Chronique sur des pièces ou des auteurs dramatiques du XXème siècle
Silvérie ou les fonds hollandais de Alphonse Allais et Tristan Bernard
D’après une nouvelle d’Alphonse Allais. Ecrite et représentée au Théâtre des Capucines le 19 mai 1898 (plus de cent représentations). Reprise au Théâtre Tristan Bernard le 5 mars 1931. Pour 3 comédiens et une comédienne.
« Je me sens de très bonne humeur… C’est curieux comme l’argent aide à supporter la pauvreté… »
« Il faut vous dire qu’à la suite d’une chute de cheval j’ai perdu tout sens moral. »
Orphée-Roi de Victor Segalen
Drame en 4 actes avec prologue et épilogue, écrit entre 1907 et 1915 et publié en 1921 (deux ans après le décès de Victor Segalen) Distribution : 4 hommes, 4 femmes Lien vers le texte intégral sur Libre Théâtre
Gravure de Georges Daniel de Monfreid illustrant l’édition de 1921 dans la Collection Le Théâtre d’Art Source Gallica
Orphée-Roi est une oeuvre remarquable par son traitement original du mythe d’Orphée, par son lyrisme et surtout comme expérimentation concrète d’une authentique synesthésie. En effet, Victor Segalen développe dans cette pièce un thème évoqué une première fois de manière théorique dans son essai « Les synesthésies et l’école symboliste », puis de façon romanesque avec sa nouvelle « Dans un monde sonore », deux textes parus au Mercure de France.
Libre Théâtre a édité la pièce Orphée-Roi, en l’association avec l’essai Les synesthésies et l’école symboliste et la nouvelle Dans un monde sonore. Lien vers l’édition
Né à Honfleur en 1854, Alphonse Allais est d’abord stagiaire dans la pharmacie de son père, il part ensuite étudier à Paris à l’École supérieure de pharmacie. Il étudie épisodiquement et fréquente beaucoup les terrasses des cafés au Quartier Latin.
Pour subsister, Alphonse Allais publie des chroniques loufoques dans diverses revues parisiennes. Il participe à différents cercles dont le cercle des Hydropathes. En 1881, après avoir terminé sans succès ses études de pharmacie, il prend part à la fondation du cabaret Le Chat noir, puis à sa déclinaison écrite. Il rencontre le succès grâce à ses écrits humoristiques et ses nouvelles, publiés dans le journal du Chat noir jusqu’en 1893. En 1886, il en devient le rédacteur en chef.
En 1893-1894, Alphonse Allais quitte le Chat noir pour rejoindre l’équipe du Journal qui mélange littérature, information et mondanités. Allais commence à publier à cette époque ses monologues et ses contes. En 1895-1896, il devient sociétaire de la Société des Gens de lettres et se rapproche du fameux quatuor d’amis composé de Jules Renard, Alfred Capus, Lucien Guitry et Tristan Bernard.
En 1899, il devient rédacteur en chef d’un journal humoristique, Le Sourire, et continue aussi à publier des recueils. Il mêle la parodie, l’humour et l’absurde à l’univers du vaudeville et du boulevard, de façon parfois cruelle et pessimiste.
Toute sa vie, il se livre à de nombreuses expériences scientifiques et publie des travaux scientifiques sur la photographie couleur, le caoutchouc et découvria le café soluble lyophilisé… Mêlant son goût de l’invention et sa créativité littéraire, il imagine dans ses récits de nombreuses inventions absurdes
Il meurt frappé d’une embolie pulmonaire en 1905 à Paris.
Liste des pièces
La Nuit blanche d’un hussard rouge, monologue dit par Coquelin Cadet, 1887. Texte sur Gallica. Un Mécontent, monologue dit par Coquelin Cadet, 1889. Texte sur Gallica Une idée lumineuse, monologue comique dit par Coquelin Cadet, 1888. Texte sur Gallica Innocent avec Alfred Capus, vaudeville en trois actes, joué à paris au Théâtre des Nouveautés le 7 février 1896. (Texte en cours de traitement) Silvérie ou les fonds hollandais avec Tristan Bernard, 1898 (Texte en cours de traitement) Le Pauvre bougre et le bon génie : féérie en un acte, représentée pour la première fois au Théâtre des Mathurins le 24 mai 1899. Distribution : 2 hommes, 1 femme. Chronique sur Libre Théâtre À la gare comme à la gare avec Albert René, revue théâtrale en un acte, représentée au Théâtre des Mathurins le . Inédite L’Astiqueur ou patience et longueur de temps font plus que force ni que rage avec Albert René, proverbe en un acte représenté au Théâtre du Gymnase le 3 février 1900. Monsieur la Pudeur avec Paul Bonhomme et Félix Galipaux, vaudeville en trois actes, présenté au Théâtre de Cluny, le 4 décembre 1903. Chat mauve revue avec Albert René et Paul Bonhomme, pièce en un acte pour 24 personnages pouvant être joués par 21 personnes, 1904. Inédite. La Partie de dominos avec Sacha Guitry, 1907. Eh ! placide, eh ! généreux !, grande revue havraise en trente trois parties avec Albert René et Alphonse Allais représentée le 24 décembre 1901 au Théâtre-Concert des Folies-Bergère. 1900. Congé amiable, 1903. Inédit Aux consignés !, fantaisie militaire, 1904. Inédite.
Comédie en un acte de Tristan Bernard, représentée pour la première fois le 20 février 1931 au Théâtre Tristan-Bernard. Le texte a été publié en une dans Candide (grand hebdomadaire parisien et littéraire), le 26 mars 1931. Retraitement par Libre Théâtre (texte original sur Gallica) Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.
L’argument
Pêcheurs à la ligne au Bois de Boulogne 1929 : [photographie de presse] / Agence Meurisse. Source : Gallica
Deux pêcheurs discutent tranquillement. Leur amitié naissante risque d’être contrariée par la révélation de l’un deux : il vient de sortir de Fresnes.
