Labiche Eugène

Chroniques consacrées à Eugène Labiche : biographie, œuvres théâtrales, thèmes abordés…

Le Baron de Fourchevif d’Eugène Labiche

Comédie en un acte d’Eugène Labiche et Alphonse Jolly, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Gymnase-Dramatique, le 15 juin 1859. Publiée en 1859 à la Librairie Théâtrale.
Distribution : 4 hommes et 2 femmes
Téléchargez gratuitement le texte intégral de la pièce sur Libre Théâtre

L’argument

M. et Madame Potard, marchands de porcelaine se font appeler Baron et Baronne de Fourchevif, depuis l’achat de la terre de Fourchevif dix-huit ans auparavant. L’arrivée d’un jeune peintre qui prétend être le dernier descendant de cette famille noble les met en difficulté, alors qu’ils préparent le mariage de leur fille et que Fourchevif veut se présenter aux élections.

Un extrait

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64008754
Le comédien Geoffroy qui a créé le rôle du Baron de Fourchevif, ici dans Un pied dans le crime, comédie d’Eugène Labiche et Adolphe Choler. Portrait de Geoffroy par Lhéritier. Source : BnF/Gallica

Lambert.
C’est bien M. le baron de Fourchevif que j’ai l’honneur de saluer ?

Fourchevif.
Lui-même ; après ?

Lambert.
En êtes-vous bien sûr ?

Fourchevif.
Comment ! voilà qui est fort !

Lambert.
Vous savez qu’il n’en reste plus qu’un Fourchevif… le dernier de la famille ?

Fourchevifse désignant.
Eh bien ?

Lambert.
J’ai bien de la peine à croire que ce soit vous.

Fourchevif.
Et pourquoi, s’il vous plaît ?

Lambertsimplement.
Parce que c’est moi !

Fourchevif.
Hein ? vous M. le baron ?
Il ôte vivement sa casquette.

Lambert.
Couvrez-vous donc, je vous prie.

Fourchevif.
C’est impossible ! un baron… en blouse !

Lambert.
Vous êtes bien en casquette ! Faut-il produire mon acte de naissance ? Je suis fils de Raoul de Fourchevif et de dame Raymonde Jacotte de Fourcy.

Fourchevifà part.
J’ai vu ces noms-là dans mes titres. (Haut.) Mais que signifie cette carte : « Etienne Lambert » ?

Lambert.
C’est mon nom de peintre, mon nom de guerre, si vous voulez… Sans fortune et obligé de vendre mes tableaux pour vivre, je n’ai pas cru devoir associer le nom de mes ancêtres aux péripéties d’une position… plus que précaire ; il sied mal de porter ses diamants quand on n’est pas toujours sûr d’avoir un habit. Alors, j’ai mis le nom de mes aïeux dans ma poche, par respect pour eux, et j’en ai arboré un autre : Etienne Lambert ! Au moins, celui-là n’engage pas. Etienne Lambert peut endosser la blouse du peintre, fumer librement sa pipe, loger au sixième étage, et, dans les jours difficiles, aborder sans humiliation le dîner à vingt-deux sous… Le baron de Fourchevif ne le pourrait pas.

Fourchevif.
Vous m’avez l’air d’un brave garçon, je crois que nous pouvons nous entendre.

Lambert.
Comment cela ?

Fourchevif.
Du moment que vous ne vous servez pas du nom de vos ancêtres, je ne vois pas pourquoi vous vous opposeriez à me le laisser porter.

Lambert.
Vous croyez que ça se prête comme un parapluie ?

Fourchevif.
Oh ! je ne vous le demande pas pour rien. (Tirant son portefeuille.) Je suis trop juste.

Lambert.
Oh ! oh ! cachez cela.

Fourchevif.
Comment ?

Lambert.
Je ne vends pas de vieux galons.

Fourchevifétonné.
Ah ! alors, que désirez-vous ?

Lamberts’asseyant.
C’est bien simple, je désire que vous sortiez de mon nom.

