L’enlèvement de Henry Becque
Comédie en trois actes représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Vaudeville le 18 novembre 1871.
Distribution : 3 hommes, 4 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
L’argument
La jeune Emma choquée par la conduite de son mari Raoul De Sainte-Croix a quitté Paris et s’est installée dans leur maison de campagne, accompagnée de sa belle-mère. Antonin De la Rouvre vient souvent lui tenir compagnie. Raoul, pressée par sa mère, tente une réconciliation mais Emma ne le supporte plus et n’a pas l’espoir de le voir changer. Antonin annonce son départ pour les Indes. Arrive alors Antoinette, comtesse Bordogni, la maîtresse de Raoul, qui se trouve être la femme d’Antonin, qu’elle a trompé et dont il s’est séparé. Après une ultime dispute, Raoul retourne à Paris. Emma décide partir avec Antonin pour les Indes.
Une pièce féministe ?
Même si certaines tirades sont assez verbeuses, Becque campe avec talent les différents personnages de cette pièce et notamment Emma, la jeune épouse qui refuse d’accepter la conduite de son mari et sa condition d’épouse. Alors que Henry Becque est décrit comme misogyne à son époque, certaines tirades ont fait scandale lors de sa représentation, alors que la question du divorce faisait l’objet de débats.
Le monologue de la scène 5 de l’acte III suit une discussion d’orageuse qu’Emma a eu avec sa belle-mère.
Femme vulgaire, diseuse de futilités et de lieux communs, oui, tu es bien la mère de ton fils, et tu lui es supérieure encore. Ton existence au moins ne manque pas d’harmonie ; elle a la grandeur des choses régulières. Tu as été loyale, dévouée, charitable ; tu as été frivole aussi et bornée, c’est le lot des femmes, à ce qu’il paraît, tu l’as accepté. Mais ton misérable fils, cet homme nul et malfaisant, comblé jusqu’à l’injustice des faveurs de ce monde, et qui ne rend au monde que des exactions !
Il faut prendre un parti où je ne compte plus qu’avec moi-même, après m’être sacrifiée trop longtemps. Honneur, devoir, considération, j’ai respecté ces grands mots autant qu’une autre, et j’aurais voulu donner le spectacle d’une intelligence libre soumise à des règles déterminées. Mon mari ne me l’a pas permis. Il n’est plus, à mes yeux, qu’un pavillon neutre dont il faut se couvrir ou se dégager.
Ce que je préférerais, je le sais. Me séparer, dignement, sans éclat ; mais mon mari, ou plutôt sa mère, n’y consentira jamais. Un procès m’épouvante ; que d’histoires, pour le perdre peut-être. Partir alors ! Ah! partir! que de choses dans ce mot ! Amour, épanouissement, fantaisie ! Mais c’est se déshonorer en s’affranchissant !
Ah ! que les hommes sont heureux ! Leur destinée est libre ; leurs forces indépendantes ! Ils ont tous les privilèges, ceux de la pensée et ceux de l’action ! Ils ne s’épuisent pas comme nous dans des combats intérieurs où notre vie entière est engagée et qui n’ont pour objet que l’amour. L’amour, une déchéance pour nous et pour eux un titre de plus ! Art, science, philosophie, politique, toutes les voies leur sont ouvertes. Ils écrivent, ils parlent, ils enseignent. Ils conduisent de grandes affaires ou soutiennent de grandes luttes. Ils donnent leur sang pour leur pays, et ce sacrifice à certaines heures est si solennel que les plus humbles, en tombant héroïquement, sauvent l’honneur d’une nation!
Henri Becque décrit ainsi l’accueil de cette pièce dans la préface qu’il rédige 25 ans après la première représentation : « Elle a été jouée au Théâtre du Vaudeville le dix-huit novembre mil huit cent soixante et onze. Elle a été sifflée et huée le premier soir, massacrée le lendemain par toute la critique elle a eu cinq représentations. »
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