Bernard Tristan

Chroniques consacrées à Tristan Bernard : biographie, œuvres théâtrales, thèmes abordés…

Silvérie ou les fonds hollandais de Alphonse Allais et Tristan Bernard

D’après une nouvelle d’Alphonse Allais.
Ecrite et représentée au Théâtre des Capucines le 19 mai 1898 (plus de cent représentations). Reprise au Théâtre Tristan Bernard le 5 mars 1931.
Pour 3 comédiens et une comédienne.

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Quelques citations

« Je me sens de très bonne humeur… C’est curieux comme l’argent aide à supporter la pauvreté… »

« Il faut vous dire qu’à la suite d’une chute de cheval j’ai perdu tout sens moral. »

 

Deux pêcheurs en eau claire de Tristan Bernard

Comédie en un acte de Tristan Bernard, représentée pour la première fois le 20 février 1931 au Théâtre Tristan-Bernard.
Le texte a été publié en une dans Candide (grand hebdomadaire parisien et littéraire), le 26 mars 1931.
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L’argument

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9029429h
Pêcheurs à la ligne au Bois de Boulogne 1929 : [photographie de presse] / Agence Meurisse. Source : Gallica

Deux pêcheurs discutent tranquillement. Leur amitié naissante risque d’être contrariée par la révélation de l’un deux : il vient de sortir de Fresnes.

 

 

 

 


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Les Jumeaux de Brighton de Tristan Bernard

Les Jumeaux de BrightonComédie en trois actes représentée pour la première fois le 16 mars 1908, au Théâtre Fémina (direction F. Gémier).
Distribution : 9 hommes, 5 femmes (plusieurs rôles peuvent être interprétés par le même comédien)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

La comédie a été adaptée au cinéma en 1936, réalisation par Claude Heymann avec Raimu, Michel Simon, Suzy Prim, Charlotte Lyses et Germaine Aussey 

Résumé

Séparés à leur naissance à cause d’une affaire d’héritage, deux jumeaux ne soupçonnent ni l’un ni l’autre qu’ils ont un frère. Achille Beaugérard, avocat au Tribunal du Havre, porte le même nom que son frère jumeau, qui habite en Amérique et vient de débarquer au Havre pour affaires.
Achille Beaugérard I, après une dispute avec sa femme, va rendre visite à sa jeune et avenante voisine à qui il offre un voile de dentelle qu’il destinait à sa femme. Il doit s’absenter mais est rapidement remplacé par Achille Beaugérard II. Les quiproquos se multiplient.
Une adaptation des Ménechmes de Plaute.

Extrait de la conférence de Tristan Bernard  ayant précédé la première présentation au Théâtre Fémina le 16 mars 1908