Comédie en trois actes représentée pour la première fois le 16 mars 1908, au Théâtre Fémina (direction F. Gémier). Distribution : 9 hommes, 5 femmes (plusieurs rôles peuvent être interprétés par le même comédien) Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
La comédie a été adaptée au cinéma en 1936, réalisation par Claude Heymann avec Raimu, Michel Simon, Suzy Prim, Charlotte Lyses et Germaine Aussey
Résumé
Séparés à leur naissance à cause d’une affaire d’héritage, deux jumeaux ne soupçonnent ni l’un ni l’autre qu’ils ont un frère. Achille Beaugérard, avocat au Tribunal du Havre, porte le même nom que son frère jumeau, qui habite en Amérique et vient de débarquer au Havre pour affaires. Achille Beaugérard I, après une dispute avec sa femme, va rendre visite à sa jeune et avenante voisine à qui il offre un voile de dentelle qu’il destinait à sa femme. Il doit s’absenter mais est rapidement remplacé par Achille Beaugérard II. Les quiproquos se multiplient. Une adaptation des Ménechmes de Plaute.
Extrait de la conférence de Tristan Bernard ayant précédé la première présentation au Théâtre Fémina le 16 mars 1908
« La pièce que nous allons avoir l’honneur de jouer devant vous est de Plaute, Titus Maccius Plautus, qui vivait environ deux cents ans avant l’ère chrétienne. Je n’ai pas le dessein de vous raconter ici la vie de Plaute… D’abord, il faudrait la connaître. J’aurais pu, me direz-vous, me documenter en lisant le Larousse ; vous n’ignorez pas que beaucoup de conférences de pièces classiques sont précédées d’une lecture publique du Larousse. J’ai, en effet, songé à m’instruire ce matin, mais le Larousse était dans une chambre très froide ; j’ai donc jugé inutile de le déranger. D’autant que vous n’avez pas besoin de connaître la vie de Plaute pour comprendre la pièce qu’on va vous jouer. Ce n’est pas une pièce très compliquée. Elle est plus simple et beaucoup moins enchevêtrée que les vaudevilles d’aujourd’hui. Les incidents s’y suivent très clairement, après une préparation pour ainsi dire immédiate. Ce n’est pas comme dans maints vaudevilles modernes où il faut suivre avec une attention scrupuleuse tous les personnages, leur mettre des petits drapeaux sur la tête, et ne perdre de vue aucun accessoire, car on ne sait pas ce que la montre placée au premier acte sous un des candélabres peut amener de complications deux actes plus tard. Dans la pièce de Plaute, les incidents ne sont pas préparés d’aussi longue main. C’est très frappant dans les Ménechmes, et surtout (note d’érudition) dans une autre pièce du même auteur : le Capitaine Fanfaron, Miles Gloriosus. Donc, le vaudeville que vous allez voir est plus simple que nos vaudevilles actuels, mais il me semble que les situations y sont traitées plus complètement, plus « en comédie ». On ne s’y contente pas de l’effet mécanique d’une porte ou d’un auvent qui tombe sur le nez d’un homme, ou d’un lit qui sort brusquement d’un mur. L’effet y est commenté par des mots en situation. On y rit peut-être moins bruyamment, mais, ce me semble, avec beaucoup plus de reconnaissance. C’est ce qui doit arriver ce soir, si du moins le traducteur n’a pas trahi l’auteur. Vous trouverez dans cette pièce des situations comiques que vous avez déjà vues assez souvent ailleurs. Il faut dire que, depuis deux mille ans que Plaute existe, il a eu des traducteurs avoués et pas mal de traducteurs inavoués. Il y a parmi les auteurs comiques beaucoup de gens qui se sont fournis chez Plaute, les uns directement, la plupart indirectement (car tout le monde ne le connaît pas), en prenant des scènes à d’autres auteurs qui, eux-mêmes, étaient des clients de Plaute. Je dois dire que Plaute avait pris ces situations à des auteurs encore plus anciens. Ces emprunts peuvent très bien être involontaires : les auteurs comiques sont pareils aux abeilles qui sans s’être donné le mot, fabriquent partout leurs alvéoles de la même façon. Deux vaudevillistes normalement constitués, l’un Français et l’autre Chinois, arriveront au même développement dramatique s’ils partent d’un point de départ analogue. J’espère que ces scènes connues auront néanmoins pour vous le charme de la nouveauté, si toutefois j’ai su garder à la pièce latine la fraîcheur éternelle qui m’a tant séduit quand je l’ai lue pour la première fois. J’ai conservé des procédés d’ancien théâtre, tels que le monologue au public : un monologue franc, à l’avant-scène, est bon enfant et familier. Il y a dans ce genre de théâtre comme une passerelle entre la scène et la salle. Le personnage de la pièce prend le public comme confident ; le public est assez content, parce que c’est toujours flatteur d’être choisi par quelqu’un pour confident de quelque chose. D’autre part, l’acteur étant bien en face du public, on détaille son jeu plus à l’aise et l’on profite de sa bonne figure. Les Jumeaux de Brighton ne sont pas une traduction. C’est une adaptation, une transposition. Je ne suis pas très fort en latin. Je vous dirai que, lorsque j’étais au lycée et qu’on traduisait du Plaute, j’étais loin de prêter à notre professeur la bienveillante attention que vous voulez bien m’accorder aujourd’hui ; pour dire le mot, je n’écoutais pas une syllabe. Nous étions d’ailleurs beaucoup d’élèves dans mon cas, mais le professeur ne s’en inquiétait guère. Il avait un auditeur qui lui était plus cher que tous les autres : il s’écoutait lui-même. Il se berçait avec les phrases latines, et pendant ce temps-là, tous les petits élèves se livraient à des occupations favorites, selon leurs tendances. Les uns imprimaient dans le bois des pupitres des incrustations définitives : un nom profondément gravé dans le bois révélait aux générations futures qu’un tel n’avait pas été attentif à la leçon. Moi, pendant qu’on traduisait Plaute, je faisais des pièces de théâtre; maintenant que mon métier m’oblige à écrire des pièces de théâtre, je traduis Plaute. Je ne vous apporte donc pas une traduction de latiniste, mais un ouvrage d’auteur comique. J’ai lu, avec une attention que je qualifierai naturellement de scrupuleuse, différentes traductions de Plaute; j’ai été frappé de voir à quel point le mot essentiel de la phrase latine, le mot que l’auteur de théâtre avait voulu mettre en valeur, à quel point ce mot capital était noyé dans la phrase française. C’est que le