1 personnage

Le Dernier Jour d’un Condamné de Victor Hugo

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84511626/f1
Estampe de Célestin Nanteuil, 1833. Source : BnF/Gallica

Ce texte a été publié en février 1829 sans nom d’auteur. Il a été ensuite réédité en 1832 sous le nom de Victor Hugo. C’est un récit et non pas une pièce de théâtre, mais de nombreux spectacles mettent en scène ce texte, souvent sous forme de monologue. Egalement en téléchargement  la préface publiée en 1832 dans laquelle Victor Hugo explique sa démarche, ainsi que la préface de la troisième édition de 1829 constituée d’une saynète parodique (Une comédie à propos d’une tragédie).

Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.


Extraits de la préface de 1832

L’objet du texte

L’auteur aujourd’hui peut démasquer l’idée politique, l’idée sociale, qu’il avait voulu populariser sous cette innocente et candide forme littéraire. Il déclare donc, ou plutôt il avoue hautement que Le Dernier Jour d’un Condamné n’est autre chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort. Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son oeuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; (…) c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau.

Les motivations

L’auteur a pris l’idée du Dernier Jour d’un Condamné, (…) tout bonnement sur la place publique, sur la place de Grève. C’est là qu’un jour en passant il a ramassé cette idée fatale, gisante dans une mare de sang sous les rouges moignons de la guillotine.

Depuis, chaque fois qu’au gré des funèbres jeudis de la cour de cassation, il arrivait un de ces jours où le cri d’un arrêt de mort se fait dans Paris, chaque fois que l’auteur entendait passer sous ses fenêtres ces hurlements enroués qui ameutent des spectateurs pour la Grève, chaque fois, la douloureuse idée lui revenait, s’emparait de lui, lui emplissait la tête de gendarmes, de bourreaux et de foule, lui expliquait heure par heure les dernières souffrances du misérable agonisant, – en ce moment on le confesse, en ce moment on lui coupe les cheveux, en ce moment on lui lie les mains, – le sommait, lui pauvre poète, de dire tout cela à la société, qui fait ses affaires pendant que cette chose monstrueuse s’accomplit, le pressait, le poussait, le secouait, lui arrachait ses vers de l’esprit, s’il était en train d’en faire, et les tuait à peine ébauchés, barrait tous ses travaux, se mettait en travers de tout, l’investissait, l’obsédait, l’assiégeait. C’était un supplice, un supplice qui commençait avec le jour, et qui durait, comme celui du misérable qu’on torturait au même moment, jusqu’à quatre heures. Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit crié par la voix sinistre de l’horloge, l’auteur respirait et retrouvait quelque liberté d’esprit. Un jour enfin, c’était, à ce qu’il croit, le lendemain de l’exécution d’Ulbach, il se mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été commis, sa conscience lui a dit qu’il n’en était plus solidaire ; et il n’a plus senti à son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la communauté sociale.

Le réquisitoire contre la peine de mort

Un acte  épouvantable  ( récit d’une exécution à Pamiers)

Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui commence, entaille l’homme sans le tuer. L’homme pousse un cri affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et secoua sa tête vivante en criant grâce ! Le peuple indigné prit des pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. Le bourreau s’enfuit sous la guillotine et s’y tapit derrière les chevaux des gendarmes. Mais vous n’êtes pas au bout. Le supplicié, se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu’on vînt le détacher. La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. C’est en ce moment-là qu’un valet du bourreau, jeune homme de vingt ans monte sur l’échafaud, dit au patient de se tourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait de cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s’est fait. Cela s’est vu. Oui.

Retrancher un membre de la communauté sociale

S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ? Pas de bourreau où le geôlier suffit.

La vengeance de la société

La société (…) ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous adhérons.

Faire un exemple

Il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! (…)  Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. (…) Si, malgré l’expérience, vous tenez à votre théorie routinière de l’exemple, alors rendez-nous le seizième siècle, soyez vraiment formidables, rendez-nous la variété des supplices, rendez-nous Farinacci, rendez-nous les tourmenteurs-jurés, rendez-nous le gibet, la roue, le bûcher, l’estrapade, l’essorillement, l’écartèlement, la fosse à enfouir vif, la cuve à bouillir vif… (…)

Pour aller plus loin

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b22002216/f29.item
Le condamné dans sa cellule. Désespoir. Source : BnF/Gallica

Dossier de l’Académie de Rouen  : Victor Hugo contre la peine de mort (liste des textes et lien vers le texte intégral, les arguments de Victor Hugo contre la peine de mort) Lien vers le site

Dossier pédagogique de la Compagnie l’Embellie Turquoise – Lien vers le spectacle Dernier Jour d’une Condamnée par la Compagnie l’Embelli Turquoise sur Libre Théâtre

Yvette Parent « L’emploi de l’argot dans Le Dernier Jour d’un condamné« . Communication au Groupe Hugo le 8 février 2003 Texte à télécharger sur le site du Groupe Hugo

Conférence d’Agnès Spiquel, professeur émérite de littérature française à l’Université de Valenciennes sur France Culture

Manuscrit autographe ayant servi pour l’impression de 1832 contenant la préface, le texte, des notes et pièces diverses. Source : BnF/Gallica

L’Incendie de Georges Courteline

Extrait de l‘Illustre Piégelé.
Monologue
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le Texte

J’ai fait hier un rêve symbolique, dont je ne suis pas mécontent.