« La pièce que nous allons avoir l’honneur de jouer devant vous est de Plaute, Titus Maccius Plautus, qui vivait environ deux cents ans avant l’ère chrétienne.
Je n’ai pas le dessein de vous raconter ici la vie de Plaute… D’abord, il faudrait la connaître. J’aurais pu, me direz-vous, me documenter en lisant le Larousse ; vous n’ignorez pas que beaucoup de conférences de pièces classiques sont précédées d’une lecture publique du Larousse. J’ai, en effet, songé à m’instruire ce matin, mais le Larousse était dans une chambre très froide ; j’ai donc jugé inutile de le déranger. D’autant que vous n’avez pas besoin de connaître la vie de Plaute pour comprendre la pièce qu’on va vous jouer.
Ce n’est pas une pièce très compliquée. Elle est plus simple et beaucoup moins enchevêtrée que les vaudevilles d’aujourd’hui. Les incidents s’y suivent très clairement, après une préparation pour ainsi dire immédiate. Ce n’est pas comme dans maints vaudevilles modernes où il faut suivre avec une attention scrupuleuse tous les personnages, leur mettre des petits drapeaux sur la tête, et ne perdre de vue aucun accessoire, car on ne sait pas ce que la montre placée au premier acte sous un des candélabres peut amener de complications deux actes plus tard. Dans la pièce de Plaute, les incidents ne sont pas préparés d’aussi longue main. C’est très frappant dans les Ménechmes, et surtout (note d’érudition) dans une autre pièce du même auteur : le Capitaine Fanfaron, Miles Gloriosus.
Donc, le vaudeville que vous allez voir est plus simple que nos vaudevilles actuels, mais il me semble que les situations y sont traitées plus complètement, plus « en comédie ». On ne s’y contente pas de l’effet mécanique d’une porte ou d’un auvent qui tombe sur le nez d’un homme, ou d’un lit qui sort brusquement d’un mur. L’effet y est commenté par des mots en situation. On y rit peut-être moins bruyamment, mais, ce me semble, avec beaucoup plus de reconnaissance. C’est ce qui doit arriver ce soir, si du moins le traducteur n’a pas trahi l’auteur.
Vous trouverez dans cette pièce des situations comiques que vous avez déjà vues assez souvent ailleurs. Il faut dire que, depuis deux mille ans que Plaute existe, il a eu des traducteurs avoués et pas mal de traducteurs inavoués. Il y a parmi les auteurs comiques beaucoup de gens qui se sont fournis chez Plaute, les uns directement, la plupart indirectement (car tout le monde ne le connaît pas), en prenant des scènes à d’autres auteurs qui, eux-mêmes, étaient des clients de Plaute. Je dois dire que Plaute avait pris ces situations à des auteurs encore plus anciens.
Ces emprunts peuvent très bien être involontaires : les auteurs comiques sont pareils aux abeilles qui sans s’être donné le mot, fabriquent partout leurs alvéoles de la même façon. Deux vaudevillistes normalement constitués, l’un Français et l’autre Chinois, arriveront au même développement dramatique s’ils partent d’un point de départ analogue.
J’espère que ces scènes connues auront néanmoins pour vous le charme de la nouveauté, si toutefois j’ai su garder à la pièce latine la fraîcheur éternelle qui m’a tant séduit quand je l’ai lue pour la première fois.
J’ai conservé des procédés d’ancien théâtre, tels que le monologue au public : un monologue franc, à l’avant-scène, est bon enfant et familier. Il y a dans ce genre de théâtre comme une passerelle entre la scène et la salle. Le personnage de la pièce prend le public comme confident ; le public est assez content, parce que c’est toujours flatteur d’être choisi par quelqu’un pour confident de quelque chose. D’autre part, l’acteur étant bien en face du public, on détaille son jeu plus à l’aise et l’on profite de sa bonne figure.
Les Jumeaux de Brighton ne sont pas une traduction. C’est une adaptation, une transposition. Je ne suis pas très fort en latin. Je vous dirai que, lorsque j’étais au lycée et qu’on traduisait du Plaute, j’étais loin de prêter à notre professeur la bienveillante attention que vous voulez bien m’accorder aujourd’hui ; pour dire le mot, je n’écoutais pas une syllabe.
Nous étions d’ailleurs beaucoup d’élèves dans mon cas, mais le professeur ne s’en inquiétait guère. Il avait un auditeur qui lui était plus cher que tous les autres : il s’écoutait lui-même. Il se berçait avec les phrases latines, et pendant ce temps-là, tous les petits élèves se livraient à des occupations favorites, selon leurs tendances. Les uns imprimaient dans le bois des pupitres des incrustations définitives : un nom profondément gravé dans le bois révélait aux générations futures qu’un tel n’avait pas été attentif à la leçon.
Moi, pendant qu’on traduisait Plaute, je faisais des pièces de théâtre; maintenant que mon métier m’oblige à écrire des pièces de théâtre, je traduis Plaute.
Je ne vous apporte donc pas une traduction de latiniste, mais un ouvrage d’auteur comique. J’ai lu, avec une attention que je qualifierai naturellement de scrupuleuse, différentes traductions de Plaute; j’ai été frappé de voir à quel point le mot essentiel de la phrase latine, le mot que l’auteur de théâtre avait voulu mettre en valeur, à quel point ce mot capital était noyé dans la phrase française. C’est que le traducteur, bon latiniste, n’était pas un écrivain de théâtre.
Il m’a semblé qu’il fallait retrouver chez l’auteur latin tous ses moyens de faire rire, non seulement l’agencement des situations, mais la façon de placer les mots, et mon ambition a été de vous amuser aujourd’hui exactement par les procédés qui avaient si bien réussi à Plaute, quand il faisait rire aux éclats le public romain d’il y a deux mille cent cinquante ans. Il est même assez curieux de constater que le public d’aujourd’hui rit pour les mêmes raisons et du même rire qu’à cette époque lointaine.
Mais, pour arriver à rendre à la pièce de Plaute la majeure partie de son effet, je me suis vu obligé de changer le milieu et l’époque. Je suis persuadé, en effet, que les pièces comiques ne réussissent pleinement que lorsque les personnages parlent la langue même du spectateur, car, entre le langage des différentes époques, c’est la langue actuelle qui possède la plus grande intensité, la plus grande force de pénétration.
