Zola Emile

Chroniques consacrées à Emile Zola : biographie, œuvres théâtrales, thèmes abordés…

Le théâtre de Zola et le naturalisme

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Zola par l’atelier Nadar. 1898. Photo (C) Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Atelier de Nadar

Zola est un des représentants les plus connus de l’école naturaliste : il a théorisé l’esthétique de ce mouvement littéraire et l’a brillamment mis en œuvre dans ses romans, notamment dans le cycle des Rougon-Macquart

Mais Zola s’est également intéressé au théâtre. Il a été critique dramatique au Bien public, et ensuite au Voltaire. Il a rassemblé certains de ses articles publiés dans deux ouvrages Le Naturalisme au théâtre (1881, disponible sur Gallica) et Nos auteurs dramatiques (1881, disponible sur Gallica).  Il a également écrit plusieurs pièces, souvent adaptées de ses romans (voir le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre). 

 


Les caractéristiques du naturalisme au théâtre

Zola dans la préface de la pièce Thérèse Raquin, drame tiré du roman, définit précisément les principes du mouvement naturaliste au théâtre.

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L’assommoir, drame de William Busnach et Oscar Gastineau d’après Emile Zola/ Source : BnF/Gallica

« Certes, je n’ai point l’ambition de planter mon drame comme un drapeau. Il a de gros défauts, et je suis plus sévère pour lui que personne ; si j’en faisais la critique, il ne resterait qu’une chose debout, la volonté bien nette d’aider au théâtre le large mouvement de vérité et de science expérimentale, qui, depuis le siècle dernier, se propage et grandit dans tous les actes de l’intelligence humaine. Le branle a été donné par les nouvelles méthodes scientifiques. De là, le naturalisme a renouvelé la critique et l’histoire, en soumettant l’homme et ses œuvres, à une analyse exacte, soucieuse des circonstances, des milieux et des cas organiques. Puis, les arts et les lettres ont subi à leur tour l’influence de ce grand courant ; la peinture est devenue toute réelle, notre école de paysage a tué l’école historique ; le roman, cette étude sociale et individuelle, d’un cadre si souple et sans cesse élargi, a pris la place entière, absorbant peu à peu les genres littéraires classés par les rhétoriques d’autrefois. Ce sont là des faits que personne ne saurait nier. Dans l’enfantement continu de l’humanité, nous en sommes à l’accouchement du vrai. Et là est la seule force du siècle. Tout marche de front dans une époque. Quiconque voudrait retourner en arrière ou s’échapper de côté, serait écrasé sous la pensée générale. C’est pourquoi je suis absolument convaincu de voir prochainement le mouvement naturaliste s’imposer au théâtre, et y apporter la puissance de la réalité, la vie nouvelle de l’art moderne.

Oeuvres complètes illustrées de Émile Zola. 31, Editions Fasquelle (Paris). sur Gallica.

Au théâtre, toute innovation est délicate. Les révolutions littéraires sont lentes à s’y faire sentir. Il est logique que là soit la dernière citadelle du mensonge, dont le vrai ait à faire le siège. Le public, pris en masse, n’aime pas à être dérangé dans ses habitudes, et les jugements qu’il porte ont la brutalité d’un arrêt de mort. Seulement, il arrive un moment où le public devient à son insu complice des novateurs ; ce moment est celui où, pénétré lui-même par le souffle nouveau, las des éternelles histoires qu’on lui conte, il éprouve un impérieux besoin de jeunesse et d’originalité.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que le public en est là, aujourd’hui. Le drame agonise, si une nouvelle sève ne le rajeunit. Il faut du sang à ce cadavre. On dit que l’opérette et la féerie ont tué le drame. Cela est faux, le drame meurt de sa belle mort, il meurt d’extravagances, de mensonges et de platitudes. Si la comédie reste debout, dans cet effondrement de notre scène, c’est qu’elle tient davantage à la vie réelle, c’est qu’elle est vraie souvent. Je défie les derniers des romantiques de mettre à la scène un drame à panaches ; la ferraille du moyen âge, les portes secrètes, les vins empoisonnés et le reste, feraient hausser les épaules. Le mélodrame, ce fils bourgeois du drame romantique est encore plus mort que lui dans les tendresses du peuple ses sensibleries fausses, ses complications d’enfants volés et de papiers retrouvés, ses gasconnades impudentes, l’ont fait prendre en mépris à la longue, à ce point qu’on se tient les côtes, lorsqu’il tente de ressusciter. Les grandes œuvres de 1830 resteront comme des oeuvres de combat, des dates littéraires, des efforts superbes, qui ont jeté bas le vieil échafaudage classique. Mais, maintenant que tout est par terre, les capes et les épées sont inutiles il est temps de faire des œuvres de vérité. Remplacer la tradition classique par la tradition romantique, ce ne serait pas savoir profiter de la liberté que nos aînés ont conquise. Il ne doit plus y avoir d’école, plus de formule, plus de pontife d’aucune sorte il n’y a que la vie, un champ immense où chacun peut étudier et créer à sa guise.

Je ne fais pas ici une thèse pour ma cause. J’ai la conviction profonde, — et j’insiste sur ce point, — que l’esprit expérimental et scientifique du siècle va gagner le théâtre, et que là est le seul renouvellement possible de notre scène. Que la critique regarde autour d’elle, et qu’elle me dise de quel côté elle attend un secours quelconque, un souffle de vie qui remette le drame debout. Certes, le passé est mort. Il faut aller à l’avenir ; et l’avenir, c’est le problème humain étudié dans le cadre de la réalité, c’est l’abandon de toutes les fables, c’est le drame vivant de la double vie des personnages et des milieux, dégagé des contes de nourrice, des guenilles historiques, des grands mots bêtes, des niaiseries et des fanfaronnades de convention. Les charpentes pourries du drame d’hier tombent d’elles-mêmes. La place doit être nette. Les recettes connues pour nouer et dénouer une intrigue, ont fait leur temps il faut, à cette heure, une large et simple peinture des hommes et des choses, un drame que Molière aurait pu écrire. En dehors de certaines nécessités scéniques ce que l’on nomme aujourd’hui la science du théâtre, n’est que l’amas des petites habiletés des faiseurs, une sorte de tradition étroite qui rapetisse la scène un code de langage convenu et de situations notées à l’avance, que tout esprit original refusera énergiquement d’appliquer.

Et, d’ailleurs, le naturalisme balbutie déjà au théâtre. Je ne veux citer aucune œuvre ; mais, parmi les drames représentés pendant ces dernières années, il en est beaucoup qui contiennent en germe le mouvement dont je signale l’approche. Je laisse de côté les pièces des débutants je parle surtout de certains drames écrits par des auteurs dramatiques, vieillis dans le métier et assez habiles pour pressentir la transformation littéraire qui s’opère. Ou le drame mourra, ou le drame sera moderne et réel.

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Marthe Brandes qui jouait le rôle de Renée. Album Reutlinger de portraits divers, vol. 20. Source : BnF/Gallica

C’est sous l’influence de ces idées que j’ai tiré un drame de Thérèse Raquin. Comme je l’ai dit, il y avait là un sujet, des personnages et un milieu, qui constituaient, selon moi, des éléments excellents pour la tentative que je rêvais J’allais pouvoir faire une étude purement humaine, dégagée de tout intérêt étranger, allant droit à son but ; l‘action n’était plus dans une histoire quelconque, mais dans les combats intérieurs des personnages il n’y avait plus une logique de faits, mais une logique de sensations et de sentiments ; et le dénouement devenait un résultat arithmétique du problème posé. Alors, j’ai suivi le roman pas à pas j’ai enfermé le drame dans la même chambre, humide et noire, afin de ne rien lui ôter de son relief, ni de sa fatalité ; j’ai choisi des comparses sots et inutiles, pour mettre, sous les angoisses atroces de mes héros, la banalité de la vie de tous les jours ; j’ai tenté de ramener continuellement la mise en scène aux occupations ordinaires de mes personnages, de façon à ce qu’ils ne « jouent » pas mais à ce qu’ils « vivent » devant le public. Je le confesse, je comptais, et avec quelque raison, sur le côté poignant du drame, pour faire accepter aux spectateurs ce vide de l’intrigue et cette minutie des détails. La tentative a réussi, et j’en suis plus heureux pour mes drames futurs que pour Thérèse Raquin car je publie celui-ci avec un vague regret, avec une envie folle de changer des scènes entières.

La critique a été passionnée ; elle a discuté mon œuvre violemment. Je ne m’en plains pas, et je l’en remercie. J’y ai gagné d’entendre l’éloge du roman dont la pièce est tirée, ce roman que la presse a si maltraité à son apparition ; aujourd’hui, le roman est bon, et c’est le drame qui ne vaut rien ; espérons que le drame vaudrait quelque chose, si je pouvais en tirer une nouvelle oeuvre qu’il s’agirait de déclarer détestable. (…) (Source :  Thérèse Raquin, drame en 4 actes de Émile Zola, Editions Charpentier, 1873, disponible sur Gallica) . Lien vers Thérèse Raquin sur Libre Théatre.

On rajoutera à cette définition très complète deux idées que Zola développera ensuite : 

  • le rôle des décors, qui deviennent des personnages à part entière et qui n’ont plus seulement une fonction décorative.
  • le déterminisme : le destin des personnages est soumis à la double influence de l’hérédité et du milieu. Dans Renée, Béraud le père affirme ainsi : « Plus tard, j’ai su qu’il y avait des vices dans cette famille, tout un détraquement cérébral ; et, depuis ce temps, j’ai pardonné, en comprenant que votre mère était une malade. » Renée, elle-même subit l’ influence néfaste de la serre « dont l’air est si lourd et si chargé de violents parfums ».  (lien vers Renée sur Libre Théâtre)

Pour en savoir plus : 

Lien vers le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers la Biographie de Zola sur Libre Théâtre

Biographie de Émile Zola

Cette biographie est une compilation de plusieurs témoignages sur la vie d’Émile Zola, par Zola lui-même et par ses amis Guy de Maupassant et Paul Alexis. 

