Le Navire Night de Marguerite Duras mis en scène par Frédéric Fage
au Théâtre du Balcon, 38 rue Guillaume Puy, Avignon
du 7 au 30 juillet à 18h00 relâches les 12, 19 et 26 juillet
Le Navire Night : la périlleuse traversée de l’amour à travers les écueils de la nuit.
Au plus profond de la nuit, un homme et une femme se parlent au téléphone. Ils ne se connaissent pas. Une ligne téléphonique les a réunis par hasard, et de ce hasard va naître une grande histoire d’amour. Au fil des ans, cette relation évoluera. Mais ils ne se rencontreront jamais.
Le téléphone du siècle dernier, cet appareil en bakélite reliant par un fil deux interlocuteurs désireux d’entrer en communication, était un instrument à la fois mystérieux et magique. C’était aussi le média de tous les fantasmes. Se parler sans se voir. Ou même parfois se parler sans se connaître. Se livrer totalement tout en restant dans l’anonymat. N’être en relation que par le truchement d’une voix à la sensualité exacerbée par l’absence de toute autre forme de contact. Imaginer l’autre d’après son propre désir sans risquer d’être contredit par une réalité forcément plus triviale. Noir, rouge ou rose, ce téléphone mythique des origines participait à la fois du romantisme, de l’érotisme et de la pornographie. C’est à ce jeu pervers du fantasme téléphonique, combinant vérité des sentiments et mensonges forcément sublimes, que s’adonnent à leurs risques et périls les deux amants de Marguerite Duras. De vraies ou fausses confessions en rendez-vous manqués. De parler sans se voir à voir sans être vu. Ils inventent en même temps qu’ils la vivent l’histoire de la quête d’un amour absolu, qui ne peut le rester qu’en restant non seulement platonique mais purement… téléphonique.
Dès les premières phases, le spectateur est plongé dans l’univers de Duras, sa langue, son rythme et surtout ses silences. Par de subtiles jeux de lumières et de voilages, le metteur en scène Frédéric Fage nous embarque dans un voyage inédit vers de nouveaux rivages amoureux. Maroussia Henrich et Lorenzo Buttigieg « incarnent » ces voix : les personnages s’effacent derrière les mots. Ils ne sont souvent que des silhouettes. Ils ne dialoguent pas mais sont les narrateurs de leur propre histoire, réelle ou fantasmée. La musique de Mathieu Rulquin, remarquablement interprétée au piano par Roland Conil, entre en résonance avec la mélodie durasienne, se nourrissant de ces silences entre deux appels.
Ce texte de 1978, adapté au cinéma et au théâtre par Marguerite Duras, trouve un écho particulier aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux et au sortir d’une pandémie où les impératifs de distanciation sociale ont engendré de nouvelles formes de communication amoureuse.
Un spectacle à ne pas manquer pour les amoureux de Marguerite Duras.
Critique de Ruth Martinez
Spectacle vu le 10 juin 2022 au Théâtre du Balcon
Un texte de Marguerite Duras
Mise en scène : Frédéric Fage
Avec : Maroussia Henrich et Lorenzo Buttigieg
Au piano : Roland Conil
Scénographie : Georges Vauraz
Lumière : Denis Koransky
Musique : Mathieu Rulquin
Vidéo : Valérie Marinho de Moura
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