C’est facile à expliquer : le langage comique s’use énormément parce qu’il nous sert à tout instant dans nos épanchements et dans nos discussions domestiques. Quand un mari a appelé sa femme « Petite rosse ! » pendant une dizaine d’années, cette expression finit par perdre sa force. Il faut qu’il trouve autre chose, il faut qu’il renouvelle son fonds d’injures, qui est comme éventé.
Nous avions, à la campagne, un vieux jardinier qui était très malheureux, parce que son fils se levait tard. Il faut dire que son fils arrivait du service militaire où il était trompette en pied. Au régiment, le trompette doit se lever de bonne heure, car c’est à lui de sonner le réveil. Du jour où ce jeune homme arriva au grade de trompette en pied, il confia le soin de sonner le réveil à un élève-trompette qui était chargé également de toutes les sonneries du matin, la visite du major, le rapport du colonel. Notre trompette en pied ne se levait qu’à dix heures un quart pour la soupe. Il avait gardé dans la vie civile cette bonne habitude qui désespérait son père. Alors, le vieux jardinier me disait : « Je ne sais plus quoi faire, je l’appelle « feignant », je l’appelle « limace », je l’appelle « vache », je ne sais plus comment l’appeler.
Voilà un exemple de plus de la nécessité de renouveler constamment la langue comique. Le langage noble, celui qui est usité dans les comédies dramatiques et dans les tragédies, c’est une autre affaire : il ne s’emploie pas constamment dans la vie. On reste quelquefois deux mois sans prononcer les mots d’honneur, de générosité, de vaillance, d’héroïsme : ces mots s’entendent rarement, même dans les familles les moins honnêtes. Ils se conservent donc plus longtemps, et, quand les auteurs dramatiques les emploient, ils sont moins usagés, comme on dit.
Je me suis trouvé dans la nécessité, pour traduire Plaute qui emploie des expressions violentes, de chercher dans l’argot tout à fait actuel des mots équivalents. Mais je ne pouvais laisser à des personnages qui parlaient notre français populaire des vêtements romains. Ils eussent ressemblé à des héros de la Belle Hélène. Du moment qu’ils parlaient votre langage, j’ai dû leur donner votre costume.
La grosse modification que j’ai introduite dans la pièce de Plaute, c’est le prologue. Le prologue du poète latin était en monologue. Il n’était, d’ailleurs, pas l’œuvre de Plaute, mais d’un chef de troupe. Le personnage du prologue venait faire le récit de la pièce aux spectateurs. Après leur avoir souhaité ce que je vous souhaite, c’est-à-dire salut et félicité, il leur recommandait de prêter à ses paroles une grande attention, car il leur racontait le sujet de la pièce dans le moins de mots possible. Un peu d’attention était évidemment nécessaire, car le postulat de ces pièces latines était compliqué, – pas si compliqué toutefois que celui de la Comédie des Erreurs, une pièce que mon illustre confrère en adaptation, William Shakespeare, a également tirée des Ménechmes.
Dans les Ménechmes, de Plaute, il n’y a qu’une paire de jumeaux. Mais cela ne suffisait pas au génie monstrueux de Shakespeare ; il en a imaginé simplement deux paires qui sont nées le même jour, dans la même maison : une des paires étant esclave de l’autre. Tout ce lot de phénomènes s’embarque à bord d’un navire… Il arrive à ce navire ce qui arrive généralement à tous les navires des pièces comiques : il fait naufrage. Les jumeaux se précipitent sur un mât déraciné. À l’extrémité de ce mât se trouvait un des jumeaux de la paire numéro 1 avec un jumeau de la numéro 2, tandis que les deux autres jumeaux correspondants se trouvaient à l’autre extrémité du mât. Par une dernière complaisance de la bourrasque, le mât est partagé en deux et chacun de ses morceaux va atterrir dans des rivages très lointains et très différents. Une vingtaine d’années après, la pièce commence, et il résulte de ce fait divers un peu anormal des complications, d’ailleurs pas toujours amusantes.
Dans la pièce de Plaute, qui est moins compliquée, un des jumeaux connaît l’existence de l’autre et il est même à sa recherche, il semble un peu invraisemblable, dans ces conditions, qu’il n’ait pas de méfiance au moment où commencent les quiproquos.
Dans les Ménechmes, de Regnard, qui sont aussi une adaptation de Plaute, un des jumeaux connaît également l’existence de l’autre et en profite pour commettre toutes sortes d’escroqueries. Cela gêne un peu le rire.
Je me suis efforcé d’imaginer un postulat d’après lequel aucun des jumeaux ne connaît l’existence de son frère. Il m’a fallu écrire une saynète, un petit lever de rideau qui expose les faits le plus clairement possible et qui se passe à Brighton (Angleterre) trente-sept ans avant le premier acte, qui se passe de nos jours. J’ai imaginé un concours de circonstances qui est, je vous l’accorde, un peu rare et exceptionnel, mais, ce me semble, assez plausible.
Je vous demanderai, d’ailleurs, un peu du crédit que le public accorde toujours aux auteurs comiques.
Les actes suivants se passent au Havre, trente-sept ans après le prologue.
Encore un peu de pédantisme :
En dehors des adaptations de Shakespeare et de Regnard, je signalerai parmi les nombreuses pièces qui ont mis en scène deux jumeaux : Prosper et Vincent, de Duvert et Lausanne, et Giroflé-Girofla. Dans ces deux pièces, les rôles des jumeaux ou des jumelles sont joués par le même artiste.
Il y a encore nombre de pièces dans le répertoire comique qui tirent leur effet de rire de ressemblances entre deux personnages. Je citerai : la Puce à l’oreille, de M. Georges Feydeau. Le Jumeau, de MM. Larcher et Monnier, mettait en scène un personnage qui se donnait alternativement pour deux hommes différents. Une situation analogue a été traitée également d’une façon très comique, dans le Coup de fouet de MM. Bilhaut et Hennequin. Citons encore parmi les anciennes pièces adaptées de Plaute : le Jumeau de Bergame de Florian.
Tous ces détails, qui vous intéressent plus ou moins, vous prouveront qu’à défaut de verve oratoire le conférencier a travaillé sérieusement la question dont il vous entretient aujourd’hui. »

