Hugo Victor

Chroniques consacrées à Victor Hugo : biographie, œuvres théâtrales, thèmes abordés…

Le Dernier Jour d’un Condamné de Victor Hugo

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84511626/f1
Estampe de Célestin Nanteuil, 1833. Source : BnF/Gallica

Ce texte a été publié en février 1829 sans nom d’auteur. Il a été ensuite réédité en 1832 sous le nom de Victor Hugo. C’est un récit et non pas une pièce de théâtre, mais de nombreux spectacles mettent en scène ce texte, souvent sous forme de monologue. Egalement en téléchargement  la préface publiée en 1832 dans laquelle Victor Hugo explique sa démarche, ainsi que la préface de la troisième édition de 1829 constituée d’une saynète parodique (Une comédie à propos d’une tragédie).

Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.


Extraits de la préface de 1832

L’objet du texte

L’auteur aujourd’hui peut démasquer l’idée politique, l’idée sociale, qu’il avait voulu populariser sous cette innocente et candide forme littéraire. Il déclare donc, ou plutôt il avoue hautement que Le Dernier Jour d’un Condamné n’est autre chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour l’abolition de la peine de mort. Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son oeuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; (…) c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau.

Les motivations

L’auteur a pris l’idée du Dernier Jour d’un Condamné, (…) tout bonnement sur la place publique, sur la place de Grève. C’est là qu’un jour en passant il a ramassé cette idée fatale, gisante dans une mare de sang sous les rouges moignons de la guillotine.

Depuis, chaque fois qu’au gré des funèbres jeudis de la cour de cassation, il arrivait un de ces jours où le cri d’un arrêt de mort se fait dans Paris, chaque fois que l’auteur entendait passer sous ses fenêtres ces hurlements enroués qui ameutent des spectateurs pour la Grève, chaque fois, la douloureuse idée lui revenait, s’emparait de lui, lui emplissait la tête de gendarmes, de bourreaux et de foule, lui expliquait heure par heure les dernières souffrances du misérable agonisant, – en ce moment on le confesse, en ce moment on lui coupe les cheveux, en ce moment on lui lie les mains, – le sommait, lui pauvre poète, de dire tout cela à la société, qui fait ses affaires pendant que cette chose monstrueuse s’accomplit, le pressait, le poussait, le secouait, lui arrachait ses vers de l’esprit, s’il était en train d’en faire, et les tuait à peine ébauchés, barrait tous ses travaux, se mettait en travers de tout, l’investissait, l’obsédait, l’assiégeait. C’était un supplice, un supplice qui commençait avec le jour, et qui durait, comme celui du misérable qu’on torturait au même moment, jusqu’à quatre heures. Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit crié par la voix sinistre de l’horloge, l’auteur respirait et retrouvait quelque liberté d’esprit. Un jour enfin, c’était, à ce qu’il croit, le lendemain de l’exécution d’Ulbach, il se mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de ces crimes publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été commis, sa conscience lui a dit qu’il n’en était plus solidaire ; et il n’a plus senti à son front cette goutte de sang qui rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la communauté sociale.

Le réquisitoire contre la peine de mort

Un acte  épouvantable  ( récit d’une exécution à Pamiers)

Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui commence, entaille l’homme sans le tuer. L’homme pousse un cri affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et secoua sa tête vivante en criant grâce ! Le peuple indigné prit des pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. Le bourreau s’enfuit sous la guillotine et s’y tapit derrière les chevaux des gendarmes. Mais vous n’êtes pas au bout. Le supplicié, se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu’on vînt le détacher. La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. C’est en ce moment-là qu’un valet du bourreau, jeune homme de vingt ans monte sur l’échafaud, dit au patient de se tourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait de cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s’est fait. Cela s’est vu. Oui.

Retrancher un membre de la communauté sociale

S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ? Pas de bourreau où le geôlier suffit.

La vengeance de la société

La société (…) ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous adhérons.

Faire un exemple

Il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! (…)  Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. (…) Si, malgré l’expérience, vous tenez à votre théorie routinière de l’exemple, alors rendez-nous le seizième siècle, soyez vraiment formidables, rendez-nous la variété des supplices, rendez-nous Farinacci, rendez-nous les tourmenteurs-jurés, rendez-nous le gibet, la roue, le bûcher, l’estrapade, l’essorillement, l’écartèlement, la fosse à enfouir vif, la cuve à bouillir vif… (…)

Pour aller plus loin

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Le condamné dans sa cellule. Désespoir. Source : BnF/Gallica

Dossier de l’Académie de Rouen  : Victor Hugo contre la peine de mort (liste des textes et lien vers le texte intégral, les arguments de Victor Hugo contre la peine de mort) Lien vers le site

Dossier pédagogique de la Compagnie l’Embellie Turquoise – Lien vers le spectacle Dernier Jour d’une Condamnée par la Compagnie l’Embelli Turquoise sur Libre Théâtre

Yvette Parent « L’emploi de l’argot dans Le Dernier Jour d’un condamné« . Communication au Groupe Hugo le 8 février 2003 Texte à télécharger sur le site du Groupe Hugo

Conférence d’Agnès Spiquel, professeur émérite de littérature française à l’Université de Valenciennes sur France Culture

Manuscrit autographe ayant servi pour l’impression de 1832 contenant la préface, le texte, des notes et pièces diverses. Source : BnF/Gallica

Victor Hugo metteur en scène de ses pièces

Hugo réalise ses premières mises en scène lorsqu’il est enfant sur le petit théâtre de marionnettes (voir l’épisode raconté dans la biographie).