traducteur, bon latiniste, n’était pas un écrivain de théâtre. Il m’a semblé qu’il fallait retrouver chez l’auteur latin tous ses moyens de faire rire, non seulement l’agencement des situations, mais la façon de placer les mots, et mon ambition a été de vous amuser aujourd’hui exactement par les procédés qui avaient si bien réussi à Plaute, quand il faisait rire aux éclats le public romain d’il y a deux mille cent cinquante ans. Il est même assez curieux de constater que le public d’aujourd’hui rit pour les mêmes raisons et du même rire qu’à cette époque lointaine. Mais, pour arriver à rendre à la pièce de Plaute la majeure partie de son effet, je me suis vu obligé de changer le milieu et l’époque. Je suis persuadé, en effet, que les pièces comiques ne réussissent pleinement que lorsque les personnages parlent la langue même du spectateur, car, entre le langage des différentes époques, c’est la langue actuelle qui possède la plus grande intensité, la plus grande force de pénétration. C’est facile à expliquer : le langage comique s’use énormément parce qu’il nous sert à tout instant dans nos épanchements et dans nos discussions domestiques. Quand un mari a appelé sa femme « Petite rosse ! » pendant une dizaine d’années, cette expression finit par perdre sa force. Il faut qu’il trouve autre chose, il faut qu’il renouvelle son fonds d’injures, qui est comme éventé. Nous avions, à la campagne, un vieux jardinier qui était très malheureux, parce que son fils se levait tard. Il faut dire que son fils arrivait du service militaire où il était trompette en pied. Au régiment, le trompette doit se lever de bonne heure, car c’est à lui de sonner le réveil. Du jour où ce jeune homme arriva au grade de trompette en pied, il confia le soin de sonner le réveil à un élève-trompette qui était chargé également de toutes les sonneries du matin, la visite du major, le rapport du colonel. Notre trompette en pied ne se levait qu’à dix heures un quart pour la soupe. Il avait gardé dans la vie civile cette bonne habitude qui désespérait son père. Alors, le vieux jardinier me disait : « Je ne sais plus quoi faire, je l’appelle « feignant », je l’appelle « limace », je l’appelle « vache », je ne sais plus comment l’appeler. Voilà un exemple de plus de la nécessité de renouveler constamment la langue comique. Le langage noble, celui qui est usité dans les comédies dramatiques et dans les tragédies, c’est une autre affaire : il ne s’emploie pas constamment dans la vie. On reste quelquefois deux mois sans prononcer les mots d’honneur, de générosité, de vaillance, d’héroïsme : ces mots s’entendent rarement, même dans les familles les moins honnêtes. Ils se conservent donc plus longtemps, et, quand les auteurs dramatiques les emploient, ils sont moins usagés, comme on dit. Je me suis trouvé dans la nécessité, pour traduire Plaute qui emploie des expressions violentes, de chercher dans l’argot tout à fait actuel des mots équivalents. Mais je ne pouvais laisser à des personnages qui parlaient notre français populaire des vêtements romains. Ils eussent ressemblé à des héros de la Belle Hélène. Du moment qu’ils parlaient votre langage, j’ai dû leur donner votre costume. La grosse modification que j’ai introduite dans la pièce de Plaute, c’est le prologue. Le prologue du poète latin était en monologue. Il n’était, d’ailleurs, pas l’œuvre de Plaute, mais d’un chef de troupe. Le personnage du prologue venait faire le récit de la pièce aux spectateurs. Après leur avoir souhaité ce que je vous souhaite, c’est-à-dire salut et félicité, il leur recommandait de prêter à ses paroles une grande attention, car il leur racontait le sujet de la pièce dans le moins de mots possible. Un peu d’attention était évidemment nécessaire, car le postulat de ces pièces latines était compliqué, – pas si compliqué toutefois que celui de la Comédie des Erreurs, une pièce que mon illustre confrère en adaptation, William Shakespeare, a également tirée des Ménechmes. Dans les Ménechmes, de Plaute, il n’y a qu’une paire de jumeaux. Mais cela ne suffisait pas au génie monstrueux de Shakespeare ; il en a imaginé simplement deux paires qui sont nées le même jour, dans la même maison : une des paires étant esclave de l’autre. Tout ce lot de phénomènes s’embarque à bord d’un navire… Il arrive à ce navire ce qui arrive généralement à tous les navires des pièces comiques : il fait naufrage. Les jumeaux se précipitent sur un mât déraciné. À l’extrémité de ce mât se trouvait un des jumeaux de la paire numéro 1 avec un jumeau de la numéro 2, tandis que les deux autres jumeaux correspondants se trouvaient à l’autre extrémité du mât. Par une dernière complaisance de la bourrasque, le mât est partagé en deux et chacun de ses morceaux va atterrir dans des rivages très lointains et très différents. Une vingtaine d’années après, la pièce commence, et il résulte de ce fait divers un peu anormal des complications, d’ailleurs pas toujours amusantes. Dans la pièce de Plaute, qui est moins compliquée, un des jumeaux connaît l’existence de l’autre et il est même à sa recherche, il semble un peu invraisemblable, dans ces conditions, qu’il n’ait pas de méfiance au moment où commencent les quiproquos. Dans les Ménechmes, de Regnard, qui sont aussi une adaptation de Plaute, un des jumeaux connaît également l’existence de l’autre et en profite pour commettre toutes sortes d’escroqueries. Cela gêne un peu le rire. Je me suis efforcé d’imaginer un postulat d’après lequel aucun des jumeaux ne connaît l’existence de son frère. Il m’a fallu écrire une saynète, un petit lever de rideau qui expose les faits le plus clairement possible et qui se passe à Brighton (Angleterre) trente-sept ans avant le premier acte, qui se passe de nos jours. J’ai imaginé un concours de circonstances qui est, je vous l’accorde, un peu rare et exceptionnel, mais, ce me semble, assez plausible. Je vous demanderai, d’ailleurs, un peu du crédit que le public accorde toujours aux auteurs comiques. Les actes suivants se passent au Havre, trente-sept ans après le prologue. Encore un peu de pédantisme : En dehors des adaptations de Shakespeare et de Regnard, je signalerai parmi les nombreuses pièces qui ont mis en scène deux jumeaux : Prosper et Vincent, de Duvert et Lausanne, et Giroflé-Girofla. Dans ces deux pièces, les rôles des jumeaux ou des jumelles sont joués par le même artiste. Il y a encore nombre de pièces dans le répertoire comique qui tirent leur effet de rire de ressemblances entre deux personnages. Je citerai : la Puce à l’oreille, de M. Georges Feydeau. Le Jumeau, de MM. Larcher et Monnier, mettait en scène un personnage qui se donnait alternativement pour deux hommes différents. Une situation analogue a été traitée également d’une façon très comique, dans le Coup de fouet de MM. Bilhaut et Hennequin. Citons encore parmi les anciennes pièces adaptées de Plaute : le Jumeau de Bergame de Florian. Tous ces détails, qui vous intéressent plus ou moins, vous prouveront qu’à défaut de verve oratoire le conférencier a travaillé sérieusement la question dont il vous entretient aujourd’hui. »