Triplepatte de Tristan Bernard et André Godfernaux

Représentée pour la première fois au Théâtre de l’Athénée, le 30 novembre 1905.
Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition 
Distribution : 15 hommes, 16 femmes.
Télécharger le texte intégral gratuitement sur Libre Théâtre

 

L’argument

Le vicomte Robert de Houdan est surnommé par ses amis Triplepatte du nom d’un cheval de course qu’il possède et qui se dérobe toujours.  Il lui est impossible de prendre la moindre décision et quand Boucherot, à qui il doit beaucoup d’argent, et la baronne Pépin, marieuse infatigable, organisent son mariage avec la gentille Yvonne Herbelier, il obtempère jusqu’au jour de la cérémonie…

Leriche (Baronne de Pépin), Lévesque (Vicomte de Houdan), Caumont (Mme Herbelier) dans Triplepatte. Dessin de Lourdey . Le Journal amusant – 16 décembre 1905. Source : BNF
Diéterlé (Yvonne) et Bullier (M. Herbelier) dans Triplepatte. Dessin de Lourdey . Le Journal amusant – 16 décembre 1905. Source : BNF

 

https://www.athenee-theatre.com/
Théâtre de l'Athénée - Immense succès - Triplepatte - comédie en 5 actes de MM. Bernard et Godfernaux. Source : Théâtre de l'Athénée

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Les Pieds nickelés de Tristan Bernard

Comédie en un acte, représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Œuvre le 15 Mars 1895, publiée en 1899 aux Editions Ollendorff (disponible sur Gallica), dédiée à  Louis-Alfred Natanson. Il s’agit de la première pièce de Tristan Bernard.
Distribution : 3 hommes, 4 femmes (plusieurs rôles peuvent être interprétés par le même comédien)
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Argument

Alain et Francine, un jeune couple, ont absolument besoin de dix mille francs pour rembourser Ronchaud, un ami du père d’Alain. Mais tout le monde a les pieds nickelés dès qu’il s’agit de prêter la forte somme. Mis par hasard en possession de l’argent, Alain a lui-même les pieds nickelés quand Ronchaud revient chercher son dû…

Extrait

Alain. – Es-tu sûre qu’il ait gagné six cent mille francs ? Les gens d’affaires font entre eux des affaires extraordinaires. Ils achètent très cher des choses – qu’ils ne paient pas, et les revendent encore plus cher à des gens qui ne les paient pas. Ils doivent toucher des fortunes, ils y comptent, et cette ferme espérance les soutient.
Francine. – Mais de quoi vivent-ils tous ? Qui paie leur loyer et leurs voitures ?
Alain. – De soi-disant petites commissions, dont quelques bonnes poires de province ou quelques fils de famille alimentent le marché. Ils vivent richement, au jour le jour, et quand leur vaisselle plate n’est pas au clou, ils y mangent leur vache enragée.
Francine. – Et voici comment se résume notre situation : les gens qui voudraient bien obliger n’ont pas d’argent ; quant à ceux qui ont de l’argent…
Alain. – Ils ne marchent pas. Ils ont, comme on dit, les pieds nickelés. Ils sont lourds à remuer, ainsi que des tirelires pleines. Leurs pieds nickelés ne sont que de vains ornements.

La création en 1895

La première pièce de Tristan Bernard est créée au Théâtre de l’Œuvre, dirigée par Lugné-Poë, qui jouera dans la pièce avec sa femme Suzanne Després. On soulignera l’extrême variété du programme proposé par le Théâtre de l’Œuvre le 15 mars 1895 puisque les Pieds Nickelés côtoient la pièce symboliste Intérieur de Maurice Maeterlinck. Le programme est dessiné par Maurice Denis.

 

https://www.vangoghmuseum.nl/en/prints/collection/p1350V2000
Lithographie dessinée par Maurice Denis pour le programme de l’Œuvre du 15 mars 1895. (La scène d’André Lebey, La vérité dans le vin de Charles Collé, Les pieds nickelés de Tristan Bernard et Intérieur de Maurice Maeterlinck). Source : Musée Van Gogh Museum Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

 

Illustration de la première édition par Toulouse-Lautrec

http://bibliotheque-numerique.inha.fr/idurl/1/13119
Lithographie pour l’édition Ollendorff de 1895.Source : Bibliothèque numérique de l’INHA – Collections Jacques Doucet

L’expression « les pieds nickelés »

L’expression signifie à la fin du XIXème siècle « être de mauvaise volonté ». On la trouve fréquemment dans la presse de l’époque. L’origine de cette expression est confuse. Elle fait référence soit aux « pieds en nickel », trop précieux pour servir à marcher ou travailler, soit aux « pieds niclés », pieds atteints de rachitisme, noués, mal formés, ne permettant donc pas un travail soutenu.

Après la pièce de Tristan Bernard, Louis Forton a créé sous ce nom trois héros de bandes dessinées dans l’hebdomadaire l’Épatant en 1908. Louis Forton a continué à dessiner les Pieds nickelés jusqu’à sa mort en 1934, date après laquelle la série sera continuée par Aristide Perré puis Albert Badert. Il faudra néanmoins attendre sa reprise par Pellos de 1948 à 1981 pour que les Pieds nickelés renouent avec le succès. Ce sont de petits filous sans envergure illustrés d’abord par leurs coups tournent souvent mal et les entraînent fréquemment en prison, d’où le sens actuel d’archétype du malfaiteur médiocre.