La création d’Hernani

Victor Hugo assure lui-même la mise en scène de la pièce Hernani.  Les costumes somptueux sont créés par Louis Boulanger dans le style historique de la pièce. Mlle Mars interprète doña Sol, Firmin Hernani, Michelot don Carlos, Joanny don Ruy Gomez.

La pièce est créée à la Comédie-Française le 25 février 1830 et déchaîne les passions.

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Hernani, drame de Victor Hugo : costume de Mademoiselle Mars (Doña Sol) / gravé par Maleuvre. 1830. Source : BnF/Gallica
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Hernani, drame de Victor Hugo : costume de Louise Allan-Despreaux (Iaquez) / gravé par Maleuvre. 1830. Source : BnF/Gallica
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Hernani, drame de Victor Hugo : défets de presse 1830. Source : Bnf/Gallica

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le Roi s’amuse et Lucrèce Borgia

En 1832, Victor Hugo engage deux projets monumentaux  : la « tragédie grotesque » en vers, Le Roi s’amuse, est représentée au Théâtre-Français le 22 novembre 1832, et le drame en prose, Lucrèce Borgia, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 2 février 1833.

Durant l’été 1832, Hugo surveille de loin le montage de sa tragédie Le Roi s’amuse. La pièce est interdite dès le lendemain de la première représentation. Victor Hugo s’implique en revanche beaucoup dans la création de Lucrèce Borgia, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.  Il participe aux premières répétitions, mais s’éloigne un peu avant la création.  Le 2 février 1833, il découvre le décor du second acte lors de l’entracte : la porte dérobée est trop visible. On ne trouve pas le décorateur. Hugo demande alors s’il y a de la peinture dans le théâtre. « On apporta ce qu’il fallait, et l’auteur se mit à repeindre lui-même sa décoration. La tenture de la salle était rouge à filets d’or ; il recouvrit de rouge les sculptures de la porte sur laquelle il continua les raies d’or, de sorte qu’elle se confondit avec le reste de la tenture. » (Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie). Lucrèce Borgia  remporte un succès éclatant, servie par de grands interprètes.

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Costume de Mlle Georges dans le rôle de Lucrèce Borgia. Source: Bnf/Gallica
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Costume de Chilly dans le rôle de Jeppo Liveretto. Porte Saint-Martin. Source : BNF/Gallica
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Costume de Mlle Juliette dans le rôle de la Princesse Negroni. Source : BnF/Gallica
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Costume de Provost dans le rôle de Gubetta. Source : BNF/Gallica
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Costume de Frédéric Lemaître dans le rôle de Gennaro. Source : BnF/Gallica
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Costume de Lokroi dans le rôle de Don Alphonse d’Este. Source : BnF/ Gallica

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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Dessin de Victor Hugo, en marge du manuscrit de Marie Tudor. Source : BnF/ Gallica

Marie Tudor

C’est de nouveau au Théâtre de la Porte Saint-Martin que Victor Hugo présente Marie Tudor.  Les relations avec le directeur du théâtre sont houleuses. Victor Hugo exige de beaux décors : « il est entendu que la mise en scène sera faite, décor et costumes avec tout l’éclat possible ».  Le directeur souhaite modifier la distribution. Victor Hugo ne démord pas des choix qu’il a fait. La pièce est créée le 6 novembre 1833. C’est un demi-succès.


Angelo, tyran de Padoue

Victor Hugo revient au théâtre en 1835. Angelo, tyran de Padoue est représenté au Théâtre-Français le 28 avril, avec en vedette Mademoiselle Mars dans le rôle de la Tisbé. C’est un nouveau succès mais les relations se tendent avec le directeur du théâtre : on déprogramme ses pièces ou on lui refuse des reprises assurées par contrat.

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Mlle Mars dans le rôle de la Tisbe, lors de la création. Source : BnF/Gallica
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M. Beauvallet dans le rôle d’Angelo, lors de la création. Source :  Bnf/Gallica
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Mme Dorval dans le rôle de Catarina lors de la création. Source : BnF/Gallica
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« Ah!, c’est une clef ! » Estampe extraite des documents d’accompagnement de la création au Théâtre-Français. Source BnF/Gallica

Ruy Blas : création au théâtre de la Renaissance le 8 novembre 1838

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Manuscrit autographe de Ruy Blas. Dessin du décor. Acte IV Scène 1. Source : BnF/ Gallica

Fatigués des relations orageuses avec les directeurs de théâtre, Victor Hugo et Alexandre Dumas souhaitent disposer d’une troupe dédiée à leurs drames romantiques et d’une salle : le théâtre de la Renaissance est créé. Victor Hugo écrit sa pièce Ruy Blas en quelques semaines du 5 juillet au 11 août 1838. Son manuscrit autographe contient le dessin du décor de l’acte IV.  Il choisit Frédérick Lemaître pour le rôle de Ruy Blas et assure la mise en scène de sa pièce dans les moindres détails.