Triplepatte de Tristan Bernard et André Godfernaux
Représentée pour la première fois au Théâtre de l’Athénée, le 30 novembre 1905. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition Distribution : 15 hommes, 16 femmes. Télécharger le texte intégral gratuitement sur Libre Théâtre
L’argument
Le vicomte Robert de Houdan est surnommé par ses amis Triplepatte du nom d’un cheval de course qu’il possède et qui se dérobe toujours. Il lui est impossible de prendre la moindre décision et quand Boucherot, à qui il doit beaucoup d’argent, et la baronne Pépin, marieuse infatigable, organisent son mariage avec la gentille Yvonne Herbelier, il obtempère jusqu’au jour de la cérémonie…
Leriche (Baronne de Pépin), Lévesque (Vicomte de Houdan), Caumont (Mme Herbelier) dans Triplepatte. Dessin de Lourdey . Le Journal amusant – 16 décembre 1905. Source : BNFDiéterlé (Yvonne) et Bullier (M. Herbelier) dans Triplepatte. Dessin de Lourdey . Le Journal amusant – 16 décembre 1905. Source : BNF
Théâtre de l'Athénée - Immense succès - Triplepatte - comédie en 5 actes de MM. Bernard et Godfernaux. Source : Théâtre de l'Athénée
Entrée des œuvres de Jacques Copeau dans le domaine public le 1er janvier 2020
Jacques Copeau, illustration parue dans le programme des Frères Karamazov. Source : BnF/Galllica
Après des études de lettres et de philosophie, Jacques Copeau (1879-1949) débute comme critique d’art, de littérature et, surtout, de théâtre. Il collabore à la Revue d’art dramatique, l’Ermitage, La Grande Revue. Il fonde, en 1909, avec André Gide, et Gaston Gallimard, La Nouvelle Revue Française, qu’il dirige jusqu’en 1913, date à laquelle il ouvre le théâtre du Vieux-Colombier. En 1914 la guerre l’oblige à fermer son théâtre mais il continue à approfondir sa réflexion et ses connaissances, grâce à ses rencontres avec Edward Gordon Craig, Jacques-Dalcroze, et Adolphe Appia. De 1917 à 1919, il part avec sa troupe pour deux saisons à New-York. 1920 voit la création de L’École (en projet depuis 1913) et la réouverture du théâtre qui affiche au cours des quatre saisons suivantes, Le Carrosse du St Sacrement (Mérimée), la Nuit des rois (Shakespeare),L’Amour médecin (Molière)… Martin du Gard (Vildrac). En 1924, il monte une pièce de ses pièces la Maison natale, qui ne rencontre malheureusement pas l’adhésion du public. La fermeture définitive de son théâtre le conduit à concrétiser un projet de « retraite » en Bourgogne. Une trentaine de disciples l’y suivent afin de poursuivre un travail de formation et de recherche qui aboutira à la constitution d’une troupe, « Les Copiaus ». Celle-ci se produit d’abord dans la région puis au delà, et propose un répertoire composé de spectacles collectifs, de saynètes, mimes, chansons, farces, jusqu’à sa dissolution en 1929. Copeau se consacre alors à des activités diverses : conférences, lectures de pièces, critiques dramatiques aux Nouvelles littéraires. En 1933 il met en scène le Mystère de Santa Uliva dans un cloître de Florence. Associé de 1936 à 1939 par l’administrateur E. Bourdet, aux côtés de Louis Jouvet, Charles Dullin, Gaston Baty, au renouveau de la Maison de Molière, il monte plusieurs spectacles à la Comédie-Française avant d’y occuper en 1940, pour moins d’un an, le poste d’administrateur. En 1941, il publie un petit essai, Le Théâtre populaire, et en 1943, après en avoir fait l’adaptation, il monte Le Miracle du pain doré, dans la cour des Hospices de Beaune. Il meurt dans sa région d’élection en 1949 laissant une pièce inédite, Le Petit pauvre, qui sera créée à San Miniato en 1950. Copeau est venu au théâtre par « une impulsion de moralité littéraire », sans aucune formation, ni expérience pratique, il connaît en revanche les grands théoriciens du passé ou contemporains et s’en inspire pour constituer sa propre doctrine. Il fustige le mercantilisme, le cabotinage, la bassesse des œuvres et des mœurs. Chez lui les exigences morales et esthétiques vont de pair, d’où la nécessité d’une réforme des acteurs (création d’une école, d’un mode de vie communautaire autour du chef, réglé avec rigueur et discipline), qui vont former une troupe homogène et enthousiaste rompue à tous les emplois. Le répertoire fait la part belle aux œuvres classiques (choix novateur pour l’époque), car à travers ces exemples de beauté et de vérité Copeau veut stimuler l’inspiration des meilleurs écrivains et régénérer le goût du public pour le fidéliser et le rendre juge, non d’un spectacle, mais de la démarche d’ensemble du Vieux-Colombier. La création d’une revue, Les Cahiers du Vieux-Colombier, est une démarche volontariste en direction de son public. Copeau metteur en scène accorde la première place au texte dramatique ; adepte du « tréteau nu », il transforme la scène du Vieux-Colombier en une architecture fixe où peut se jouer n’importe quelle pièce. Sur un fond neutre, les costumes (dont les couleurs et les matériaux sont très étudiés), mis en valeur par un éclairage très soigné, font ressortir les acteurs, éléments essentiels de la mise en scène. À partir de 1924 Copeau souhaite atteindre un public plus « populaire » et lui offrir « une comédie nouvelle », d’où ses recherches sur les techniques de la Commedia dell’arte, et sa prédilection pour le théâtre antique, grec et médiéval. Copeau, par son école et ses options esthétiques et morales, inspire la création du Cartel (formé par Dullin, Baty, Jouvet, Pitoëff). Il influence tout le théâtre d’après guerre, en particulier le mouvement de décentralisation et le Théâtre National Populaire.
