Ni Brel ni Barbara par la Compagnie Les Monsieur Monsieur
Vu en juillet 2019 à la Tache d’encre – Festival OFF Avignon
**** Coup de cœur de Libre Théâtre Avignon 2019
Comment peut-on encore chanter après Barbara et Brel ? Comment faire entendre sa propre voix après que ces monstres sacrés ont porté la chanson à un tel degré de sublime inégalable ? Face à l’écrasante présence de ces modèles, un jeune chanteur est-il condamné à choisir entre la médiocrité et l’imitation ? C’est le dilemme plus général de la création artistique, quand tant de génies sont passés avant nous. Et c’est donc la question que tentent de trancher devant nous Mario et Laurent, en une joute de chansons, à la fois poétique et humoristique. On a rarement l’occasion d’entendre les mots de Barbara et de Brel dans d’autres bouches que les leurs, tant il est hasardeux et souvent vain de se risquer à la réinterprétation de tels monuments de la chanson française. Reprenant les grands standards de ces deux artistes, mais aussi certains titres moins connus, Mario et Laurent nous font redécouvrir l’incroyable puissance poétique à jamais intacte des textes de Barbara et de Brel, aujourd’hui un peu occultée par des voix devenues trop familières. C’était une mission presqu’impossible. Ils y parviennent au-delà de toute espérance à force d’humilité, d’humour, de respect et d’amour pour ces deux figures tutélaires, à la fois protectrices et castratrices. Barbara et Brel, pour un chanteur qui débute, c’est un peu papa et maman. Et il faut bien un jour quitter ses parents si l’on veut suivre sa propre route et vivre sa propre vie. Point ici, donc, d’imitations forcément pathétiques. Point non plus de réinterprétations grandiloquentes prétendant faire mieux que l’original. Non, seulement la musique et les mots de Barbara et de Brel, dont on ignorait que la complicité ait été si étroite. Le climax de ce spectacle est sans doute le moment où nos deux artistes font se répondre devant nous sur la scène « Ne me quitte pas » et « Quand reviendras-tu ». Si comme le dit Baudelaire, « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent », il en va parfois de même pour les chansons lorsqu’elles deviennent pure poésie. Laurent finira par convaincre Mario qu’il n’y a pas d’autre voie que d’inventer son propre chemin, d’aller vers son risque comme dit René Char. Pour un artiste, comme pour tout homme ou femme d’ailleurs, il n’y a pas d’autre solution pour exister que de trouver, d’assumer et de magnifier sa différence. Faire de la pudeur voire de la honte une fierté, c’est d’abord ça le processus déclencheur de la création artistique. Et à travers l’expression libérée de cette différence propre à chacun, paradoxalement, parvenir à toucher tous les autres, le public, en lui faisant redécouvrir en lui-même des territoires cachés et des richesses ensevelies. Cette différence commune à tous, c’est l’objet même de l’expression artistique dans ce qu’elle a d’universel.
Un spectacle tout public à ne manquer sous aucun prétexte. Et on hâte en sortant de la salle de découvrir Mario et Laurent dans leur propre répertoire, avec « Pêcheurs de Rêves ». Oui, on a adoré « Ni Brel ni Barbara ». Ne nous quittez pas ! Quand reviendrez-vous ?
Critique de Jean-Pierre Martinez
Mise en scène : Rémi Deval
Interprètes : Mario Pacchioli, Laurent Brunetti
Lumières : Pierre Wendels
Lien vers le site de la Compagnie pour les dates de la tournée