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L’Etrangleuse de Tristan Bernard

Pièce de théâtre, comédie en un acte (5 scènes), jouée à la Boîte à Fursy, extraite du recueil Théâtre sans directeur (Editions Albin Michel, 1930). Source BnF/Gallica
Distribution : 3 hommes, 2 femmes
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L’argument

La Comtesse est seule dans son château avec son vieux serviteur de 97 ans et sa servante, Florentine, qui s’avère être une étrangleuse, placée dans cette maison il y a six mois, par la Société des Etrangleurs du grand Monde pour dévaliser la Comtesse. Avec l’aide du Grand Bibi, elle tente de voler le coffret rempli de bijoux. Mais rien ne se passe comme prévu.

Pièce illustrée (1908)

Source : BnF/Gallica






Extrait

Florestine. – J’ai cru qu’ils ne s’en iraient pas. C’est curieux, quand on est sur le bord du crime, quelle impatience fébrile on ressent. (Au public.) Placée dans cette maison il y a six mois, par la Société des Etrangleurs du grand Monde, j’ai épié, jour et nuit, minute par minute, les habitudes de la Comtesse. Je me suis insinuée dans sa confiance, et maintenant, ô triomphe de ma perfidie ! l’heure est venue d’accomplir mon forfait. S’il ne s’était agi que de la Comtesse, je n’aurais pas eu besoin de complice. Autour de son frêle cou aristocratique, mes doigts plébéiens, noués avec vigueur, auraient fait joyeusement leur besogne de haine. Et son râle de mort aurait été une musique enivrante.

Une voix, à l’orchestre. – Oh ! la poison !…

Florestine. – Mais, à ses cris, on aurait pu arriver, m’arrêter… Alors j’ai prié la Société de m’adjoindre un bon ouvrier, le Grand Bibi du sixième. (Ouvrant la porte de gauche.) Arrivez, le Grand Bibi.

Un dramaturge en plein labeur de Tristan Bernard

Saynète. Retraitement par Libre Théâtre à partir du recueil Théâtre sans directeur (Editions Albin Michel, 1930). Source BnF/Gallica
Distribution : 2 hommes
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L’argument

Un auteur de théâtre, revenu d’une partie de poker à 7 heures du matin, est appelé par un ami puis par le directeur du théâtre auquel il a promis sa nouvelle pièce. Il ne se souvient plus de la pièce, la confond avec une autre… heureusement son secrétaire est là…

extrait : « Oui, oui, je sais que tu es un homme de théâtre… Mais, tout de même, un petit quelque chose qui n’irait pas pourrait te faire mauvaise impression… Tu trouves que je suis en retard ?… Voyons, mon vieux, de quoi te plains-tu? Je t’avais promis la pièce pour le 5 février ? Eh bien, je t’affirme qu’à midi précis, le 15 mars, je te l’apporterai… Ben quoi ! Cela fait quarante jours… Je suis en avance sur le retard normal !… Tu es extraordinaire ! Tu sais pourtant ce que c’est que d’écrire une pièce ! On ne peut pas commander à ses facultés créatrices ! »

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53129876t
Tristan Bernard et Georges Berr / dessin de Yves Marevéry. Source : BnF/Gallica

 

 

Un mystère sans importance de Tristan Bernard

Saynète, jouée dans une matinée de bienfaisance. Retraitement par Libre Théâtre du recueil Théâtre sans directeur (Editions Albin Michel, 1930). Source BnF/Gallica
Distribution : 3 hommes, 2 femmes
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L’argument

Roseleur, un avocat, trouve dans la poche de son pardessus son mouchoir dont le coin est noué. Quel est ce mystère ? Pourquoi a-t-il fait ce nœud à son mouchoir ? A quel propos ? En quelle circonstance ? Il a beau songer, réfléchir, appliquer à ce problème toutes ses meilleures méthodes d’investigation, il ne trouve pas. Il interroge en vain sa bonne, son ami, qui le trouve bizarre et sa petite amie, qui le trouve très distant : il ne songe qu’à remonter au moment il aurait fait ce nœud. Le mystère s’éclaircit quand un monsieur vient rapporter le pardessus de Roseleur, échangé par erreur avec le lien dans le vestiaire du Congrès de jurisprudence. Il récupère son propre pardessus (et son mouchoir noué) et Roseleur sa tranquillité d’esprit.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53073770z
Tristan Bernard. Photographie de presse par l’Agence Rol. 1921. Source : Bnf/ Gallica

L’Accord parfait de Tristan Bernard et Michel Corday

Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre Fémina, le 25 novembre 1911. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition de La Petite Illustration théâtrale du 17 février 1912.
Distribution : 4 hommes, 3 femmes
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L’argument

L’accord parfait propose une version moderne du triangle amoureux, multipliant les situations inattendues et les pieds de nez à la morale bourgeoise et hypocrite. Les arrangements entre le mari, la femme et l’amant sont présentés avec un grand naturel et une sensibilité délicate.  L’ironie mordante de cette comédie de mœurs traverse les âges et séduit encore aujourd’hui.

