Les gaités de l’escadron de Georges Courteline avec la collaboration d’Edouard Norès

Revue de la vie de caserne en trois actes et neuf tableaux.
Représentée pour la première fois au Théâtre de l’Ambigu, le 18 février 1895.
Ce titre a été également utilisé pour rassembler des pièces militaires parues en 1904 et 1905 (les tire-au-cul, Lidoire, Le Père Machin-Chouette, le capitaine Marjavel).
Distribution : 21 hommes (dont beaucoup sont de simples figurants), 1 femme
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http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55680982/
Recueil de plusieurs pièces, illustré d’après les croquis de Barrère, paru en chez Fayard en 1913. Source : BnF/ Gallica

L’argument

Dans un régiment de cavalerie principalement constitué de tire-au-flanc, le capitaine débonnaire Hurluret fait son possible pour protéger ses hommes contre la vindicte des petits chefs. Un général en tournée d’inspection découvre tous ces petits arrangements pris avec le règlement. Cette pièce donne lieu à une galerie de personnages pittoresques : brigadier inventant des motifs de punition (Bourre), chef faisant faire son travail (Favret),  brute galonnée, stupide et agressive (Flick), tire-au-flanc voleur (Fricot), un première classe qui se plaint de la nourriture (Joberlin), un bagarreur (Ledoux), une cantinière acariâtre (Madame Bijou), un jeune officier inexpérimenté (Mousseret), un réserviste joyeux drille (Potiron), un pauvre militaire qui écope des punitions les plus injustes (Vanderague)…


Un extrait

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55680982
Recueil de plusieurs pièces, illustré d’après les croquis de Barrère, paru en chez Fayard en 1913. Source : BnF/ Gallica