Voici ce rêve.

Sur un théâtre que je ne reconnaissais pas, je voyais jouer une comédie dont je ne comprenais pas un mot, encore qu’elle ne m’apparût pas comme dénuée de toute valeur. Simplement elle était obscure, d’une obscurité de tombeau à travers laquelle, par instant, passaient des souffles de vague grandeur qui me faisaient hocher la tête et penser en moi :

— C’est bien, ça !… Il y a du talent, là-dedans.

Tout à coup, derrière mon dos, un grand brouhaha, et des cris. Je regardai et je m’aperçus, avec cette sérénité que sait garder l’âme dans le rêve, que le feu avait pris à la salle. A cette heure une fumée épaisse l’emplissait, et, du balcon au poulailler, des gens hurlaient éperdus, en proie à d’horribles angoisses. Ils disputaient entre eux et bataillaient les uns les autres, les plus robustes foulant aux pieds les plus faibles afin de leur passer sur le corps et de gagner un peu plus vite la sortie. C’était un terrible spectacle, dont je n’étais point ému d’ailleurs et qui, même, ne laissait pas que de m’intéresser vivement. Mais ma surprise fut extrême de voir, d’un élan spontané, les acteurs s’approcher de la rampe et crier de toutes leurs forces :

— Ne vous en allez pas ! Ne vous en allez pas ! Nous n’avons pas encore fini. Attendez, mesdames et messieurs ; vous allez voir comme nous jouons bien, comme nous avons du talent !….

La conscience de leur valeur les aveuglaient à un tel point qu’ils ne prenaient point souci à songer que les autres brûlaient. Peut-être, même, ne voyaient-ils pas l’incendie !… Or, la foule demeurant sourde à leurs prières, il advint qu’un des comédiens, pourvu sans doute de la puissance magnétique, fut pris d’une violente colère. Il vint à la boîte de souffleur, étendit le bras dans le vide en s’écriant d’un ton de commandement :

— Restez !

Et les spectateurs, comme frappés de paralysie, eurent les pieds rivés au sol, pareils, dès lors, à de rugissantes statues, les regards fixés malgré eux sur les acteurs qui s’étaient remis à bien jouer.

Car en vérité ils jouaient bien. Deux, surtout : un grime à perruque, duquel les bouffonnes contorsions étaient à faire pâmer de rire, et un exquis jeune premier, dont la bouche fleurie de phrases amoureuses évoquait l’idée d’un cul de poule qui aurait pondu du miel. Ils se complaisaient tellement à s’écouter, qu’un moment vint où ils se mirent à parler tous deux à la fois, chacun n’entendant que sa propre diction, déclamant avec une volubilité surprenante et s’interrompant de temps en temps pour jeter aux gens de la salle qui se lamentaient de plus en plus et braillaient à qui mieux mieux :

— Ne criez donc pas comme ça. Vous n’écoutez pas ce que je dis. C’est ridicule.

Cependant l’incendie gagnait. On en entendait le grondement sourd, dans les dessous du théâtre. Soudain d’entre les fentes du plancher de la scène, des langues de feu surgirent, et bientôt la scène tout entière fût envahie par les flammes. Les comédiens, impassibles, jouaient toujours ; et je pensais :

— C’est le suintement de leur vanité qui, les isolant, les protège.

La salle maintenant n’était plus qu’un brasier empli de cris épouvantables. Mais, comme, d’un tas de fumée opaque, s’élevaient les voix des acteurs entêtés à se faire admirer et annonçant : « Nous n’en avons plus que pour une petite demi-heure » ; les pompiers jugèrent que la farce avait suffisamment duré. Ils pénétrèrent sur la scène de tous les côtés à la fois, et, à coups énormes de leurs haches, ils réduisirent au silence ces exécrables personnes. Ceci au grand soulagement des spectateurs qui n’étaient point encore calcinés, et qui, rendus à la liberté de leurs mouvements, regagnèrent leurs domiciles en toute hâte.

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61500084
L’illustre Piégelé. Albin Michel 1904. Source : BnF/Gallica

La première leçon de Georges Courteline

Monologue extrait de l’Illustre Piégelé

Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Le texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53030497h
22-10-19, congrès de l’U.V.F. [Union vélocipédique de France, debout, de gauche à droite, Alfred Riguelle, René Mathis, Van Steenbrugghe, Georges Duchesne, et assis, Louis Josset, Georges Chollet, Léon Breton, Schrader, Ernest Delamarre, Tristan Bernard, Claude Martin] : [photographie de presse] / [Agence Rol] . Source : BnF/ Gallica

— Tenez le guidon sans raideur ; veillez bien à ce que vos pieds ne quittent jamais la pédale, et allez carrément de l’avant !… De la confiance !… Toute l’affaire est là !— Allez ! Je vous tiens.

