Le Roi des Frontins d’Eugène Labiche et Auguste Lefranc
Comédie-vaudeville en deux actes, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal le 28 mars 1845.
Distribution : 8 hommes, 2 femmes
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L’argument
« Le comte de Bethmont est ruiné, ses valets l’abandonnent et Frontin, rusé coquin, voleur, comme un valet de bonne maison, va suivre l’exemple de ses camarades. Frontin excelle surtout dans l’art de contrefaire et de prendre la signature des honnêtes gens.—On doit tout prendre des honnêtes gens, dit le drôle.—Enfin son maître lui permet de quitter l’hôtel, à condition qu’il trouvera pour le remplacer un valet adroit et dévoué. Un pauvre diable de marchand de canards, qui n’a d’autres ressources que de manger son fonds, vient à passer devant l’hôtel. Frontin lui fait endosser la livrée en lui promettant une place superbe. Notre marchand de canards, grâce à une leçon que lui a donnée Frontin, se présente au comte et prend des petits airs de roué. Le comte de Berthmont effrayé d’abord de l’air bête du nouveau Frontin, finit par avoir confiance en lui, et lui ordonne de lui procurer un riche vêtement et vingt-cinq louis. La providence vient servir à souhait le pauvre Frontin. Un jeune seigneur compromis dans une conspiration et fuyant la police, échange contre le modeste habit du comte de Bethmont un habit de velours et d’or dans lequel se trouve vingt-six louis. Le maître de Frontin conçoit dès lors la meilleure opinion de son valet, qui marche de succès en succès, et à qui tout réussit, sans qu’il sache comment ni pourquoi. C’est un sort qu’on lui a jeté et il est stupéfié de son bonheur. Le comte de Bethmont a été arrêté sous le nom du marquis de Cérigny, à cause de l’habit qu’il porte. Frontin obtient la liberté de son maître et un laissez-passer pour lui-même. Puis, sous la robe d’un avocat, il gagne le procès de son maître contre un fripon d’usurier. Enfin l’heureux Frontin qui se trouve être le filleul mentionné dans le testament cause du procès, devient riche à son tour ; et délaissant la livrée qui lui a donné tant de pouvoir et de bonheur, il reprend son nom de Thomas et se retire à Poissy, sa ville natale, emportant la réputation d’homme de génie et le surnom de roi des Frontins.
Les mots comiques abondent dans cette petite pièce; il y en a même de fort hasardés ; par exemple on dit à Frontin-Thomas : vous avez été dérangé depuis deux jours ? —Çà ne m’a pris que dans la nuit, répond-il…—Mais enfin on rit, on est désarmé. Toutefois la pièce n’est qu’une bluette, remplie de ce qu’on nomme des ficelles, qui sont souvent trop grossièrement visibles.
Mais il y avait là de quoi faire rire tout un public et enlever un succès ; c’est Alcide Tousei dont la sottise et l’ingénuité sont admirables, et qui vous décoche les mots avec un naturel des plus désopilants. À lui donc l’honneur du succès et justice sera faite. Grassot est fort comique dans le rôle de Fayensal ; Germain et Meynadier rivalisent de lourdeur et de nullité.
Une charmante actrice, Mlle Lucie Durand, est venue au second acte nous montrer son gracieux visage et ses beaux yeux ; ce qui nous a récompensé des minauderies, du grasseyement et des yeux égarés de Mlle Aline, dont les accroche-coeurs sont ridicules et la voix désagréable comme le son d’une anche de clarinette.—Pourquoi donc réduire au rôle de figurante Mlle Lucie Durand, et donner un rôle qui pouvait être piquant à Mllee Aline?—M. Dormeuil est pourtant homme de goût et directeur habile.
(Article paru dans l’Argus le 3 avril 1845. Source : BnF/Gallica).
Un extrait
Thomas.
Canes ! canes ! canes ! canards !… C’est-y vous qui demandez des canes ?
Frontin.
Approche, mon garçon, approche !
Thomas.
Voilà ce que c’est : Quarante sous les z’huppés… Quant aux autres…
Frontin.
Laisse ces animaux. (Thomas dépose son panier à droite.) Je t’ai appelé pour causer…
Thomas.
Pour causer ! (À part.) C’est un étranger qui veut apprendre la langue.
Frontin.
Es-tu content de ton commerce ?
Thomas.
Franchement, je n’en suis pas fou ; le canard n’est pas sans épines… Je ne sais pas si ça tient aux événements politiques, mais on trime dans le canard et on trime bien !
Frontin.
Vraiment ! (À part.) Ça se trouve à merveille !
Thomas.
Vous avez devant vous un tout jeune homme qui mange sa légitime.
Frontin.
Comment cela ?
Thomas.
Voilà la chose… Je suis de Poissy. Mon père, un vieux brave homme, tient dans cette localité un pensionnat… pour les bestiaux et autres volailles… C’est là que j’ai été élevé… Tous les ans, à ma fête, mon père me pesait, et, tous les ans, je le voyais sourire, en constatant mon poids, qui augmentait à vue d’œil… Un jour, enfin, au sortir de la balance, il m’attire, sous un vain prétexte, près de la porte de son établissement et me tient à peu près ce langage : « Mon fieu ! de tous mes élèves, tu es, en ce moment, le plus gras… Selon la règle de la maison, c’est donc toi qui dois en sortir le premier… Je n’ajouterai qu’un mot : va-t’en… » (Il fait mine de lancer un coup de pied.) Et il me pousse au milieu d’un attroupement de canards qui semblaient s’être réunis tout exprès pour assister à cette séparation touchante… Dans ma rage, j’avais déjà écrasé deux ou trois de ces bipèdes, lorsque j’entends de nouveau la voix de mon auteur qui s’écrie : « Malheureux ! mais, c’est ta dot que tu foules aux pieds !… » Ma dot ! Ce mot m’éclaire ; je prends un bâton et je me mets à taper sur ma dot qui s’en allait de-ci, de-là !… A force de taper, nous arrivons à Paris, ma dot et moi ; canes ! canes ! canes ! canards ! Voulez-vous des canards ?… Ah ! ben oui ! personne n’achète !… Alors, pour donner l’exemple, je me mets à en plumer un et je le mange… j’en plume un second et je le mange… J’en replume un troisième et je le remange… Enfin, depuis quinze jours que je donne l’exemple, je suis ma seule pratique : voilà les cinq derniers.