Le piano de Georges Courteline
Monologue paru dans l’Ami des Lois, en 1894.
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L’argument
Alors que La Brige vient de déménager, son loueur de piano vient avec des déménageurs lui reprendre.
Un extrait
– Vous ne deviez point déménager sans mon autorisation expresse, car je ne loue point de piano sans que le concierge du locataire n’apposa d’abord sa signature au bas de l’acte de location. C’est pour moi une garantie indispensable. Or vous avez quitté votre ancien domicile pour en venir occuper un nouveau. A cette heure, je suis dans vos mains : il vous est loisible de dire, que mon piano est à vous et de vous l’offrir si le cœur vous en dit. Je ne vous connais pas, après tout. Est-ce que je sais jusqu’à quel point vous n’êtes pas un malhonnête homme ? Qui me prouve que vous payez vos dettes, si ce n’est contraint et forcé ? Qui me dit que vous n’avez pas des traites en souffrance chez les huissiers du voisinage et que vous ne serez pas saisi demain, vous, vos frusques et votre mobilier… dont mon piano fait à présent partie ? D’ailleurs ce n’est pas tout ça ; vous me l’allez rendre à l’instant même, ou j’envoie chercher les agents et je dépose une plainte en abus de confiance entre les mains du procureur de la République.
Tout en discourant de la sorte, le loueur de piano me foudroyait de ses regards, des regards noirs, chargés de haine. Que j’eusse pris de satisfaction à casser sa sale gueule ! Seulement, voilà, je suis un homme d’intérieur, je me complais à l’intimité du chez moi et j’aime charmer la longueur des mornes soirées de l’hiver en jouant au piano le Petit Suisse, Mon Rocher de Saint-Malo et l’air charmant de Loïsa Puget :
Un coup d’piéton !
Moi j’m’en fiche
Y faut que j’liche !
La perspective d’une dépossession cruelle me troublant plus que je ne saurais dire, je ravalai le flot indigné que je sentais me prendre à la gorge.