Le chevalier des dames d’Eugène Labiche et Marc-Michel
Comédie mêlée de couplets, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal le 16 décembre 1852.
Distribution : 3 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
L’argument
Henriette de Merlemont décide de se rendre à un concert, en cachette de son mari. Elle tombe sur Nestor de Bois-Rosée, le Chevalier des Dames qui a fait voeu de porter secours aux Dames dans l’embarras. Malheureusement Bois-Rosée voulant venir en aide à Henriette , la place dans une situation encore plus difficile. Le mari le prend pour un domestique et l’embauche pour l’aider aux travaux dans sa maison de campagne.
Un extrait
Bois-Rosée.
Non, madame… vicomte!… Le vicomte Nestor de Bois-Rosée ! vous avez peut-être entendu parler ?
Henriette.
Jamais.
Bois-Rosée.
Je fais profession d’être le chevalier des dames… Je me suis constitué l’égide de cette corporation… suave ! Dès qu’une femme souffre, j’arrive; dès qu’elle pleure, je console… et si on l’opprime… je réprime !
Henriette.
Comme Don Quichotte !
Bois-Rosée, souriant.
Exactement!… (Se reprenant vivement.) C’est-à-dire… On m’a surnommé le terre-neuve du beau sexe!… Ah! madame, tout ce que je désire… tout ce que je demande au ciel… c’est de me rendre assez heureux pour qu’un grand malheur tombe sur votre tête !
Henriette.
Bien obligée!
Bois-Rosée.
Alors, appelez-moi!… Bois-Rosée, rue Tronchet, 18…
Henriette, à part.
Il me donne son adresse à présent…
Bois-Rosée.
J’accourrai… Que dis-je ? j’aurai des ailes!…
Henriette.
Mais, monsieur…
Bois-Rosée.
Oh! soyez tranquille…
AIR du Piano de Berthe.
Tendre et délicat, je sauve gratis!
À mon dévouement je ne mets qu’un prix :
Je m’éloigne heureux, pourvu qu’on me donne
Un regard d’adieu… précieuse aumône…
Dans un doux souris (bis) !
Henriette, ironiquement.
C’est un tarif !
Bois-Rosée, tendrement.
Mon Dieu! oui! (Galamment.) Je considère toutes les femmes comme faisant partie de la collection du musée chinois…
Henriette.
C’est bien gracieux pour elles…
Bois-Rosée.
Dessus il est écrit : Regardez, mais ne touchez pas! Je regarde, et je ne…
Henriette, souriant.
Ah!
Bois-Rosée, avec joie.
Vous souriez !… est-ce que la robe commencerait à sécher?
Henriette, impatientée.
Mais, non, monsieur, mais pas du tout !
Bois-Rosée.
Allons, madame, un bon mouvement et je pars !…
Henriette.
Qu’attendez-vous ?
Bois-Rosée.
Vous savez bien… dans un sourire…
Henriette.
Vous êtes obstiné, monsieur. Eh bien! moi aussi… (Elle traverse la scène, se dirigeant vers sa chambre, et lui montre la porte du fond.) Dispensez-moi de vous reconduire. (Elle le salue froidement et entre chez elle.)
Scène V.
Bois-Rosée, seul.
Ce n’est pas encore sec !… Quelle horrible aventure! Moi, Bois-Rosée, le chevalier des dames!… J’ai pu couvrir de boue l’idole de la création!… Je me suis conduit comme un cocher d’omnibus! C’était bien la peine de relire ce matin le Mérite des femmes…l’ouvrage le plus incomplet de la langue française… il n’a qu’un volume!… Que faire?… Je ne m’en irai pas comme ça!… D’un autre côté, je suis pressé; ma jument, ma coupable jument, Miss Cabine, m’attend en bas pour me conduire à Villetaneuse, car là, gémit un ange!… Grande-Rue, 22, en face la mairie… une jeune dame charmante… que je ne connais pas… et à laquelle je vais rendre le repos, le sommeil, l’honneur… enfin tout ce qui rentre dans ma spécialité! Mais, avant de partir, si je tentais un dernier effort ?… Non, je reviendrai! (S’adressant à la porte d’Henriette.)