Présentation par les auteurs

«  L’Accord parfait est une comédie de mœurs ironique. (…) Il y a peut-être des gens qui vont trouver notre pièce immorale, et il y en a d’autres sans doute qui vont la trouver très morale. À défaut de la Moralité, avec un grand M, je crois qu’on rencontrera beaucoup de petites moralités. Nous avons mis en scène des êtres un peu spéciaux, moins exceptionnels qu’ils n’en ont l’air, plus généraux, en tout cas, qu’ils ne le croient eux-mêmes. Car, au fond, c’est une vérité assez vieille que de dire que les hommes se ressemblent beaucoup. Si, depuis pas mal de temps, les hommes appellent d’autres hommes leurs semblables, c’est qu’il y a peut-être à cela une petite raison… Nous pensons que parmi les tâches diverses de l’écrivain, une des plus intéressantes est de montrer comment des êtres soi-disant exceptionnels se rattachent toujours à l’humanité. »

La critique au moment de la création

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9804248h/f13.item
Source : Gallica/Bnf

Léon Blum déclare, dans Comœdia, que cette œuvre, comique en apparence, pleine de mots et de traits d’un humour charmant ou profond, est si hardie dans son fond, et pose avec une sereine tranquillité des idées si graves qu’il n’a pu l’écouter sans une sorte de frisson : « On n’y prend pas garde, tant la pièce est agréable et heureuse, tant les personnages sont faciles et nonchalants, tant MM. Tristan Bernard et Michel Corday ont apporté de tact et d’apparente insouciance à voiler leurs hardiesses très volontaires. Mais cependant, ce qui est dit reste dit, et je ne crois pas que jamais on ait fait accepter au public rien de plus audacieux. »

Adolphe Brisson, dans le Temps : « L’anarchisme indolent et souriant de M. Tristan Bernard – et M. Brisson prie M. Michel Corday de prendre pour lui la moitié des observations et des compliments que, pour plus de commodité, il adresse au seul Tristan Bernard – cet anarchisme s’y épanouit avec une sorte de sérénité. Il semble que le délicieux écrivain se dise : les vérités contenues dans mon ouvrage sont désormais établies ; elles ont la force de l’évidence et presque la banalité du lieu commun ; il est superflu d’y insister. Jamais M. Tristan Bernard ne s’était montré si affirmatif tout ensemble et si paisible, n’avait enveloppé de formes plus aimables son nihilisme agressif. Car ne vous y trompez pas, cet auteur nonchalant de qui la grâce nous charme et la gaieté nous ravit, a des idées violentes. Traditions séculaires, principes ou préjugés de notre vieille morale, conventions ayant pour but de maintenir l’ordre social, toutes ces choses que de furieux coups de bélier n’ont pas ébranlées, le flegme de M. Tristan Bernard les énerve, les dissout, les détruit. Rien n’est plus curieux qu’un travail de désagrégation si énergique et poursuivi par des moyens en apparence si inoffensifs. On ne se méfie pas. La comédie s’intitule l’Accord parfait. Ce pourrait être le titre d’une estampe galante de Fragonard. C’est, en effet, fort galant, mais nous allons voir de quelle façon, et tout ce que recouvrent ces légèretés, ces gentillesses, ces ironies. Il y a là une audace tranquille, très symptomatique, très « moderne. »

M. Adolphe Brisson, s’étant livré à l’analyse de ces trois actes, conclut : « Une impression singulière se dégage de ce dialogue dont la hardiesse souriante et paisible eût soulevé jadis des orages. Vous figurez-vous la stupeur du public de 1865, ou de 1875, ou de 1880…, si on le lui avait offert ? L’indifférence amusée des spectateurs de 1911 indique l’étape parcourue, l’évolution accomplie. Ils n’éprouvent pas le besoin de s’insurger. Leur attitude est d’autant plus significative qu’ils sentent bien que l’exposé de ces principes, de ce traité conclu entre le mari, la femme et l’amant, que cette réglementation méthodique et si l’on peut dire familiale de l’adultère, que ces choses ne sont nullement paradoxales dans l’intention des auteurs, que ceux-ci ne blaguent pas, ne bluffent pas, qu’ils ne soutiennent pas une gageure, mais expriment sincèrement, et sans hypocrisie, ce qu’ils pensent. »

Edmond Sée, dans Gil Blas, juge cette petite comédie tendre cyniquement, comiquement émouvante.

Edition de la pièce par Libre Théâtre.

L’édition contient également la postface de Gaston Sorbets parue dans La Petite Illustration théâtrale, en 1912. Il  rapporte les conditions dans lesquelles les deux auteurs ont composé ces trois actes et détaille les réactions de la presse lors de la création de la pièce.


