de l’Hôtel de Bourgogne. L’interdiction de sa nouvelle version du Tartuffe en août 1667 contraint Molière à fermer son théâtre pendant sept semaines, temps qu’il met à profit pour écrire Amphitryon. Le 13 janvier 1668, Molière interprète Sosie devant le Roi. Charles Robinet, dans la Lettre en vers à Madame du 21 janvier 1668, ne tarit pas d’éloges (source : site Molière 21 )

« […] L’aimable enjouement du comique,
Et les beautés de l’héroïque,
Les intrigues des passions,
Et bref, les décorations
Avec des machines volantes,
Plus que des astres éclatantes
Font un spectacle si charmant,
Que je ne doute nullement
Que l’on y coure en foule extrême,
Bien par-delà la mi-carême. »

Les recettes passèrent du jour au lendemain de 228 livres à 1 565 livres le soir de la première. Amphitryon fut joué trente-cinq fois dans l’année. (Source : Comédie-Française)

Voir aussi la notice sur le site Tout Molière

Dossiers pédagogiques

Amphitryon à la Comédie-Française, site de la Comédie-Française
Mise en scène de Christophe Rauck – Dossier sur le site de l’académie de Lille
Mise en scène de GuyPierre Couleau – Dossier sur le site de l’académie de Besançon

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