L’enfance

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Portrait d’Émile Zola par Paul Cézanne. 1862. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

« Je suis né le 02 avril 1840 d’un père natif de Venise et d’une mère française, originaire de la Beauce – je suis né ici à Paris, en plein centre d’un des quartiers populaires. Mon père était ingénieur et réalisa quelques grands travaux de canalisation dans la région d’Aix, près de Marseille, où il mourut en 1847. J’ai grandi en Provence de l’âge de 3 ans jusqu’à l’âge de 18 ans et j’ai commencé mes études au collège de la ville d’Aix. Revenu à Paris en 1858, j’ai connu une période de grande misère. » (Article paru dans les Annales de la Patrie, 1876)

 [Lors de ses études à Aix, Zola fait la connaissance de Paul Cézanne, qu’il retrouvera à Paris]


La misère à Paris

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Emile Zola / dessin et texte de Louis Lemercier de Neuville. Source : BnF/Gallica 

« …Il commença alors la terrible lutte avec la vie. Elle fut acharnée cette lutte ; et pendant deux ans le futur auteur des Rougon-Macquart vécut au jour le jour, mangeant à l’occasion, errant à la recherche de la fuyante pièce de cent sous, fréquentant plus souvent le mont-de-piété que les restaurants, et, malgré tout, faisant des vers, des vers incolores, d’ailleurs, sans curiosité de forme ou d’inspiration, dont un certain nombre viennent d’être publiés par les soins de son ami Paul Alexis. 

Il raconte lui-même qu’un hiver il vécut quelque temps avec du pain trempé dans l’huile, de l’huile d’Aix que des parents lui avaient envoyée ; et il déclarait philosophiquement alors : «Tant qu’on a de l’huile on ne meurt pas de faim.
D’autres fois il prenait sur les toits des moineaux avec des pièges et les faisait rôtir en les embrochant avec une baguette de rideau. D’autres fois, ayant mis au clou ses derniers vêtements, il demeurait une semaine entière en son logis, enveloppé dans sa couverture de lit, ce qu’il appelait stoïquement «faire l’Arabe» ». (Émile Zola par Guy de Maupassant, 1883, Source : BnF/Gallica)


Zola journaliste

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Emile Zola par Manet (salon de 1868) (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

« En 1862, entré chez Hachette, où je gagnais cent francs et où je fis d’abord des paquets. Un poème de deux mille vers que j’avais déposé un soir sur le bureau du père Hachette me fit monter au bureau de la publicité. En 1864, j’étais chef de ce bureau et je gagnais deux cents francs. C’est là que j’ai connu presque tout le journalisme et toute la littérature – Cependant, en 1864, j’avais publié mes Contes à Ninon et en 1865 ma Confession de Claude. Je ne pouvais plus rester. Je quittai la maison Hachette à la fin janvier 1866 et j’entrai immédiatement à l’événement de Villemessant, où je rendis compte des livres pendant près d’une année. Je fis un Salon qui, pour la première fois, me mit en vue ; mon éloge de Manet avait ameuté les artistes et le public. »
(Note biographique de Zola à l’intention de Daudet. Source : Présence de Zola, Editions Fasquelle, 1953)

En 1865, il rencontre Alexandrine Meley (qu’il épousera en 1870). En 1866, il publie Mes Haines, son premier recueil d’articles critiques (sur Gallica). Il est l’ami des peintres Manet, Guillemet, Pissarro ; il fait la connaissance des Goncourt. Il publie Thérèse Raquin, en 1867.

Les Rougon-Macquart

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Émile Zola. Œuvres. Manuscrits et dossiers préparatoires. Les Rougon-Macquart. La Curée. Manuscrit autographe. Source : BnF/Gallica

« Enfin il entreprit l’oeuvre qui devait soulever tant de bruit : les Rougon-Macquart, qui ont pour sous-titre : Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire.
Voici dans quel ordre virent le jour les divers romans, parus jusqu’ici, de cette série :
La Fortune des Rougon, oeuvre large qui contient le germe de tous les autres livres. [1871] 
La Curée, premier coup de canon tiré par Zola, et auquel devait répondre plus tard la formidable explosion de l’Assommoir. La Curée est un des plus remarquables romans du maître naturaliste, éclatant et fouillé, empoignant et vrai, écrit avec emportement, dans une langue colorée et forte, un peu surchargée d’images répétées, mais d’une incontestable énergie et d’une indiscutable beauté. C’est un vigoureux tableau des moeurs et des vices de l’Empire depuis le bas jusqu’au haut de ce que l’on appelle l’échelle sociale, depuis les valets jusqu’aux grandes dames. [1872]
Vient ensuite le Ventre de Paris, prodigieuse nature morte où l’on trouve la célèbre Symphonie des Fromages, pour employer l’expression adoptée. Le Ventre de Paris, c’est l’apothéose des halles, des légumes, des poissons, des viandes. Ce livre sent la marée comme les bateaux pêcheurs qui rentrent au port, et les plantes potagères avec leur saveur de terre, leurs parfums fades et champêtres. Et des caves profondes du vaste entrepôt des nourritures, montent entre les pages du volume les écoeurantes senteurs des chairs avancées, les abominables fumets des volailles accumulées, les puanteurs de la fromagerie ; et toutes ces exhalaisons se mêlent comme dans la réalité, et on retrouve, en lisant, la sensation qu’ils vous ont donnée quand on a passé devant cet immense bâtiment aux mangeailles : le vrai Ventre de Paris. [1873]

Voici ensuite la Conquête de Plassans, roman plus sobre, étude sévère, vraie et parfaite d’une petite ville de province, dont un prêtre ambitieux devient peu à peu le maître.[1874]

Puis parut la Faute de l’abbé Mouret, une sorte de poème en trois parties, dont la première et la troisième sont, de l’avis de beaucoup de gens, les plus excellents morceaux que le romancier ait jamais écrits. [1875]

Ce fut alors le tour de Son Excellence Eugène Rougon, où l’on trouve une superbe description du baptême du prince impérial. [1876]

Jusque-là, le succès était lent à venir. On connaissait le nom de Zola ; les lettrés prédisaient son éclatant avenir, mais les gens du monde, quand on le nommait devant eux, répétaient : «Ah oui ! la Curée», plutôt pour avoir entendu parler de ce livre que pour l’avoir lu du reste. Chose singulière : sa notoriété était plus étendue à l’étranger qu’en France ; en Russie surtout, on le lisait et on le discutait passionnément ; pour les Russes il était déjà et il est resté LE ROMANCIER français. On comprend d’ailleurs la sympathie qui a pu s’établir entre cet écrivain brutal, audacieux et démolisseur et ce peuple nihiliste au fond du coeur, ce peuple chez qui l’ardent besoin de la destruction devient une maladie, une maladie fatale, il est vrai, étant donné le peu de liberté dont il jouit comparativement aux nations voisines.

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Tournée artistique. L’Assommoir, pièce en 9 tableaux tirée du roman d’Emile Zola, 1879. Source : BnF/Gallica

Mais voici que le Bien public publie un nouveau roman d’Émile Zola, l’Assommoir. [1878]Un vrai scandale se produit. Songez donc, l’auteur emploie couramment les mots les plus crus de la langue, ne recule devant aucune audace, et ses personnages étant du peuple, il écrit lui-même dans la langue populaire, l’argot. 

Tout de suite des protestations, des désabonnements arrivent ; le directeur du journal s’inquiète, le feuilleton est interrompu, puis repris par une petite revue hebdomadaire, la République des Lettres, que dirigeait alors le charmant poète Catulle Mendès.
Dès l’apparition en volume du roman, une immense curiosité se produit, les éditions disparaissent, et M. Wolff dont l’influence est considérable sur les lecteurs du Figaro, part bravement en guerre pour l’écrivain et son oeuvre.
Ce fut immédiatement un succès énorme et retentissant. L’Assommoir atteignit en fort peu de temps le plus haut chiffre de vente auquel soit jamais parvenu un volume pendant la même période.
Après ce livre à grand éclat, il donna une oeuvre adoucie, Une page d’amour, histoire d’une passion dans la bourgeoisie. [1878]

[En 1878, Zola achète une petite maison de campagne à Médan, près de Poissy. En 1879, W. Busnach et O. Gastineau adaptent l’Assommoir au théâtre: c’est un énorme succès. ]

Puis parut Nana, autre livre à tapage dont la vente dépassa même celle de l’Assommoir. [1880]
Enfin la dernière oeuvre de l’écrivain Pot-Bouille, vient de voir le jour.  [1882]» [Émile Zola par Guy de Maupassant, 1883, Source : BnF/Gallica]

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Lire dans le Cri du Peuple, « Germinal » par Emile Zola. Source : BnF/Gallica

Germinal qui raconte une grève de mineurs paraît, en mars 1885. La pièce de théâtre adaptée par Bushnach est interdite par la censure. L’année suivante, Émile Zola publie L’Œuvre, qui  évoque ses années de jeunesse  à Aix-en-Provence et indirectement son amitié avec Paul Cézanne.

En 1887, la publication de La Terre,  entraîne de nouvelles polémiques autour de l’école naturaliste. Dans Le Figaro, cinq jeunes écrivains (P. Bonnetain, J.H. Rosny, L. Descaves, P. Margueritte et G. Guiches) affirment violemment leur hostilité à cette esthétique.
L’année suivante, Émile Zola publie Le Rêve. Il a une liaison avec Jeanne Rozerot, une jeune lingère de vingt ans engagée par sa femme. Il va mener une double vie entre son épouse et cette jeune femme. Il aura deux enfants avec Jeanne Rozerot : Denise (1889, que Zola a beaucoup photographié – voir plus bas) et Jacques (1891).

En 1890, il se présente pour la première fois à l’Académie française, sans succès. Il échouera régulièrement à toutes ses autres tentatives.  Il publie La Bête humaine (1890), puis L’Argent (1891). En 1891, il est élu Président de la Société des Gens de Lettres : il va se montrer très actif dans cette charge, qu’il occupera pratiquement sans interruption jusqu’en 1896.

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Le Radical publie La Débâcle par Emile Zola, 1892. Source : BnF/Gallica

En 1892, il publie La Débâcle, qui évoque la défaite de 1870.  L’année suivante, il édite le Docteur Pascal. En juin, un grand Banquet littéraire réunit deux cents personnes, au Bois de Boulogne, pour fêter l’achèvement des Rougon-Macquart. 
Il commence un nouveau cycle et publie en 1894 Lourdes, le premier volume de la série des Trois Villes.  Après un grand voyage en Italie en 1899, il publie Rome, en 1896.