Brouillard du matin (1897) L’Impromptu du Vieux-Colombier 1917), sur Gallica Prologue Improvisé, créé au Vieux-Colombier le 8 mars 1923. La Maison Natale, créé au Vieux-Colombier le 18 décembre 1923. L’Impôt (1925). L’Objet (1925). Le Veuf (1925). Arlequin Magicien (1925). L’Illusion (1925), adapté de Fernando de Roja et de Pierre Corneille. L’Anconitaine (1927), inspiré de Ruzzante. Le mystère de Santa Uliva (1933) Le Petit pauvre, Gallimard, Paris, 1946
Pour en savoir plus
Jacques Copeau et le Vieux-Colombier, La Marche de l’histoire (2013), France Inter
Jacques Copeau et le Vieux-Colombier : exposition organisée pour le cinquantième anniversaire de la fondation du Théâtre…, Paris, Bibliothèque nationale, 1963 / [catalogue réd. par André Veinstein] ; [préf. par Julien Cain]. Sur Gallica
Le Théâtre de Maurice Maeterlinck
Biographie
Maurice Maeterlinck. Agence Rol. 1923. Source : BnF/Gallica
Né à Gand en 1862, Maurice Maeterlinck est l’aîné d’une famille de trois enfants, flamande, conservatrice et francophone. Après des études au collège Sainte-Barbe de Gand, il suit des études en droit avant de pratiquer le métier d’avocat peu de temps. Maeterlinck publie, dès 1885, des poèmes d’inspiration parnassienne dans La Jeune Belgique. Il part pour Paris où il rencontre plusieurs écrivains qui vont l’influencer, dont Stéphane Mallarmé et Villiers de l’Isle-Adam. Ce dernier lui fait découvrir les richesses de l’idéalisme allemand (Hegel, Schopenhauer). À la même époque, Maeterlinck découvre Ruysbroeck l’Admirable, un mystique flamand du XIVeme siècle dont il traduit les écrits (Ornement des noces spirituelles). Il se consacre à Novalis et s’intéresse au romantisme d’Iéna (1787-1831), précurseur en droite ligne du symbolisme. Les œuvres que publie Maeterlinck entre 1889 et 1896 sont imprégnées de cette influence germanique.
En 1889, le génie de Maeterlinck se révèle. Coup sur coup, en effet, paraissent les poèmes des Serres chaudes – un univers immobile et suffocant qui reflète les impuissances de l’âme, et qui devient une référence pour les surréalistes – et une pièce La princesse Maleine célébrée par Octave Mirbeau, qui compare l’auteur à Shakespeare. Maeterlinck rompt avec le conformisme théâtral de l’époque, en construisant un univers à la fois sourd et violent, peuplé de personnages fantomatiques à la langue elliptique. Trois autres drames brefs, dont L’Intruse (1890), poussent plus loin encore le dépouillement de la dramaturgie.
Plus ample, Pelléas et Mélisande (1892), qui sera mis en musique par Fauré, Debussy et Schoenberg, constitue la synthèse du premier théâtre de Maeterlinck, théâtre du destin où l’action ne se noue qu’à travers des gestes symboliques et des monologues sans référent. De ce resserrement témoignent les drames pour marionnettes Alladine et Palomides, Intérieur et La mort de Tintagiles (1894).
En 1895, il rencontre la cantatrice Georgette Leblanc, sœur de Maurice Leblanc, avec laquelle il tient, vers 1897, un salon parisien fort couru dans la villa Dupont : on y croise, entre autres, Oscar Wilde, Paul Fort, Stéphane Mallarmé, Camille Saint-Saëns, Anatole France, Auguste Rodin.
En 1897, après avoir publié ses Douze Chansons (qui seront Quinze en 1900), l’auteur s’installe en France, où il occupera l’ancienne abbaye de Saint-Wandrille puis le domaine d’Orlamonde, qu’il fait construire à Nice.
Parallèlement, Maeterlinck s’est orienté en direction de l’essai. Le méta-physicien du Trésor des humbles (1896) et de La sagesse et la destinée (1898) s’efforce de naviguer entre l’inquiétude et le quotidien. Mais c’est surtout sa réflexion sur la construction sociale du monde naturel qui vaut à l’auteur sa réputation de philosophe spiritualiste : il célèbre l’unicité de l’univers dans La vie des abeilles (1901), que complèteront plus tard La vie des termites (1926) et La vie des fourmis (1930).
En 1902, il écrit Monna Vanna, où joue Georgette Leblanc. Il vit avec elle jusqu’en 1918, avant d’épouser en 1919, l’actrice Renée Dahon, rencontrée en 1911.
En 1908, Constantin Stanislavski crée sa pièce L’Oiseau bleu, une féerie philosophique, au Théâtre d’art de Moscou. Elle sera jouée ensuite avec succès dans le monde entier.
Maeterlinck obtient le prix Nobel de littérature en 1911. Il est anobli et fait comte par le roi Albert Ier en 1932. En 1935, lors d’un séjour au Portugal, il préface les discours politiques du président Salazar : Une révolution dans la paix.
En 1939, il gagne les États-Unis où il y reste pendant la Seconde Guerre mondiale. De retour à Nice en 1947, il publie un an plus tard Bulles bleues où il évoque les souvenirs de son enfance. Maeterlinck meurt le 5 mai 1949 à Nice.