Il confie les costumes à son décorateur préféré, Louis Boulanger, place lui-même les acteurs (témoignage d’Adèle, lettre de Juliette). Il refuse la suppression de la rampe et ne veut pas que, pour satisfaire un public riche, on stalle le parterre : «Il entendait qu’on laissât au public populaire ses places, c’est-à-dire le parterre et les galeries, que c’était pour lui le vrai public, vivant, impressionnable, sans préjugés littéraires, tel qu’il le fallait à l’art libre ; que ce n’était peut-être pas le public de l’Opéra, mais que c’était le public du drame ; que ce public-là n’avait pas l’habitude d’être parqué et isolé dans sa stalle, qu’il n’était jamais plus intelligent et plus content que lorsqu’il était entassé, mêlé, confondu, et que quant à lui, si on lui retirait son parterre, il retirerait sa pièce. Les banquettes ne furent pas stallées.» (Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie).

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Costume de Frédéric Lemaitre dans le rôle de Ruy Blas. Théâtre de la Renaissance, 08-11-1838. Source : BnF/Gallica
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Costume d’Alexandre dans le rôle de Don Salluste . Théâtre de la Renaissance, 08-11-1838. Source : BnF/Gallica

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les Burgraves

Trois ans plus tard, Hugo se remet à l’écriture d’une pièce épique, les Burgraves. Le manuscrit contient deux dessins de décor.
Cette pièce, représentée pour la première fois au Théâtre-Français le 7 mars 1843, explore les limites du théâtre. La pièce est représentée 33 fois, mais elle est une nouvelle fois étrillée par la critique. Découragé, Hugo renonce provisoirement au théâtre.

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Décor de la troisième partie dessinée par Hugo. Source : BnF/Gallica
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Décor de la première partie dessiné par Hugo. Source : BnF/gallica

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le succès de retour d’exil

De retour en France, les pièces de Victor Hugo sont de nouveau représentées.
Ruy Blas est repris au théâtre de l’Odéon le 24 février 1872 avec Sarah Bernhardt (récit de la rencontre en Hugo et Sarah Bernhardt à l’issue de la représentation sur Libre Théâtre). La pièce fait son entrée au Répertoire de la Comédie-Française le 4 avril 1879 avec Mounet-Sully dans le rôle de Ruy Blas, Coquelin dans celui de don César et Sarah Bernhardt dans le rôle de la Reine.
Marion de Lorme est remontée au Théâtre-Français le 10 février 1873. Le rôle de Marion de Lorme est repris plus tard au Théâtre de la Porte-Saint-Martin par Sarah Bernhardt.

 

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre

L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Théâtre en Liberté de Victor Hugo

Recueil de pièces, publié à titre posthume en 1886 et composé durant l’exil à Jersey et Guernesey.

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Représentation de la Grand’Mère au Théâtre de l’Odéon. 26-02-1902. Source : BnF/Gallica

La Grand-mère

Le duc Charles est proscrit. Il s’est mésallié en épousant Emma Gemma qu’il aime.  Il a fui la cour et habite retiré dans une forêt avec sa femme et ses trois enfants. Sa mère, la margrave, Duchesse de Hanovre, apprend sa cachette et se rend sur les lieux avec le bailli Herr Groot , déterminée à l’emprisonner et à enfermer au couvent sa femme. Mais elle aperçoit d’abord les trois enfants ; sa colère s’apaise, sa tendresse de grand-mère s’éveille…
Lien vers la Chronique et le texte sur Libre Théâtre

 

Sur la lisière d’un bois

Léo et Léa conversent amoureusement à la lisière d’un bois. Léo exprime son amour, par une verve poétique débridée, insistant sur l’aspect platonique de leur relation. Léa répond laconiquement « Je t’aime ». Un satyre ponctue d’apartés cyniques leur discours amoureux. Lorsque Léo entraîne Léa dans le bois, il conclut :  « Fin de l’idylle : un mioche. »
Lien vers la Chronique et le texte sur Libre Théâtre

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L’épée, Théâtre de l’Odéon 26-02-1902. Source : BnF/Gallica

L’Épée

La pièce met en scène trois personnages principaux, qui évoluent entourés d’une foule composée d’hommes de la montagne, d’hommes de la plaine et de jeunes filles, qui chantent : Slagistri, un proscrit qui vit dans une caverne parce qu’il s’oppose au despote, Prêtre-Pierre, père de Slagistri, homme de religion et de sagesse et Albos, fils de Slagistri mais élevé par Prêtre-Pierre,  un grand chasseur respecté des montagnards.

« Pour trop aimer le peuple on est impopulaire.
Avoir toujours quelqu’un qui dit : Ouvrez les yeux !
Levez-vous ! quand on veut dormir, c’est ennuyeux. »

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Mangeront-ils?