L’affaire Dreyfus

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Manuscrit d’Émile Zola. J’accuse !… , 11-13 janvier 1898. Source : BnF/Gallica

Émile Zola prend parti dans l’affaire Dreyfus dès 1897. Zola publie, le 13 janvier 1898, dans L’Aurore, sa « Lettre au Président de la République » (« J’accuse »). Un procès en diffamation lui est intenté par le gouvernement. Après quinze jours d’audience, il est condamné à un an d’emprisonnement, et part en exil en Angleterre, le 18 juillet. Son roman Paris est édité en mars.
 Il revient d’exil le 5 juin 1899. Il publie Fécondité, le premier volume de la série des Quatre Evangiles. L’année suivante, il recueille dans La Vérité en marche, en février, ses articles écrits pendant l’affaire Dreyfus. Il publie également Travail, le deuxième volume des Evangiles.
 Il meurt , le 29 septembre 1902. Vérité, le troisième volume des Evangiles est publié après sa mort (Justice, le dernier épisode, reste à l’état de notes).
 Les cendres de l’écrivain sont transférées au Panthéon le 4 juin 1908.

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Zola par l’atelier Nadar. 1898. Photo (C) Ministère de la Culture – Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Atelier de Nadar
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Emile Zola entre au Panthéon, 4 juin 1908 : photographie de presse de l’Agence Rol. Source : BnF/Gallica

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Portrait de Zola par Maupassant

« Zola a aujourd’hui quarante et un ans. Sa personne répond à son talent. Il est de taille moyenne, un peu gros, d’aspect bonhomme mais obstiné. Sa tête, très semblable à celle qu’on retrouve dans beaucoup de vieux tableaux italiens, sans être belle, présente un grand caractère de puissance et d’intelligence. Les cheveux courts se redressent sur un front très développé, et le nez droit s’arrête, coupé net comme par un coup de ciseau trop brusque au-dessus de la lèvre supérieure ombragée d’une moustache noire assez épaisse. Tout le bas de cette figure grasse, mais énergique, est couvert de barbe taillée près de la peau. Le regard noir, myope, pénétrant, fouille, sourit, souvent méchant, souvent ironique, tandis qu’un pli très particulier retrousse la lèvre supérieure d’une façon drôle et moqueuse.

Toute sa personne ronde et forte donne l’idée d’un boulet de canon ; elle porte crânement son nom brutal, aux deux syllabes bondissantes dans le retentissement des deux voyelles.

Sa vie est simple, toute simple. Ennemi du monde, du bruit, de l’agitation parisienne, il a vécu d’abord très retiré en des appartements situés loin des quartiers agités. Il s’est maintenant réfugié en sa campagne de Médan qu’il ne quitte plus guère.

Il a cependant un logis à Paris où il passe environ deux mois par an. Mais il paraît s’y ennuyer et se désole d’avance quand il va lui falloir quitter les champs.

A Paris, comme à Médan, ses habitudes sont les mêmes, et sa puissance de travail semble extraordinaire. Levé tôt, il n’interrompt sa besogne que vers une heure et demie de l’après-midi, pour déjeuner. Il se rassied à sa table vers trois heures jusqu’à huit, et souvent même il se remet à l’oeuvre dans la soirée. De cette façon, pendant des années il a pu, tout en produisant près de deux romans par an, fournir un article quotidien au Sémaphore de Marseille, une chronique hebdomadaire à un grand journal parisien et une longue étude mensuelle à une importante Revue russe.

Sa maison ne s’ouvre que pour des amis intimes et reste impitoyablement fermée aux indifférents. Pendant ses séjours à Paris, il reçoit généralement le jeudi soir. On rencontre chez lui, son rival et ami, Alphonse Daudet, Tourgueneff, Montrosier, les peintres Guillemet, Manet, Coste, les jeunes écrivains dont on fait ses disciples, Huysmans, Hennique, Céard, Rod et Paul Alexis, souvent l’éditeur Charpentier. Duranty était un habitué de la maison. Parfois apparaît Edmond de Goncourt, qui sort peu le soir, habitant très loin.»

 [Émile Zola par Guy de Maupassant, 1883, Source : BnF/Gallica]


Pour en savoir plus : 

Lien vers le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers le théâtre de Zola et le naturalisme sur Libre Théâtre

Exposition virtuelle de la BNF consacrée à Zola
Zola en images. 280 illustrations : portraits, caricatures, documents divers. par John Grand-Carteret, 1908. Sur archive.org

A découvrir également, Émile Zola photographe sur le site de la RMN

http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/emile-zola_denise-de-trois-quarts-profil-tete-baissee-appuyee-sur-son-bras-droit_epreuve-argentique
Photographie de Denise, la fille d’Emile Zola, par Emile Zola en. (C) Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Jean-Jacques Sauciat

 

Madeleine de Émile Zola

Drame en trois actes, écrit en 1865, non joué à cette époque, mais représenté pour la première fois sur la scène du Théâtre-Libre, le 2 mai 1889. Cette pièce inspira le roman Madeleine Férat, paru en 1868.
Distribution : 3 hommes et 4 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Madeleine attend le retour de Francis son mari, avec Mme Hubert, sa belle-mère, et la servante Véronique. La servante est en train de lire à haute voix le passage biblique de « la femme pécheresse ». Francis arrive et annonce qu’il est revenu avec son ami d’enfance,  Jacques, que l’on croyait mort. En entendant cette nouvelle, Madeleine s’évanouit puis révèle à son mari qu’elle a été la maîtresse de Jacques avant de le connaître.  Elle insiste pour fuir de la maison immédiatement avec lui.

Les époux se réfugient dans une auberge de campagne : ils se retrouvent dans la chambre qui a abrité les amours de Madeleine et Jacques. Jacques a aussi choisi cette auberge et se retrouve face à Madeleine qui lui apprend qu’elle est mariée. Madeleine et Francis rencontrent aussi une ancienne amie de Madeleine, Laurence, devenue une mendiante.  Madeleine comprend qu’elle ne peut échapper à son passer et le couple décide de revenir chez lui.

C’est Véronique, la servante qui accueille Madeleine et lui affirme qu’elle ne sera pas pardonnée. Madeleine décide de se suicider.

Pour en savoir plus :

Lien vers le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers la Biographie de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers le théâtre de Zola et le naturalisme sur Libre Théâtre

“L’annonce” et “l’amorce” chez Zola: Madeleine, du théâtre au roman,  Midori NAKAMURA, Kyoto City University of Arts, texte de l’article en ligne

Annonce de la première représentation de la pièce dans Le Figaro du 2 mai 1889.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k280747h
Source : BnF/Gallica

Le théâtre d’Émile Zola

Les pièces majeures

Les recueils des Œuvres complètes de Zola comportent en général les 3 pièces suivantes : 
Thérèse Raquin, drame en quatre actes, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Renaissance, le 11 juillet 1873. Texte intégral sur Libre Théâtre
Les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre de Cluny le 3 novembre 1874. Texte intégral sur Libre Théâtre
Le Bouton de rose, comédie en trois actes représentée pour la première fois au Théâtre du Palais Royal le 6 mai 1878. Texte intégral sur Libre Théâtre

Mais on peut également citer deux autres pièces qui ont été représentées : 
Renée, drame en cinq acte, tirée de la Curée, représenté pour la première fois, le 16 avril 1887, sur le théâtre du Vaudeville. Texte intégral sur Libre Théâtre
Madeleine, drame en trois actes, représenté pour la première fois au Théâtre-Libre, le 3 mai 1889. Texte intégral sur Libre Théâtre

Malheureusement ces pièces ne rencontrent pas le succès que connaissent les romans d’Émile Zola (voir ci-dessous « Zola, l’auteur dramatique » par Paul Alexis). 

Les adaptations théâtrales

Après les échecs rencontrés par Zola au théâtre, il confie les adaptations de ses romans à William Burnash. Plusieurs romans sont ainsi adaptés : 
L’assommoir, adaptation par William Busnach et Octave Gatineau, pièce en cinq actes et neuf tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu, le 18 janvier 1879 , disponible sur archive.org (préface de Émile Zola). L’adaptation théâtrale de L’Assommoir rencontre un succès considérable à Paris et en province. La pièce, montée en 1879, sera jouée à Paris et en province, et tiendra l’affiche une année entière.  Pour en savoir plus : Anne-Françoise Benhamou. Du hasard à la nécessité : L’Assommoir au théâtre. Etudes théâtrales, centre d’Etudes Théâtrales – Université de Louvain la neuve 1999, Mise en crise de la forme dramatique 1880 – 1910, pp.19 – 29. <hal-01099528>
Nana, adaptation par William Busnach, pièce en cinq actes, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu, le 29 janvier 1881 , disponible sur archive.org (préface de Émile Zola)
Pot-Bouille,  adaptation par William Busnach, pièce en cinq actes et neuf tableaux, représentée pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Ambigu, le 13 décembre 1883 , disponible sur archive.org (préface de Émile Zola)
Le ventre de Paris, adaptation par William Busnach, drame en cinq actes, représenté au Théâtre de Paris, le 25 février 1887.
Germinal, drame en cinq et douze tableaux, par William Busnach, représenté le 21 avril 1888, au Châtelet, et à Bruxelles ; théâtre Molière en 1889.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8402537f/f1.item
Nana, drame de William Busnach, d’après Emile Zola : estampes, 1904/ Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8402535m/f2.item
L’assommoir, drame de William Busnach et Oscar Gastineau d’après Emile Zola/ Source : BnF/Gallica

 

 

 

 

 

 

 

 


Les œuvres lyriques

Alfred Bruneau propose à Zola en 1888  de mettre en musique Le Rêve, en collaboration avec le librettiste Louis Gallet (excellent dossier sur Gallica). Après ce premier succès, Zola signe lui-même de nombreux livrets.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438518s/f1.item
Messidor, opéra d’Emile Zola et Alfred Bruneau, 1897. Source : BnF/Gallica

Messidor (1897), drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux, poème de Emile Zola et musique de Alfred Bruneau sur Archive.org.
L’enfant roi : comédie lyrique en cinq actes de Émile Zola, musique d’Alfred Bruneau. Edition  Charpentier et Fasquelle, Eugène Fasquelle, 1905, disponible sur Gallica. Zola avait commencé à écrire « L’Enfant roi » en juillet 1899, peu après son retour d’Angleterre. La partition entreprise dès la même année fut terminée le 26 août 1902 mais la pièce ne fut représentée à l’Opéra-Comique que deux ans et demi après la mort de Zola. Douze représentations eurent lieu à partir du 3 mars 1905.
L’ouragan (1901), drame lyrique en 4 actes. – première représentation : Paris, Opéra-Comique (salle Favart), 29 avril 1901. – première représentation à l’Opéra de Paris (3e acte) : 17 février 1916. Disponible sur Gallica.
Lazare (1903), oratorio d’Alfred Bruneau sur un livret d’Emile Zola, Créé par l’orchestre de la RTF sous la dir. d’Eugène Bigot le 15 avril 1957. (Notice sur data.bnf.fr)


 

« Zola, l’auteur dramatique » par Paul Alexis

Paul Alexis dans l’ouvrage Emile Zola, notes d’un ami, consacre un chapitre à l’auteur dramatique (Editions G. Charpentier, Paris, 1882, source : Gallica). Pour la lisibilité du texte, nous avons rajouté des inter-titres, des illustrations et des liens vers les ouvrages cités (lien vers les chroniques sur Libre Théâtre ou vers les ouvrages disponibles sur Gallica). 