Ainsi me parlait dans le dos l’auteur charmant du Mari Pacifique, mon ami Tristan Bernard, maître en l’art d’écrire le français et agrégé de vélocipède, si j’ose m’exprimer ainsi. En même temps, joignant le geste à la parole, il avait, de sa dextre robuste, empoigné, au ras de mon fond de culotte, la selle de la bicyclette, théâtre de mes premiers essais, et il en maintenait le fragile équilibre.

— Je vous tiens, répétait-il ; allez !… Nom d’un pétard ! ne lâchez donc pas la pédale !… Ne lâchez donc pas la pédale !… Mais ne lâchez donc pas la pédale !…

— C’est à elle que vous devriez dire de ne pas me lâcher, répondis-je un peu agacé, inquiet, aussi, flairant la minute — prochaine — qui allait me voir couché, les quatre fers en l’air, dans les poussières du chemin.

Et le fait est qu’elle semblait le faire exprès, la pédale, tant était manifeste son obstination à se dérober à ma semelle pour tourbillonner ensuite dans le vide, avec la rotation précipitée d’une bobine qui se déroule. Mais, aveuglé par la passion, Tristan Bernard ne voulait rien entendre. Il apportait dans les débats une partialité révoltante, disant que j’étais dans mon tort, que je me servais de mes pieds comme un cochon de sa queue, et que tout cela, ça venait de ce que j’avais la vesse.

La vesse…

Rouge d’humiliation, je résolus d’infliger sans retard le plus éclatant démenti à cette assertion mensongère, et, ayant roidi mes mollets dont la tension élargit, aussitôt les mailles de mes bas de laine à côtes, je mis ma bicyclette en mouvement.

La machine fit trois tours de roues.

Derrière moi :

—Très bien ! Vous y êtes ! fit l’invisible Tristan Bernard. Puis, comme il répétait encore une fois : « Je vous tiens ! » ajoutant : « Vous ne tomberez pas ; c’est impossible ! »

— Oui, déclarai-je avec humilité bien feinte du monsieur qui a craint de mourir et qui sent se développer en soi d’héroïques témérités à mesure que son cœur se rouvre à l’espérance, je crois que ça ira tout de même.

Et, en somme, mon Dieu, ça allait. Ça allait mal, mais ça allait. Ma roue de devant se conduisait bien un peu à la manière d’une femme saoule, hésitante de la route à suivre, opérant de brusques conversions tantôt à droite, tantôt à gauche, qui m’eussent inévitablement précipité à bas de ma selle, n’eût été la main tutélaire de l’excellent Tristan Bernard ; n’importe ! la conscience où j’étais des progrès, déjà accomplis décuplait mon énergie, et ma confiance puisait des forces toujours nouvelles en ma certitude désormais absolue de ne plus courir aucun péril.

De temps en temps, avide d’être encouragé, de recueillir de justes éloges :

— Ça va, hein ? demandais-je à Bernard toujours arc-bouté sur ma selle.

Lui, immédiatement :

—Très bien ! Vous avez des dispositions.

— Sans blague ?

— Ma parole d’honneur.

— Tristan Bernard, vous vous moquez !

Alors, comme Alceste à Philanthe :

— Je ne moque point ! assurait-il. Que ma figure se couvre de pustules, si vous n’allez seul dans deux jours !

Ces paroles me donnaient de l’espoir.

Cependant, il arrivait cette chose extraordinaire que plus je gagnais en vitesse, plus la voix de Tristan Bernard perdait en sonorité !… Il semblait qu’elle s’évaporât !… à croire que la mince couche d’air interposée entre moi et mon interlocuteur s’élargissait petit à petit, comme un soumet d’accordéon, et je me réjouissais in petto mille fois plus que je ne saurais dire, car je ne doutais point que l’auteur du Mari Pacifique s’époumonât à courir sur mes traces, préposé qu’il était au maintien et à la sauvegarde de mon centre de gravité.

L’homme est naturellement bon ; il aime à faire payer les services qu’on lui rend. L’idée que mon obligeant ami pouvait payer ses bons offices d’un commencement d’apoplexie n’avait rien qui me déplût ; loin de là ! En sorte que, me représentant par la pensée ses yeux injectés d’épuisement et son épaisse barbe brune ruisselante d’une humidité de mauvais aloi, je sentais pousser à mes pieds les ailes du divin Mercure, et que ma bicyclette, à cette heure, filait sur ses pneus, comme le vent. Quelques minutes s’écoulèrent.

Soudain :

— Vous avez chaud, mon vieux ? demandai-je à Tristan Bernard, d’une voix doucement ironique. L’interpellé ne répondit pas.

— Plus un mot ! pensai-je, pouffant de rire ; il ne peut plus placer un mot !…

Puis, haut :

— Ne vous gênez pas pour moi. Voulez-vous vous reposer un peu ?

Silence. Ça devenait surprenant.

— Vous m’entendez, Tristan Bernard ?

Rien encore.