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Un Perdreau de l’année de Tristan Bernard

Comédie en trois actes et en prose, représentée pour la première fois sur la scène du Théâtre Michel, le 24 avril 1926. Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition de La Petite Illustration théâtrale, 1926. (Source : Gallica/ BnF)

Distribution : 4 hommes, 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Thibaut et Thierry sont amis et se retrouvent à Deauville. Thierry est un séducteur d’une quarantaine d’années qui ne cesse de multiplier les conquêtes. Thibaut, qui est plus jeune, lui demande d’arranger ses affaires de cœur. Mais les choses tournent toujours de la façon la plus déplorable et le jeune perdreau est plumé par le braconnier malgré lui ! Trois actes, trois expériences semblables… Mais, une jeune fille intelligente et sincère, va rebattre les cartes de ces jeux amoureux.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k98088304/f23.item
Source : Bnf/Gallica

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Les réactions de la critique lors de la création

Le Petit Journal

M. Pierre Veber nous confie, dans le Petit Journal, la prédilection de l’auteur pour cette dernière œuvre, et il la partage : « Je parie que cette pièce est celle que Tristan Bernard préfère dans toute son œuvre ; et je parie à coup sûr, car il me l’a dit ! Et comme je le comprends ! C’est écrit avec une recherche, une habileté de nuances à la Marivaux, un sens de la phrase qui formule joliment une pensée, un esprit continuel et qui n’a rien de commun avec le faux esprit de théâtre. C’est un art supérieur très personnel, infiniment savoureux, dont le comique réticent s’indique à peine, et dont la psychologie semble s’excuser d’être trop délicate. Avez-vous remarqué, comme l’a fait Charles Oulmont, dans ses Lunettes de l’Amateur, que les marchands de curiosités gardent leurs meilleurs objets dans l’arrière-boutique ? C’est ainsi que Tristan semble garder ses meilleures trouvailles dans son arrière-pensée. Mais si vous forcez la porte, vous ne serez pas volés, je vous l’assure. Cet écrivain a le génie de l’indication ! Avec deux mots très simples, il vous révèle un état d’âme assez compliqué. Il n’insiste pas, et vite il vous échappe, dans l’inquiétude qu’il a d’échapper à lui-même. Méfiez-vous de la minute où il vous amuse, c’est justement celle où il vous fait réfléchir. Ce jeu de cache-cache avec le spectateur ne peut être réussi que par un grand artiste, qui dédaigne désormais les faciles moyens de gagner son public. »

Le Journal

Dans le Journal, M. G. de Pawlowski remarque judicieusement : « Si Un Perdreau de l’année était d’un jeune auteur, on crierait certainement au chef-d’œuvre. De M. Tristan Bernard, cette pièce ne surprend pas. Elle n’a peut-être cependant à ses yeux que l’importance d’un divertissement dans son œuvre. C’est du moins un divertissement qui est divertissant avec délicatesse. Ce qui n’est pas si fréquent aujourd’hui. Voilà même, sans doute, une pièce qui survivra à bien d’autres œuvres contemporaines qui se présentent avec moins de modestie. Et puis, M. Tristan Bernard est à la fois un excellent observateur du cœur humain et un écrivain… »

Le Journal des Débats

M. Henry Bidou, dans le Journal des Débats, est lui aussi sous le charme : « Que dire de la pièce de M. Tristan Bernard au théâtre Michel, sinon qu’elle est une merveille de finesse ciselée, et d’un comique si subtil qu’on en est saisi sans l’avoir aperçu ? Je voudrais vous la raconter, mais il faudrait retrouver les mots eux-mêmes. Chaque phrase est riche de sens et cette richesse est voilée. Il ne s’agit que d’un homme à qui un ami, sans que ni l’un ni l’autre le veuille, jette toutes ses maîtresses dans les bras. La fatalité, mais une fatalité sourde, discrète, secrète, inexorable et, en somme, optimiste, ne permet pas que Thierry échappe à son destin, qui est agréable. Un agencement de trébuchets le fait tomber dans des pièges, où le remords et le plaisir lui tiennent compagnie. La pièce est si bien faite que les personnages y ont du temps devant eux, et, comme ils parlent avec beaucoup de grâce, ils prononcent des petits discours persuasifs, ou ils font de petits portraits qui sont des réquisitoires. En tout cela, pas un mot de trop, mais une justesse exquise, des phrases qui font mouche, mais sans rigaudon : l’aisance dans la perfection. »

Comœdia

Si M. Etienne Rey, de Comœdia, s’est d’abord un peu défendu, il n’a pu résister longtemps : « On est en train de suivre la pièce, d’écouter le dialogue, et on se dit, tout bas : « Tiens, tiens ! Ça n’a pas l’air d’être du meilleur Tristan… » Puis, tout d’un coup, sans s’annoncer, sans crier gare, arrivent un de ces mots, une de ces réflexions de la qualité la plus rare, de l’observation la plus pénétrante, et qui en disent plus long, à eux seuls, que toute une scène, Et nous sommes ravis. C’est une petite pièce aimable, nonchalante, facile, comme les aime M. Tristan Bernard, et comme lui seul peut s’en permettre. Elle ne se guinde pas ; elle se refuse à paraître brillante ; elle ne force pas l’allure, et elle ne cherche pas à provoquer notre intérêt par ces effets de surprise ou ces ingéniosités de l’action qui suppléent si souvent au reste ; ce n’est pas qu’elle dédaigne certains procédés de théâtre, tels par exemple que des répétitions ou des retournements de situation ; mais l’auteur paraît toujours vouloir nous dire : « Je sais bien que vous devinez où je vous conduis et que vous attendiez cette scène… mais ça n’a pas d’importance. Le vrai jeu n’est pas là ! Et, en effet, ça n’a pas d’importance. Car toujours, sous le dialogue le plus naturel et le plus aisé du monde, ce que nous aimons dans les pièces de Tristan Bernard, c’est sa souriante philosophie, sa sagesse narquoise, et cette expérience du cœur des hommes et des femmes grâce à laquelle des personnages, même dessinés d’un trait léger ou négligent, nous paraissent vrais et humains. »

