Ruy Blas de Victor Hugo
Drame romantique en cinq actes et en vers, représenté pour la première fois le 8 novembre 1838, pour l’ouverture du Théâtre de la Renaissance.
Distribution : 19 hommes, 4 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
L’argument
Don Salluste, grand d’Espagne, est condamné à l’exil par la Reine . Il surprend les confidences de Ruy Blas, son jeune laquais, qui est amoureux de la Reine (« un ver de terre amoureux d’une étoile »). Don Salluste ordonne à Ruy Blas de se faire passer pour don César de Bazan et, sous cette identité, de se faire aimer de la reine, qu’il compte ainsi compromettre.
Ruy Blas, à la fois ébloui par l’idée d’approcher son étoile et pris de passion pour les malheurs politiques de l’Espagne, prend au sérieux son rôle. Au moment même où, avec l’appui admiratif de sa protectrice, il entreprend de purger le pays de la corruption, don Salluste revient.
Au terme de péripéties compliquées par le retour imprévu du vrai don César de Bazan, Ruy Blas clame devant la reine sa condition de laquais, exécute Salluste et, désespéré, se tue aux côtés de celle qu’il aime.
Quelques illustrations extraites de Gallica
Création au théâtre de la Renaissance le 8 novembre 1838
Victor Hugo écrit sa pièce Ruy Blas en quelques semaine du 5 juillet au 11 août 1838 (voir manuscrit original en fin de page). Il choisit Frédérick Lemaître pour le rôle de Ruy Blas et assure la mise en scène de sa pièce dans les moindre détails. La première a eu lieu le 8 novembre 1838 et est applaudie.
Reprise au théâtre de l’Odéon le 24 février 1872
Entrée au Répertoire de la Comédie-Française le 4 avril 1879
Mounet-Sully dans le rôle de Ruy Blas, Coquelin dans celui de don César et Sarah Bernhardt dans le rôle de la Reine
Pour aller plus loin
Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo
Autour des mises en scène
2010 : Mise en scène de Jacques Bachelier, Compagnie La Mesnie H, dossier pédagogique , interview sur CultureBox
2012 : Mise en scène de Christian Schiaretti au TNP : lien vers le site du TNP (vidéos, dossier pédagogique…)
Sur le site de l’INA
Version télévisée, réalisation de Claude Barma du 23 janv. 1965. Liens vers le site de l’INA, autre lien vers le site (extraits gratuits, version intégrale payante)
Découpage radiophonique, au Palais de Chaillot le 7 mars 1954 par la troupe du Théâtre National Populaire (TNP), mise en scène Jean Vilar (Avec Gérard Philippe, Daniel Sorano, George Wilson…). Lien vers le site de l’INA (extrait gratuit), tirade Bon appétit Messieurs par Gérard Philippe, sur le site de l’INA
Etudes
Claude MILLET(dir.), Hernani – Ruy Blas A la foule, aux femmes, aux penseurs. Actes de la journée d’études du 29 novembre 2008
Ludmila CHARLES-WURTZ, L’anti-théâtre: a le lyrisme dans Hernani et Ruy Blas format doc / format pdf
Pierre LAFORGUE, Hernani/Ruy Blas, d’une préface l’autre format doc / format pdf
Franck LAURENT, Politique et apolitique: la question du privé dans Hernani et Ruy Blas format doc / format pdf
Florence NAUGRETTE, Des forces qui vont: le retour du refoulé dans Hernani et Ruy Blas format doc / format pdf
Yvette PARENT, Le mot «peuple» dans Hernani et dans Ruy Blas format doc / format pdf
Site consacré à Ruy Blas, réalisé par Danielle GIRARD, Professeur au lycée Jeanne d’Arc de Rouen
Manuscrit autographe de Victor Hugo
(source BnF/ Gallica)
Extrait de l’acte III , Scène 2
Bon appétit ! messieurs ! —
Tous se retournent. Silence de surprise et d’inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n’avez pas honte et vous choisissez l’heure,
L’heure sombre où l’Espagne agonisante pleure !