Sur l’île de Man, le roi et sa suite poursuivent Lord Slada qui s’est enfui avec Lady Janet dont le roi s’est épris. Les amoureux se sont cachés dans une église au milieu d’un cloître, au fond d’une forêt. Là, vivent également deux proscrits, la sorcière Zineb et le voleur Aïrolo. Depuis trois jours, les amoureux se cachent. Ils ne peuvent boire ni manger car dans ce cloître, la végétation est vénéneuse et les rivières sont empoisonnées… Aïrolo décide de les aider.
Une pièce onirique sur l’amour et la mort, mais qui porte aussi  avec force un discours politique contre la tyrannie.
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Les Gueux

Leçon sur la religion et l’amour donné par un mendiant philosophe, en haillons, prénommé Mouffetard au Marquis Gédéon.
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La Forêt mouillée

Dénarius, désespéré par les femmes se réfugie dans la forêt juste après la pluie ; il s’abandonne à l’apparence d’une beauté idyllique, pleine de paix et d’harmonie. Mais bien vite la Nature reprend le dessus : la branche d’arbre, la rose, le moineau, le ruisseau, le caillou….s’amusent et tournent en dérision les résolutions du jeune homme. C’est alors qu’apparaissent deux silhouettes féminines… Une féérie shakespearienne.
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Les deux trouvailles de Gallus : Margarita

Dans un vieux burg en ruine, au fond de la forêt, le roi Gallus, incognito, guidé par son chambellan, factotum et confident, le vieux baron Gunich,  découvre une très belle jeune fille  Nella qui y vit avec son vieux père dans un dénuement complet.
Droite, pure et fière, Nella s’occupe de son père, le vieux baron d’Holburg qui fut exilé jadis ; elle aime et est aimée de George, jeune homme idéal mais hélas roturier. George n’est autre que le neveu de Gallus, que ce dernier écarta, enfant, du trône et envoya vivre dans la forêt, ignorant tout de ses origines. Gallus et Gunich, embusqués assistent aux serments d’amour des deux jeunes gens. Le duc surgit dès le départ de George et tente de séduire la jeune fille qui reste totalement insensible aux compliments et aux promesses du vieux libertin. Celui-ci signale alors au vieux Holburg les amours naissantes de sa fille et demande celle-ci en mariage… pour son neveu, à qui il offre le trône qui lui revient de naissance.
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Les deux trouvailles de Gallus : Esca

Lison est orpheline et vit dans une pauvre chaumière à l’orée de la forêt. Elle va épouser Harou, un paysan aisé. Le jour du mariage, il arrive, puant le fumier… Lison se prend à rêver d’un autre destin… C’est alors que Gallus et son confident Gunich apparaissent. Gallus fait surgir pour elle des bijoux, des parures, du rêve… Elle se laisse emmener. Gallus fait d’elle la belle marquise Zabeth, grande courtisane, qui règne sur Paris. Il la couvre de présents, de musique, de poèmes, mais ne lui avoue jamais – ni à Gunich qui a pourtant tout compris -, à quel point il s’est profondément épris d’elle.  Zabeth est consciente du regard des autres et souffre du manque d’amour. Elle accuse Gallus de sa perte et s’empoisonne. Elle est déjà inconsciente lorsqu’il lui murmure vainement qu’il l’adore.
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Certaines éditions ajoutent les pièces suivantes :

Mille francs de récompense

Un hiver glacial et enneigé des années 1820, à Paris. Pourchassé par la police, en cavale, Glapieu se réfugie dans un appartement sinistre où vivent Zucchimo, un vieil homme ruiné et malade, sa fille et sa petite-fille.  Arrive Rousseline, agent d’affaires d’un riche banquier, le baron de Puencarral. Au nom de son patron, et pour une dette inférieure à quatre mille francs, Rousseline, accompagné d’huissiers, va faire procéder à la saisie des meubles. Mais il a un projet en tête et propose un marché aux deux femmes : il renoncera à la saisie, en échange de la main de Cyprienne….
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L’Intervention

La scène se déroule dans une chambre mansardée au mobilier très pauvre. Edmond Gombert fabrique des éventails et sa femme Marcinelle est couturière. Ils ne cessent de se disputer et sont tous deux très jaloux. Au fil de la pièce, Edmond puis Marcinelle sont séduits et tentés par le pouvoir attractif de l’argent facile via la Belle Eurydice et le très riche Baron de Gerpivrac. Unis par le drame de la perte de leur enfant, Edmond et Marcinelle finiront par faire triompher l’amour et la vertu.
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Torquemada

En Espagne, au XVe siècle, sous le règne de Ferdinand d’Aragon. Torquemada, un moine qui croit avoir trouvé le moyen de sauver l’humanité pécheresse par le feu, est condamné par le roi, pour son hérésie, à être enterré vivant. Il est sauvé par doña Rose et don Sanche, qui ouvre sa tombe grâce à une croix dont il se sert comme d’un levier. Soutenu ensuite par le pape Alexandre Borgia, Torquemada devient grand inquisiteur et met l’Espagne à feu et à sang. Il conduit le roi à organiser de grands bûchers pour brûler les hérétiques  et à expulser les Juifs d’Espagne.
Désireux de rendre leur bienfait à ses anciens sauveurs, Torquemada délivre Don Sanche et doña Rose, que le roi, pour empêcher leur mariage, avait condamnés au couvent. Mais apprenant par hasard le péché qu’ils ont commis en le délivrant – la croix arrachée – il décide de sauver leur âme… en les brûlant.
Une pièce sur le fanatisme religieux.
Lien vers la Chronique et le texte sur Libre Théâtre

 

Pour en savoir plus, sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

L’humour, comme la poésie, est indissociable de l’œuvre théâtrale de Victor Hugo. Petite exploration rapide et subjective…

 

La théorie (et la pratique) dans Cromwell

Dans la célèbre préface de Cromwell, Victor Hugo développe les caractéristiques du drame romantique, qui mêle le grotesque au sublime pour peindre le réel.

« le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie complète, est dans l’harmonie des contraires. »

Hugo n’hésite pas dans une scène tragique à multiplier les procédés comiques (trivialités, allitérations, énumérations…) provoquant un effet de dérision, un rire ému et empathique. Le grotesque mine le sublime de l’intérieur pour lui donner plus de résonance. Le rire pour Hugo a une visée éthique mais aussi politique et démocratique.

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Manuscrit. Commencé le 3 juin 1832, fini le 23 juin 1832 ; Dessin à la plume : Le dernier bouffon songeant au dernier roi. Source : BnF/Gallica

Au-delà des effets et des situations, le comique dans le drame hugolien est aussi porté par certains personnages : Rochester, le conjuré amoureux qui doit se déguiser en prêtre dans Cromwell, le roi Don Carlos dans Hernani qui se cache dans une armoire, le risible mais terrible roi François Ier dans le Roi s’amuse, le séducteur César/Zafari dans Ruy Blas, le comédien Flibbertigibbet dans Amy Robsart, le marquis de Saverny dans Marion de Lorme, encore un Roi dans Mangeront-ils

L’humanité des personnages passe souvent par leur sens de l’humour, la plus belle figure étant le voleur Glapieu qui incarne la justice dans Mille francs de récompense.

Dans le Théâtre en Liberté, deux courtes pièces humoristiques sur le thème de l’amour sont aussi à découvrir :

Dans la Forêt mouillée, Dénarius, désespéré par les femmes, se réfugie dans un bois juste après la pluie. Tous les habitants de la forêt (la branche d’arbre, la rose, le moineau, le ruisseau, le caillou…) s’amusent et tournent en dérision les résolutions du jeune homme.

Léo et Léa conversent amoureusement sur la lisière d’un bois . Léo exprime son amour avec une verve poétique débridée, insistant sur l’aspect platonique de leur relation. Léa répond laconiquement « Je t’aime ». Un satyre ponctue d’apartés cyniques leur discours amoureux. Lorsque Léo entraîne Léa dans le bois, le satyre conclut :  « Fin de l’idylle : un mioche. »

 

Antoine Vitez : « c’est cette intention de faire rire qui est perpétuellement à réhabiliter lorsqu’on travaille sur l’œuvre de Victor Hugo »

http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00334/hernani-de-victor-hugo.html
Mise en scène d’Hernani par Antoine Vitez en 1985. Interview de Vitez. Source : INA

« C’est un rire qui est machiné par lui perpétuellement, et c’est lui qui cherche en effet à nous faire rire, et à nous faire rire précisément dans les moments les moins risibles qui soient, c’est sa perversité à lui, c’est son génie, c’est tout simplement ce qu’il dit dans la préface de Cromwell. Il nous fait rire du grand rire métaphysique de la clownerie, sur la condition humaine elle-même, sur la mort, sur la souffrance ; donc il y a une intention de faire rire, et c’est cette intention de faire rire qui est perpétuellement à réhabiliter lorsqu’on travaille sur l’œuvre de Victor Hugo ; je parle pour le théâtre spécialement, parce qu’il me semble que le mode d’absorption de la littérature n’est pas le même ; le théâtre étant de consommation immédiate, sans retour, le rire explose, éclate, et cette question du rire à mon avis, c’est une question centrale pour ce qui est de l’œuvre de Victor Hugo représentée au théâtre. » Vitez Antoine. Victor Hugo et son théâtre, Antoine Vitez à la Sorbonne. In: Romantisme, 1990, n°69. Procès d’écritures Hugo-Vitez. pp. 116-122. (en ligne sur le site Persée)

« Il opère aussi le mélange détonant du lyrisme et du mauvais goût, ou, comme il dit, du sublime et du grotesque. Les moments déchirants de tendresse sont traversés par des jeux de mots, des contrepèteries, des platitudes écrasantes. Ce n’est pas du ridicule : du risible, oui, parce que Hugo écrit aussi pour nous faire rire. Des collages de réalité surviennent dans l’invraisemblable, la quotidienneté est introduite dans la fable mythologique. Tout cela est d’une modernité bouleversante, d’une grande intelligence surtout. » Antoine Vitez, « Hernani au Théâtre National de Chaillot », propos recueillis par Raymonde Temkine, Acteurs, no 24, 1985, p. 24.