Du coup, l’inquiétude me prit. Que signifiait un tel mutisme ? Les pieds rivés à la pédale, les doigts crispés sur le guidon, je jetai un coup d’œil derrière moi… Miséricorde ! J’étais seul ! ! ! A droite, à gauche, à perte de vue, fuyait l’immense tapis des champs, hérissés de bleuets et de coquelicots, tandis que là-bas, tout là-bas, silhouette que détachait en noir d’ombre chinoise le fond clair de l’horizon, Tristan Bernard, assis sur la crête d’un talus, me faisait signe de continuer.

Quoi donc !… je tenais sur ma machine sans le concours de qui que ce soit ?… Depuis peut-être cinq minutes, je devais à mes seuls talents de fouler le sol poudreux de la route ?… Ah ! ça ne traîna pas, je vous le jure ! Le sursaut des charmes rompus me frappa, à l’instant même, d’un coup de pied dans l’estomac. Je culbutai. Ma bicyclette tomba sur le flanc comme une masse, et je tombai, moi, sur la figure, empourprant du sang de mon nez les mille arêtes d’un tas de cailloux que la main de la Providence toujours généreuse en ses vues, avait mis là, fort à propos, pour me recevoir.


Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Le Chevalier Hanneton de Georges Courteline

Extrait de l’Ilustre Piégélé.
Monologue
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

Le texte

I.

Les coulisses d'une Féerie. Au Châtelet, pendant le ballet des insectes. Estampe de Robida 1885. Source : BnF/ Gallica
Les coulisses d’une Féerie. Au Châtelet, pendant le ballet des insectes. Estampe de Robida 1885. Source : BnF/ Gallica