Le plus heureux des trois, d’Eugène Labiche

Comédie en trois actes d’Eugène Labiche et Edmond Gondinet, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 11 janvier 1870.
Distribution : 4 hommes, 4 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Marjavel est marié en secondes noces à Hermance, qui a une liaison avec Ernest, un ami de son mari. L’oncle d’Ernest, Jobelin, était quant à lui l’amant de la première femme de Marjavel, Mélanie. Et enfin, Marjavel lui-même a une relation avec une autre femme, sans compter les deux maîtresses qu’il avait quand il était marié avec Mélanie. Un cocher maître chanteur  et un couple de valets alsaciens viennent mettre en danger ce fragile équilibre…

Illustrations sur Gallica

Cette pièce a fait le bonheur des caricaturistes et Gallica propose une série d’estampes ou aquarelles réalisées par Draner et Lhéritier.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64007217
Portrait des acteurs en costumes par Lhéritier. Source : Bnf/Gallica
Extrait de la Vie Parisienne du 22 janvier 1870. Source : BNF/ Gallica
Extrait de la Vie Parisienne du 22 janvier 1870. Source : BNF/ Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550035408
Portrait de Brasseur dans le rôle de Krampach par Draner. Source : BnF/ Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400717b
Portrait de Brasseur dans le rôle de Krampach par Lhéritier. Source : Bnf/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b550034778
Portrait de Mademoiselle Reynold, dans le rôle de Lisbeth / par Draner. 1970. Source BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9008061g
Tournée artistique direction Soumis-Duchampt (des Bouffes-Parisiens)… affiche de 1888. Source : BnF/ Gallica

Un extrait

Jobelinseul ; il dépose le bouquet et la bouteille sur le divan.

Je viens souhaiter la fête à Marjavel ; c’est une habitude que j’ai contractée du temps de sa première femme… Je ne puis entrer dans ce salon sans être ému… Il m’est permis de jeter un regard mélancolique sur le portrait de cette pauvre Mélanie. (S’adressant au portrait d’Hermance.) On t’a remplacée, pauvre femme !… au bout d’un an et trois jours ! On oublie si vite… O époque voltairienne ! (Allant au portrait, le regardant.) Mais me voici, moi… (S’arrêtant.) Ah ! non, c’est la seconde… (Il retourne le portrait, côté Mélanie.) Me voici ! je viens accomplir mon pieux pèlerinage… chère Mélanie !… nous fûmes bien coupables. (S’adressant au portrait de Marjavel qui est de l’autre côté.) Nous t’avons trompé, Marjavel !… homme excellent !… homme parfait !… homme admirable !… Je n’ai pas de remords, parce que je me repens… (Il revient en scène.) Et, si je me repens, c’est qu’elle n’est plus là… Sans cela !… pauvre amie !… c’est moi qui ai suggéré à Marjavel l’idée de la faire peindre derrière l’autre… La dernière fois que nous nous vîmes, nous étions en fiacre… elle avait une peur d’être reconnue qui la rendait charmante… elle se cachait derrière un éventail qu’elle était censée avoir gagné à la loterie… La loterie, c’était moi !… Pauvre enfant ! tout me la rappelle ici… (Il soupire en regardant le divan ; puis va à la cheminée.) J’avais eu l’idée machiavélique d’offrir à Marjavel cette pendule à tête de cerf… pour sa fête. C’est là dedans que nous cachions notre correspondance… (Il ouvre.) Hein ?… un billet ! un ancien qui est resté… (Il ouvre le billet, et vient en scène.) Quelle imprudence !… écrit d’une main tremblante… c’est bien ça… elle tremblait toujours. (Lisant.) « grand malheur nous menace… le cocher du fiacre nous a reconnus, il nous épie, il porte le n° 2114. Tâchez de le voir… j’ai le pressentiment que ce fiacre nous portera malheur. » (Parlé.) Elle était bébête avec ses pressentiments !… Je me rappelle qu’un jour elle avait rêvé d’un chat noir… et elle prétendait que c’était le commissaire de police.