Le général.
…(A Ledoux.) Et ce gros rouge, qui a une figure si honnête, quel est son avis sur la soupe ?
Hurluret.
Parlez ! Vous entendez bien que le général vous interroge !
Ledoux.
Mon général, la soupe est excellente.
Le général.
Voilà qui est net ! (A Ledoux.) Je vous remercie ! (A Joberlin.) Ah ! çà, qu’est-ce que vous me chantez, vous ?
Joberlin.
Mon général, ne les écoutez pas. C’est tous des menteurs, des capons ! Y a que moi qui ai dit la vérité… C’est dégoûtant ! c’est dégoûtant !
Le général.
Oui, enfin, tranchons le mot, vous êtes une forte tête.
Joberlin.
Mon général, je vous jure !… C’est tous des menteurs, que je vous dis ! Ils avaient promis de me soutenir.
Le général.
Et allez donc !… Un petit complot ! – Plus un mot !… (A Hurluret.) L’événement me donne raison, et voici la confirmation de ce que je vous disais tout à l’heure. Tandis que vous dormiez en paix, toute une conjuration s’ourdissait dans l’ombre. Je n’entends pas donner à ce petit incident plus d’importance qu’il n’en mérite, mais quelle que soit ma répugnance à marquer mon passage par des punitions, je vous demanderai de porter huit jours de prison… (Montrant Joberlin) à cet homme.
Hurluret.
Adjudant !
Flick.
Parfaitement, mon capitaine !
Le général.
De cette façon, la gamelle qui ne vaut rien lui aura valu quelque chose. (A Hurluret.) C’est là tout votre monde ?
Hurluret.
Oui, mon général, plus les hommes de garde, les gardes d’écurie, et, je crois, deux ou trois malades. Puis, voici nos réservistes, qui nous sont arrivés d’hier…
Le général.
Ah ! très bien ! Vous n’avez pas de permissionnaires ?
Hurluret.
Non, mon général.
Le général.
Ni d’hommes en bordée ?
Hurluret, qui se récrie.
Oh ! mon général !
Le général.
C’est que souvent les officiers répugnent à un aveu pénible, en ce sens qu’il trahit chez eux une absence de surveillance, et, chez leurs hommes, un fâcheux esprit d’indiscipline.
Hurluret.
Ce n’est le cas ni de mes hommes ni de mes officiers.
Le général.
Je vous en félicite sincèrement, mais alors, qui sont ces gens-là ?
Derrière le dos de Hurluret viennent d’entrer La Guillaumette et Croquebol, flanqués de deux gendarmes.
Mousseret, à part.
La Guillaumette et Croquebol ! Ça manquait !
Flick, à part.
Ah ! les rossards ! Ah ! les rossards !
Hurluret, abasourdi.
Mon général, mon général… je ne sais comment vous exprimer… une pudeur bien naturelle, un sentiment de… de… comment dirais-je ? Une sorte de… solidarité… si je puis me servir de ce mot… Enfin, mon général, que voulez-vous que je vous dise, moi ? Je vous présente toutes mes excuses.
Le général.
Et je les accepte de grand coeur. Cependant ces rentrées sensationnelles, avec menottes, gendarmes, tout le diable et son train, sont d’un effet détestable sur l’esprit des populations provinciales.
Hurluret.
Mon Dieu, je sais bien, mais enfin, quoi ? Les soldats ne sont pas des hannetons qu’on emprisonne dans un bas de laine et je vous déclare qu’avec la meilleure volonté du monde, il m’est matériellement impossible de leur fiche un fil à la patte !
Le général.
Ne vous emportez pas.
Hurluret.
Je vous demande pardon.
Le général.
Vous ferez ce que vous voudrez : ce que je vous en dis, c’est dans votre intérêt.
Hurluret.
Ne prenez pas cette peine, mon général ; si c’est de mon avancement que vous voulez parler, il y a longtemps que j’en ai fait mon deuil.
Le général.
Pourquoi donc ?
Hurluret.
Oh ! Geste vague.
Le général.
A vrai dire… je professe pour votre personne, pour vos capacités et pour votre bravoure, une estime toute particulière, mais le commandement des hommes exige chez celui qui s’y applique un souci constant et jaloux de l’autorité qu’il exerce. De vous à moi, vous n’êtes pas sans savoir que ces gaillards-là ne vous craignent guère.
Hurluret.
Je me fais une gloire d’en être convaincu.
Le général.
C’est faire bon marché, vous me permettrez de vous le dire, du respect dû à vos galons.
Hurluret.
Je confesse volontiers mes torts, mon général. Enfant de la balle, né des amours d’une cantinière et d’un maréchal-ferrant, tour à tour enfant de troupe, soldat puis officier, je me soucie peu de n’occuper qu’une mince place dans le respect… (Il montre ses soldats) de mes camarades, si j’ai su me faire un petit coin dans leurs coeurs et dans leur souvenir. J’ai cinquante ans ; j’ai depuis longtemps, je vous le répète, renoncé à toute ambition ; je ne vois donc pas sans épouvante venir la minute prochaine, où ma vie, déjà sur son déclin, s’en ira sombrer je ne sais où, dans la tristesse et dans la solitude, loin des chambrées qui me furent si familières, et des soldats que j’ai tant aimés ! Eh bien un rayon de soleil m’éclairera pourtant dans ma nuit : la pensée que peut-être un de ceux qui n’ont pas aujourd’hui pour mon âge et pour mes galons tout le respect qui leur est dû, dira de moi, ému et souriant et remuant avec mélancolie les pages du lointain passé : « Quand j’étais simple cavalier de seconde classe au 51e chasseurs, nous avions pour capitaine une vieille bête, nommé Hurluret. C’était un braillard, un brouillon, mais ce n’était pas un méchant homme. »
Le général.
Vous avez une âme de grisette, et vous parlez, mon cher capitaine, avec beaucoup d’éloquence ; malheureusement, ce n’est pas avec ce système-là qu’un officier mène ses hommes.
Hurluret.
Je mènerai les miens à la mort quand je voudrai ; ils y marcheront derrière moi comme à une partie de plaisir, et c’est déjà quelque chose.
Le général.
Comme vous voudrez. – Diable, voici l’heure de mon train. Je suis très satisfait, messieurs, très satisfait, et je vous prie de transmettre aux sous-officiers et brigadiers l’expression de mon contentement.

Adaptations au cinéma

Affiche du film de 1932
Affiche du film de 1932

La pièce a été adaptée plusieurs fois au cinéma :
– film muet, en 1913, réalisation de Joseph Faivre et  Maurice Touneur. Lien vers IMDB
– film de 1932, réalisation de Maurice Tourneur avec notamment Raimu, Fernandel et Jean Gabin.  En savoir plus sur le film sur le site L’Age d’or du cinéma français.
-film franco italien de 1954, réalisation de Paolo Moffa (avec Vittorio de Sica, Charles Vanel, Daniel Gélin…). Lien vers IMDB

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