Féru d’amour pour la petite Machinchouette du théâtre des Douces-Folies, où elle faisait le troisième coléoptère dans le ballet des insectes du Chat-Echaudé, je résolus de prendre exemple sur le capitaine Fracasse et de parvenir par le cabotinage jusqu’au cœur de celle que j’aimais. Legourdo, que nous vîmes depuis aux Menus-Plaisirs, menait en ce temps les Douces-Folies, je dirai même qu’il les menait à la faillite avec une incomparable dextérité. Je vins solliciter de lui un petit emploi dans sa troupe (à titre purement honorifique, est-il nécessaire de le dire ?) et je demeurai confondu de l’accueil charmant qu’il me fit. Non seulement il se mit à ma disposition de la meilleure grâce du monde mais encore il me proposa spontanément de m’intéresser à son entreprise pour une somme de cinq cents louis !…
Touché de cette marque de sympathie, j’acceptai l’offre avec le plus vif plaisir.
— Vous pouvez, me dit-il alors, vous vanter d’avoir de la veine. J’ai reçu aujourd’hui de Marbouillat, qui jouait le chevalier Hanneton, à l’acte du royaume des insectes, une lettre m’informant qu’il me lâche. Voilà tout à fait votre affaire. Soyez ici ce soir à neuf heures et demie. Je m’exclamai :
— Comment, ce soir !… C’est ce soir que je débuterai ?
— Sans doute.
— Diable ! fis-je à mi-voix en effritant du bout de mon ongle le cratère de la petite verrue qui fleurit à l’extrémité de mon appendice nasal, c’est peut-être un peu précipité. Je n’y mets aucune prétention ; cependant, je voudrais débuter dans des conditions convenables ; je ne tiens pas à me faire emboîter devant la petite Machinchouette. Or, pour peu que le chevalier Hanneton ait seulement deux cents lignes à dire…
A ces mots :
— Rassurez-vous, dit Legourdo, les doigts agités dans le vide en un geste pacificateur ; le rôle n’a pas cette importance. Il est tout de finesse et de tenue. Tranchons le mot : c’est un rôle muet.
Puis voyant mon front s’empourprer d’une rougeur d’humiliation :
— Je m’empresse d’ajouter, reprit-il, qu’il est d’un effet certain.
— Oui ?
— Oui.., et — qualité appréciable — de nature à avantager la plastique des personnes bien faites. — Ah ! ah !
— Voilà qui vous décide ?
— Un mot encore, répondis-je. Comment est-ce que je serai habillé ?
— En or et noir. J’entendis mal. Je me vis costumé en vespasienne, et l’évoqué dégradant d’une semblable mascarade me jeta au violent soubresaut d’un monsieur qui reçoit une claque ; mais Legourdo ayant rectifié le tir et dissipé la confusion dont je venais d’être victime, je sentis, comme Ange Pitou dans la Fille de Mme Angot, mon cœur renaître à l’espérance. Il s’ouvrit tout grand à l’orgueil lorsque mon interlocuteur, d’un simple et combien éloquent : « Vous apparaissez par une trappe », eut fait flamboyer à mes yeux la torche des gloires assurées. Quoi ! tout de noir et d’or vêtu, j’apparaîtrais par une trappe ?… Somptueux et majestueux, lentement, je surgirais au-dessus du plancher de la scène comme une manière de soleil au-dessus d’une espèce d’océan ?… et ceci dans l’éblouissement d’un jet de lumière électrique ?… Ne doutant pas que, dans ces conditions, je dusse faire sur l’esprit de la petite Machinchouette une impression favorable, je n’avais plus à hésiter.
— Eh bien ! c’est entendu, dis-je à Legourdo ; vous pouvez compter sur moi. A l’heure dite je serai ici.
II.
Et à l’heure dite, je fus là. Le régisseur de la scène, que j’aperçus derrière un portant, et à qui je vins demander, le chapeau à la main, de vouloir bien m’indiquer ma loge, fixa et arrondit sur moi des yeux en gueule de tromblons. C’était un homme formidable, aux épaules de déménageur, au crâne taillé dans un pavé.
Comme il restait sans paroles, avec l’air de ne pas comprendre :
— Ma loge ?… répétai-je, ma loge ?… pour m’habiller !… C’est moi qui remplace Marbouillat dans le rôle du chevalier Hanneton.
Ah ! il comprit du coup !
J’eus un recul terrifié.
Les poings hauts, les mâchoires béantes, le personnage s’était brusquement rué sur moi, et sans que je pusse démêler, même d’une façon embryonnaire, le pourquoi de son emportement, il se mit à me couvrir d’injures, criant que je n’étais « qu’une saleté de figurant », demandant depuis quand « les poires » de mon espèce se permettaient de pénétrer sur le théâtre en dépit des règlements formels, disant que « je lui foutais des vents  » avec mes petits favoris, et que si je ne me dépêchais d’aller retrouver les comparses, là-haut, au sixième étage, dans la loge de la figuration, il allait m’y conduire lui-même à coups de souliers au derrière ; enfin, des choses très mortifiantes, d’autant plus faites pour me toucher que la présence de la petite Machinchouette, malencontreusement survenue au moment de l’entretien, et dont l’assassine goguenarderie, compliquée de : « C’te gueule ! C’te gueule ! » à moi lancés comme des banderilles, redoublait mon humiliation.
J’abrégeai cette scène pénible en gagnant précipitamment le sixième étage du théâtre. Un quart d’heure plus tard, ivre de joie, je mirais dans le cadre d’une glace ma triomphante silhouette de chevalier Hanneton.
Mon costume me rendait pareil à un jeune dieu ; je le dis sans fausse modestie. Matelassé ça et là de petits sachets ouateux, propres à souligner la grâce, charmante sans doute mais un peu frêle peut-être, de mes cuisses et de mes mollets, il se composait d’un collant de soie noire et d’un corselet, noir aussi, sur lequel mordait le vis-à-vis d’une double rangée de dents blanches. Deux ailes larguées dans mon dos y épanouissaient, — joie de yeux ! — la splendeur de l’or en fusion, en sorte que c’était vraiment d’un goût exquis. Cependant, il y avait plus beau ; oui, il y avait plus beau encore : mon casque !… à facettes, s’il vous plaît, verni comme des souliers de bal et pourvu d’une paire d’antennes qui dressaient vers le ciel leurs phalanges écartées, pareilles aux suppliantes mains d’une jeune mère implorant en faveur de son nouveau né la pitié du lion de Florence. Éblouissant de mille feux et jouant le jais à s’y méprendre, il empiétait sur mes pommettes, masquait mon front jusqu’aux sourcils, caparaçonnait mon menton depuis la lèvre inférieure, emprisonnait mon nez sous une toile métallique que mon habilleur, homme habile, avait, au préalable, enduit d’un badigeonnage de pétrole destiné à donner du reflet. Je vous dis que c’était d’un goût !… J’avais l’air encapuchonné dans un morceau de charbon de terre. Oui, je devais connaître en ce jour à quelles acuités délicieuses peuvent atteindre les transports d’une personne flattée dans son amour-propre. N’importe, le devoir m’appelait par la bouche de l’avertisseur paru sur le seuil de la loge et hurlant formidablement : « A vous, le Hanneton . !… A vous !  » Je m’élançai. La hâte légitime où j’étais de mordre à même mon triomphe me mettait des ailes aux chevilles.
III.
Par les dessous du théâtre où me déversèrent des successions d’escaliers enténébrés et vermoulus, dont les marches vacillaient sous la semelle comme, sous la pesée du dentiste, vacillent des dents déchaussées, je m’aventurai avec précaution, voire avec un peu d’inquiétude. Brusquement, en effet, une terre inconnue se révélait à mes regards, toute une contrée insoupçonnée de pilotis enchevêtrés dressés en X, en T, en H, et qu’écrasait de sa pesanteur un plafond fêlé de minces caustières. Et à la lueur jaune de quinquets brûlant mélancoliquement derrière des grillages de laiton, c’était le mystère inquiétant des activités silencieuses ; des ombres allaient et venaient, dont je distinguais les cous puissants émergés de tricots à bandes bleues, les mains en gigots de moutons, les pieds chaussés d’espadrilles. Ces gens se grouillaient, il fallait voir ! Ils tiraient sur des câbles, baladaient des portants, se chamaillaient les uns les autres sans que je pusse saisir un mot de leurs discours, tandis que le piétinement du corps de ballet roulait des bouteilles dans le plafond et qu’aux alanguissements lointains d’une valse gémie à l’orchestre, venait se mêler, tombée de la bouche d’un porte-voix — comme d’une gouttière une trombe d’eau, — la voix du chef machiniste posté là haut,dans la coulisse.
— Attention !… Ouvrez les tiroirs !…
Il disait, et au même instant une rondelle du plafond glissée sur ses rainures démasquait une gueule de citerne où s’engouffraient des flots de clarté et de mélodie.
— Appuyez ! commandait la voix.
Et le mot n’avait pas été dit, qu’on voyait s’élever lentement, les pieds écartés en équerre, sur la plate-forme d’une planchette que chassait vers le ciel l’effort de huit bras nus, une forme rigide et imposante quelque bonne fée ou quelque malfaisant génie ; celui-ci renfermant sur son corps ses ailes sinistres de chauve-souris ; celle-là s’arc-boutant à sa canne, et révélant, avec une tranquille impureté, par écartement de sa tunique, la splendeur charnue et rosée de sa cuisse.
C’était curieux et bien fait ; on aurait dit de la montée lente d’une fusée.
Pour moi, j’admirais de toutes mes forces, un peu déçu, pourtant, je l’avoue, car l’idée ne m’était pas venue que je dusse partager avec des étrangers la satisfaction d’être jeté tout vif à la surprise et aux acclamations d’une foule, délirante d’enthousiasme. C’est vrai, quand on s’est habitué à se prendre pour le soleil, rien n’est plus agaçant et plus insupportable que de se buter à une concurrence. Or, comme je rêvais à ces choses, voici que s’éleva de nouveau, dans le silence bourdonnant des dessous, l’organe tonitruant du chef machiniste.
— Attention !
Je tendis l’oreille, visité d’un pressentiment.
— Amenez le chevalier Hanneton.
Le chevalier Hanneton !…
Je devins pâle, Mon sang afflua à mon cœur où il sonna à coups de bélier.
Ah ! l’approche des victoires certaines ! le seuil enfin aperçu, des paradis convoités longuement ! A travers le trouble indicible où tout mon être se liquéfiait, une vision m’illumina ; je vis la salle debout, saluant en ma personne, d’applaudissements, unanimes, le lever d’un astre nouveau, cependant que, frappée du coup de foudre, la petite Machinchouette éperdue, ramenait ses mains sur son cœur pour en comprimer les battements.
Je m’approchai ; une planchette de bois me reçut, un plateau dont maintenaient les bords quatre grands gaillards accroupis. L’un d’eux me questionna.
— Vous y êtes ?
— Oui, répondis-je, après m’être assuré de la main que les petits matelassés ouateux de mon collant étaient toujours à la même place. L’autre alors :
— Bon !… Tenez-vous droit, les bras au corps et et les talons sur la même ligne. Et ne craignez rien ; il n’y a pas de danger ! Comme il achevait :
— Appuyez ! meugla lugubrement le porte-voix acoustique. D’un mouvement simultané, les quatre accroupisse dressèrent. J’eus l’impression d’une poussée brusque, me projetant du haut en bas par la pénombre, et saoul d’orgueil, défaillant à l’avance sous le poids des gloires qui m’attendaient… j’allai taper de mon crâne au plancher de la scène ! La trappe, QUE LES MACHINISTES AVAIENT OUBLIÉ D’OUVRIR, arrêta au passage l’essor sonore de ma tête, laquelle, à l’instant même, rentra en mes épaules, telle, à la foire au pain d’épices, la tête enturbannée du Turc, sous le coup de massue de l’amateur qui a parlé de faire sortir Rigolo.