 

Illustration du rire dans le théâtre d’Hugo : une scène d’Hernani

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53049862z/
Charles le Bargy dans « Hernani » dessin de Yves Marevéry. 1906. Source : BnF/Gallica

Le Roi Don Carlos s’introduit de nuit chez doña Sol (Acte I, scène 1) : jeux de mots et comique de situation….

Don Carlos.
Suis-je chez doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.

…….
Don Carlos.
Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ?
Doña Josepha.
Oui.
Don Carlos.
…………Sans doute elle attend son jeune ?
Doña Josepha.
…………………………………………………………Oui.
Don Carlos.
…………………………………………………………
Que je meure !

Doña Josepha.
Oui.
Don Carlos.
……….Duègne, c’est ici qu’aura lieu l’entretien ?
Doña Josepha.
Oui.
Don Carlos.
……….Cache-moi céans.
Doña Josepha.
………………..Vous !
Don Carlos.
…………………………Moi.
Doña Josepha.
………………………………….Pourquoi ?
Don Carlos.
……………………………………………………Pour rien.
Doña Josepha.
Moi, vous cacher !
Don Carlos.
…………………………Ici.
Doña Josepha.
………………………………….Jamais.
Don Carlos, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse.
…………………………………………..— Daignez, madame,
Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.
Doña Josephaprenant la bourse.
Vous êtes donc le diable ?
Don Carlos.
………………………………….Oui, duègne.
Doña Josepha, ouvrant une armoire étroite dans le mur.
……………………………………………………Entrez ici.
Don Carlos, examinant l’armoire.
Cette boîte ?
Doña Josepharefermant l’armoire.
………………..Va-t’en, si tu n’en veux pas.
Don Carlos, rouvrant l’armoire.
…………………………………………………………….Si !
L’examinant encore.
Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure
Le manche du balai qui te sert de monture ?
Il s’y blottit avec peine.
Ouf !

 

Pour aller plus loin :

Alain Vaillant, « Victor Hugo, esthète du rire », Communication présentée à la journée du 29 novembre 2008 de l’Université Paris 7. Lien vers le site du groupe Hugo (Université Paris VII)

Antoine Vitez. Victor Hugo et son théâtre, Antoine Vitez à la Sorbonne. In: Romantisme, 1990, n°69. Procès d’écritures Hugo-Vitez. pp. 116-122. (en ligne sur le site Persée)

Sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces

Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre

La jeunesse

Victor Hugo est né à Besançon le 26 février 1802. La première mention d’une expérience théâtrale se trouve relatée dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (Source Gallica)
Le jeune Hugo et son frère se promènent dans le Jardin du Luxembourg et assistent à la parade des marionnettes, Bobino et Jocrisse :

« Il n’y eut de nouveau dans leur printemps et dans leur été que Bobino. Ils s’éprirent de sa parade ; des volées furieuses qu’il administrait à son Jocrisse et des hurlements risibles de celui-ci. Tout cela n’était que pour attirer un public aux marionnettes de l’intérieur. La parade finie, les enfants «prrrenaient leurs billets» et pour quatre sous voyaient gesticuler, rire et pleurer des marionnettes si grandioses qu’elles avaient mérité à la baraque le titre majestueux de Théâtre des Automates. Ces belles représentations inspirèrent aux deux frères l’idée d’avoir un théâtre à eux ; ils en achetèrent un magnifique, en carton avec des filets d’or, et une troupe complète de petits comédiens en bois. Chacun dut faire sa pièce, et le futur auteur de Ruy Blas débuta dans l’art dramatique par un Palais enchanté dont les répétitions allèrent grand train, mais dont la représentation fut empêchée par un incident sérieux. »

À dix ans, il écrit deux premiers mélodrames (Le Château du Diable et L’Enfer sur la terre). Entre 14 et 16 ans, le jeune Hugo s’essaie aux tragédies (Irtamène et Athélie ou les Scandinaves) et écrit un vaudeville A. Q. C. H. P. (= À quelque chose hasard est bon). Entre 1816 et 1822, il écrit un drame romantique avant la lettre, Inez de Castro. Le théâtre du Panorama Dramatique accepte la pièce en décembre 1822, mais elle n’est pas représentée. Amy Robsart, un autre drame, est également écrit en 1822. Il sera représenté en février 1828 au Théâtre de l’Odéon.

Cromwell : le manifeste du drame romantique

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2200128r/f6.item
Illustration de Cromwell par J. A. Beaucé, dessinateur Pouget, Pisan, graveur. 1866. Source: BnF/Gallica

Les années suivantes sont consacrées à la poésie et au roman. Victor Hugo revient en 1826 à l’écriture théâtrale avec Cromwell. La préface de Cromwell, pièce publiée en 1827, est un véritable manifeste en faveur du drame romantique et pour la liberté du théâtre. Hugo distingue tout d’abord trois grandes époques dans l’histoire de l’humanité auxquelles correspondent des expressions littéraires spécifiques. Il développe ensuite les caractéristiques du drame : le refus de la règle des trois unités, le mélange des genres, le mélange des vers et de la prose, la couleur historique et géographique… Tout l’art de Victor Hugo est déjà présent dans cette pièce aux accents shakespeariens : il mêle le grotesque au sublime pour peindre le réel »… Ce sont principalement les circonstances politiques qui rendent injouables cette pièce à l’époque.

À la demande insistante de son beau-frère Paul Foucher, Hugo reprend le manuscrit inachevé d’un drame de sa vingtième année, Amy Robsart. Il décide de ne pas le faire représenter sous son nom, mais sous celui de son beau-frère. La pièce est sifflée lors de sa création le 13 février 1828 au Théâtre de l’Odéon. Hugo courageusement se nomme.

La censure

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438443h
Marion Delorme, estampe de Pouget, 1831. Source ; Bnf/Gallica

Hugo écrit Le Dernier Jour d’un condamné (un roman mais qui donnera lieu à de nombreuses adaptations théâtrales au XXème siècle). La pensée de la mort violente et de l’échafaud le hante. En 1829, Hugo écrit Marion de Lorme, l’histoire d’une courtisane.  Intitulée originellement « Un duel sous Richelieu », la pièce est interdite par la censure sous Charles X, parce qu’elle présente un roi faible. Charles X propose à Hugo une pension de quatre mille francs en dédommagement de son manque à gagner. Hugo, indigné, refuse cette somme considérable, ce qui fait aussitôt grand bruit dans les journaux. Il se met à écrire un autre drame  : Hernani.


La bataille d’Hernani

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Hernani. Les feux de la rampe. 1830. Source : BnF/Gallica

La première représentation d’Hernani, le 25 février 1830 à la Comédie-Française, attire un grand nombre d’opposants. La pièce, qui ne respecte pas les règles de la dramaturgie classique, menace en outre de s’attirer les foudres du pouvoir en place : la monarchie vient d’être restaurée avec l’avènement de Charles X, et Hugo ne cache pas sa fascination pour Napoléon (qu’on peut reconnaître à travers le personnage de Don Carlos). Les partisans de Victor Hugo, les jeunes artistes romantiques mais aussi Balzac, Nerval, Dumas, Berlioz et Gautier sont là et acclament la pièce, étouffant toute critique.
La « bataille d’Hernani » se mène ainsi sur deux fronts : esthétique et politique. Elle devient le symbole d’un conflit historique entre réactionnaires et modernes et fait du romantisme un mouvement contestataire. Cette querelle, où les quolibets et les sifflets des détracteurs se mêlent aux applaudissements à tout rompre des partisans, reste dans l’histoire des arts et des lettres comme le temps du triomphe de l’école romantique, porteuse de nouvelles formes et capable, grâce au génie poétique, de participer au progrès des idées.


Drames et tragédies grotesques

Le drame Marion Delome est représenté pour la première fois au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 11 août 1831, avec Marie Dorval dans le rôle titre. Le succès est réel mais discuté.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405923q/f3.item
Costume de Lucrèce Borgia. 1833. Source : BnF/Gallica

En 1832, Victor Hugo engage deux projets monumentaux  : la « tragédie grotesque » en vers, Le Roi s’amuse, est représentée au Théâtre-Français le 22 novembre 1832, et le drame en prose, Lucrèce Borgia, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 2 février 1833.
La pièce Le Roi s’amuse est interdite dès le lendemain de la première représentation. Dans la préface à l’édition originale de 1832, Victor Hugo dénonce la censure qu’il a subie de la part de la monarchie et de la noblesse. Il intente un procès au Théâtre-Français pour protester contre l’interdiction de sa pièce.
Lucrèce Borgia  remporte un succès éclatant, servie par de grands interprètes.

C’est de nouveau au Théâtre de la Porte Saint-Martin que Victor Hugo, le 6 novembre 1833, présente Marie Tudor. C’est un demi-succès. Les relations avec le directeur du théâtre sont houleuses.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64006385/f3.item
Mme Dorval dans le rôle de Catarina lors de la création d’Angelo. Source : BnF/Gallica

En 1834, Hugo est attaqué, notamment dans la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris. Il ne revient au théâtre qu’en 1835, avec Angelo, tyran de Padoue, représenté au Théâtre-Français le 28 avril, avec en vedette Mademoiselle Mars dans le rôle de la Tisbé. C’est un nouveau succès mais les relations se tendent avec le directeur du théâtre : on déprogramme ses pièces ou on lui refuse des reprises assurées par contrat. En 1837, il est contraint de faire au Théâtre un procès qu’il gagne.


Le Théâtre de la Renaissance

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64000316/f1.item
Costume de Frédéric Lemaitre dans le tôle de Ruy Blas. Théâtre de la Renaissance, 08-11-1838. Source : BnF/Gallica

Victor Hugo et Alexandre Dumas souhaitent disposer d’une troupe dédiée à leurs drames romantiques et d’une salle : le théâtre de la Renaissance est créé. Victor Hugo écrit sa pièce Ruy Blas en quelques semaine du 5 juillet au 11 août 1838. Il choisit Frédérick Lemaître pour le rôle de Ruy Blas et assure la mise en scène de sa pièce dans les moindre détails. La première a eu lieu le 8 novembre 1838 pour l’inauguration du Théâtre de la Renaissance. Très critiqué par la presse, Ruy Blas apporte tout de même à Hugo le succès dont il a besoin. Mais le Théâtre de la Renaissance abandonne peu à peu les drames romantiques et Hugo, découragé, n’achève pas le projet des Jumeaux.