Le Club champenois d’Eugène Labiche

A-propos en un acte d’Eugène Labiche et Auguste Lefranc, représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Montasier (Palais-Royal), le 8 juin 1848. Publiée en 1848.
Distribution :  6 hommes, 1 femme et des figurants.
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8421918q
Levassor (qui a créé le rôle de Cassagnol), par F. Elias. Source : Bnf/Gallica

Juste après la Révolution de Février 1848, un maire de campagne, Pontcharrat, est sommé par le nouveau régime d’organiser dans sa commune un club démocratique. Pontcharrat prépare également le mariage de sa nièce Henriette à Gindinet, l’instituteur. Mais Henriette aime son cousin Cassagnol, un comédien, et le fait venir d’urgence. La réunion du club démocratique et la présentation des futurs candidats aux élections va donner l’occasion à Cassagnol de montrer ses talents en interprétant successivement Jean-Louis, dit le Corinthien, un ouvrier, puis le citoyen Grand-Bagout, un économiste et enfin, l’illustre général Chauvinancourt.


Un extrait

Grand-Bagout.
Citoyens, j’ai pour habitude d’aborder de front les questions. On me demande mon opinion sur la suppression des bonnets à poil et sur le divorce. Je répondrai que l’agriculture est la plus noble des professions… Si j’arrive à la Chambre, je me ferai le représentant de la race ovine, bovine et chevaline. Je crois avoir suffisamment répondu à l’interpellation qui m’était adressée.

Crétinot.
Permettez, vous avez répondu… pour les bonnets à poil !… mais pas pour le divorce.

Tous.
C’est vrai, c’est vrai !

Grand-Bagout.
Je vais répondre. Citoyens ! la marine mérite tout notre intérêt. Je voterai pour un président. Vive l’agriculture !

Crétinot.
Voilà ce que je voulais lui faire dire… très bien ! très bien !

Grand-Bagout.
Citoyens, j’ai pour habitude d’aborder de front les questions. On me demande mon opinion sur la suppression des bonnets à poil et sur le divorce. Je répondrai que l’agriculture est la plus noble des professions… Si j’arrive à la Chambre, je me ferai le représentant de la race ovine, bovine et chevaline. Je crois avoir suffisamment répondu à l’interpellation qui m’était adressée.

Crétinot.
Permettez, vous avez répondu… pour les bonnets à poil !… mais pas pour le divorce.

Tous.
C’est vrai, c’est vrai !

Grand-Bagout.
Je vais répondre. Citoyens ! la marine mérite tout notre intérêt. Je voterai pour un président. Vive l’agriculture !

Crétinot.
Voilà ce que je voulais lui faire dire… très bien ! très bien !

Pontcharrat.
Autre question. Etes-vous républicain ?

Grand-Bagoutavec vigueur.
Qu’on m’enlève l’épiderme…

Pontcharrat.
Non, je vous demande si vous êtes républicain.

Grand-Bagout.
Eh bien ?… (Reprenant.) Qu’on m’enlève l’épiderme et sous cette peau de républicain palpitera toujours une chair républicaine !
On applaudit avec chaleur.

Pontcharratlisant un papier.
Question communiquée. On demande la profession du candidat.

Grand-Bagout.
J’ai quarante ans et je suis chauve.

Pontcharrat.
Votre profession ?

Grand-Bagout.
Ah ! équilibriste.

Pontcharrat.
Comment ?

Grand-Bagout.
J’ai consacré ma vie à l’équilibre des intérêts sociaux.

Pontcharratbas à Crétinot.
Socialiste.

Grand-Bagoutcontinuant.
J’ai consacré ma vie au triomphe de cette formule : l’homme doit vivre en se reposant. Je pose donc un principe : celui qui travaille…

Premier Paysan.
Est un feignant.

Grand-Bagout.
Vous rendez parfaitement ma pensée.

Second Paysan.
Ah çà ! si personne ne travaille, qui est-ce qui labourera la terre ?

Grand-Bagout.
J’attendais cet argument. Nous aurons des machines.

Troisième Paysan.
Et pour les vendanges ?

Grand-Bagout.
Des machines.

Une Paysanne.
Et pour les enfants ?

Deuxième Paysan.
Et qu’est-ce qui fera les machines ?

Grand-Bagout.
D’autres machines. La terre ne sera plus qu’une grande famille de machines qui s’engendreront les unes par les autres et de cette façon… je serai très clair. (Avec volubilité.) En combinant les divers éléments de la production régénérés par les bienfaits de l’association et fonctionnant sous la pression permanente de l’État dont l’impulsion vivifiée par la solidarité garantielle se rattache si essentiellement aux intérêts de l’agriculture, nous touchons à la solution du grand problème…

Mon Isménie d’Eugène Labiche

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6401027m
Paul Grassot : portrait par Lhéritier. Source : BnF/ Gallica

Comédie en un acte mêlée de couplets d’Eugène Labiche et  Marc-Michel, représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal le 17 décembre 1852. Editée en 1853.
Distribution : 2 hommes, 3 femmes

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L’argument

Vancouver, un père jaloux, ne peut se résigner à ce que sa fille Isménie se marie et trouve tous les prétextes pour éconduire les prétendants. Dardenboeuf, envoyé par Galathée, vieille fille très riche et soeur de Vancouver, se présente et plaît d’emblée à Isménie.

Un extrait

Vancouver, seul

Heu !… je suis triste !… c’est au point que je ne connais pas dans les murs de Châteauroux un Berrichon plus triste que moi… Ma position n’est pas tenable… je me promène avec un ver dans le cœur… Pardon… avez-vous vu jouer Geneviève ou la jalousie paternelle ?… Non ?… Eh bien, voilà mon ver !… La jalousie !… Je suis père… j’ai une fille âgée de vingt-quatre printemps à peine… et ils prétendent que c’est l’âge de la marier !… À vingt-quatre ans ! Mais je ne me suis conjoint qu’à trente-huit, moi !… et j’étais précoce !… Alors, ma maison est assaillie par un tas de petits gredins en bottes vernies… qu’on intitule des prétendus, et que j’appelle, moi, la bande des habits noirs !… Car enfin, ce sont des escrocs… Je ne leur demande rien, je ne vais pas les chercher… qu’ils me laissent tranquille… avec mon Isménie !… C’est incroyable !… on se donne la peine d’élever une fleur… pour soi tout seul… On la cultive, on la protège, on l’arrose de petits soins… de gants à vingt-neuf sous, de robes à huit francs le mètre… on lui apprend l’anglais, à cette fleur !… la musique, la géographie, la cosmographie… et, un beau matin, il vous arrive par le chemin de fer une espèce de Savoyard, que vous n’avez jamais vu… Il prend votre fleur sous son bras et l’emporte en vous disant : « Monsieur, voulez-vous permettre ? Nous tâcherons de venir vous voir le dimanche !  » Et voilà !… vous étiez père, vous n’êtes plus qu’une maison de campagne… pour le dimanche ! Infamie ! brigandage !… Aussi, le premier qui a osé me demander la main d’Isménie… j’ai peut-être été un peu vif… je lui ai donné mon pied !… Malheureusement, ma fille veut se marier… elle pleure… elle grogne même… Je ne sais plus comment la distraire… Tantôt, je lui fais venir de la musique nouvelle… tantôt des prétendus difformes… auxquels je donne des poignées de main… les cosaques ! Je les examine, je les scrute, je les pénètre, je leur trouve une infinité de petits défauts… dont je fais d’horribles vices ! et, au bout de quelques jours, je leur donne du balai… poliment. Dans ce moment, j’attends l’animal qui est arrivé hier au soir… c’est ma sœur qui l’a présenté, celui-là ; il faudra prendre des mitaines, et dorer le manche à balai… Elle est riche, ma sœur… demoiselle et pas d’enfants ! c’est à considérer. Ah ça ! est-ce que cette grande patraque ne va pas se lever ? Sept heures et demie !… grand lâche ! gros patapouf !… j’éprouve un besoin féroce de l’éplucher !… je veux le gratter comme un salsifis !… Tiens ! son habit !… Si je l’interrogeais ?… Montesquieu l’a dit : « C’est souvent dans la poche des hommes qu’on trouve l’histoire de leurs passions !  » Fouillons, furetons, mouchardons ! C’est lui !… le voleur !… mais je le repincerai !

Les réactions lors de la première

Extrait du Nouvelliste du 22 décembre 1852. Source : Bnf/Gallica

« Cela est étourdissant de fantaisie, d’esprit et de gaîté ! Cela est-vif, aimable, joyeux,  imprévu , tout éblouissant d’étincelles. Vous diriez en continuel feu d’artifice. C’esT du Ruggiéri tout pur. Et puis, comme la pièce est jouée par Sainville et Grassot ! comme ils s’envoient gaîment la réplique ! Quel gendre amusant que ce Grassot et quel admirable beau-père que ce bon, joyeux et parfait Sainville ! »

Moi, D’Eugène Labiche

Comédie en trois actes et en prose d’Eugène Labiche et Édouard Martin. Représentée pour la première fois, à Paris, au Théâtre-Français, par les comédiens ordinaires de l’Empereur, le 21 mars 1864.
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Dutrécy est un homme égoïste et peu scrupuleux. Il tente avec son ami De la Porcheraie d’acquérir un domaine en dépossédant le propriétaire, car ils ont appris par des indiscrétions qu’une nouvelle rue allait être percée. Sa vie est également perturbée par le retour de pension de sa nièce Thérèse, qui vient d’être demandée en mariage, et par le retour du Brésil de son neveu Armand.

Un extrait

Armand.
Vous savez que j’avais pris du service sur un navire brésilien… Un matin, comme je vous l’ai écrit, on constate à bord un cas de fièvre jaune… le capitaine tient conseil et décide que le passager malade sera déposé sur la première plage que l’on rencontrera…

De La Porcheraie.
Comme je comprends ce capitaine !…

Armand.
J’étais indigné… je protestai… mais vainement… À la vue de ce malheureux qu’on descendait dans le canot, comme dans un cercueil… je ne pus me contenir… je rendis mes épaulettes et je le suivis !…

Aubinqui range la table au fond, à part.
Ah ! c’est bien, ça !…

Dutrécy.
Comment ! tu as fait cela, toi ?…

De La Porcheraie, à Dutrécy.
Si c’est comme cela que vous élevez les enfants !…

Dutrécy.
Mais c’est absurde !… donner sa démission pour s’accrocher à un homme qui a la fièvre jaune !…

Armand.
Il fallait donc l’abandonner, seul, sans secours, dans un pays inconnu ?… un compatriote ?… car je ne vous l’ai pas dit : c’était un Français !…

Dutrécy.
Parbleu ! c’est bien rare !… Tu en aurais retrouvé d’autres… Il n’en manque pas de Français !…

De La Porcheraie.
Armand, vous nous faites de la peine !…

Armand.
Moi ?…

De La Porcheraie.
Mon ami, laissez-moi vous le dire, vous êtes sur une pente déplorable… la pente du sacrifice qui illustra don Quichotte…

Armand.
Vous en eussiez fait autant à ma place !…

De La Porcheraie.
Oh ! non !…

Dutrécy.
Je réponds de lui !…

De La Porcheraie.
Dans les circonstance suprêmes, je songe à moi !

Armand.
Comment ?…

De La Porcheraie.
À ce joli petit moi… qui est tout notre univers…

Armand.
Qu’est-ce que c’est que votre moi ?…

De La Porcheraie.
Mais c’est un composé de tous les organes qui peuvent m’apporter une jouissance…

Aubin, à part, écoutant.
Il s’exprime bien, l’ami de Monsieur…

De La Porcheraie.
C’est ma bouche… quand elle savoure une truffe moelleuse, mes yeux lorsqu’ils se reposent sur une jolie femme…

Aubin, à part, se passionnant.
Oh ! oh !

De La Porcheraie.
Mon oreille… quand elle m’apporte l’écho d’une musique… digestive et peu savante…

Armand.
Eh bien !… et le cœur ?…

De La Porcheraie.
Oh ! le cœur n’est pas de la maison… c’est un invité… un noble étranger qu’il est impossible de jeter à la porte, malheureusement… mais qu’il faut rigoureusement surveiller, sans quoi il nous ôte le pain de la bouche et jette, par toutes les fenêtres, notre argenterie aux passants.

Armand.
Mon oncle, vous ne dites rien ?…

Dutrécy.
Moi ?… je suis indigné !… Quand tu me parleras du cœur… je serai toujours avec toi… contre de La Porcheraie… Oui, le cœur est un noble organe… un présent du Ciel !… Nous devons le laisser régner…

De La Porcheraie.
Mais pas gouverner !…

Dutrécy.
C’est un roi constitutionnel… (À Armand.) Vois-tu, dans ce monde… il ne faut pas être égoïste !… mais il faut penser à soi, à sa fortune, à son bien-être… les autres n’y penseront pas pour toi, d’abord…

Aubin, à part.
Il a raison, Monsieur…

Dutrécy.
Retiens bien cette maxime d’un sage… toute la science de la vie est là : on n’a pas trop de soi pour penser à soi !…

Sur le site de l’INA

Reportage sur la mise en scène de Jean-Louis Benoît, en 1996 à la Comédie Française. Lien vers le site
Reportage sur cette mise en scène avec Jean-Claude Brialy (Extraits de la pièce – Interview de Jean Claude Brialy sur le génie de Labiche, sur la pièce, sur l’oeil impitoyable du philosophe). Lien vers le site

Les réactions lors de la création

Extrait de l’article d’Emile Abraham, paru dans Le Petit Journal, le 23 mars 1864 . Source : bnF/Gallica

M. Eugène Labiche est le plus spirituel de nos vaudevillistes. C’est un véritable auteur dramatique ; ses pièces sont toujours d’un ensemble remarquable. Les folies les plus burlesques sorties de son cerveau ont une raison d’être ; elles critiquent un travers ou se moquent d’un ridicule. Castigat ridendo mores. M. Labiche est l’un des auteurs du Chapeau de paille d’Italie; il est aussi l’auteur du Voyage de M. Perrichon, en collaboration avec M. Martin. N’eût-il écrit que ces deux ouvrages, qu’il eût pu, sans aucune prétention, aspirer à se faire applaudir sur la première scène française mais son répertoire est très riche et ne prouve pas seulement une grande fécondité : il dénote un esprit observateur et rempli de finesse.

On ne peut donc qu’approuver la réception faite à M. Labiche par la Comédie-Française, bien que la pièce par laquelle il vient de débuter, ne soit pas de tous points satisfaisante. Elle contient bien des scènes amusantes et des saillies originales, mais son style et l’ensemble de sa conception ne sont pas à la hauteur de la Comédie française. Ensuite les caractères sont bien outrés.

MM. Labiche et Martin se livrent, dans la nouvelle comédie, à une étude du caractère de l’égoïste et pour rendre tout à fait haïssable l’homme personnel, ils ont fait de leur principal personnage un fourbe et un avare.

Dutrécy a l’aspect, sinistré d’un traitre de mélodrame.

A côté de cet égoïste hypocrite qui parle toujours de sa sensibilité, les auteurs ont placé un autre type d’égoïste, celui qui avoue franchement son indifférence pour tout ce qui ne touche pas sa personne. Et, comme contraste, ils ont opposé à De la Porcherie et à Dutrécy le propre neveu de ce dernier, un jeune officier de marine dont la vie n’est qu’un long dévouement.

Aux Variétés ou au Palais-Royal, Moi eût obtenu un très grand succès; mais, je le répète, cette pièce sort trop du ton habituel de la Comédie française. Pourtant, elle a été accueillie avec beaucoup de sympathie, grâce à ses détails spirituels, et peut-être aussi pour ne pas éloigner M. Labiche d’une scène où sa place est marquée.

Régnier et Got font valoir avec tout leur talent les personnages antipathiques de Dutrécy et de la Porcherie. Les autres rôles principaux sont bien joués par Lafontaine, Worms, Mlle Dubois, qui remplit avec beaucoup d’esprit le rôle d’une petite sournoise, et Mlle Riquer, qui, prête son élégance et sa distinction à un rôle de jeune veuve consolable.

Embrassons-nous, Folleville ! d’Eugène Labiche

Comédie-vaudeville d’Eugène Labiche et Auguste Lefranc, représentée pour la première fois à Paris au théâtre du Palais-Royal le 6 mars 1850. Elle fut adaptée en opérette sur une musique de Valenti en 1879.
Texte intégral de la pièce en téléchargement gratuit sur Libre Théâtre

L’argument

Dans cette courte pièce en un acte, Labiche se moque de l’institution du mariage. Un père, Manicamp, déborde d’affection pour un ami, Folleville, qui l’a sauvé d’une situation où il risquait le déshonneur. Manicamp veut sans cesse embrasser son ami et souhaite, pour le remercier, le marier à sa fille, Berthe. Le futur gendre, bien que n’éprouvant aucun sentiment pour Berthe, n’ose contrecarrer ces projets. De son côté, la jeune fille ne l’aime pas non plus et a d’autres projets.

Les malentendus s’enchaînent, les portes claquent, de multiples vases de porcelaine sont brisés, les injures sont échangées très poliment dans ce vaudeville très alerte.

La presse lors de la création de la pièce

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400912z
Le misanthrope et l’auvergnat, comédie de Lubize, Siraudin et Labiche : portrait de Sainville / par Lhéritier]. source : Bnf/ Gallica

Anecdote rapporté dans le Journal La Sylphide du 20 mars 1850. Source : BnF/ Gallica

« Tout le monde s’embrasse sur la scène, et pour compléter le tableau, Sainville-Manicamp s’avance vers la rampe, et de sa voix la plus douce, il annonce au public, dans un couplet final, qu’il éprouve le besoin d’embrasser chaque spectateur.  En effet, après la pièce, Sainville, placé au comptoir des contrôleurs, embrassa, chaque personne qui descendait… Ce détail nous a été garanti par le préposé au bureau des cannes. »

Une expression qui est restée

L’expression « Embrassons-nous Folleville » est entrée dans le langage courant dès la deuxième partie du XIXème siècle, expression ironique désignant des démonstrations d’amitié ou de joie factices, destinées à occulter des différends.

Un extrait

Manicampdans la coulisse.
Où est-il ? où est-il ? (Paraissant.) Ah ! vous voilà ! mon cher Folleville !… mon bon Folleville !

Follevilleà part.
Voilà que ça commence.

Manicamp.
Embrassons-nous, Folleville !

Folleville.
Avec plaisir, Manicamp.

Ils s’embrassent.

Manicamp.
Ne m’appelez pas Manicamp… ça me désoblige… appelez-moi beau-père…

Folleville.
C’est que je suis venu pour causer avec vous… sérieusement.

Manicamp.
Parlez… je vous écoute… mon gendre…

Follevilleà part, mécontent.
Son gendre ! (Haut.) Croyez, marquis, que c’est après avoir mûrement réfléchi…

Manicampavec attendrissement.
Ce bon Folleville !… ce cher Folleville ! Embrassons-nous, Folleville !

Follevilles’y prêtant froidement.
Avec plaisir, Manicamp. (Ils s’embrassent. Reprenant.) Croyez, marquis, que c’est après avoir mûrement réfléchi…

Le théâtre d’Eugène Labiche

Labiche a écrit 176 pièces. Libre Théâtre a mis en ligne les oeuvres majeures, celles figurant dans le Théâtre complet d’Eugène Labiche édité par Calman-Lévy à partir de 1878 en 10 volumes, ainsi que quelques pièces courtes moins connues.

Pour chacune des  83 pièces traitées, le texte intégral est téléchargeable, avec un résumé, un extrait et des illustrations (affiches, décors, mises en scène…).
La liste des 83 pièces figure ci-dessous.
Vous pouvez explorer son oeuvre à travers :
la biographie d’Eugène Labiche,
le mariage chez Labiche,
Labiche et le rire : les procédés comiques dans le théâtre de Labiche

Labiche apparaît plus subversif qu’on pourrait le penser, tant dans la forme que dans le fond. En 1964, dans une célèbre étude consacrée à Eugène Labiche, Philippe Soupault a montré la cruauté des observations et des peintures sociales. Patrice Chéreau, Jacques Lassalle ou Jean-Pierre Vincent ont renouvelé la mise en scène de ces pièces, en proposant, au-delà du divertissement une vision satirique et cruelle de la société.


Les pièces les plus connues d’Eugène Labiche

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53066341c
Caricature d’Eugène Labiche pour le Panthéon Nadar. Source : BnF/Gallica

Célimare le bien-aimé
Doit-on le dire ?
Embrassons-nous, Folleville !
Frisette
L’Affaire de la rue Lourcine
La Cagnotte
La Cigale chez les Fourmis
La Dame aux jambes d’azur
La Dame au petit chien
La Fille bien gardée
La Grammaire
La Poudre aux yeux
La Station Champbaudet
Le Baron de Fourchevif
Le Club champenois
Le Major Cravachon
Le Mystère de la rue Rousselet
Le Plus Heureux des trois
Le Voyage de Monsieur Perrichon
Les Circonstances atténuantes
Les Deux Timides
Les Petits Moyens
Les Suites d’un premier lit
Les Trente millions de Gladiator
Les Trente-sept sous de M. Montaudoin
Les Vivacités du Capitaine Tic
Mam’zelle fait ses dents
Moi
Mon Isménie
Un chapeau de paille d’Italie
Un garçon de chez Véry
Vingt neuf degrés à l’ombre

Les pièces plus rarement représentées

Brûlons Voltaire !
Deux merles blancs

Deux papas très bien
Edgard et sa bonne
Garanti dix ans
J’ai compromis ma femme
J’invite le colonel
Je croque ma tante
L’Amour de l’art
L’Amour en sabots
L’Avocat d’un grec
L’Avocat pédicure
L’Homme de paille
La Chasse aux corbeaux
La Chasse aux jobards
La Cigale chez les Fourmis
La Dame au petit chien
La Femme qui perd ses jarretières
La Lettre Chargée
La Main leste
La Perle de la Canebière
La Sensitive
Le Baron de Fourchevif
Le Cachemire XBT
Le Club champenois
Le Chevalier des dames
Le Choix d’un gendre
Le Clou aux Maris
Le Dossier de Rosafol
Le Major Cravachon
Le Misanthrope et l’Auvergnat
Le Papa du prix d’honneur
Le Petit Voyage
Le Plus Heureux des trois
Le Prix Martin
Le Point de mire
Le Roi des Frontins
Les Chemins de fer
Les Précieux
Les Marquises de la fourchette
Les Petites Mains
Les Trente-sept sous de M. Montaudoin
Madame est trop belle
Mademoiselle ma femme
Maman Sabouleux
Permettez, Madame
Premier prix de piano
Si jamais je te pince.. !
Un ami acharné
Un bal en robe de chambre
Un jeune homme pressé
Un homme sanguin
Un mari qui lance sa femme
Un monsieur qui a brûlé une dame
Un monsieur qui prend la mouche
Un mouton à l’entresol
Un pied dans le crime
Voyage autour de ma marmite

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6400860p
Labiche, Luguet, Ravel et Lhéritier : portrait par Lhéritier 1867. Source : Bnf/Gallica
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