Donc vous n’avez pas ici d’autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
— Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
L’Espagne et sa vertu, l’Espagne et sa grandeur,
Tout s’en va. — Nous avons, depuis Philippe Quatre,
Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
et toute la Comté jusqu’au dernier faubourg ;
Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
De côte, et Fernambouc, et les Montagnes Bleues !
Mais voyez. — Du ponant jusques à l’orient,
L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
Comme si votre roi n’était plus qu’un fantôme,
La Hollande et l’Anglais partagent ce royaume ;
Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu’à demi
Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
La Savoie et son duc sont pleins de précipices ;
La France pour vous prendre, attend des jours propices ;
L’Autriche aussi vous guette. — Et l’infant bavarois
Se meurt, vous le savez. — Quant à vos vice-rois,
Médina, fou d’amour, emplit Naples d’esclandres,
Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
Quel remède à cela ? — L’état est indigent ;
L’état est épuisé de troupes et d’argent ;
Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères !
Et vous osez ! … — Messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, — j’en ai fait le compte, et c’est ainsi ! —
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu’on pressure encor,
A sué quatre cent trente millions d’or !
Et ce n’est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! … —
Ah ! j’ai honte pour vous ! — Au dedans, routiers, reîtres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L’escopette est braquée au coin de tout buisson.
Comme si c’était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d’affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
L’herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L’Espagne est un égout où vient l’impureté
De toute nation. — Tout seigneur à ses gages
A cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
Génois, Sardes, Flamands, Babel est dans Madrid.
L’alguazil, dur au pauvre, au riche s’attendrit.
La nuit on assassine et chacun crie : à l’aide !
— Hier on m’a volé, moi, près du pont de Tolède ! —
La moitié de Madrid pille l’autre moitié.
Tous les juges vendus ; pas un soldat payé.
Anciens vainqueurs du monde, Espagnols que nous sommes
Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes.
Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
S’habillant d’une loque et s’armant de poignards.
Aussi d’un régiment toute bande se double.
Sitôt que la nuit tombe, il est une heure trouble
Où le soldat douteux se transforme en larron.
Matalobos a plus de troupes qu’un baron.
Un voleur fait chez lui la guerre au roi d’Espagne.
Hélas ! Les paysans qui sont dans la campagne
Insultent en passant la voiture du roi ;
Et lui, votre seigneur, plein de deuil et d’effroi,
Seul, dans l’Escurial, avec les morts qu’il foule,
Courbe son front pensif sur qui l’empire croule !
— Voilà ! — L’Europe, hélas ! écrase du talon
Ce pays qui fut pourpre et n’est plus que haillon !
L’État s’est ruiné dans ce siècle funeste,
Et vous vous disputez à qui prendra le reste !
Ce grand peuple espagnol aux membres énervés,
Qui s’est couché dans l’ombre et sur qui vous vivez,
Expire dans cet antre où son sort se termine,
Triste comme un lion mangé par la vermine !
— Charles-Quint, dans ces temps d’opprobre et de terreur,
Que fais-tu dans ta tombe, ô puissant empereur ?
Oh ! Lève-toi ! Viens voir ! — Les bons font place aux pires.
Ce royaume effrayant, fait d’un amas d’empires,
Penche… Il nous faut ton bras ! Au secours, Charles-Quint !
Car l’Espagne se meurt, car l’Espagne s’éteint !
Ton globe, qui brillait dans ta droite profonde,
Soleil éblouissant qui faisait croire au monde
Que le jour désormais se levait à Madrid,
Maintenant, astre mort, dans l’ombre s’amoindrit,
Lune aux trois quarts rongée et qui décroît encore,
Et que d’un autre peuple effacera l’aurore !
Hélas ! Ton héritage est en proie aux vendeurs.
Tes rayons, ils en font des piastres ! Tes splendeurs,
On les souille ! — ô géant ! Se peut-il que tu dormes ? —
On vend ton sceptre au poids ! Un tas de nains difformes
Se taillent des pourpoints dans ton manteau de roi ;
Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme !