Fragments

Écrire sa vie

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Quand je la quitte, quelques heures après, c’est une nouvelle année qui commence. Une nouvelle vie peut-être. C’est moi qui lui donne mon numéro. Je lui laisse prendre seule la décision de nous revoir ou pas. Je la laisse me choisir. Elle m’appellera, et nous nous reverrons. Tout est simple avec elle, et tout semble évident. Mais c’est maintenant à moi de décider. Choisir une femme entre toutes les femmes. Accepter d’être choisi par elle. Je sais que si je m’engage sur cette route, il n’y aura pas de retour en arrière, et que je laisserai pour toujours de côté toutes les autres routes. J’ai conscience d’être à un carrefour de ma vie. Prendre le bon chemin, en évitant les impasses. Ma chance est là et si je la laisse passer, il n’y en aura peut-être jamais d’autre.


J’ai quatorze ans de plus qu’elle, j’habite dans un studio en location, je n’ai pour tout meuble qu’une malle en osier, et toutes mes affaires tiennent dans les deux sacs que j’ai emportés aux États-Unis avant de les rapporter en France : un sac de vêtements et un sac de livres. Je ne travaille pas vraiment. Je ne suis même plus étudiant. Je prends des cours de théâtre. Elle termine ses études à Science Po, dans quelques mois elle aura un vrai boulot en CDI. Je n’ai pas vraiment le profil du mari idéal. Mais elle a confiance en moi, et cela me donne des ailes.


Je tombe sur une petite annonce dans Télérama, moi qui ne fais jamais les annonces et surtout pas pour trouver du boulot. Les Éditions Harlequin cherchent des traducteurs de l’anglais au français pour leurs romans à l’eau de rose. Je passe la sélection, et ma candidature est retenue. Je traduirai une douzaine de ces romans de gare. C’est davantage un travail d’adaptation que de traduction. Il faut réduire la pagination d’au moins un tiers, et se conformer au goût français. C’est un apprentissage et surtout, c’est la première fois de ma vie que je gagne un peu d’argent en écrivant. Je me dis que c’est possible.


Quelques mois plus tard, je revois une fille que j’ai rencontrée en fac d’anglais. Depuis, elle a fait la Fémis, et elle vient d’être engagée par une maison de production pour diriger l’écriture d’une série pour la jeunesse, Extrême Limite. Elle me propose de m’essayer à l’écriture de scénario. Comme je n’ai jamais fait ça de ma vie, j’accepte aussitôt. De toute façon, il n’y a alors aucune école d’écriture de scénario en France. Pour une fois, je suis tout aussi légitime que n’importe qui d’autre. L’expérience semble concluante. Me voilà scénariste pour la télévision. J’enchaîne sur l’écriture d’autres séries pour la jeunesse, toujours au format 26 minutes. D’autres maisons de production me sollicitent. Pour du dessin animé, aussi. Je commence à gagner vraiment ma vie en écrivant.


C’est le temps des projets. J’ai presque quarante ans, mais je n’ai jamais vécu en couple avec personne. Malgré notre différence d’âge, nous vivons ensemble nos premières fois. Maison, mariage, enfant. Tout ce que je n’ai pas fait jusque là, je le fais en deux ans.


J’apprends alors qu’une école de scénario vient d’être créée à Paris, le Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle. Trop tard pour passer le concours d’entrée pour cette première année. Je serai de la deuxième promo. J’y apprends le métier que je pratique déjà. Comme à mon habitude. Et j’y noue des contacts à la fois professionnels et amicaux. J’ai pour maîtres les créateurs de toutes les grandes séries françaises de la télévision de l’époque : Navarro, L’Instit, Julie Lescaut, Docteur Sylvestre


Un camarade et ami vient d’être engagé sur la direction d’écriture d’une nouvelle série, Avocats et Associés, et il me propose d’intégrer le pool de scénaristes. J’entre dans la cour des grands : le format 52 minutes pour adultes et le prime time. Je gagne maintenant en écrivant plus d’argent que je n’en ai jamais gagné en tant que salarié ou free-lance.


La société de conseil qui m’employait régulièrement comme sémiologue publicitaire vient d’être revendue et n’a plus besoin de mes services. C’est l’occasion pour moi d’arrêter complètement ce métier dont j’ai fait le tour pour me consacrer uniquement à l’écriture. À nouveau les projets s’enchaînent. Mais l’univers de la télévision, comme celui de Dallas, est impitoyable. Nous sommes les mercenaires d’une armée mexicaine dont les innombrables généraux sont le plus souvent incompétents. C’est encore trop de contraintes pour moi. Je veux être totalement libre, et je sais donc que je ne travaillerai pas tout ma vie pour la télévision.


Je commence à écrire des pièces de théâtre. Après avoir vainement essayé de les faire éditer, je décide de créer mon propre site et de les proposer en téléchargement libre. C’est le début d’internet. Je me précipite dans cet espace de liberté en m’adressant directement aux compagnies, sans passer par les éditeurs. Et ça marche. Les premiers montages arrivent. Cela m’encourage à continuer.


La fin d’Avocats et Associés me décide à arrêter la télévision. Je continue encore un an à enseigner l’écriture de scénario dans l’école qui m’a formé. Mais je me consacre désormais uniquement au théâtre. Je traduis mes pièces en espagnol, d’autres se chargent de les traduire en portugais, en anglais, en allemand et en bien d’autres langues. Grâce à internet, mes textes circulent dans le monde entier.


Me voilà auteur de théâtre, internationalement reconnu. Je n’ai plus de comptes à rendre à personne. Je vis de mon écriture et, au jour le jour, j’écris ma vie…


Finalement, c’est mon père qui avait raison. Je n’étais bon à rien. Enfin presque. Dès mon plus jeune âge, j’avais rêvé d’être écrivain. Il m’aura fallu plus de quarante ans pour admettre que j’étais définitivement inapte à tout autre travail que celui d’écrire, quelques années de plus pour m’autoriser à en faire mon métier, et deux ou trois encore pour constater que je pouvais en vivre.


La vie est un voyage. Ce qui nous définira à la fin, c’est notre parcours. Les routes que nous avons prises, et surtout celles que nous avons refusé de prendre. Bientôt la mer effacera sur le sable les traces que nous laissons derrière nous, comme des lignes sur un manuscrit. À ceux qui viendront après, léguons seulement l’envie de cheminer librement.

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Rendez-vous

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

J’ai dans les trente-cinq ans. Je ne suis pas encore vieux, mais je sens qu’une année de plus à l’université serait l’année de trop. Depuis plus de dix ans, mes conquêtes féminines ont toujours le même âge, autour de vingt-cinq ans. C’est moi qui vieillis. Lors d’un voyage en Espagne, j’ai clairement entendu quelqu’un se demander si la personne qui m’accompagnait était ma copine ou ma fille. Un avertissement à ne pas négliger. Je suis resté dans l’âme un adolescent, et ce qui me pousse à fréquenter encore le monde étudiant plutôt que les gens de mon âge, qui ont déjà un travail et une famille, voire qui sont déjà divorcés, c’est que la jeunesse est le temps de tous les possibles. Choisir un partenaire, choisir un métier, choisir un lieu et une manière de vivre… Passé trente ans, la plupart ont déjà choisi, pour le meilleur ou pour le pire. Et d’une façon ou d’une autre, choisir, c’est restreindre sa liberté.


Cependant, j’ai bien conscience, dans le domaine amoureux en tout cas, de reproduire à l’infini des schémas d’échecs qui me rendront de plus en plus malheureux, sans exclure bientôt le pathétique. Pour tenter d’en sortir, je décide d’entreprendre une analyse. La psychanalyse m’a toujours intéressé. À douze ans, je lisais déjà Freud. Mais entre lire des bouquins à ce sujet allongé sur un divan, et allonger le sujet sur un divan pour l’offrir en lecture, il y a un monde. Ce n’est pas en apprenant le code qu’on sait conduire, ni en apprenant les codes qu’on sait comment se conduire.
L’expérience sera relativement brève, intense et difficile. Elle s’arrêtera le jour où je demanderai à mon analyste si je peux vraiment tout lui dire, et qu’elle me répondra en termes choisis que non. Alors à quoi bon ? Cette expérience, néanmoins, m’a fait progresser. J’ai désormais bien conscience que je m’évertue à tomber amoureux de jeunes femmes qui ne sont visiblement pas faites pour moi, soit qu’elles habitent dans un autre pays voire à l’autre bout du monde, soit qu’elles sont par trop différentes de moi et en aucun point complémentaires, soit qu’elles sont encore plus immatures que moi si c’est possible, soit qu’elles ne m’aiment tout simplement pas et que ce rejet même exacerbe mon désir.


Je ne peux cependant pas me résigner à une relation basée uniquement sur la raison, sachant qu’elle serait aussi sans lendemain, et je veux garder l’espoir d’une rencontre aussi fortuite que romantique, mais cette fois inscrite dans le réel plus que dans le fantasme, et en cela s’ouvrant sur un possible avenir.


La fin de l’année approche. Ce sera aussi ma dernière année à la Sorbonne. À la bibliothèque, je croise une étudiante d’origine allemande que je connais à peine. Je sais juste qu’elle est mariée avec un Égyptien. De façon totalement inattendue, elle m’invite à la soirée de réveillon qu’elle organise dans le modeste deux pièces qu’ils habitent à Paris, du côté de la Bastille. Elle me précise qu’il y aura très peu de monde. Sa sœur. Quelques amis. Ce n’est évidemment pas une proposition galante. Elle est mariée, et de toute façon, ce n’est pas du tout mon genre. J’hésite un instant. Je ne connaîtrai personne. Je risque de m’emmerder. Et en acceptant, je me prive de toute autre possible proposition plus intéressante pour cette soirée de Nouvel An. D’un autre côté, si je refuse, je risque surtout de passer la soirée tout seul, ou de me retrouver dans les habituels traquenards dont j’ai l’habitude en ce genre de circonstances. Et puis cette invitation visiblement désintéressée m’intrigue et me touche. Je ne sais pas très bien si elle m’invite parce qu’elle m’estime ou parce qu’elle a pitié de moi. Quoi qu’il en soit, il y a quelque chose de très bienveillant, chez cette fille. De très sain. De très simple. Comme une évidence. J’accepte. Sans le savoir, j’ai rendez-vous avec mon destin.


Lorsque je sonnerai à sa porte quelques jours plus tard avec une bouteille à la main, ce n’est pas elle qui m’ouvrira. Ni sa sœur. Mais la femme que je cherche sans la trouver depuis toujours. La femme qui sera désormais toutes les femmes, même s’il m’arrivera de me retourner sur quelques autres, en me contentant désormais de les regarder. Je n’aurai finalement pas eu à faire le deuil de ma quête romantique. Elle a moins de vingt-cinq ans, comme toutes les autres, mais désormais c’est ensemble que nous grandirons. Et c’est elle qui, en me ramenant à la réalité, me permettra de réaliser mes rêves au lieu de simplement les rêver.


Et si j’avais décliné cette invitation ? Et si c’était elle qui l’avait déclinée ? Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous. Ce soir là, j’avais rendez-vous avec la femme de ma vie.

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Le Gaffiot

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

À Paris, j’ai retrouvé mon studio de la rue Daguerre, mais je n’ai plus de boulot et donc plus de revenus. Les quelques dollars que je rapporte du Texas pourront me permettre de tenir quelques mois, en vivant très modestement. En revanche, n’ayant pas travaillé en France depuis plus de deux ans, je ne suis plus inscrit à la Sécurité Sociale. Comme j’ai démissionné de mon poste à Ipsos avant de partir en Amérique, je ne peux pas non plus prétendre à des indemnités de chômage et à la couverture sociale qui va avec.


Pour l’administration française, ces deux années aux États-Unis n’existent pas. À moins de redevenir très rapidement salarié, je suis en passe de devenir un marginal. Je vis désormais dans l’angoisse d’un problème de santé imprévu entraînant des frais importants qui ne seraient pas pris en charge.

Du travail, pourtant, je n’en cherche pas dans l’immédiat. À trente-trois ans, toutes expériences cumulées, je n’ai pas travaillé plus de trois ans comme salarié dans un bureau, et jamais très longtemps dans la même entreprise. J’ai bien l’intention de ne plus jamais avoir à le faire et, même si je ne sais pas encore comment, j’y parviendrai. Il me faudra cependant recommencer à gagner ma vie, et je suis prêt à accepter des missions en free-lance comme sémiologue publicitaire, pourvu que je puisse faire ce travail chez moi et qu’on ne me demande pas d’aller pointer tous les matins dans un bureau, de devoir bavarder avec des collègues à la machine à café, d’obéir à un patron et de servir des clients. Je vis le monde de l’entreprise comme un univers carcéral. Aux États-Unis, j’ai fait l’expérience de la liberté, et je n’y renoncerai jamais.

Le retour dans la grisaille et l’anonymat parisien est évidemment un peu déprimant. Ici, je ne connais plus grand monde. Mais se lever chaque matin en sachant que je peux faire de ma journée ce que je veux est un luxe qui n’a pas de prix. J’ai plus que jamais soif d’apprendre et de rencontrer. Et quel meilleur endroit pour cela, encore et toujours, que l’université ?
Même si à mon grand regret, aux États-Unis, je n’ai pas aussi bien appris l’anglais que je l’aurais souhaité, j’ai tout de même fait quelques progrès. J’éprouve le besoin de structurer un peu la connaissance toute pragmatique que j’ai de cette langue, et d’aborder aussi la littérature anglo-saxonne en version originale. Je me réinscris à la Sorbonne pour réitérer en anglais la prouesse que j’ai déjà accomplie quelques années plutôt en espagnol.
Cette fois, j’intègre directement la troisième année et, juste revanche de mon humiliant échec au TOEFL deux ans auparavant, j’obtiendrai en neuf mois une licence avec mention très bien. Évidemment, mon approche des études est très différentes de celle des autres élèves, principalement des filles par ailleurs. Elles sont là pour obtenir un diplôme en se contentant de recracher le jour de l’examen des cours parfois pris sous la dictée. J’assiste seulement aux cours qui m’intéressent, je ne prends aucune note, et je dévore tous les bouquins de la bibliothèque où je suis très assidu.
Pour avoir le temps de remonter la pente, car je pars de très bas, j’ai renoncé au contrôle continu et tout misé sur l’examen final. Quelle jouissance de pouvoir lire tous les chefs d’œuvres de la littérature anglaise et américaine dans la langue où ils ont été écrits ! Comme je n’assiste qu’aux cours les plus passionnants, je ne m’ennuie pas une seule seconde. Pour ce qui est des autres cours, je regarde vaguement le programme, mais je ne demande jamais à mes camarades de me passer leurs notes. Je me contente de lire tout ce qui existe sur le sujet.

Au-delà de ces satisfactions purement intellectuelles, la Sorbonne est aussi le lieu idéal pour rencontrer des filles. J’ai une dizaine d’années de plus qu’elles maintenant. Assez pour que cela se voit, mais pas suffisamment pour risquer de passer dans l’immédiat pour un pervers. Je rencontre beaucoup de monde, et j’ai quelques nouvelles aventures, toujours sans grand lendemain.

Ma licence d’anglais en poche, je ne sais toujours pas quoi faire de ma vie, et comment échapper durablement au salariat. J’ai repris quelques missions en free-lance, mais je ne veux pas réintégrer une entreprise. Pourquoi pas l’enseignement ? Après mon expérience idyllique à l’Université d’Austin, j’ai du mal à m’imaginer devant une classe dans un lycée de banlieue. Ce sera l’agrégation ou rien. Je m’inscris en préparation pour l’agrégation de lettres modernes à la Sorbonne.

Finalement, ce ne sera rien. Je me rends tout de suite compte que cette prépa n’est qu’un effroyable bachotage. Les cours sont désespérément inintéressants. Nos prétendus maîtres à penser sonnent creux. Les aspirants professeurs font déjà allégeance au système en se montrant totalement soumis. On s’efforce de nous prouver combien les génies que nous étudions sont incompréhensibles et inégalables, au lieu de nous encourager à les imiter à notre façon. On en fait des divinités à adorer au lieu d’en faire des modèles à ne pas suivre. C’est pourquoi l’école produit autant de professeurs et si peu d’écrivains. Tant d’esclaves et si peu d’affranchis. Bref, la méthode que j’ai appliquée pour obtenir mes licences d’espagnol et d’anglais ne peut pas fonctionner cette fois. Il faut prendre les cours en note mot pour mot et les apprendre par cœur, même s’il s’agit d’un tissu d’âneries, afin de pouvoir les restituer servilement le jour du concours. Tout cela donne du monde de l’enseignement une image tellement vaine, triste et liberticide. Toute ma vie est une quête de la liberté, et notamment de la liberté de penser. Plutôt crever que d’être professeur, même agrégé, et avoir pour mission d’enseigner à mes élèves la servitude.


Pour aller au bout de ma démarche, je passerai néanmoins les épreuves écrites. Ma meilleure note sera en latin. Un sept sur vingt, je crois, qui correspond à la moyenne générale pour l’admissibilité à l’oral. Dire qu’on m’a fait arrêter le latin en cinquième parce que je n’étais pas assez bon élève, et que j’ai passé le concours sans le Gaffiot auquel nous avions droit, et dans lequel figurait la traduction de deux ou trois phrases de la version sur laquelle nous avions à plancher…


Je ne serai donc pas enseignant. Mais que vais-je bien pouvoir faire de ma vie ? Une idée commence à germer en moi. Faire ce que l’école et la société se sont appliquées à m’interdire depuis mon enfance : écrire ma vie.

 

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Roissy

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Ma deuxième année en tant que lecteur de français à l’Université d’Austin sera aussi la dernière. Bien sûr, il serait tentant de rester. Ici, à court terme, tout est plus facile, plus excitant, plus intense. Après tout ce temps passé dans une ville du Texas qui, malgré tout, est loin d’être aussi mythique que New York ou San Francisco, j’ai toujours l’impression de vivre dans un film dont j’ai la liberté d’écrire le scénario chaque jour.


Mon bref passage à Paris entre ces deux années scolaires aux États-Unis m’a rappelé que dès mon retour en France, je redeviendrai un anonyme dans la foule sur lequel personne ne se retourne, et dont le sort n’intéresse personne. Je peux récupérer mon studio que j’ai sous-loué, mais pendant combien de temps pourrai-je en payer le loyer ? Je n’ai plus de boulot, et même si je le pouvais, je n’ai aucune envie de redevenir chargé d’études à Ipsos ou ailleurs, ce qui pour moi correspondrait à un terrible retour à la case départ.


Ici j’ai un travail agréable qui me laisse beaucoup de temps dans la semaine pour sortir, et encore plus de temps pendant les vacances pour voyager. Mon contrat sera reconduit d’année en année autant que je le souhaiterai, et autant que le Directeur du Département de Français le voudra bien. J’ai encore beaucoup de choses à découvrir. J’ai pour amis toute la communauté française. Et je viens même pour la première fois de nouer une relation amoureuse qui pourrait durer avec une jeune Américaine.


Mais je crains plus que tout l’enlisement. Je suis à nouveau à la croisée des chemins et je dois choisir une route. Si je veux faire ma vie aux États-Unis, je devrai repasser des diplômes dans une université américaine, et de préférence me marier pour obtenir la fameuse Carte Verte. Des études, j’en ai déjà fait beaucoup, et je ne me vois pas tout reprendre à zéro dans une langue qui n’est pas la mienne et que je maîtrise toujours extrêmement mal après ces deux années en vase clos dans un Département où tout le monde parle ma langue maternelle.


La plupart des Français que je vois autour de moi sont de passage, pour un an ou deux maximum. Ceux qui n’ont pas eu le courage de repartir, et qui ont trouvé le moyen de rester, m’apparaissent comme totalement déracinés. S’installer en Espagne ou en Allemagne, c’est juste s’éloigner un peu de la France, où l’on peut revenir en une heure d’avion, en cinq heures de train ou en dix heures de voiture. Faire sa vie aux États-Unis c’est renier son identité pour en prendre une autre. Mais laquelle ? Je ne comprends toujours rien à ce pays.


Dans cette ville universitaire ou plutôt dans cette université faite ville, presque tout le monde a moins de vingt-cinq ans, et les aura toujours. Ce ne seront simplement pas les mêmes. Vieillir ici serait vite pathétique. Cette vie de rêve est par définition déconnectée de toute réalité. Mieux vaut-il vivre un songe agréable ou affronter la dure vérité des choses ? Je n’ai aucun avenir, dans ce pays. Aucun devenir surtout.


Je choisis le retour. Je sais que ça va être difficile et douloureux, mais je suis certain que c’est la bonne décision. Je jouissais en France d’une certaine reconnaissance en tant que sémiologue. Ici, je ne suis que le petit Frenchy de service. Je ne suis qu’un lecteur parmi d’autres. Et si je peux vivre de nombreuses aventures, elles sont sans lendemain. Il faut que j’accomplisse mon destin, et mon destin, ce n’est pas de finir comme un éternel touriste aux États-Unis, avec la perspective de devenir bientôt un touriste dans mon propre pays. Ce séjour au Texas aura été une parenthèse enchantée. Il est temps pour moi de m’inventer un destin.

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Obélisque

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Je ne me vois pas descendre le Nil sur un de ces bateaux de croisière pour touristes bedonnants, avec restaurant et piscine, et faire escale uniquement pour visiter des ruines avec un guide pendant deux heures, avant de remonter à bord retrouver le buffet à volonté et le jacuzzi à bulles. C’est donc en train que nous entreprenons ce voyage.


En arrivant sur le quai, je regrette un instant mon choix. Dans les premiers wagons que nous apercevons, des têtes dépassent de toutes les fenêtres ouvertes pour chercher un peu d’air, et des grappes de voyageurs s’entassent déjà sur les marchepieds faute de pouvoir pénétrer à l’intérieur des wagons bondés. J’ai beau avoir le goût de l’aventure et le souci de voyager avec les gens du peuple, pas question d’entreprendre un trajet de plusieurs centaines de kilomètres dans ces conditions.


Heureusement, au guichet, voyant que nous étions étrangers, l’employé nous a d’office vendu des billets d’une sorte de première classe, et en remontant le quai, nous finissons par arriver à des wagons raisonnablement pleins, où nous attendent des places numérotées. Rien de particulièrement luxueux, mais un confort tout à fait acceptable. Nos compagnons de voyage, des familles égyptiennes appartenant à la classe moyenne, sont charmants, et nous arrivons sans encombre à Louxor.
Les sites archéologiques ne m’ont jamais vraiment passionné, mais tout de même. Contrairement aux empereurs romains, les pharaons ont eu le bon goût de ne pas envahir toute l’Europe en nous imposant leur culture et leur architecture. En arrivant à Louxor, on a vraiment l’impression d’être ailleurs, et pas de visiter la maison-mère comme à Rome ou à Athènes. Je ne connais l’Égypte que par Les Cigares du Pharaon, et par les nombreux souvenirs que Napoléon a rapportés de là-bas pour décorer Paris. Voir à l’entrée du temple de Louxor, sur la gauche, cet obélisque esseulé, dont le jumeau de droite trône au beau milieu de la Place de la Concorde, donne une certaine idée de ce que peut être le colonialisme, et de la façon dont il est ressenti par ceux qui en sont les victimes.


Nous poursuivons notre voyage jusqu’à Assouan et décidons de pousser jusqu’à Abou Simbel, afin de voir ce fameux temple déplacé par l’UNESCO pour éviter qu’il ne soit englouti par les eaux du barrage construit sur le Nil par Nasser. Le Soudan n’est qu’à quelques kilomètres, et nous entreprenons une ultime excursion aux confins de l’Égypte. Je ne suis jamais allé en Afrique noire, mais je sens qu’elle commence là.
C’est peu dire que nous faisons tache parmi la population locale. Un Soudanais croisé sur un chemin nous invite à prendre le thé chez lui. Par politesse, nous ne pouvons pas refuser. Sa maison est en terre battue avec un toit en paille, remplie d’hommes et de femmes de tous âges et de très jeunes enfants. Les femmes nous servent du thé et des gâteaux. Tous nous sourient sans que nous puissions échanger avec eux un seul mot. Nous comprenons qu’ils veulent nous inviter à manger et pourquoi pas à dormir chez eux. Nous sommes tiraillés entre la volonté de ne pas les froisser, l’embarras de les priver, en acceptant cette invitation, de leurs pauvres moyens de subsistance, et la certitude d’être malades si nous mangeons une seule bouchée de cette nourriture conservée à l’air libre par plus de quarante degrés et couverte de mouches.


Je suis totalement démuni devant cette hospitalité que je ne comprends pas. J’ai honte. Honte de mon dégoût déguisé en scrupule. Honte que des gens si généreux puissent vivre dans une telle indigence pendant que nous vivons dans une telle opulence. C’est par décence que je n’ai pas voulu venir jusqu’ici en avion ou en bateau de croisière. Par décence encore que je m’efforce de vivre dans une frugalité très relative, qui pour eux ne change rien, mais qui me permet d’avoir un peu moins mauvaise conscience.
Nous touchons le fond de cette plongée aux sources de notre civilisation et de notre histoire. Les descendants des pharaons vivent désormais en servitude, nous sommes indirectement leurs seigneurs, et ce sont eux malgré tout qui nous offrent le peu qu’on leur a laissé.


Nous entamons par palier notre remontée à la surface. Impossible cependant de se priver d’un voyage sur le Nil. Puisque je refuse d’embarquer sur un bateau de croisière, il ne reste plus que les felouques. Habituellement, leurs propriétaires les proposent seulement aux touristes pour une promenade d’une heure ou deux. Je négocie avec l’un d’eux pour qu’il nous conduise depuis Assouan jusqu’à Kôm Ombo, à une cinquantaine de kilomètres. Il hésite, car l’aller lui prendra toute la journée et le retour toute la nuit. Nous faisons finalement affaire. Cette traversée sur le Nil en felouque est un enchantement. Ce fleuve majestueux traverse un désert, en ne laissant derrière lui qu’une étroite bande de terres fertiles. Depuis le matin jusqu’au soir nous expérimentons au plus près de l’eau toutes les couleurs que nous offre le soleil. Je comprends pourquoi les Égyptiens ont choisi d’en faire un Dieu, plutôt qu’un type cloué sur deux planches.

La nuit tombe quand la felouque nous dépose sur le rivage, au pied du temple de Kôm Ombo, où il n’y a pas âme qui vive à cette heure tardive. Pendant quelques instants magiques, nous sommes transportés dans l’Égypte de Ramsès II, dans un roman de Pierre Benoît ou dans une bande dessinée d’Hergé. Il nous faudra marcher une heure pour trouver une route, et attendre une heure encore avant de voir passer la première camionnette, dont le chauffeur acceptera très gentiment de nous prendre à son bord pour nous ramener à Louxor où nous pourrons reprendre le train. C’est la fin du voyage. Il restera à jamais gravé dans nos mémoires…

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Oum Kalsoum

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Ayant finalement réussi à échapper à cette partie carrée avec un bossu et une sourde-muette, nous quittons le Kosovo pour rejoindre Istamboul, puis Athènes. Avec ce voyage en train et en bus, nous remontons le temps.

J’ai quitté le Nouveau Monde quelques semaines plus tôt pour renouer avec la vieille Europe. En quittant Paris, je laisse derrière moi la modernité, et en Yougoslavie, nous traversons un pays au bord de l’éclatement et un monde communiste à bout de souffle qui appartient déjà à l’Histoire. À Istamboul nous sommes aux sources de l’Empire Ottoman, et à Athènes aux sources de la civilisation européenne. Il ne nous reste plus qu’à remonter jusqu’aux sources de la civilisation tout court, en remontant le cours du Nil. Pour ne pas rompre le charme, je préférerais rejoindre l’Égypte depuis Athènes en bateau. Mais il n’y a pas de liaison directe. Je me résigne à prendre l’avion pour le Caire.


Dès l’arrivée à l’aéroport, on prend clairement conscience, à travers tous ses sens, qu’on a changé de continent. Un monde inconnu, excitant mais potentiellement dangereux, s’ouvre devant nous. Il est déjà tard, et bien entendu nous ne savons même pas où nous allons dormir. Je hèle un taxi et je lui demande de nous déposer dans un hôtel en ville. Évidemment, le chauffeur a un cousin qui tient l’hôtel le plus confortable, le mieux situé et le meilleur marché du Caire. Un cousin avec lequel on suppose qu’il est en affaires à la commission.


Il y a de la musique arabe à la radio. Nada, intriguée, me demande si je connais cette chanteuse. Comme je n’en connais qu’une, pour l’impressionner, je lui réponds comme si c’était une évidence et que je me moquais gentiment de son ignorance : mais c’est Oum Kalsoum ! Le Caire nid d’espions ne sortira qu’une vingtaine d’années plus tard, mais je cultive déjà mon style OSS 117. Si elle m’avait posé la même question à propos d’un air d’opéra, je lui aurais répondu la Callas.


J’avais une chance sur deux, et j’ai de la chance. C’est bien la diva égyptienne, et je viens de me faire un copain. Le chauffeur est aux anges. Vous connaissez Oum Kalsoum ? Histoire de pousser encore un peu mon avantage, je lui réponds que bien sûr, tout le monde la connaît et l’admire. Apparemment, tous les Occidentaux qu’il transporte dans son taxi ne la connaissent pas, car nous passons soudain du statut de simples touristes à celui d’amis du peuple égyptien. Du coup, au lieu de nous amener à l’hôtel de son présumé cousin, il nous propose de venir prendre le thé chez lui pour nous présenter toute sa famille et nous montrer sa collection de disques. J’ai bien du mal à décliner le plus poliment possible cette invitation. Il n’y a pas un quart d’heure que nous sommes arrivés en Afrique, on va peut-être attendre un peu avant de sortir des chemins battus pour leur préférer les chemins de traverse.


L’hôtel est correct. Il donne sur un cimetière qui a des allures de bidonville, à moins que ce ne soit l’inverse. J’apprendrai plus tard que les plus pauvres des Égyptiens n’ont pas d’autres choix que de vivre avec les morts. Nous entendons l’appel du muezzine. Oui, décidément, nous sommes ailleurs.
Le lendemain nous visitons Le Caire au pas de charge. Le tourisme, c’est toujours un peu une perte de temps. Moins encore qu’au Kosovo, nous ne passons inaperçus. Surtout Nada. Pour les Égyptiens, sa blondeur et sa blancheur représentent le summum de l’exotisme occidental.

Heureusement sa beauté n’est pas de celle qui attire les commentaires grivois. Les femmes comme les hommes se retournent sur nous en gloussant. J’imagine qu’ils nous voient un peu comme des albinos. Cette fois, les freaks, c’est nous. À moins qu’ils nous prennent pour des stars de cinéma, puisque des gens aussi blancs, ils n’en voient que dans les films.
À la banque, pour changer de l’argent, on nous offre le thé. Et on nous invitera même à un mariage à Alexandrie simplement parce que nous passons devant la porte du restaurant à ce moment-là. La sympathie pour les étrangers a cependant ses limites. À Alexandrie, justement, on refusera de nous donner une chambre dans un hôtel un peu à cheval sur les principes de l’Islam parce que nous ne sommes pas mariés.


Après Alexandrie, mon projet est de descendre le Nil aussi loin que possible. Cependant, en regardant la carte pour décider de notre prochaine étape, un nom attire mon regard : Ismaïlia. À quinze ans, je dévorais les romans de Pierre Benoît. Lunegarde et son exotisme de pacotille me reviennent soudain à l’esprit. Nous ferons le détour par Ismaïlia, sur le Canal de Suez. Une ville qui, malgré son nom romanesque, ne présente absolument aucun intérêt, et dont il n’est même pas sûr que Pierre Benoît y ait jamais mis les pieds. Combien de détours aurais-je fait dans ma vie pour comprendre enfin que la fiction dépasse toujours la réalité ?

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Freaks

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Dans quatre ans, le Kosovo sera à feu et à sang. Pour l’heure, le voyageur de passage à Prizren ne ressent aucune tension particulière. Loin de l’agitation de l’Ouest, cette grosse ville située à quelques kilomètres de l’Albanie, sans grands attraits touristiques, semble oubliée par cette histoire qui va bientôt la rattraper. Peu de gens dans les rues, presque pas de voitures. Les carrioles à cheval qui circulent dans le centre-ville ne sont pas là pour promener les touristes, mais tout simplement pour permettre aux habitants de se déplacer et de transporter leurs marchandises.

En chemin, notre bossu mentionne malgré tout les conflits inter-communautaires, et dénonce ceux qui les attisent. Nous n’y prêtons guère attention. C’est tellement difficile d’imaginer la guerre en temps de paix. Il nous reçoit chez lui et improvise une petite soirée en notre honneur. Quelques-uns de ses amis nous rejoignent. Malgré son handicap, il paraît jouir d’une certaine influence sur le petit cercle qui l’entoure. Peut-être parce qu’il a un peu plus de moyens qu’eux, et un peu plus d’expérience. Ou parce que c’est le plus malin de la bande.

Arrive une jeune fille plutôt jolie, qu’il nous présente comme sa petite amie. À première vue, ce couple improbable, c’est un peu la Belle et la Bête. Mais nous découvrons aussitôt que la Belle est sourde-muette. Elle est albanaise, elle est très jeune, et elle semble vivre sous la dépendance totale de son protecteur. Quoi qu’il en soit, s’il ne m’est déjà pas facile de communiquer avec les autres sans l’aide de Nada pour assurer la traduction, je ne peux absolument pas échanger avec elle. Seul notre hôte semble comprendre les quelques sons étranges qu’elle émet accompagnés de signes.

La soirée se prolonge. On mange, on boit, on écoute de la musique. Alors que la plupart sont déjà partis, au prétexte de lui montrer je ne sais quoi, le bossu entraîne Nada dans la pièce d’à-côté avec l’Albanaise. Elle revient un instant après, avec un sourire énigmatique. Je l’interroge. Elle m’explique que notre hôte vient de lui proposer une partie carrée avec sa petite amie. Même si j’étais déjà sur mes gardes, je suis évidemment un peu surpris. Et raisonnablement inquiet. Il est plus de minuit, nous n’avons pas d’autre option que de passer la nuit ici. Dans quelle merdier me suis-je encore fourré ? J’ai l’impression d’être dans un film de Fellini ou dans le Freaks de Tod Browning. Il m’est bien sûr arrivé précédemment d’avoir à gérer ce genre de situations délicates, mais là je voyage avec une jeune femme dont je me sens aussi responsable, et qui n’a pas l’air de comprendre que si notre hôte se faisait plus insistant, la situation pourrait vite déraper. L’échangisme, moi, je n’ai rien contre sur le principe. Mais je ne m’imagine pas expérimenter pour la première fois la chose avec le Bossu de Notre-Dame et une Esmeralda probablement mineure et en tout cas sourde-muette. Nous déclinons poliment la proposition. Mais la nuit s’annonce longue…

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Yougoslavie

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Je reviens à Rijeka au début de l’été, après avoir découvert l’Amérique. Nada n’a pas bougé de sa ville natale, et elle n’a pas changé. C’est moi qui ai changé. Nos différences sont encore plus évidentes qu’un an auparavant. Elles s’avéreront de plus en plus difficiles à concilier. J’étais déjà un homme de l’Ouest, je reviens en cowboy dans cette charmante petite ville de la toujours communiste Yougoslavie. Pour avoir l’autorisation de dormir avec elle chez ses parents, je dois non seulement avoir l’approbation de son père, mais aussi celle du Parti Communiste. En d’autres termes, je dois indiquer chaque jour à la police locale chez qui je suis hébergé. On préférerait, j’imagine, que j’aille dépenser mes devises à l’hôtel en payant le prix fort réservé aux touristes. À moins qu’on ne me soupçonne d’être un espion chargé de fournir à l’OTAN des renseignements sur les chantiers navals tout proches.


Nada et moi dormons dans le même lit, mais nous ne vivons pas dans le même monde. J’ai dans la tête tous les souvenirs de cette année pendant laquelle j’ai expérimenté tant de choses nouvelles. Sans elle. Qu’à cela ne tienne, je lui ferai découvrir le monde, en tout cas une partie, en le découvrant avec elle. Elle ne connaît pratiquement que la Croatie, et encore. J’ai déjà conscience que ce sera le seul voyage que nous ferons ensemble. Je veux qu’on s’en souvienne tous les deux, pour toujours.
Pour la première fois de ma vie, j’ai devant moi à la fois de l’argent, du temps, et une liberté totale. Elle est prête à me suivre. Reste à convaincre ses parents, qui à juste titre sont un peu inquiets de la voir partir avec un étranger. Mon premier dîner chez eux est mémorable. Ce sont de braves gens et ils se montrent hospitaliers, mais son père, surtout, me regarde avec suspicion. Il a travaillé toute sa vie sur les chantiers navals, il n’a rien connu d’autre que la Yougoslavie de Tito. Alors évidemment, pour lui, je ne suis pas le gendre idéal. Et s’il savait qu’en plus je n’ai pas le projet de devenir son gendre…


Ni le père ni la mère ne parlent un seul mot d’anglais, la conversation est donc difficile. Nada sert un peu d’interprète, mais quoi qu’il en soit, son père est un homme de peu de mots. Il me regarde. Je soutiens son regard. Je le respecte, et je crois que c’est réciproque.


Il faut croire que je ne leur fais pas trop mauvaise impression, car le lendemain, ces parents pourtant très attentifs laissent leur fille partir avec un inconnu pour un long périple qui nous conduira à travers toute la Yougoslavie jusqu’au Sud de l’Europe et au-delà jusqu’aux portes du Soudan. Malgré tout, en nous voyant partir, sa mère écrase une larme, se demandant si elle reverra sa fille un jour. Elle a raison, nous aurions pu ne jamais revenir, car nous entreprenons un voyage hasardeux.


Comme d’habitude, je n’ai défini ni calendrier ni itinéraire, et je ne sais pas jusqu’où nous irons. Chaque matin nous nous lèverons sans savoir où nous dormirons le soir. Faut-il qu’elle m’aime, qu’elle me fasse confiance ou qu’elle soit totalement folle pour me suivre aveuglément dans une telle aventure ? Elle qui depuis son enfance n’a connu que la petite vie bien réglée de toute jeune fille dans un pays communiste relativement prospère comme la Yougoslavie, ne manquant de rien et sachant se passer du superflu.


D’ailleurs, tous les jeunes de son âge paraissent plus ou moins heureux. Ils vivent dans une bulle très protectrice, sans perspective d’avenir mirobolant mais sans crainte du futur. Je me permets d’émettre quelques doutes. C’est très bien, mais que feront-ils quand tout ça va s’effondrer ? Nada ne comprend pas ma question. C’est comme ça. Ça a toujours été comme ça. Et ça ne changera jamais. Deux ans après, ce sera la chute du mur de Berlin, et deux années plus tard la Yougoslavie n’existera plus. Mais pour l’instant, nous allons la traverser une dernière fois.


Ce qu’on appelle encore la Yougoslavie c’est, sur une superficie moindre que celle de l’Italie, un patchwork de cultures européennes et orientales les plus diverses. Parcourir la Yougoslavie, c’est en quelques kilomètres passer de l’Occident à l’Orient, des églises aux mosquées, de la Grèce Antique à l’Empire Ottoman, des stations balnéaires pour Allemands aux campagnes moyenâgeuses, de la Mercedes à la voiture à cheval. C’est donc aussi un voyage dans le temps et dans l’histoire. C’est un territoire d’une incroyable richesse, diversité et complexité, qu’il est beaucoup plus intéressant d’appréhender en voyageant en train ou en bus qu’en se contentant de le survoler en avion pour aller visiter la très touristique Dubrovnik.
De l’italienne Istrie à la grecque Macédoine, en passant par l’austro-hongroise Serbie, nous arrivons finalement au Kosovo qui ressemble à la Turquie, et nous poursuivrons le lendemain jusqu’à la frontière albanaise, à Ohrid d’où l’on peut apercevoir de l’autre côté du lac la mystérieuse Albanie encore stalinienne. Pendant ce périple, Nada découvre avec moi son propre pays, qu’elle ne connaît qu’en partie, et qui dans deux ans ne sera plus le pays de personne. Pour l’heure, nous pensons faire étape à Prizren, où bien entendu nous n’avons réservé aucune chambre.


Dans les rues de la ville, nous croisons un bossu, qui se propose aussitôt d’être notre guide. Il faut dire qu’avec Nada, je ne passe pas inaperçu, surtout au Kosovo. Il paraît que les filles de Rijeka sont réputées pour leur beauté. Enfin, c’est une fille de Rijeka qui me l’a dit, ce jugement est peut-être un peu subjectif. Quoi qu’il en soit, la blondeur cendrée et la silhouette élégante de ma compagne de voyage attirent les regards.


Le bossu nous invite à passer la nuit chez lui, tout en nous racontant qu’il doit partir de bonne heure le lendemain matin pour un tournoi de ping-pong. C’est selon ses dires un champion dans cette discipline. Nada, toujours enthousiaste et souvent un peu naïve, est partante. Je suis un peu sur la défensive, mais j’accepte. J’avais raison de me méfier, car la soirée va prendre une tournure plutôt inhabituelle…

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Troisième semestre

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

À Austin, l’année universitaire s’achève en mai. Ou plutôt le deuxième semestre, car en réalité, l’université ne ferme jamais tout à fait, et il y a un semestre d’été. Comment douter encore de la grandeur de l’Amérique alors que ces gens arrivent à caser trois semestres dans une année ? Pendant l’été, toutefois, l’université tourne au ralenti. Ce troisième semestre est surtout destiné aux étudiants qui auraient des matières à rattraper, parce qu’ils ont échoué aux examens ou parce qu’ils n’ont pas pu les passer tous par manque de temps. Certains, en effet, doivent travailler pour payer leurs études, et ils profitent de l’été pour compléter leur cursus.


Pour moi, ce mois de mai devrait marquer la fin de mon séjour à Austin. Je n’ai de contrat et de visa que pour un an. Apparemment, pour l’instant, tout le monde semble content de moi. Chaque enseignant a droit une fois par an à une inspection dans sa classe par le professeur américain chargé de l’encadrement des lecteurs. A priori, rien de traumatisant. Nous sommes prévenus à l’avance, et le professeur en question, que nous connaissons tous, est d’une grande bienveillance. Mais tout de même. Jusque là, aucun témoin extérieur n’a jamais assisté à un de mes cours. Et si on se rendait compte tout à coup de mon incompétence ?


Pour ne pas mettre mes étudiants mal à l’aise, et pour ne pas avoir l’air de leur demander la faveur d’un comportement exemplaire, je ne les ai pas prévenus. En arrivant en classe, cependant, et en voyant s’asseoir tout au fond un type en cravate qui pourrait être leur père, et dont je feins d’ignorer l’existence, ils voient bien qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Ils doivent aussi sentir que je suis un peu plus nerveux que d’habitude. Comme ils m’adorent et qu’ils sont extrêmement bien élevés, je les sens tout à coup aussi nerveux que moi. Ils sont encore plus attentifs qu’à l’ordinaire, ils évitent tout bavardage ou toute plaisanterie. Bref ils sont sages comme des images, et s’efforcent de se comporter en élèves-modèles.


Pour montrer qu’elle participe activement au cours, l’une de mes étudiantes se hasarde même à poser une question, en anglais, bien sûr. Cette intervention n’est absolument pas destinée à me mettre en défaut, mais au contraire à me valoriser. Le problème, comme souvent, c’est que je ne comprends rien à la question. Je la fais répéter mais, tétanisé par la présence de mon inspecteur, je ne comprends toujours pas. La fille est tout aussi embarrassée que moi. Elle pensait me rendre service, et me voilà planté là, tel un comédien victime d’un trou de mémoire au beau milieu d’un spectacle.


Elle tente de retirer sa question. Trop tard. Mon inspecteur vient poliment à mon secours en me donnant la traduction afin que je puisse répondre. Mais évidemment, je suis mort de honte. Mes étudiants n’ouvriront plus la bouche jusqu’à la fin du cours. L’inspecteur parti, ils viendront me voir aussitôt pour me demander qui était ce type. La fille s’excuse de m’avoir mis bien involontairement dans l’embarras. Plus tard, l’inspecteur, sans mentionner cet incident, me couvrira d’éloges, surtout pour la qualité exceptionnelle de la relation que j’entretiens avec mes étudiants. S’il savait qu’il m’arrive de fumer des joints avec eux après la classe…


À la fin de chaque semestre, les étudiants, pour leur part, ont le devoir d’évaluer leurs enseignants de façon anonyme, en leur attribuant une note, assortie d’un commentaire libre. Là encore, les propos sont très sympathiques à mon égard, voire tellement dithyrambiques que cela en devient suspect. Je suis donc apprécié à la fois par ma hiérarchie et par mes élèves. Le Directeur du Département constitue déjà son équipe de lecteurs pour la rentrée, et il me propose de rempiler. Je n’ai pas l’impression d’être allé au bout de mon expérience aux États-Unis. J’accepte la proposition.
J’ai presque trois mois de vacances devant moi, et je décide de rentrer en Europe. Non pas que la France me manque vraiment, mais pour garder un minimum de contact avec mes proches, pour ne pas couper tous les ponts avec ma vie d’avant, et assurer mes arrières au cas où.


Et puis quelqu’un m’attend à Rijeka en Croatie. J’ai rencontré Nada deux mois avant de partir aux États-Unis, et elle est venue me voir quelques jours à Paris juste avant mon départ pour Austin. Elle était prête à me suivre jusqu’au bout du monde, mais je ne pouvais pas l’emmener. Cette première traversée de l’Atlantique, c’était pour moi un saut dans l’inconnu, pour ne pas dire un saut dans le vide. Et on ne saute pas dans le vide en tenant quelqu’un par la main.


À Paris, elle ouvrait de grands yeux émerveillés et s’étonnait de tout, mais à l’évidence, cette jeune fille élevée dans la Yougoslavie de Tito, et qui n’avait jamais quitté son pays avant de me connaître, n’était pas armée pour survivre dans le monde capitaliste, sauf à dépendre entièrement de moi. Quant à m’accompagner aux États-Unis… Je ne savais déjà pas comment j’allais me débrouiller tout seul, comment aurais-je pu m’occuper aussi d’une étudiante aux Beaux-Arts de Rijeka, ne parlant pas un mot de français, et dont l’anglais était encore plus mauvais que le mien ? De toute façon, n’ayant pas de contrat de travail, elle n’aurait jamais pu obtenir autre chose qu’un visa de tourisme pour quelques mois.


Et puis pour être parfaitement sincère, je partais en Amérique pour vivre une grande aventure. Et les grandes aventures se vivent rarement en couple. Néanmoins, même si je n’avais pas fait vœu de chasteté, et que des aventures, justement, j’en avais eu plusieurs pendant cette année plutôt intense, je restais fidèle à ma parole. Notre histoire ne pouvait pas finir avant d’avoir vraiment commencé. Et tout simplement j’avais envie de la voir, elle qui incarnait si bien la douceur dans ce monde de brutes. Je décidais de passer ce troisième semestre avec elle. Même si, comme chacun sait, les troisièmes semestres, c’est comme la Quatrième Dimension, ça n’existe qu’aux États-Unis.

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El Chepe

Écrire sa vie – Autobiographie-Roman / Jean-Pierre Martinez

Après le stop et le bus, ne m’étant toujours pas résigné à prendre l’avion, je décide de quitter Chihuahua en train pour rejoindre la côte pacifique la plus proche, à Los Mochis. Comme d’habitude, pour déterminer mon itinéraire, je consulte uniquement la carte, et je ne me réfère à aucun guide, pas même celui du Routard. Par définition, un vrai routard ne saurait laisser un guide lui imposer sa route, c’est à lui seul de faire son chemin en marchant et, comme Don Quichotte, d’inventer des merveilles plutôt que de se contenter d’un réel simplement pittoresque.


Cette fois, le hasard fait cependant bien les choses, car si Los Mochis ne présente pas plus d’intérêt touristique que Chihuahua, je découvre en arrivant à la gare que le train qui relie ces deux villes est un train de légende surnommé El Chepe, d’après les lettres initiales de Chihuahua et du Pacifique. Depuis Chihuahua, située à près de 2500 mètres au-dessus du niveau de l’océan, la ligne ferroviaire plonge comme un long toboggan de 600 kilomètres vers le Pacifique, en passant sur de multiples ponts vertigineux et à travers autant de tunnels aussi obscurs qu’interminables. Bref, El Chepe, c’est un mélange entre le petit train de la mythique publicité Nescafé, qui rendit populaire La Colegiada, et le train fantôme.


À bord se trouvent donc quelques courageux touristes amateurs de sensations fortes et désireux de s’éloigner des sentiers battus. À côté de moi est assis un Canadien, beaucoup plus routard que moi, mais qui a néanmoins le mérite d’être étranger lui aussi, et potentiellement à la recherche de compagnons de route. On discute un peu. Pendant la moitié de l’année, il fait des petits boulots au Canada, et le reste du temps il voyage en Amérique Latine. On décide de prendre une chambre ensemble à Los Mochis, à la fois pour partager les frais et pour limiter les risques. Car cette fois, pas question de descendre dans un hôtel étoilé.


Après mon aventure avec Charles, j’aurais dû réfléchir à deux fois avant d’accepter de partager ma chambre avec un inconnu, mais comme aucune jeune femme dans ce train ne semble disposée à me tenir compagnie, je n’ai pas le choix si je ne veux pas passer une soirée de plus tout seul.
Arrivé à Los Mochis, qui comme prévu ne ressemble à rien, nous prenons une chambre pour deux dans un hôtel à peu près propre, mais de très modeste catégorie. Nous sommes logés au rez-de-chaussée, à côté des cuisines. Ça ne me ravit pas, mais c’est finalement ce qui me sauvera. Car le danger, cette fois, ne viendra pas des ardeurs de mon compagnon de chambrée. Au beau milieu de la nuit, nous sommes réveillés par des cris et nous apercevons de la fumée. À la hâte, nous sortons de la chambre dans la cour et je vois des flammes sortir des étages supérieurs. Au troisième, une femme hurle à la fenêtre, hésitant entre se jeter dans le vide et griller sur place.


Des pompiers ne tardent pas à arriver, mais leur intervention n’est pas franchement décisive. Ils ont à la main un tuyau d’arrosage trop court dont le jet ne parvient même pas jusqu’aux fenêtres du premier. Finalement, deux d’entre eux empruntent l’escalier, et ils redescendent quelques minutes plus tard avec un corps inerte sur une civière. Je ne sais pas si c’est la femme qui hurlait à la fenêtre, si elle a survécu ou pas, et s’il y a d’autres victimes. Quoi qu’il en soit, je commence à me demander si je ne devrais pas lever un peu le pied sur l’aventure si je veux revenir vivant de ce voyage au Mexique.


Je décide de rallier Mexico au plus vite, en espérant que mon ancienne élève de l’École de Sémiotique de Paris voudra bien m’accueillir. Arrivé à Mexico, je l’appelle, et elle m’invite aussitôt à prendre un taxi pour me rendre chez elle où elle propose de m’héberger. Par la vitre du taxi, j’ai le temps d’apercevoir quelques quartiers complètement rasés, nombre de bâtiments en ruines, et d’immenses cathédrales dont les clochers penchent comme la Tour de Pise. Mexico a souffert l’année précédente d’un très sévère tremblement de terre. Décidément, j’ai de la chance.
Beatriz, c’est son nom, habite chez sa tante, qui se trouve occuper un poste très important au Ministère de l’Éducation. Elle n’est pas tout à fait ministre, mais elle a tout de même une équipe d’une vingtaine de personnes sous ses ordres, tous spécialistes en sciences de l’éducation. C’est une femme cultivée et attentionnée, bien que dotée d’un caractère très affirmé et d’une grande autorité. Apparemment, Beatriz m’a présenté comme un des plus proches assistants de Greimas, et donc comme un grand connaisseur de la sémiotique. Passionnée de culture européenne, sa tante me demande aimablement de faire une intervention devant tous les membres de son équipe, afin qu’ils puissent bénéficier des lumières d’un maître venu directement de Paris en passant par le Texas. Je suis son hôte, je ne peux pas refuser.


C’est un chauffeur qui nous emmène le surlendemain au Ministère. Beatriz et sa tante en profitent pour me montrer les fresques de Diego Ribera qui ornent l’intérieur de ce bâtiment monumental, fresques que personne n’a l’occasion de voir à part ceux qui ont le privilège de travailler là. J’arrive dans la salle de conférence. Une vingtaine d’hommes et de femmes sont assis en face de moi, prêts à recevoir ma parole comme les fidèles le Saint-Sacrement. Je n’étais déjà pas très à l’aise pour parler de sémiotique devant quelques étudiants dans le cadre de mon atelier rue Monsieur-le-Prince, voilà que je dois le faire maintenant en espagnol dans un ministère à Mexico. Ils m’écoutent religieusement, me posent quelques questions assez pertinentes, ils m’applaudissent à la fin, et nous repartons. Et dire que si j’avais grillé comme une sardine dans mon hôtel à Los Mochis quelques jours plutôt, ces pauvres gens n’auraient jamais eu le privilège de m’entendre, et seraient morts dans l’ignorance…


Mon voyage se poursuivra encore pendant deux semaines. Ensuite, j’ai prévu pour rentrer à Austin de prendre l’avion. Je me dis que ce sera plus sûr. C’est pourtant à la douane pour revenir aux États-Unis que j’aurai la plus grande frayeur de mon voyage. Quand j’ai franchi par la route la frontière mexicaine depuis le Texas, assis dans la benne d’un pick-up, j’étais apparemment dans une zone franche, la véritable frontière se trouvant beaucoup plus loin. Aucun douanier n’a donc apposé de tampon sur mon passeport. Le douanier texan me fait remarquer avec un air suspicieux qu’il n’y a aucune trace officielle de mon départ du territoire des États-Unis, sur lequel je prétends à présent pénétrer à nouveau. Je ne suis pas sûr de tout comprendre mais en gros, si je ne suis pas parti, comment pourrais-je revenir ?


Je m’appelle Martinez. Au Mexique, personne ne me prenait pour un Mexicain, mais je lis dans son regard qu’il me soupçonne d’être un clandestin. Je me vois déjà refoulé à l’entrée des États-Unis, et renvoyé dans mon pays d’origine, la France, alors que je suis à moins de 300 kilomètres d’Austin. Cela finira par s’arranger, et c’est avec un certain soulagement que je retrouverai l’université, mes collègues et mes étudiants.

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