Les œuvres enfantines

« L’idée de faire du théâtre, chez Zola, remonte haut. Je l’ai déjà montré sur les bancs du collège d’Aix, en 1856, écrivant une pièce en trois actes, en vers : Enfoncé le pion ! Naturellement, l’œuvre était enfantine et mauvaise. Le manuscrit existe ; je l’ai eu entre les mains. Les trois actes sont terminés : c’est le plus bel éloge qu’on puisse en faire. Je crois me souvenir que deux élèves, là-dedans, disputent au pion Pitot, le coeur d’une femme. Je ne sais plus quel rôle burlesque joue le principal, Pingouin. Le tout n’a rien de génial : un élève de troisième ne peut pas écrire Tartufe.

Plus tard, à Paris, au lycée Saint-Louis, l’auteur d’Enfoncé le pion ! fait le plan et arrête le scenario d’un grand drame en vers : Rollon l’archer. Le plan commençait par cette ligne : « Ce drame résume l’humanité. » Tout simplement ! Cela eût été un gros drame romantique, un pastiche d’Hugo. Mais on ne les écrit jamais, ces pièces « qui résument l’humanité. » L’humanité ne se laisse pas résumer ainsi.

Sur les bancs du même lycée Saint-Louis, notre auteur dramatique en herbe écrivit un acte en vers : Perrette, essai de comédie tiré de la fable la Laitière et le Pot au lait. Le fabuliste lui-même, le bon La Fontaine, y était incarné dans une sorte de vieux vagabond, porteur de besace et courant les chemins.

Immédiatement après Perrette, toujours au lycée, fut écrit un autre acte en vers : Il faut hurler avec les loups, dont le manuscrit est perdu.

Plus tard, après ces essais enfantins, l’idée de faire du théâtre ne cesse de hanter Zola, avançant dans la vie. Employé chez Hachette, en 1865, je l’ai montré écrivant la Laide, un acte en prose, que l’Odéon lui refusa. Plus tard encore, il faut mentionner deux pièces dont j’ai parlé : les Mystères de Marseille, drame en cinq actes, en collaboration avec Marius Roux, joué trois fois à Marseille, en octobre 1867 ; et la Madeleine, drame en trois actes, refusé tour à tour par le Gymnase et le Vaudeville, inédit. »
(lien vers la pièce Madeleine sur Libre Théâtre)

Thérèse Raquin

Illustration extraite des Oeuvres complètes illustrées de Émile Zola. Tome 31 : Théâtre. Editions Fasquelle. 1906. Source : BnF/Gallica

De tout ce passé obscur d’auteur dramatique, encore balbutiant et injoué — excepté à Marseille, — l’arrivé aux trois trois tentatives sérieuses constituant jusqu’à ce jour, le « théâtre d’Émile Zola. » La première de ces tentatives est Thérèse Raquin, drame en quatre actes, joué le 11 juillet 1873, au théâtre de la Renaissance.

On avait plusieurs fois défié l’auteur de Thérèse Raquin de transporter au théâtre le drame violent du livre. « La pièce n’irait pas jusqu’au bout ! » lui prédisaient certains confrères. Et le public, dégoûté, enverrait les petits bancs sur la scène. « II faudra voir ça ! » s’était dit naturellement le romancier conspué. Et, à partir de ce jour, il fut mordu du désir de bâtir la pièce. Pendant le siège, se trouvant à Marseille, il fit un premier plan, sans arriver à se satisfaire. Le véritable plan ne fut trouvé que l’année suivante, et fut inspiré à l’auteur par l’idée de conserver dans son drame l’unité de lieu. Après la Commune, de retour à Paris, il se mit à l’oeuvre. Exécutée assez vite, la pièce était primitivement en cinq actes.

À quel théâtre fallait-il la présenter ? Zola ne jouissait pas encore de cette retentissante notoriété qui ouvre toutes les portes. Cinq ans auparavant, à l’occasion de la Madeleine, il avait essuyé un refus au Vaudeville et au Gymnase : faire antichambre dans les mêmes théâtres, s’exposer à un nouveau refus, lui souriait peu. D’un autre côté, si Thérèse Raquin pouvait être jugée dangereuse par le directeur d’un théâtre de genre, la porter au Théâtre-Français ou à l’Odéon était une démarche absolument inutile, une perte de temps certaine. Alors, avec ce tact d’homme pratique qu’il a toujours possédé, il porta son drame à M. Hostein, directeur de la Renaissance.

Celui-ci était le seul directeur qui pût recevoir, et monter tout de suite, une oeuvre osée, exceptionnelle, contenant une tentative littéraire. Cela pour une raison fort simple : ayant ouvert un théâtre nouveau, la Renaissance, non pour jouer l’opérette, mais pour faire concurrence à ses voisins, la Porte-Saint-Martin et le Gymnase, en allant du genre de l’un à celui de l’autre, il n’avait pas eu la main heureuse jusque-là, essuyait four sur four, près de lâcher l’affaire et de mettre la clef sous la porte. Seuls, les gens qui sentent tout perdu, consentent parfois à tenter quelque chose ; même si ce quelque chose est de la littérature.

Pourtant malgré sa situation désespérée, le directeur de la Renaissance hésitait. Il ne se décida que lorsqu’une grande artiste, madame Marie Laurent, voulut bien prendre le rôle de « madame Raquin, » en se contentant d’appointements proportionnés aux recettes, c’est-à-dire problématiques. La saison était très avancée. Il fallait que Marie Laurent eût bien foi dans l’oeuvre et dans son rôle. — Ah! soupirait-elle, que n’ai-je dix ans de moins!… Au lieu de faire madame Raquin, je ferais Thérèse, et je voudrais passionner tout Paris.

Les répétitions commencèrent. M. Hostein décida l’auteur à réduire la pièce d’un acte. La coupure fut franche : on supprima la fin du quatre et la première moitié du cinq. Les deux fragments d’acte conservés, et soudés l’un à l’autre par quelques répliques, devinrent le quatrième acte actuel.

Autre concession, celle-ci pour faire plaisir à Marie Laurent. Primitivement, madame Raquin, frappée de paralysie à l’acte de la nuit de noces, ne recouvrait la parole que pour balbutier les mots qui terminent la pièce : « Ils sont morts bien vite ! » Voulant contenter l’artiste, de plus en plus inconsolable de ne pas jouer Thérèse, — interprétation qui eût donné à l’oeuvre sa véritable portée, —  Zola consentit à faire précéder son « Ils sont morts bien vite ! » d’une petite tirade, selon moi, malheureuse et déparant absolument l’effet, final.

Enfin, toujours au courant des répétitions, —  tant il est vrai qu’un jeune auteur, engagé dans la voie des concessions, ne peut plus s’arrêter, et qu’il n’a rien à refuser au directeur hardi ni à l’actrice de grand talent qui veulent bien s’occuper de son oeuvre, —  il arriva ceci : Marie Laurent et M. Hostein, trouvant la pièce nue et noire, demandèrent à Zola de la varier, en mettant sous les yeux du spectateur le tableau de la noyade en pleine Seine, à Saint-Ouen. Fait en deux jours, lu, acclamé, aussitôt mis en scène et su en une semaine, pendant qu’on brossait un décor, le tableau fut joué à la répétition générale, qui n’eut lieu que devant la censure et quelques amis. Il y avait, dans ce tableau, un changement à vue: d’abord, la berge, avec un restaurant, que je vois encore, plein de canotiers ; puis, brusquement, la solitude de la pleine Seine, rien qu’une barque au milieu, où Laurent ramait entre Camille et Thérèse. Ce double décor était même très réussi. Eh bien! après la répétition générale, — fait sans précédents de modestie directoriale, tout à l’honneur de M. Hostein, —  le directeur de la Renaissance prit à part l’auteur et reconnut lui-même qu’il était plus littéraire de supprimer ce tableau, que celui-ci n’avait ajouté qu’à contre coeur. Quant au joli décor, il ne fut pas utilisé.

Le lendemain, 11 juillet 1873, eut lieu la première. Une belle salle, pour la saison. La presse au grand complet, naturellement. L’impression de ces quatre actes, se passant dans la même chambre triste; fut très forte, très poignante. Certes, il n’y avait pas là un grand régal pour le public boulevardier des premières. Plus d’un gommeux, dans les couloirs, crut bon genre de trouver cela crevant. Plus d’une cocodette poussa de petits cris pudibonds. Mais, la part faite à ces dissidences inévitables, la salle entière resta saisie et palpitante devant ce drame si peu compliqué, mais si puissant, qui vous serrait le coeur comme une catastrophe personnelle. —  Moi, je suis malade ! Ce Zola me rend positivement malade! disait ce soir-là dans les couloirs M. Sarcey, lui qui, au théâtre, veut s’amuser.

Une partie du public était donc très malade, si malade même qu’au commencement de la nuit de noces, on tenta quelques protestations, afin de réagir et d’échapper au cauchemar. Au moment où Thérèse ôte sa robe de mariée, la salle risqua quelques «hem ! hem ! » comme pour se persuader qu’il allait se passer des choses très risquées, ce qu’elle désirait sans doute. On feignit même de ne pas comprendre l’intention, banale à dessein, de quelques phrases sur la pluie et le beau temps, que Laurent et Thérèse échangent, une fois seuls, dans la chambre nuptiale. Mais plus fort que ces mauvais vouloirs et ces hypocrisies, le drame emporta bientôt tout, étreignant les coeurs et bouleversant les âmes. Je crois pouvoir constater, en témoin impartial, que la pièce, à deux doigts de sa chute, au commencement du troisième acte, se redressa tout à coup par un tour de reins, lors de cette minute critique, à partir de laquelle le succès définitivement obtenu ne fit que grandir.

