La Cigale chez les Fourmis d’Eugène Labiche et Ernest Legouvé
Comédie en un acte, représentée pour la première fois à Paris au Théâtre-Français le 23 mai 1876.
Distribution : 3 hommes, 2 femmes.
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
Extrait des Souvenirs de M. Delaunay.
« L’autre pièce était la Cigale chez les Fourmis, de Legouvé et Labiche ; comme j’y jouais le principal rôle, je dirai quelques mots de cette charmante comédie de mœurs qui fit les beaux soirs de la Comédie et… le tour des salons.
Les Chameroy ont plus de trois millions de fortune, mais ils semblent créés pour justifier cet aphorisme que, pour certaines personnes, il est plus difficile de dépenser son argent que de le gagner. Dans ce nid de fourmis où il y a naturellement une jeune fille charmante à marier, s’introduit une cigale sous la forme de Vérac, un jeune homme plus ou moins inutile et quelconque. Ce Vérac a un ami, Paul de Vineuil, qui étant en relations d’affaires avec les Chameroy, en profite pour venir plaider la cause du postulant. Et le voilà parti, étourdissant de bons mots et de paradoxes fous, donnant des leçons de prodigalité aux Chameroy.
Dans la vie ordinaire, les Chameroy auraient peut-être mis dehors les deux étourdis, fanfarons de luxe et de vie désoeuvrée. Mais, dans la comédie, ce cliquetis de spirituelles invraisemblances produit un pharamineux effet. Vineuil prend aisément la place de Vérac, plaide sa propre cause et finalement épouse Henriette, jeune fille simple, hypnotisée par le charmant séducteur. Seront-ils heureux ? ceci ne nous regarde pas… Il y avait des mots charmants dans la pièce, et Chameroy, le bourgeois — éternel tremplin de réflexions prudhommesques — en a une large part. Avec quelle emphase comique il s’écrie : « Je ne connais d’ailleurs qu’une noblesse… celle du coeur… Nous avons cent cinquante mille livres de rente… » Ou bien : « On nous traite de fourmis. Fourmis ! J’ai vendu trente obligations Nord, acheté soixante Midi !… On ne se figure pas comme l’argent file ! » Dans le rôle de la mère, madame Jouassain était d’un naturel exquis; Henriette, c’était Tholer, charmante fleur éclose dans ce milieu prosaïque. Barré, en Chameroy, représentait bien le bourgeois naïf dans sa prétention, brave homme au fond et facile à leurrer. Je n’ai pas à défendre outre mesure le personnage de Paul de Vineuil, puisque c’est moi qui le tenais. Ces désoeuvrés, si spirituels et séduisants qu’ils soient, ne sauraient être loués outre mesure, et l’on aimerait peut-être à voir les économies des Chameroy placées en meilleures mains. Mais il est si bon garçon, il promet à sa fiancée tant de choses… qu’il tiendra peut-être… Il a tant d’entrain, et dit si gentiment leur fait à ses antipodes, les fourmis ! M. Legouvé tenait à moi pour interprète et me remercia chaleureusement d’avoir joué ce petit rôle. »
(Souvenirs de M. Delaunay, de la Comédie-Française / recueillis par le Cte Fleury ; préface de M. Jules Claretie, Edition C. Lévy 1901. Source : BnF/Gallica)