Pour explorer l’œuvre théâtrale de Georges Courteline dans Libre Théâtre :

Les Choux de Georges Courteline

Texte établi par Libre Théâtre à partir de l’édition Coco, Coco et Toto, Albin Michel, Paris, 1905 (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k66297d).
Monologue
Texte intégral à télécharger sur Libre Théâtre.

Le texte

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1158111d
Illustration de Barrère de l’édition de 1910. Source : BnF/Gallica

De la pâle ruelle du lit où il s’étirait frileusement en attendant que l’heure sonnât de se lever pour le travail :

– Chou ! cria Monsieur à Madame allongée à son côté, puisque tu as fini de le lire, passe-moi donc l’Echo de Paris, que je voie un peu les nouvelles.

– Non ! répondit sèchement Madame. Les choux ne sont pas faits pour passer les journaux.

Cette réplique troubla Monsieur qui en médita longuement l’étrangeté inattendue. Madame, immobile, se taisait, ses mains croisées sous la nuque, jetant au reflet d’un miroir qui s’inclinait en l’ombre imprécise de l’alcôve les sombres creux de ses aisselles et la mare d’encre qu’étendaient par le lit ses beaux cheveux éparpillés.

Cinq minutes s’écoulèrent.

Soudain :

– Chou ! cria de nouveau Monsieur puisque tu es auprès de la table de nuit, passe moi donc mon paquet de tabac que je me fasse une cigarette.

– Non ! répondit encore Madame. Les choux ne sont pas faits pour passer du tabac.

Elle dit et pinça les lèvres, l’œil au plafond où rayonnait en larges plis un ciel-de-lit Pompadour.

– A merveille dit alors Monsieur, une légère humeur dans la voix mais comme je m’embête en ce lit, ne pouvant ni fumer ni lire, je ne m’y attarderai pas une minute de plus. Passe-moi mes chaussettes, chou ; je me lève.