Le succès de Thérèse Raquin fut sans lendemain. La critique se montra très dure pour le nouvel auteur ; on subissait les chaleurs caniculaires de juillet: la pièce ne fit pas d’argent. Au bout de neuf représentations, non seulement Thérèse Raquin disparut de l’affiche, mais la Renaissance ferma ses portes — pour ne les rouvrir qu’à l’hiver, et avec un genre nouveau, l’opérette ! »

(Lien vers la pièce Thérèse Raquin sur Libre Théâtre)

Les Héritiers Rabourdin

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5495502j
Illustration extraite des Oeuvres complètes illustrées de Émile Zola. Tome 31 : Théâtre. Editions Fasquelle. 1906. Source : BnF/Gallica

« Un an et quelques mois après Thérèse Raquin, le 3 novembre 1874, les Héritiers Rabourdin, comédie en trois actes, furent représentés au théâtre Cluny.

Cette fois, la saison était propice. Mais notre auteur dramatique n’allait livrer bataille qu’avec des troupes inférieures. Un théâtre de troisième ordre ne pouvait lui fournir qu’un ensemble jeune, inexpérimenté, plein d’ardeur sans doute, mais uniquement composé d’artistes inconnus, sans autorité sur le public.

Naturellement, si Zola se contenta de Cluny, c’est qu’il n’avait pu trouver mieux. Écrite en visant le Palais-Royal, sa pièce avait d’abord été présentée à ce théâtre et refusée. Puis, les Héritiers Rabourdin, portés à M. Montigny, furent sur le point d’être joués au Gymnase. Zola fit une visite à M. Montigny, à Passy. Le vieux directeur, sentant qu’il avait dans les mains une tentative peu ordinaire, très perplexe et très combattu, demanda à réfléchir. Il finit par rendre le manuscrit de cette oeuvre qui, en somme, était peu faite pour le genre, ni pour la troupe du Gymnase. Ce n’est qu’après ces deux tentatives inutiles, que l’auteur s’était résigné à Cluny.

Là, le directeur, M. Camille Weinschenk, c’est une justice à lui rendre, fit de son mieux pour monter convenablement les Héritiers Rabourdin. Il n’y eut pas de sa faute, si ce « mieux » ne fut pas suffisant. À l’exception de mademoiselle Charlotte Reynard, alors une nouvelle venue qui, dans son rôle de « Charlotte » se révéla charmante de grâce et d’espièglerie, la pièce fut médiocrement interprétée. M. Mercier, vieil acteur, doué d’un jeu assez naturel, mais sentant un peu la province, ne se montra que convenable dans le rôle de Rabourdin, dont il eût fallu composer une grande figure. Ce qui fut tout à fait déplorable, ce fut l’incarnation de l’octogénaire Chapuzot, dans le tout jeune M. Olona.

Le pauvre Olona, que j’ai connu, garçon de bonne famille ayant fait ses classes, bachelier, je crois, et poète, auteur dramatique lui-même, non sans talent, — mort depuis d’une maladie de langueur, —faisait alors partie de la troupe de Cluny, poussé sur les planches par une irrésistible et malheureuse vocation. Amoureux de son art, mal servi par une nature ingrate, mais enthousiaste et piocheur, voilà l’infortuné chargé de créer un vieillard de quatre-vingts ans. Pendant les six semaines de répétitions, chaque jour, il apportait une nouvelle voix de vieux : voix de gorge, de nez, de ventre, il les essayait toutes. Ça allait du polichinelle à l’auvergnat !

Certains jours, pourtant, l’obstiné chercheur trouvait des intonations à peu près possibles.—  Parfait ! lui disait-on. Tenez-vous-en à ce vieux-là.

Mais, à la répétition suivante, mon Olona ne retrouvait plus le même vieux. Parfois, pendant qu’on répétait les scènes dont Chapuzot n’était pas, on entendait tout à coup de lointains chevrotements nazillards sortant des dessous du théâtre : c’était Olona cherchant une autre voix de vieux ! Enfin, le jour delà première, après avoir apporté une cinquantaine de voix de vieux différentes, il en produisit une, pas encore entendue, et plus mauvaise que toutes les autres.

Malgré l’interprétation, la pièce alla jusqu’au bout, et sans être sifflée. Un succès de première, en somme ! mais un succès refroidi par le comique sinistre du troisième acte, où la maladie et la mort, intervenant au milieu d’une farce, composent une mixture dont les spectateurs de Shakespeare et de Ben Jonson eussent goûté l’amertume profondément philosophique, mais que la moyenne du public du premier soir goûta peu et comprit moins encore. Quant à la critique, elle se montra plus sévère que pour Thérèse Raquin. En quatre lignes peu polies, le critique ordinaire du Figaro exécuta l’oeuvre, selon lui repoussante, ennuyeuse et immorale. Les plus bienveillants dirent à l’auteur « Thérèse Raquin, au moins, avait certaines qualités : faites-nous une autre Thérèse ! » Les autres lui interdisaient à jamais les planches comme à une brebis galeuse, comme à un paria suspect et louche qui ne pourrait dorénavant que les encanailler. Au demeurant, les Héritiers Rabourdin ne furent joués que dix-sept fois. Deux ou trois soirs, le dimanche, la pièce fit quelque argent : c’était le bon populaire du quartier, qui, lui, paraissait comprendre et riait beaucoup. Mais, les autres soirs, la salle resta presque vide : le grand public ne se dérange pour aller à Cluny que si la critque l’y entraîne par un fort coup de trompette. Et, dans la circonstance, la critique ne donna qu’un coup de sifflet.

Cependant, malgré toutes ces ombres au tableau, Zola et ses amis ne conservent pas un mauvais souvenir de la soirée des Héritiers Rabourdin. Moi, chaque fois que ma pensée s’y reporte, je pense à Flaubert. Était-il beau, le pauvre grand homme, aux premières de ses amis ! Il fallait le voir à son fauteuil d’orchestre, dépassant le public de la tête et défendant la pièce avec passion, toisant de haut les dissidents, leur criant sous le nez : « Bravo ! je trouve ça superbe ! » et applaudissant avec furie, des mains ou, pour faire plus de bruit, avec la canne. Enthousiasme méritoire, même touchant, de la part de l’auteur du Candidat. Lui, non plus, en matière de théâtre, n’avait pas été gâté par le succès. Le soir des Héritiers Rabourdin, il devait même avoir sur le cœur une récente désillusion, celle-ci tout intime. Peu de jours auparavant, chez M. Georges Charpentier, il avait lu devant des amis le Sexe faible, comédie inédite, qu’à l’exemple de Zola il était alors décidé à donner à Cluny. Malgré quelques parties très belles, la lecture avait peu porté. Aux compliments embarrassés des amis qui se battaient les flancs pour lui remonter le moral, Flaubert avait répondu par un mélancolique : « Non ! j’ai compris… » Et il avait retiré la pièce, qui ne fut jamais jouée. — Je savais tout cela, quand, avant le lever du rideau, mon voisin, me montrant à quelques fauteuils de nous un spectateur grand et fort, superbe, m’apprit que c’était l’auteur de Madame Bovary, que je n’avais jamais vu. Je ne le quittai plus du regard, et je le vis applaudir à chaque instant, frénétiquement. « Ah ! le brave homme! » me disais-je en moi-même. Je ne fis sa connaissance que deux ans plus tard, mais je me mis à l’aimer tout de suite. »

(Lien vers la pièce Les Héritiers Rabourdin sur Libre Théâtre)

Le Bouton de Rose

« Me voici enfin au fameux Bouton de Rose. Tout comme les pièces à succès, les fours ont leur histoire. Voici celle du Bouton de Rose.

Depuis que le Palais-Royal lui avait refusé les Héritiers Rabourdin, Zola connaissait M. Plunkett. Il arriva que ce directeur, en pleine crise d’insuccès, cherchant partout des auteurs nouveaux et ne sachant plus à quelle porte frapper, vint le trouver un jour et lui demanda une pièce. Zola, qui songeait au contraire à écrire un drame, resta très hésitant. La considération que la pièce qu’on lui commandait était reçue à l’avance, l’emporta enfin. Il se décida à composer une simple farce, plein de cette idée large qu’il n’existe pas de genre inférieur, et qu’un puissant producteur dramatique doit savoir tout exécuter. A la fin de 1876, il livrait son travail à M. Plunkett. Quand celui-ci en eut pris connaissance, il écrivit à l’auteur une lettre hésitante, embarrassée, où il énumérait toute sorte de raisons pour ne pas jouer le Bouton de Rose. L’auteur, encore dans le feu de la composition, insista et obtint une lecture aux artistes, une distribution, un commencement de répétitions. Puis, l’été qui survint, et d’autres circonstances, suspendirent tout. Il partit en villégiature pour l’Estaque, où je l’ai montré écrivant une Page d’amour, ne pensant plus du tout au Palais-Royal.

À l’Estaque, pourtant, un soir où quelques amis se trouvaient chez lui, il nous lut sa farce, au murmure de la Méditerranée, dont les vagues venaient expirer sous les fenêtres. Tout lui parut, ce jour-là, insuffisant, mauvais. Et il se promit bien de ne jamais la laisser représenter.

Revenu à Paris avec cette impression, il se trouva dans une situation singulière. A la suite du grand bruit de l’Assommoir, maintenant, les directeurs du Palais-Royal voulaient absolument jouer une œuvre que le romancier, lui, entendait laisser dormir au fond d’un tiroir. Comique renversement des rôles, n’est-ce pas? Comme l’auteur ne démordait pas de sa nouvelle résolution, il fut même question, dans le trio directorial, de lui envoyer du papier timbré.

À la fin, cependant, il se laissa convaincre. Il écouta même les conseils de M. Dormeuil, un des directeurs, qui, trouvant le deuxième acte un peu vide, le décida à y introduire ce fameux punch des officiers, qui, dans le deuxième acte primitif, se passait à la cantonnade, et qui, le soir de la première, souleva une mémorable tempête de sifflets, malgré la voix émue et charmante de mademoiselle Lemercier soupirant les couplets du Petit Tonneau.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64008754
Portrait de Geoffroy par Lhéritier, 1866. Source : BnF/ Gallica

Il faut ajouter d’ailleurs qu’au théâtre, après toutes ces hésitations, on avait fini par se monter la tête. On croyait à un grand succès. La toile tombée au milieu des huées, pendant que Geoffroy essayait en vain de proclamer le nom de l’auteur, celui-ci, derrière un portant, se retourna vers les directeurs consternés, en leur disant : « Vous voyez, messieurs, que vous avez eu tort de jouer ma pièce malgré moi ; votre premier jugement était le bon. » Les trois directeurs, navrés, présentèrent leurs excuses.