Les œuvres de Maurice Maeterlinck sont entrées dans le domaine public le 1er janvier 2020
L’œuvre théâtrale de Maurice Maeterlinck
En 1889, La Princesse Maleine drame en cinq actes, « cauchemar dialogué », paraît en trente exemplaires brochés, financé par sa mère. La seconde édition, cent cinquante exemplaires, est mise en vente en mai 1890. Une troisième édition est produite chez Lacomblez en septembre. En août 1890, Octave Mirbeau consacre un article à la une du Figaro à l’occasion de la parution de la Princesse Maleine :
Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck. Je sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui et je sais aussi qu’il a fait un chef d’œuvre, non pas un chef-d’œuvre étiqueté chef-d’œuvre à l’avance, comme en publient tous les jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante lyre ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine ; mais un admirable et pur et éternel chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés du beau et du grand, un chef-d’œuvre comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois, aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un, et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. Enfin, M. Maurice Maeterlinck nous a donné l’œuvre la plus géniale de ce temps, et la plus extraordinaire et la plus naïve aussi, comparable et oserai-je le dire supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle la Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute.
La Wallonie publie, en janvier 1890, un petit drame en un acte L’Approche qui sera ensuite publiée sous le titre L’Intruse inspirée du poème de Rossetti Sister Helen. Dédiée à Edmond Picard, elle sera jouée l’année suivante. Maurice Maeterlinck publie aussi chez Lacomblez Les Aveugles une pièce dédiée à Van Lerberghe.
En juin 1892, Maurice Maeterlinck, âgé de trente ans, publie Pelléas et Mélisande chez Paul Lacomblez à Bruxelles. Maeterlinck définit son projet dans ses Carnets intimes.
Exprimer surtout cette sensation d’emprisonnés, d’étouffés, de haletants en sueur qui veulent se séparer, s’en aller, s’écarter, fuir, ouvrir, et qui ne peuvent pas bouger. Et l’angoisse de cette destinée contre laquelle ils se heurtent la tête comme contre un mur et qui les serre de plus en plus étroitement l’un contre l’autre.
La pièce est créée le 17 mai 1893 au Théâtre d’Art sur la scène des Bouffes-Parisiens par la compagnie du Théâtre de l’Œuvre dirigée par Aurélien Lugné-Poe. L’audience est prestigieuse: Tristan Bernard, Léon Blum, Paul Hervieu, Georges Clémenceau,Romain Coolus, le peintre américain Whistler, Claude Debussy… De nombreux articles témoignent des fortes émotions ressenties par le public face à cette pièce
En 1894, il écrit trois drames pour marionnettes Alladines et Palomides, Intérieur et La Mort de Tintagiles.
En 1896, entre Gand et une maison de campagne en Vendée prêtée par des amis pour les vacances, Maurice Maeterlinck écrit Aglavaine et Sélysette, drame en cinq actes. Pour la première fois l’héroïne est consciente, elle s’oppose à la fatalité à travers sa volonté de bonheur, d’espérance. Aglavaine est « la femme élue que le sort nous réserve à tous. » C’est Georgette Leblanc qui l’inspire : « tu es si belle, (écrivait Maurice à Georgette) qu’un être comme toi ne peut entrer dans un drame sans le transformer en poème de bonheur et d’amour… » La pièce est représentée pour la première fois au Théâtre de l’Odéon le 14 décembre 1896.
Ariane et Barbe-Bleue, comédie lyrique de Maurice Maeterlinck. 1907. Source : BnF/Gallica
Maeterlinck écrit également Ariane et Barbe-Bleue (1901) pour Georgette Leblanc. La forte personnalité d’Ariane s’oppose à la passivité des cinq précédentes épouses auxquelles elle tente d’apporter la liberté. Paul Dukas met en musique le conte musical en 1907.
Ecrit en 1908, L’Oiseau Bleu est un drame en six actes. Il représente le périple de Tyltyl et de sa sœur Mytyl, deux enfants partis en quête de l’Oiseau Bleu à la demande de la fée Bérylune. Sa fable comme ses figures relèvent d’une écriture fantastique empruntant ses motifs aux contes traditionnels. Sa mise en scène, l’année de son écriture, par Constantin Stanislavski au Théâtre d’Art de Moscou demeura célèbre.
Liste des pièces et lien vers le texte intégral
Roger Karl et Georgette Leblanc dans « Marie-Magdeleine » de Maurice Maeterlinck / dessin de Yves Marevéry. 1913. Source : BnF/Gallica
La Princesse Maleine (1889), drame en cinq actes sur archive.org L’Intruse -première version intitulée L’Approche (1890) sur archive.org Les Aveugles (1890) sur archive.org Les Sept Princesses (1891) sur archive.org Pelléas et Mélisande (1892) drame lyrique en cinq actes sur Libre Théâtre Alladine et Palomides (1894), trois actes (Trois petits drames pour marionnettes) lien sur archive.org Intérieur (1894), un acte (Trois petits drames pour marionnettes), lien sur archive.org La Mort de Tintagiles (1894) quatre actes (Trois petits drames pour marionnettes), lien sur archive.org Aglavaine et Sélysette (1896), drame en cinq actes sur archive.org Monna Vana, pièce en trois actes (1902) sur archive.org Ariane et Barbe-Bleue (1896) conte en trois actes lien vers le texte intégral Sœur Béatrice (1901) Joyzelle (1903) pièce en cinq actes sur archive.org Marie-Magdeleine sur archive.org Marie-Victoire (1907), pièce en quatre actes L’Oiseau bleu (1909) sur archive.org Le Miracle de Saint-Antoine (1920), farce en deux actes sur archive.org Les Fiançailles (1918) lien sur archive.org Le Bourgmestre de Stilmonde, suivi de Le Sel de la vie (1920) sur archive.org La Princesse Isabelle (1920) texte intégral
Pièce de théâtre symboliste en cinq actes publiée en 1892 et créée le 17 mai 1893 au Théâtre des Bouffes-Parisiens. Distribution : 3 hommes, 3 femmes, 1 enfant (rôles principaux) – une dizaine de rôles secondaires (médecin, servantes…) Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
L’argument
Le prince Golaud se perd dans une forêt et rencontre Mélisande en pleurs au bord d’une fontaine. Sa couronne est tombée mais elle ne veut pas la reprendre. Golaud la console et la convainc de partir avec elle. Il l’épouse et revient six mois après dans le royaume d’Allemonde où règne Arkël, son grand-père et où vit Geneviève, sa mère. Mélisande rencontre Pelléas, le jeune demi-frère de Golaud. Ils tombent amoureux peu à peu l’un de l’autre, sans oser en parler. Amour pur, interdit et mortel face à la folle jalousie de Golaud.
L’intérêt de la pièce ne repose pas sur ce fragile argument, ni sur les motivations psychologiques des personnages. Maurice Maeterlinck bouleverse totalement les conventions théâtrales en mettant en scène de « pauvres marionnettes agitées par le destin » (expression d’Antonin Artaud). Pelléas, dans la scène 4 de l’acte IV, résume ainsi l’impuissance de l’homme face à la destinée :
Voilà, voilà… Nous ne faisons pas ce que nous voulons… Je ne t’aimais pas la première fois que je t’ai vue…
Mélisande à l’agonie aura ces mots :
Je ne comprends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous… Je ne sais pas ce que je dis… Je ne sais pas ce que je sais… Je ne dis plus ce que je veux…
Les décors sont autant de symboles : la forêt, la grotte souterraine, la fontaine ou la mer. Quelques motifs reviennent régulièrement : l’eau, la chevelure, l’anneau…. Les allégories et les analogies se croisent et tissent de multiples correspondances.
La création de la pièce
Maurice Maeterlinck a publié en 1889 un recueil de poèmes intitulé les Serres Chaudes. En août 1890, Octave Mirbeau consacre un article à la une du Figaro à l’occasion de la parution de la Princesse Maleine :
Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck. Je sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui et je sais aussi qu’il a fait un chef d’œuvre, non pas un chef-d’œuvre étiqueté chef-d’œuvre à l’avance, comme en publient tous les jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante lyre ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine ; mais un admirable et pur et éternel chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés du beau et du grand, un chef-d’œuvre comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois, aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un, et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. Enfin, M. Maurice Maeterlinck nous a donné l’œuvre la plus géniale de ce temps, et la plus extraordinaire et la plus naïve aussi, comparable et oserai-je le dire supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle la Princesse Maleine. Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute.
En juin 1892, Maurice Maeterlinck, âgé de trente ans, publie Pelléas et Mélisande chez Paul Lacomblez à Bruxelles. Maeterlinck définit son projet dans ses Carnets intimes.
Exprimer surtout cette sensation d’emprisonnés, d’étouffés, de haletants en sueur qui veulent se séparer, s’en aller, s’écarter, fuir, ouvrir, et qui ne peuvent pas bouger. Et l’angoisse de cette destinée contre laquelle ils se heurtent la tête comme contre un mur et qui les serre de plus en plus étroitement l’un contre l’autre.
La pièce est créée le 17 mai 1893 au Théâtre d’Art sur la scène des Bouffes-Parisiens par la compagnie du Théâtre de l’Œuvre dirigée par Aurélien Lugné-Poe. L’audience est prestigieuse: Tristan Bernard, Léon Blum, Paul Hervieu, Georges Clémenceau,Romain Coolus, le peintre américain Whistler, Claude Debussy… De nombreux articles témoignent des fortes émotions ressenties par le public face à cette pièce
Octave Mirbeau décrit ainsi son émotion (publié dans Les Ecrivains)
J’ai pu assister à une répétition de Pelléas et Mélisande et, après trois jours, j’en garde une impression bouleversante… comme d’une hantise j’en garde aussi une lumière, très vive et très douce, et qui, loin de se dissiper, entre en moi, à chaque minute, davantage, me baigne, me pénètre… Maurice Maeterlinck permettra t-il à mon amitié, jalouse de son bonheur autant que de sa gloire, de le défendre contre lui-même, et contre ces lettres publiées récemment, et de lui dire, avec cette tranquillité facilement prophétique que donne la certitude éblouissante de la beauté réalisée… que Pelléas et Mélisande sera un grand et juste triomphe… Je ne me souviens pas d’avoir entendu quelque chose de plus absolument exquis, de plus absolument poignant aussi… N’était le scrupule où je suis de ne point déflorer une œuvre qui ne m’appartient pas encore, puisqu’elle n’a point été livrée au public, avec quelle joie je voudrais exprimer tout ce que j’ai ressenti de sensations neuves et profondes, et infiniment pures, et vraiment humaines, en écoutant chanter ces pauvres petites âmes, douloureuses et charmantes, et qui, dans leur balbutiement, contiennent tout le charme du rêve et toute la douleur de la vie !… Il y avait, ce soir-là, dans la salle, une trentaine de personnes, toutes différentes de sensibilité et d’idées… quelques-unes, même, facilement portées à l’ironie, et qui considèrent volontiers l’émotion comme une tare, ou comme une faiblesse… Eh bien ! toutes étaient sous le même charme angoissant ; toutes avaient au cœur la même émotion, et, durant les trois derniers tableaux, toutes pleuraient les mêmes larmes… Par conséquent, je ne me trompais pas d’être ému à ce point… Mon admiration et mon émotion n’étaient point les dupes de mon amitié… Cela était ainsi. Et votre héroïsme, mon cher Maeterlinck, qui va jusqu’à la haine de votre œuvre, qui souhaite si ardemment, avec une telle ferveur d’injustice, la chute de cette œuvre admirable, ne pourra pas tenir plus longtemps contre cette évidence, et contre ces larmes des plus chers de vos amis, qui n’ont point l’habitude, croyez-moi, de pleurer à de petites niaiseries et à des pauvretés sentimentales, comme on en entend sur tant de théâtres !… Et, rien ne pourra faire, non plus, que le nom de M. Debussy, en qui vous avez trouvé le seul interprète de votre génie, plus qu’un interprète, une âme créatrice fraternellement pareille à la vôtre, ne rayonne à côté de votre nom, comme le nom d’un maître glorieux !… En sortant de cette répétition, ébloui, si fier d’être votre ami, et que vous m’ayez fait l’honneur de me dédier cette œuvre, je me disais : « Comme c’est triste que Maurice Maeterlinck soit obligé de renier publiquement son génie si pacifiquement pur, si harmonieusement beau ! » Et j’étais tenté de m’écrier, comme un des personnages de votre poème, et en vous aimant davantage : « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du pauvre cœur des hommes ! »
Extrait de l’article de Robert Charvay, paru dans l’ Echo de Paris le 17 ami 1893
J’ai assisté hier à la première répétition générale de Pelléas et Mélisande et j’en sors ému, troublé, pris aux entrailles par une des plus intenses sensations d’art dramatique qu’il m’ait été donné d’éprouver. (…)
Les décors sont d’une simplicité grise et voulue; ils encadrent les acteurs d’une teinte neutre et vaporeuse. Ce sont de lourds feuillages, aux grandes lignes ornementales, des salles de palais sans architecture précise. On dirait que l’habile artiste Paul Vogler, en les peignant, s’est inspiré des admirables camaïeux indécis et symboliques de Puvis de Chavannes. Pas d’accessoires, pas de meubles, et surtout point de prétendue exactitude dans la reproduction scénique des choses inanimées. La rampe est supprimée; les hommes et les femmes en scène sont éclairés d’en haut comme par des rayons de lune; l’ensemble demeure dans l’ombre et le regard flotte, indistinct, sur des entités de rêve. Les costumes s’harmonisent avec le reste: des étoffes passées, comme lavées, sans effets criards, sans taches crues.
Voir aussi l’article du Figaro du 18 mai 1893 et l’article paru en une du Figaro du 31 août 1910.
Images de quelques mises en scène
Sarah Bernhardt dans Pelléas et Mélisande, (rôle de Pelléas) Londres 1904. Source : Gallica
Version radiophonique de la pièce de Maurice Maeterlinck, proposée par Denis Podalydès de la Comédie Française et Louis Langrée. Musique de scène de Gabriel Fauré. Premier enregistrement mondial avec l’Orchestre national de France. Chef d’orchestre : Louis Langrée Conseillère Littéraire : Pauline Thimonnier. Réalisation : Laure Egoroff. Lien vers le site de France Culture
Pour aller plus loin : Pour situer cette œuvre dans le théâtre du XIXème siècle, voir la notice sur Libre Théâtre Pelléas et Mélisande, Groupe de recherche interuniversitaire “Littérature et nation”, avec le concours du Conseil Scientifique de l’Université de Tours, Juin 1990. Lien vers le document Dossier pédagogique élaboré par Louise Flipo sur le site Espace Nord Le Trésor des Humbles, essai de Maurice Maeterlinck (1896) où il développe sa pensée (voir et savoir, « avertis » et « divertis », lumière/jeunesse et obscurité/vieilles…) sur archive.org
De nombreux compositeurs furent inspirés par le texte de Maerterlinck dont Claude Debussy, qui créera une œuvre unique dans l’histoire de l’opéra. Pour en savoir plus sur l’opéra de Debussy sur opera-online , sur resmusica.com
Pelléas et Mélisande est à l’affiche du Festival d’Avignon 2019, dans une mise en scène de Julie Duclos. Lien vers l’entretien de Julie Duclos sur le site du Festival qui souligne la force poétique du texte de Maeterlinck.
Les Pieds nickelés de Tristan Bernard
Comédie en un acte, représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Œuvre le 15 Mars 1895, publiée en 1899 aux Editions Ollendorff (disponible sur Gallica), dédiée à Louis-Alfred Natanson. Il s’agit de la première pièce de Tristan Bernard.
Distribution : 3 hommes, 4 femmes (plusieurs rôles peuvent être interprétés par le même comédien)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre
Argument
Alain et Francine, un jeune couple, ont absolument besoin de dix mille francs pour rembourser Ronchaud, un ami du père d’Alain. Mais tout le monde a les pieds nickelés dès qu’il s’agit de prêter la forte somme. Mis par hasard en possession de l’argent, Alain a lui-même les pieds nickelés quand Ronchaud revient chercher son dû…
Extrait
Alain. – Es-tu sûre qu’il ait gagné six cent mille francs ? Les gens d’affaires font entre eux des affaires extraordinaires. Ils achètent très cher des choses – qu’ils ne paient pas, et les revendent encore plus cher à des gens qui ne les paient pas. Ils doivent toucher des fortunes, ils y comptent, et cette ferme espérance les soutient. Francine. – Mais de quoi vivent-ils tous ? Qui paie leur loyer et leurs voitures ? Alain. – De soi-disant petites commissions, dont quelques bonnes poires de province ou quelques fils de famille alimentent le marché. Ils vivent richement, au jour le jour, et quand leur vaisselle plate n’est pas au clou, ils y mangent leur vache enragée. Francine. – Et voici comment se résume notre situation : les gens qui voudraient bien obliger n’ont pas d’argent ; quant à ceux qui ont de l’argent… Alain. – Ils ne marchent pas. Ils ont, comme on dit, les pieds nickelés. Ils sont lourds à remuer, ainsi que des tirelires pleines. Leurs pieds nickelés ne sont que de vains ornements.
La création en 1895
La première pièce de Tristan Bernard est créée au Théâtre de l’Œuvre, dirigée par Lugné-Poë, qui jouera dans la pièce avec sa femme Suzanne Després. On soulignera l’extrême variété du programme proposé par le Théâtre de l’Œuvre le 15 mars 1895 puisque les Pieds Nickelés côtoient la pièce symboliste Intérieur de Maurice Maeterlinck. Le programme est dessiné par Maurice Denis.
Lithographie dessinée par Maurice Denis pour le programme de l’Œuvre du 15 mars 1895. (La scène d’André Lebey, La vérité dans le vin de Charles Collé, Les pieds nickelés de Tristan Bernard et Intérieur de Maurice Maeterlinck). Source : Musée Van Gogh Museum Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)
Illustration de la première édition par Toulouse-Lautrec
L’expression signifie à la fin du XIXème siècle « être de mauvaise volonté ». On la trouve fréquemment dans la presse de l’époque. L’origine de cette expression est confuse. Elle fait référence soit aux « pieds en nickel », trop précieux pour servir à marcher ou travailler, soit aux « pieds niclés », pieds atteints de rachitisme, noués, mal formés, ne permettant donc pas un travail soutenu.
Après la pièce de Tristan Bernard, Louis Forton a créé sous ce nom trois héros de bandes dessinées dans l’hebdomadaire l’Épatant en 1908. Louis Forton a continué à dessiner les Pieds nickelés jusqu’à sa mort en 1934, date après laquelle la série sera continuée par Aristide Perré puis Albert Badert. Il faudra néanmoins attendre sa reprise par Pellos de 1948 à 1981 pour que les Pieds nickelés renouent avec le succès. Ce sont de petits filous sans envergure illustrés d’abord par leurs coups tournent souvent mal et les entraînent fréquemment en prison, d’où le sens actuel d’archétype du malfaiteur médiocre.
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