Et il se soulevait sur les paumes, en effet, quand à son étonnement extrême :

– Non répondit Madame une troisième fois. Les choux ne sont pas faits pour passer des chaussettes. Lui, se mit en colère, du coup.

– Ça va durer longtemps ? En voilà une histoire ! A-t-on idée de choux pareils ? Par le diable, il faudrait s’entendre s’ils ne sont faits ni pour passer le tabac, ni pour passer les chaussettes, ni pour passer les journaux, pourquoi donc sont-ils faits, les choux ?

Madame n’eut pas un mouvement.

Simplement, amenant sur Monsieur la dureté de ses yeux bleu-acier où flambaient, sombres, des rancunes :

– Pour qu’à la mode de chez nous, fit-elle d’une voix grave, on les plante !

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Le piano de Georges Courteline

Monologue paru dans l’Ami des Lois, en 1894.
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Alors que La Brige vient de déménager, son loueur de piano vient avec des déménageurs lui reprendre.

Un extrait

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lo%C3%AFsa_Puget#/media/File:Lo%C3%AFsa_Puget_by_Marie-Alexandre_Alophe.jpg
Loïsa Puget par Alophe BnF. Source Wikimedia Commons.

– Vous ne deviez point déménager sans mon autorisation expresse, car je ne loue point de piano sans que le concierge du locataire n’apposa d’abord sa signature au bas de l’acte de location. C’est pour moi une garantie indispensable. Or vous avez quitté votre ancien domicile pour en venir occuper un nouveau. A cette heure, je suis dans vos mains : il vous est loisible de dire, que mon piano est à vous et de vous l’offrir si le cœur vous en dit. Je ne vous connais pas, après tout. Est-ce que je sais jusqu’à quel point vous n’êtes pas un malhonnête homme ? Qui me prouve que vous payez vos dettes, si ce n’est contraint et forcé ? Qui me dit que vous n’avez pas des traites en souffrance chez les huissiers du voisinage et que vous ne serez pas saisi demain, vous, vos frusques et votre mobilier… dont  mon piano fait à présent partie ? D’ailleurs ce n’est pas tout ça ; vous me l’allez rendre à l’instant même, ou j’envoie chercher les agents et je dépose une plainte en abus de confiance entre les mains du procureur de la République.

Tout en discourant de la sorte, le loueur de piano me foudroyait de ses regards, des regards noirs, chargés de haine. Que j’eusse pris de satisfaction à casser sa sale gueule ! Seulement, voilà, je suis un homme d’intérieur, je me complais à l’intimité du chez moi et j’aime charmer la longueur des mornes soirées de l’hiver en jouant au piano le Petit Suisse, Mon Rocher de Saint-Malo et l’air charmant de Loïsa Puget :
Un coup d’piéton !
Moi j’m’en fiche
Y faut que j’liche !

La perspective d’une dépossession cruelle me troublant plus que je ne saurais dire, je ravalai le flot indigné que je sentais me prendre à la gorge.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10524549m
Coquelin cadet, de la Comédie française] : estampe de Desboutin 188. Source : BnF/ Gallica

Le Potache de Georges Feydeau

Monologue comique dit par Coquelin Cadet de la Comédie-Française

Texte intégral à télécharger sur Libre Théâtre

Un extrait :

Hein ? Vous croyez que je ris ? Je suis furieux ! Ces professeurs, quels crétins ! Si jamais je suis ministre, je les supprime ! Vous ne savez pas ce qui m’arrive ? Mon professeur me demande ma leçon ; je n’en savais pas un mot ; il me flanque un zéro. Quelle injustice ! Est-ce que je pouvais la savoir… je ne l’avais pas apprise. J’ai réclamé… il m’a mis à la porte. Alors je lui ai dit un mot mais un mot ! Eh bien, il n’a pas bronché, le lâche !

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76167d

Il est vrai qu’il n’a pas pu l’entendre, je l’ai dit tout bas.

Ah ! c’est que ce matin j’avais bien autre chose à faire que d’apprendre des leçons. J’ai dormi moi !… parce que, avant hier, j’ai été en soirée… Oh ! une soirée étonnante ! Il y avait des hommes, des femmes et deux députés… dont un Auvergnat. L’Auvergnat a voulu prendre la parole, mais on s’y est opposé… à cause de l’autre. Ils n’étaient pas du même avis ; cela aurait pu faire du grabuge.

Quand je suis arrivé, il y avait peu de monde ; dans le vestibule, j’ai trouvé un monsieur très aimable… avec des favoris : on m’a dit que c’était le maître d’hôtel ; Ah ! il a un bien bel hôtel !

Je lui ai serré la main, il a eu l’air très flatté… et il m’a demandé mon paletot. Vrai, pour un propriétaire aussi riche, il n’est pas fier. Moi, vous comprenez, j’ai refusé et j’ai donné mon caban à un monsieur qui avait l’air beaucoup moins bien, mais qui devait être quelque chose dans la maison, car tous les invités lui serraient la main en l’appelant « mon cher ».