Une heure après, dans une vaste salle de Véfour, à deux pas du théâtre, Zola, entouré de tous ses amis invités, soupait. Présents : Gustave Flaubert, Goncourt, M. et madame Alphonse Daudet, madame Charpentier mère, M. et madame Georges Charpentier, M. et madame Eugène Montrosier; Albert Déthez, Marins Roux ; les peintres Manet, Guillemet, Beliard, Coste, etc.; toute la petite bande dite des Soirées de Médan ; enfin, nous étions trente. Et ce souper d’enterrement n’eut rien de bien triste : le grand Flaubert était plus lyrique que jamais, et Zola mangea d’un robuste appétit.

Depuis le 6 mai 1878, il n’a plus signé de pièce. Cependant, si je m’en tenais là, l’esquisse de sa physionomie d’auteur dramatique serait incomplète. Il faut bien dire un mot des drames tirés de l’Assommoir et de Nana. »

(Lien vers la pièce Le Bouton de rose sur Libre Théâtre)

Les adaptations

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9013790b/f1.item
Affiche du Théâtre de l’Ambigu en 1879. Source : BnF/Gallica

« Après l’exceptionnel succès de l’Assommoir, plusieurs propositions furent faites au romancier par des praticiens dramatiques, désireux de tenter une adaptation théâtrale. Le romancier se décida pour MM. Busnach et Gastineau, parce qu’il fut entendu, dans le principe, que lui, Zola, « ne s’occuperait de rien. » Pourtant, malgré ses dénégations formelles et réitérées, je crois pouvoir dire qu’il n’a pas été aussi étranger qu’il l’affirme à la facture de la pièce. Il faut, évidemment, prendre ces dénégations comme une simple attitude littéraire qu’il entendait garder. Il ne voulait pas être de la pièce, et il n’en était pas, même en en étant. D’ailleurs, on reconnaît sa main en bien des parties. Qu’il ait plus ou moins récrit les scènes, je n’ai pas à descendre dans ces détails; mais, à coup sûr, il s’est occupé du plan. Loin de moi pourtant la pensée, et même la simple apparence, de vouloir diminuer en rien la part de collaboration et les mérites très réels de M. William Busnach. Sans lui, le drame l’Assommoir serait certainement différent de ce qu’il est ; une portion du succès doit donc être mise à son avoir. Les innombrables demandes de collaboration dont M. Busnach se trouve accablé, depuis trois ans, sont la plus belle preuve de ce que j’avance.

Un mot encore, et j’en aurai terminé avec Émile Zola auteur dramatique. Après ses pièces de première jeunesse, après ses trois oeuvres jouées et, toutes, sifflées ou étouffées — ne comptant que trente-trois représentations à elles trois, — après les adaptations théâtrales de ses romans, auxquelles il prend plus ou moins part, il n’a nullement renoncé à faire du théâtre tout seul, malgré le Bouton de Rose, et à le faire en poursuivant la réalisation de certaines idées.

Quelles idées ? — Quiconque a suivi sa campagne de critique dramatique pendant quatre ans, au Bien public et au Voltaire, les connaît. On peut les résumer, je crois, en une phrase : Zola voudrait porter au théâtre l’évolution qui s’est produite dans le roman avec Stendhal, Balzac et Flaubert. Son rêve serait évidemment de réaliser lui-même cette évolution, que, selon lui, Alexandre Dumas fils, Émile Augier, Sardou, Meilhac et Halévy, n’ont fait qu’ébaucher. Mais il se sent tellement enfoncé dans le roman, les Rougon-Macquart à terminer sont une si lourde besogne, qu’il recule toujours ses nouvelles tentatives, et qu’il doit désespérer jusqu’à un certain point, aujourd’hui, d’avoir jamais le temps.

Cependant, il reste plein de projets. Certains jours, il se sent pris de la tristesse de n’avoir pas fait et d’envies terribles de faire. Ces jours-là, il se met à Renée, une sorte de Phèdre contemporaine. Actuellement, sa situation est nette au théâtre. Lorsqu’il donnera de nouveau une pièce signée de son nom seul, il faut que ce soit une mémorable bataille : — la première d’Hernani pour le naturalisme !  »
(Lien vers la pièce Renée sur Libre Théâtre)

 

Pour en savoir plus : 

Lien vers la Biographie de Zola sur Libre Théâtre
Lien vers le théâtre de Zola et le naturalisme sur Libre Théâtre

 

Renée de Emile Zola

Drame en cinq acte représenté pour la première fois, le 16 avril 1887, sur le théâtre du Vaudeville.
Distribution : 6 hommes, 4 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Renée, une jeune fille a été violée par un homme marié. Sa fidèle domestique, Mlle Chuin, fait croire à son père que Renée a fauté avec un homme  qu’elle se doit d’épouser.  Aristide Saccard, un homme ambitieux mais sans aucun bien,  qui a déjà un jeune fils, Maxime, conclut le marché avec le père, désespéré par cette situation, et avec Renée.  Nous les retrouvons dix ans après : Saccard a fait fructifier la dot de Renée et est maintenant un bourgeois prospère. Renée reçoit beaucoup et a de somptueuses robes. Elle souffre toutefois d’un mal qui la ronge : elle découvre qu’elle est passionnément amoureuse de Maxime, le fils de Saccard qui doit prochainement se fiancer.

La polémique

Comme de nombreuses pièces de Zola, Renée a fait l’objet de polémiques. Zola explique la genèse de la création de ce drame dans la préface de l’édition de G. Charpentier de 1887 (disponible en ligne sur le site de la Bodléienne). C’est à la demande de Sarah Bernhardt qu’il a écrit l’adaptation théâtrale de son roman La Curée. « Elle voyait dans le personnage de Renée un rôle superbe et à sa taille. » Zola hésite car montrer un inceste sur la scène de la Comédie-Française lui semble impossible. Il adapte un peu le récit et termine la rédaction de ce drame, mais entre-temps, la grande comédienne a démissionné de la Comédie-Française et est partie en tournée en Amérique. Zola propose sa pièce à divers directeurs de théâtre qui la refusent, terrifiés… Sarah Bernhardt elle-même, de retour à Paris,  refuse :  « elle m’en parla avec un frisson, en comédienne qui entend déjà les sifflets dans la salle. » Ce sont finalement les directeurs du théâtre du Vaudeville qui ont le courage de proposer la pièce : « ils ne se dissimulaient pas les grands dangers, ils voulaient bien les courir avec moi, par amour des lettres »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8596907n/f25.item
Marthe Brandes jouait le rôle de Renée à la création. Album Reutlinger de portraits divers, vol. 20. Source : BnF/Gallica

« Mademoiselle Brandes a été superbe de passion et d’énergie dans le rôle de Renée, et elle a rendu avec une largeur incomparable la terrible progression : l’attitude douloureuse et hautaine du premier acte ; le charme turbulent et détraqué du deuxième ; la lutte poignante du troisième ; le remords terrifié et l’éclat vengeur du quatrième ; la demi-folie, l’emportement frénétique du cinquième. C’est une très grande artiste, qui est née pour les chefs d’œuvre des auteurs de demain, si les auteurs savent en faire. »


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90187934/f1.item
Raphaël Duflos jouait le rôle de Saccard à la création. Agence Meurisse, 1910. Source : BnF/Gallica

« J’arrive à M. Raphaël Duflos dont la création restera. Il a été le Saccard du premier acte, enragé d’ambition, humble à son entrée devant le père, relevant la tête devant la fille, et grandissant de tout le cri de sa force, de tout le désir des grandes choses qu’il rêve ; et il a été le Saccard du quatrième acte, l’homme d’argent, l’homme triomphant, vaincu par la passion, sanglotant au milieu de son or, parce qu’une femme ne l’aime pas. C’est d’un art supérieur, puissant et jeune, qui le met au premier rang. »


Pour aller plus loin

Chronique de Francisque Sarcey à propos de la pièce Renée, dans Quarante ans de théâtre : feuilletons dramatiques, volume 7, 1900-1902 sur Gallica

Notes sur le théâtre, Stéphane Mallarmé, dans La Revue indépendante, Paris. mai 1884 sur Gallica

Pour en savoir plus :

Lien vers le Théâtre de Zola sur Libre Théâtre
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Le Bouton de Rose de Emile Zola

Comédie en trois actes représentée pour la première fois au Théâtre du Palais Royal le 6 mai 1878.
Distribution : 8 hommes, 3 femmes
Texte à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Ribalier et Brochard sont propriétaires de l’hôtel restaurant le Grand-Cerf à Tours. Brochard vient de se marier mais une inquiétude sur la livraison de chapons l’oblige à quitter sa jeune femme, Valentine, avant la nuit de noces. Il la confie à son ami Ribalier, un célibataire libertin qui se retrouve très embarrassé. Valentine souhaite leur donner une leçon : « Ah ! ils se mettent deux contre moi, ils me gardent, comme si je ne pouvais pas me garder moi-même. Je me vengerai… » Valentine, fille d’un militaire, élevée par une tante qui tient une pension d’officiers, s’entend avec des officiers qui l’ont connue enfant et qu’elle retrouve, pour faire croire à son gardien que tout un régiment l’a courtisée. Ribalier, stupéfait d’abord, se fâche ensuite, puis finit, sous le coup de quelques verres de Champagne, par vouloir prendre sa part. Mais c’est une cliente de l’hôtel, madame Chamorin, amante de Ribalier, qui prend la place de Valentine, la nuit, dans une chambre noire ; Chamorin, le mari trompé qui tâche de surprendre sa femme en flagrant délit, vient pour pincer sa femme, et  Ribalier fuit, en croyant reconnaître Brochard.