Le Temps

Dans le Temps, M. Pierre Brisson estime : « On écoute les trois petits actes de cette brève comédie du Perdreau de l’année avec un charmant plaisir. Le dialogue trahit un soin particulier. Certaines scènes sont de l’art le plus fin, le plus narquois, le plus aisé qu’on connaisse à M. Tristan Bernard. Vous savez avec quelle nonchalance il aime à répandre son talent. Les faiblesses d’un héros lui sont plus chères que ses vertus. Elles lui paraissent plus naturelles et plus vraies. Il étend parfois jusqu’à lui-même cette affection pleine d’indulgence. Il s’abandonne à une douce mollesse. De petits ouvrages flâneurs et négligés naissent volontiers sous sa plume. Lorsqu’il veut s’en donner le loisir il écrit un théâtre dont vous connaissez le prix. C’est une merveille d’ironie savante, d’adresse et de vérité. Les personnages qu’on y rencontre sont pour la plupart incertains et médiocres. Ils suivent le train de la vie. Leur condition est ordinaire. Les mots qu’ils prononcent, les gestes qu’ils font restent ordinaires aussi. Leur spectacle pourtant nous ménage un plaisir délicat. M. Tristan Bernard est le peintre incomparable des petits sentiments qui forment la trame de l’existence. Il excelle à flatter ce goût singulier que nous avons pour les ennuis des autres. Le léger ouvrage qu’il nous donne aujourd’hui prend une allure quelque peu différente. C’est un vaudeville traité dans le ton de la comédie la plus nuancée. L’intrigue se développe d’un mouvement mécanique, les personnages ont une conduite tout à fait improbable. Leurs propos cependant abondent en remarques justes, fines et spirituelles. Ce contraste-là fait précisément la meilleure qualité de la pièce et son attrait subtil… Ce qui fait le prix, me semble-t-il, de ces trois actes légers, c’est la science aisée qui s’y cache et dont on sent plusieurs fois très vivement l’effet. M. Tristan Bernard est un mandarin du théâtre. Ayant peu à peu déchiffré les secrets du métier et rompu son esprit aux exercices les plus divers, il revient à des jeux fort simples dont il s’amuse à compliquer les règles. Les divertissements qu’il s’offre ainsi nous valent parfois des comédies un peu minces et d’une nonchalance extrême, mais parfois aussi de petits ouvrages d’une perfection achevée dans le détail et d’un humour délicieux… Ces habiletés savantes prennent un bien vif agrément lorsqu’elles s’allient à tant de naturel. »
Et M. Nozière ajoute : « C’est une petite comédie d’une réelle distinction et qui pourtant déchaîne parfois le rire violent du public. »

L’Œuvre

Enfin, ces lignes de M. Edmond Sée, dans l’Œuvre, compléteront significativement ce florilège louangeur : « Cette pièce-là, c’est du Tristan Bernard « de derrière les fagots » ; le Tristan de Monsieur Codomat, des Petites Curieuses, de Daisy, de la Volonté de l’homme, de l’Accord parfait. Vraiment, on ne saurait allier plus de tendre et délicate observation à plus de fine, incisive et profonde malice. En trois petits actes, l’écrivain fait vivre, anime des personnages criants d’humanité ; leur fait avouer tout ce qu’ils pensent, ce qu’ils sentent (ce que nous penserions et sentirions nous-mêmes, à leur place). Lorsque le rideau tombe, pas un mot de trop n’a été dit, pas une scène nécessaire n’a été « loupée », pas un coup de pouce n’a été donné à la quotidienne et générale vérité : celle qu’expriment naturellement nos faibles cœurs, nos consciences incertaines, et qu’un philosophe implacable mais souriant dégage, comme en se jouant !… L’ouvrage vaut par l’esprit éblouissant du dialogue, la grâce des détails, le dessin subtil et vigoureux des scènes, la présentation et l’éclosion adorables des personnages, dont chacun est un caractère (même lorsqu’il semble en manquer). Il faut aller entendre Un Perdreau de l’année ; et l’on ira, je l’espère. Dans la salle, on murmurait : « Un bijou, mais trop délicat pour le public d’après guerre. » Aux spectateurs de démentir une si injurieuse insinuation. Car, tout de même, je me refuse à croire que, seuls, les étrangers font la loi au théâtre et que ce public jadis, hier, le plus fin, le plus spirituel du monde s’écarte d’un ouvrage, parce qu’il est trop spirituel et trop fin !… »


Edition de la pièce par Libre Théâtre.

L’édition contient également la postface de Robert de Beauplan parue dans la Petite Illustration théâtrale (1923) qui détaille les réactions de la presse lors de la création de la pièce.


Lien vers le théâtre de Tristan Bernard sur Libre Théâtre
Lien vers la biographie de Tristan Bernard sur Libre Théâtre

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