Je suis entré dans le salon ; la maîtresse de la maison est venue à moi et m’a serré la main… (avec fatuité). Et je crois même…, à la façon dont elle m’a regardé, que… Enfin passons, pauvre enfant !

Elle a voulu me présenter à son mari, mais je lui ai dit que j’avais eu l’honneur de lui serrer la main, dans le vestibule.

Couverture de l’édition de 1883/ Source : BNF/Gallica

Vous pouvez explorer l’univers de Feydeau à travers les articles suivants :

– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Saint-Germain. portrait paru dans l'article nécrologique de l'Eclair. Source wikipedia
Saint-Germain. portrait paru dans l’article nécrologique de l’Eclair. Source wikipedia

Le Petit Ménage de Georges Feydeau

Monologue en vers dit et illustré par Saint-Germain du Théâtre du Gymnase, publié en 1883.

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Un extrait

Minet, le roi des angoras,
Doux et blanc, soyeux, gros et gras,
Avait pour légitime épouse
Une belle chatte andalouse
Aux poils brunis et pleins d’appas.
C’est moi qui fis leur mariage.
Oui, moi, par un beau jour d’avril ;
Mais mariage tout civil…
Sans messe — aujourd’hui c’est l’usage ;
Car j’avouerai que mon chat,
Nouveau Daniel Rochat.
Ne fait pas très bon ménage
Avec la gent à rabat.
Oui, ces messieurs ont la sottise
De nommer péchés capitaux
La luxure et la gourmandise ;
Et Minet a ces deux défauts.
D’ailleurs chacun son goût sur terre !
Moi, mon chat est libre penseur.
C’est son droit ! mais n’ayez pas peur :
Minet n’est pas révolutionnaire.


Edition originale. Source BnF/Gallica

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– Le Théâtre de Georges Feydeau
– Biographie de Georges Feydeau
– Les ressorts comiques du langage chez Feydeau
– La politique dans les pièces de Feydeau
– Les progrès techniques dans les pièces de Feydeau
– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Les Célèbres, de Georges Feydeau

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10524549m
Coquelin cadet, de la Comédie française] : estampe de Desboutin 188. Source : BnF/ Gallica

Monologue comique de 1884 dit par Coquelin Cadet de la Comédie-Française.

Téléchargez gratuitement le texte intégral sur Libre Théâtre


« Les hommes sont bêtes, bêtes, bêtes, ne m’en parlez pas ! tenez, je souffre. Ah ! Pascal a bien dit : « L’homme est un roseau ! » Oui, un roseau, c’est-à-dire une chose bête, bête, bête. Ah ! c’est que Pascal était un homme crâne, lui, avec son air de bon apôtre ! Je ne sais pas pourquoi l’on dit toujours « l’Agneau Pascal ! » Ne vous y fiez pas !

Oui, l’homme est bête, bête, bête ; enfin, regardez-le, lui, être faible, il juge les autres, il fait des célébrités ! Et qui choisit-il pour cela ?… toujours des gens connus ! C’est bien malin ! comme cela on n’a pas la peine de les chercher !

Enfin, quelles sont-elles ses célébrités ? C’est Franklin, Gutenberg, Christophe Colomb… Christophe Colomb, je vous demande un peu ! Un monsieur qui n’a d’autre mérite, que d’avoir fait tenir un œuf sur la pointe… et ça, en le cassant ! Mais il suffit de manger des œufs à la coque pour ça ! Je l’ai fait vingt fois moi… je vous le ferai tenir, l’œuf sur la pointe… et sans le casser encore… Vous en doutez ? donnez-moi un œuf… et un coquetier, et vous allez voir. Mais n’importe quel équilibriste vous fera dix fois plus fort que ça ! il vous fera tourner une boule au bout d’une baguette, lui… Ce n’est pas Christophe Colomb qui aurait fait ça ! Vous voyez que ça ne l’empêche pas d’être célèbre… »

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– Le vaudeville et Feydeau (à travers deux articles de Feydeau).

Les Réformes de Georges Feydeau

Monologue comique, datant de 1885, dit par Coquelin Cadet. Dédié à M. Philippe Gille.

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Un texte toujours d’actualité ! Un extrait :

On veut réformer la Constitution ! C’est parfait ! je ne la connais pas, moi, cette Constitution ; mais il est évident qu’elle a besoin de réparations parce qu’il n’est pas de si bonne Constitution qui ne se détériore avec le temps. Alors il s’est agi de s’entendre. C’est pour cela qu’on a réuni le Congrès… et on n’a rien entendu du tout ! On a crié si fort, qu’il n’y a que les sourds qui ont entendu quelque chose, et que ceux qui entendaient en sont revenus sourds. Eh ! bien, pendant qu’on criait, je l’ai trouvé le remède ; je l’ai trouvé dans le journal. Pour les constitutions faibles, demander le fer Bravais ! Eh bien, voilà votre affaire ! le fer ! tout le monde aux fers ! C’est le seul moyen d’avoir un peuple libre et indépendant. Eh ! bien, alors, vling ! vlan ! réformons !

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400856s
Coquelin cadet : portrait / par Lhéritier. Source : BnF/ Gallica

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