L’accueil de la pièce

La pièce reçut un accueil désastreux. Emile Zola s’explique dans une préface parue  lors de l’édition de ses œuvres complètes (la préface figure dans le texte intégral proposé par Libre Théâtre). Extraits :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64008754
Le comédien Geoffroy qui a créé le rôle de Ribalier, ici dans Un pied dans le crime, comédie d’Eugène Labiche et Adolphe Choler. Portrait de Geoffroy par Lhéritier. Source : BnF/Gallica

« Sera-t-il permis à un auteur dramatique sifflé, hué, conspué, de parler tranquillement de son aventure, en brave homme, sans rancune ni tristesse ? (…)

J’entends à présent que le procès-verbal de la soirée du 6 mai accompagne la pièce et dure autant qu’elle dans mes oeuvres. Plus tard, il y aura appel. Les procès littéraires sont toujours susceptibles de cassation.

Comme je suis très curieux des grands mouvements qui se produisent dans les foules, j’ai éprouvé, le lendemain de l’aventure, l’impérieux besoin d’analyser le public de la première représentation.

Avant tout, ce public a eu une déconvenue. Il s’attendait certainement à autre chose. Il voulait un manifeste littéraire, un exemple de comédie naturaliste appuyant la campagne que je faisais depuis deux ans dans le Bien Public. J’aurais donné une pièce à la Comédie-Française, qu’il ne se serait pas montré plus exigeant. Il oubliait qu’il était au Palais-Royal, que le choix fait par moi de cette scène indiquait de ma part un simple amusement d’esprit. Enfin, il demandait à l’auteur des Rougon-Macquart une comédie extraordinaire et tout à fait, hors ligne. Cela était certainement très flatteur, mais bien dangereux.

D’autre part, je me suis rendu compte de l’étonnement des spectateurs, à la saveur particulière du Bouton de rose. La gaieté n’est pas la même à toutes les époques. Aujourd’hui, il y a au théâtre une gaieté de mots, un entortillement d’esprit, une sorte de fleur parisienne poussée sur le trottoir des boulevards. C’est un esprit fouetté en neige, relevé d’une pointe de musc, un vrai déjeuner de soleil qui plaît dans sa nouveauté et qui, cinq ans plus lard, devient inintelligible. Dès lors, on comprend la grossièreté d’un homme tout franc, arrivant avec un style direct, appelant les choses par leur nom, cherchant le rire dans les situations et dans les types.

Puis, le sens de nos anciens contes français est perdu, à ce que je vois. La verdeur en est trouvée répugnante. Ces mirifiques histoires d’hôtellerie, où l’on se trompe de chambres et de femmes, paraissent, d’une ordure sans excuse. La pointe de fantaisie qu’elles tolèrent : le départ d’un mari le soir de ses noces pour le marché du Mans, les ruses hardies et salées d’une ingénue, semble monstrueuse, indigne d’un esprit distingué. Ma Valentine, par exemple, a stupéfié, et l’on m’a dit que j’aurais dû expliquer cette innocente, comme si les fines commères, les petites filles rieuses où la femme perce avec ses diableries, avaient besoin d’une étiquette dans le dos pour être comprises. On m’aurait encore pardonné si j’avais eu de l’esprit, si j’avais fait des « mots ». Hélas ! je n’ai point cet esprit-là, je suis allé carrément mon chemin. Cette franchise des situations et du style a révolté. Ma vérité a été sifflée, et l’on a hué ma fantaisie.

Donc le public était dans l’attente de quelque chose de prodigieux. Je ne prononcerai pas le gros mot de cabale, parce que je ne crois pas à une entente préalable entre douze cents spectateurs. On m’a pourtant conté une histoire curieuse, un dîner qui aurait eu lieu avant le lever du rideau, et où l’on aurait juré au dessert de siffler ma pièce. Je ne veux voir là qu’une anecdote. Mais s’il n’y a pas eu cabale dans le sens précis du mol, il faut admettre qu’une bonne moitié de la salle faisait des voeux ardents pour que le Bouton de rose tombât. On était venu là comme on va dans la baraque d’un dompteur, avec la sourde envie de me voir dévorer.

Je me suis fait, paraît-il, beaucoup d’ennemis, avec mes feuilletons du Bien Public, où la sincérité est ma seule force. On ne juge point impunément les pièces des autres pendant deux ans, en toute justice, disant hautement ce qu’on pense des grands et des petits. Le jour où soi-même on soumet une œuvre aux confrères et au public, on s’expose à des représailles. Le mot n’est pas de moi, il a été prononcé dans les couloirs et je l’ai déjà retrouvé dans quelques articles. Je comprends parfaitement que les vaudevillistes vexés et les dramaturges exaspérés se soient dit : « Enfin, nous allons le juger à l’œuvre, ce terrible homme ! » Et le public devait même partager cette attente. Je ne récrimine pas, je constate que ma position d’auteur dramatique était certainement plus délicate que celle d’un autre. Un jeune monsieur, à l’orchestre, montrait une clef à ses voisins, disant : «Il faut que le Bouton de rose soif un chef-d’oeuvre, ou sinon… » Cela est typique.

Ce n’est pas tout, le romancier lui-même était en cause. Les succès se paient. Je devais expier, le 6 mai, les quarante-deux éditions de l’Assommoir et les vingt éditions de Une page d’amour. Un romancier faire du théâtre, un romancier dont les oeuvres se vendent à de tels nombres ! Cela menaçait de devenir l’abomination de la désolation. J’allais prendre toute la place, j’étais vraiment encombrant. II s’agissait de mettre ordre à cela. Pour peu que l’oeuvre prêtât le flanc, on la bousculerait et on se régalerait de voir l’heureux-romancier se casser les reins comme auteur dramatique.

Voilà donc de quels éléments la salle était composée : des amis qui exigeaient beaucoup de moi, qui n’admettaient pas que je pusse écrire une oeuvre ordinaire ; des ennemis pleins de rancune, désireux dé se venger du critique et de rabattre le triomphe du romancier ; enfin un public dont le goût n’est pas au théâtre tel que je l’entends. Les uns me reprochaient d’aller contre mes théories sur la vérité, les autres de manquer de fantaisie. C’était une confusion incroyable. Et la note comique était donnée par ces étranges justiciers qui, pour m’enseigner la douceur, commençaient par m’étrangler. Il est par terre, tombons sur lui. Cela le rendra moins sévère pour les autres. À l’avenir, lorsqu’il trouvera une pièce mauvaise, il n’osera plus le dire aussi carrément. Nous voulons qu’il mente, écrasons-le !

Mais je n’ai point encore parlé des spectateurs patriotiques. Il paraît que j’ai voulu ridiculiser l’uniforme de l’armée française sur la scène du Palais-Royal. Les sifflets ont commencé, lorsque les officiers ont paru, au second acte. Voilà une indignation qui part d’un bon sentiment. Elle m’a stupéfié. Des messieurs, à l’orchestre, qui avaient très bien dîné, m’a-t-on dit, ont cru devoir prendre particulièrement la défense de l’armée. Eh ! bon Dieu ! qui songeait à attaquer l’armée? Je la respecte fort, ce qui ne m’empêchera pourtant pas de l’étudier en toute vérité dans un de mes prochains romans.

En somme, on a écouté le premier acte, on a sifflé le second ; et on s’est refusé absolument à entendre le troisième. Le tapage était tel, que les malheureux critiques, ne pouvant saisir les noms des personnages au milieu du bruit et ne comprenant plus rien à l’intrigue, ont fait les comptes rendus les plus fantaisistes du monde. Les uns ont loué le talent de M. Lhéritier qui ne jouait pas dans le Bouton de rose, les autres ont confondu Chamorin avec Ribalier ; aucun n’a raconté fidèlement la pièce. Je suis certain que pas un des spectateurs ne connaît le dénouement exact. Excellentes conditions pour juger une œuvre.

Remarquez que le troisième acte était jugé le meilleur. Au théâtre, on comptait beaucoup sur cet acte. Mais la salle en était arrivée à une exaspération comique. Brochard entre furieux et crie à une servante : « Grande cruche ! » Toute la salle entend : « Grande grue ! » Et l’on siffle. Que faire à cela? Il y a des moments où la foule entend ce qui fouette sa passion. Dès lors, toutes les intentions de la comédie se faussaient ; ce qui aurait dû faire rire faisait sursauter les gens les moins prévenus. Les quelques mots d’argot dit par Valentine, si innocents et d’intention si drôle, je persiste à le croire, ont éclaté comme des bombes. La salle menaçait de crouler.

Je suis aujourd’hui, je le répète, sans rancune ni tristesse. Pourtant, j’ai eu, le lendemain, un sentiment de colère bien légitime. Je croyais que, le deuxième jour, la pièce n’irait pas au delà du second acte. Le public payant me semblait devoir achever le désastre. J’allai tard au théâtre, et en montant je questionnai un artiste : « Eh bien ? ils se fâchent, là-haut ? » L’artiste me répondit en souriant : « Mais non, monsieur, tous les mots portent, la salle est superbe et rit à se tordre. » Et c’était vrai; pas une protestation, un effet énorme. Je suis resté pendant tout un acte, écoutant ces rires, étouffant, sentant des larmes monter à mes yeux. Je songeais à la salle de la veille, je me demandais pourquoi une si inconcevable brutalité, puisque le vrai public ne se fâchait plus. Les faits sont là.

Voici les chiffres des quatre premières recettes faite par le Bouton de rose ; la première, 2 300 fr. ; la seconde, 2 500 fr. ; la troisième 1 100 fr. ; la quatrième, 800 fr. Qu’on étudie ces chiffres. La recette la plus élevée est celle de la seconde représentation. La presse n’avait pas encore parlé, le public venait et riait de confiance. Mais, dès le troisième jour, la critique commence son œuvre d’étranglement. Une bordée d’articles furibonds atteint la pièce en plein cœur. Le public dès lors hésite et s’écarte d’une œuvre que pas une voix ne défend et que les plus tolérants jettent au ruisseau. Les rares spectateurs qui osent se risquer paraissent bien s’amuser franchement ; les effets grandissent à chaque représentation ; les artistes, délivrés d’inquiétude, jouent avec un ensemble merveilleux. N’importe, l’étranglement est sûr, le public de la première a commencé l’assassinat et la critique portera le dernier coup. Il me reste à remercier les artistes, qui se sont montrés si vaillants au milieu de la tempête du 6 mai. Mademoiselle Lemercier, dans ce rôle si mal pris de Valentine, a été adorable de grâce et de finesse. Madame Faivre et mademoiselle Raymonde ont lutté, elles aussi, de talent et de courage. Quant à M. Geoffroy, il portait toute la pièce sur ses larges épaules, avec l’aisance et la bonhomie d’un grand artiste ; et je lui suis particulièrement reconnaissant de la fermeté qu’il a mise à lancer mon nom, au milieu des fureurs de la salle. M. Pellerin, M. Hyacinthe, M. Luguet, M. Bourgeotte, tous ont gagné la partie, lorsque je la perdais ; je me sens plein de gratitude pour eux. Et merci enfin aux directeurs du PalaisRoyal qui ont cru au Bouton de rose avec une foi plus ardente que la mienne.

Un dernier mot. Le directeur d’une de nos grandes scènes subventionnées parcourait les couloirs en disant d’un air rayonnant : « Eh bien ! fera-t-il encore de la critique dramatique ? » Certainement, monsieur, j’en ferai encore. Je vous gêne donc bien ? L’article où j’ai condamné l’usage que vous faites de votre subvention pèse donc bien lourd sur votre cœur ? En quoi un échec, qui m’est tout personnel, modifie-t-il les idées que je défends ? Je suis par terre, mais l’art est debout. Ce n’est pas parce qu’un soldat est blessé que la bataille est perdue. Au travail, et recommençons !

12 mai 1878.

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Les Héritiers Rabourdin de Emile Zola

Comédie en trois actes, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre de Cluny le 3 novembre 1874.
Distribution : 6 hommes, 4 femmes
Texte intégral de la pièce et préface à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Rabourdin est l’ancien drapier de la place du Marché. Sa famille et son entourage sont persuadés qu’il va laisser un héritage considérable : ils multiplient les visites et les cadeaux depuis dix ans. Seule sa filleule Charlotte est au courant de son imposture : il est ruiné. Alors que Charlotte s’apprête à se marier, elle lui réclame sa dot et Rabourdin lui apprend qu’il l’a également engloutie. Charlotte décide alors de se venger et de reconstituer la somme que Rabourdin lui doit, en utilisant la crédulité et la rapacité de ses héritiers, tout en donnant une bonne leçon à son parrain.

La préface

Cette farce est inspirée de Volpone de Ben Jonson. Emile Zola, en réponse aux violentes critiques qui ont accompagné la création de la pièce, a expliqué sa démarche dans une préface rédigée le 1er décembre 1874. Extrait :

Je le répète, ma cause n’est pas isolée. J’ai plaidé ici pour tout un groupe d’écrivains. Je n’ai pas l’orgueil de croire que ma mince personnalité a suffi pour soulever tant de colères. Je suis un bouc émissaire, rien de plus. On a frappé en moi une formule plutôt qu’un homme, la critique voit grandir devant elle un groupe qui s’agite fort et qui finira par s’imposer. Elle ne veut pas de ce groupe, elle le nie ; car, le jour où elle lui reconnaîtrait du talent, elle serait perdue. Il lui faudrait accepter l’idée de vérité qu’il apporte avec lui, ce qui la forcerait à changer son critérium. Ce n’est pas ma pièce, je le dis encore, qu’on a exécutée : c’est la formule naturaliste dont elle paraît procéder. Et je ne veux pour preuve du parti-pris de la critique, que sa mauvaise foi dans le compte rendu de la première représentation. Pas un critique n’a confessé que les Héritiers Rabourdin avaient été vigoureusement applaudis. À ce propos, je citerai un mot profond, que me disait, à la sortie du théâtre, un illustre écrivain ; il me serrait la main, il ajoutait pour tout compliment : « Demain, vous serez un grand romancier. » Le lendemain, en effet, des gens qui, depuis dix années, me refusent tout talent, exaltaient mes romans pour mieux assommer ma pièce. Je rapporterai ici un autre mot, terrible celui-là, prononcé par un romantique impénitent qui a entre les mains une feuille de grande publicité, dont il a fait une boutique politique et littéraire ; il endoctrinait son critique dramatique. Il me désignait à ses foudres, en répétant tranquillement, à haute voix, sans se gêner : « Il a trop de talent, il est dangereux ; il faut l’enrayer. » Je n’ai rien mis dans ma pièce de plus abominablement cru, de plus sanglant contre la vilénie humaine.

Illustration extraite des Oeuvres complètes illustrées de Émile Zola. Tome 31 : Théâtre. Editions Fasquelle. 1906. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5495502j
Illustration extraite des Oeuvres complètes illustrées de Émile Zola. Tome 31 : Théâtre. Editions Fasquelle. 1906. Source : BnF/Gallica

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Thérèse Raquin d’Emile Zola

Drame en quatre actes, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Renaissance, le 11 juillet 1873.  L’adaptation du roman par Émile Zola lui-même offre aux acteurs des rôles poignants et aux metteurs en scène un univers original, entre naturalisme et fantastique.
Distribution : 5 hommes, 3 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

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Mariée à Camille, un homme souffreteux, Thérèse s’est prise de passion pour Laurent, un ami d’enfance de son époux. Les deux amants décident de supprimer le mari gênant, mais une fois le crime commis, ils sont hantés par le remords. Les deux complices sont poursuivis par le regard accusateur du portrait de Camille, que Laurent a peint autrefois. En outre la mère du défunt, frappée de paralysie et incapable de parler après avoir entendu fortuitement les aveux de sa belle-fille et de son nouvel époux, continue de vivre sous leur toit sans pouvoir dénoncer leur crime…

Le naturalisme au théâtre

Extrait de la préface rédigée par Emile Zola.

« C’est sous l’influence de ces idées que j’ai tiré un drame de Thérèse Raquin. Comme je l’ai dit, il y avait là un sujet, des personnages et un milieu, qui constituaient, selon moi, des éléments excellents pour la tentative que je rêvais. J’allais pouvoir faire une étude purement humaine, dégagée de tout intérêt étranger, allant droit à son but; l’action n’était plus dans une histoire quelconque, mais dans les combats intérieurs des personnages il n’y avait plus une logique de faits, mais une logique de sensations et de sentiments et le dénouement devenait un résultat arithmétique du problème posé. Alors, j’ai suivi le roman pas à pas j’ai enfermé le drame dans la même chambre, humide et noire, afin de ne rien lui ôter de son relief, ni de sa fatalité ; j’ai choisi des comparses sots et inutiles, pour mettre, sous les angoisses atroces de mes héros, la banalité de la vie de tous les jours; j’ai tenté de ramener continuellement la mise en scène aux occupations ordinaires de mes personnages, de façon à ce qu’ils ne « jouent » pas mais à ce qu’ils vivent » devant le public. »

Les conditions de la création

Extrait de Emile Zola, Notes d’un ami par Paul Alexis, Editions Charpentier, 1882, sur Gallica.

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Marie Laurent dans le rôle de Madame Raquin

Exécutée assez vite, la pièce était primitivement en cinq actes.

« M. Hostein, directeur de la Renaissance (…) était le seul directeur qui pût recevoir, et monter tout de suite, une œuvre osée, exceptionnelle, contenant une tentative littéraire. (…) Il ne se décida que lorsqu’une grande artiste, madame Marie Laurent, voulut bien prendre le rôle de « madame Raquin, » en se contentant d’appointements proportionnés aux recettes, c’est-à-dire problématiques. La saison était très avancée. Il fallait que Marie Laurent eût bien foi dans l’œuvre et dans son rôle.

— Ah ! soupirait-elle, que n’ai-je dix ans de moins !… Au lieu de faire madame Raquin, je ferais Thérèse, et je voudrais passionner tout Paris.

Le 11 juillet 1873, eut lieu la première. Une belle salle, pour la saison. La presse au grand complet, naturellement. L’impression de ces quatre actes, se passant dans la même chambre triste, fut très forte, très poignante. Certes, il n’y avait pas là un grand régal pour le public boulevardier des premières. Plus d’un gommeux, dans les couloirs, crut bon genre de trouver cela crevant. Plus d’une cocodette poussa de petits cris pudibonds. Mais, la part faite à ces dissidences inévitables, la salle entière resta saisie et palpitante devant ce drame si peu compliqué, mais si puissant, qui vous serrait le cœur comme une catastrophe personnelle.

— Moi, je suis malade ! Ce Zola me rend positivement malade ! disait ce soir-là dans les couloirs M. Sarcey, lui qui, au théâtre, veut s’amuser.

Une partie du public était donc très malade, si malade même qu’au commencement de la nuit de noces, on tenta quelques protestations, afin de réagir et d’échapper au cauchemar. Au moment où Thérèse ôte sa robe de mariée, la salle risqua quelques « hem ! hem ! » comme pour se persuader qu’il allait se passer des choses très risquées, ce qu’elle désirait sans doute. On feignit même de ne pas comprendre l’intention, banale à dessein, de quelques phrases sur la pluie et le beau temps, que Laurent et Thérèse échangent, une fois seuls, dans la chambre nuptiale. Mais plus fort que ces mauvais vouloirs et ces hypocrisies, le drame emporta bientôt tout, étreignant les cœurs et bouleversant les âmes. Je crois pouvoir constater, en témoin impartial, que la pièce, à deux doigts de sa chute, au commencement du troisième acte, se redressa tout à coup par un tour de reins, lors de cette minute critique, à partir de laquelle le succès définitivement obtenu ne fit que grandir.

Le succès de Thérèse Raquin fut sans lendemain. La critique se montra très dure pour le nouvel auteur ; on subissait les chaleurs caniculaires de juillet : la pièce ne fit pas d’argent. Au bout de neuf représentations, non seulement Thérèse Raquin disparut de l’affiche, mais la Renaissance ferma ses portes — pour ne les rouvrir qu’à l’hiver, et avec un genre nouveau, l’opérette ! »

Source des illustrations :  Oeuvres complètes illustrées de Émile Zola. 31, Editions Fasquelle (Paris).  Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-Y2-3550 (31) sur Gallica.

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Publications aux Editions La Comédiathèque

Mariée à Camille, un homme souffreteux, Thérèse s’est prise de passion pour Laurent, un ami d’enfance de son époux. Les deux amants décident de supprimer le mari gênant, mais une fois le crime commis, ils sont hantés par le remords. Les deux complices sont poursuivis par le regard accusateur du portrait de Camille, que Laurent a peint autrefois. En outre la mère du défunt, frappée de paralysie et incapable de parler après avoir entendu fortuitement les aveux de sa belle-fille et de son nouvel époux, continue de vivre sous leur toit sans pouvoir dénoncer leur crime…
En adaptant son roman à succès au théâtre, Zola expérimente dans ce drame les principes du mouvement naturaliste.

Distribution : 5 hommes, 3 femmes
ISBN 978-2-3770-5102-1
Juillet 2017
85 pages ; 18 x 12 cm ; broché.

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