Trois ans plus tard, Hugo se remet à l’écriture d’une pièce épique, les Burgraves, qui met en scène l’opposition de la révolte et de la légitimité, de l’ordre et de la liberté, résolue par la réconciliation et le pardon.
Extrait de la préface  :
« Oui, la civilisation tout entière est la patrie du poète. Cette patrie n’a d’autre frontière que la ligne sombre et fatale où commence la barbarie. Un jour, espérons-le, le globe entier sera civilisé, tous les points de la demeure humaine seront éclairés, et alors sera accompli le magnifique rêve de l’intelligence : avoir pour patrie le monde et pour nation l’humanité. »
Cette pièce, représentée pour la première fois au Théâtre-Français le 7 mars 1843, explore les limites du théâtre. C’est un échec. Découragé, Hugo renonce au théâtre.

Exil et nouvelles écritures

Le 9 septembre 1843, il apprend par les journaux la mort de sa file Léopoldine, noyée à Villequier. Nommé Pair de France en 1845, il semble trouver une consolation à ce malheur dans la politique. En 1851, après son violent réquisitoire contre le coup d’Etat de « Napoléon-le-petit », il est expulsé. L’exil durera jusqu’en 1870, à Jersey puis à Guernesey. Pendant cette période, la représentation des ses pièces est interdite en France.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8402876k/f1.item
Représentation de la Grand’Mère au Théâtre de l’Odéon. 26-02-1902. Source : BnF/Gallica

En exil, Hugo revient au théâtre avec l’écriture de la série du Théâtre en liberté :  La Grand-mèreL’ÉpéeMangeront-ils ?,  Sur la lisière d’un boisLes Gueux,  La Forêt mouillée, Les deux trouvailles de Gallus : Margarita et Esca, l’Intervention.

En 1866, Hugo écrit Mille francs de récompense. Il refuse que la pièce soit représentée au Théâtre de l’Odéon cette année-là : « Mon drame paraîtra le jour où la liberté reviendra ». Cette pièce ne sera pas représentée du vivant de l’auteur. Quatre ans après Les Misérables, il reprend le thème de la fatalité sociale, traité avec humour grâce au très beau personnage de Glapieu, un voleur qui incarne paradoxalement la justice.

En 1869, Hugo revient au drame en vers avec  Torquemadaqui met en scène la folie du grand inquisiteur.

Retour d’exil

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387298/f1.item
Sarah Bernhardt dans Ruy Blas. Théâtre de l’Odéon en 1872. Source : BnF/Gallica

De retour en France, Victor Hugo défend les idées républicaines et récolte la moisson semée pendant les années d’exil. Sa gloire ne cesse de grandir.
Ruy Blas est repris au théâtre de l’Odéon le 24 février 1872 avec Sarah Bernhardt. La pièce fait son entrée au Répertoire de la Comédie-Française le 4 avril 1879 avec Mounet-Sully dans le rôle de Ruy Blas, Coquelin dans celui de don César et Sarah Bernhardt dans le rôle de la Reine.
Marion de Lorme est remontée au Théâtre-Français le 10 février 1873. Le rôle de Marion de Lorme est repris plus tard au Théâtre de la Porte-Saint-Martin par Sarah Bernhardt, qui jouera aussi la pièce à la Comédie-Française, avec Mounet-Sully dans le rôle de Louis XIII, en 1905.
Sarah Bernhardt jouera aussi en 1905 le rôle de la Tisbé dans Angelo, au Théâtre Sarah Bernhardt.

Il meurt le 22 mai 1885 à Paris. Le gouvernement organise de grandes funérailles nationales le 1er juin, auxquelles participent près de deux millions de personnes. La procession part de l’Arc de Triomphe, où son cercueil a été exposé, jusqu’au Panthéon où il est enterré.


La renaissance du théâtre de Victor Hugo

Le théâtre de Victor Hugo est remis à l’honneur par Jean Vilar qui, en 1954, monte successivement Ruy Blas et Marie Tudor. D’autres metteurs en scène font ensuite revivre Lucrèce Borgia (Bernard Jenny et récemment Denis Podalydès), Les Burgraves et Hernani (Antoine Vitez), Marie Tudor (Daniel Mesguich), Angelo (Christophe Honoré).

Les pièces du Théâtre en liberté sont enfin représentées dans les années 1960 : L’Intervention (première mise en scène de Patrice Chéreau), Mangeront-ils ainsi que  Mille Francs de récompense (Hubert Gignoux) .

Mais nous attendons toujours un metteur en scène ambitieux pour monter Cromwell

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Inez de Castro de Victor Hugo

Mélodrame en trois actes, avec deux intermèdes. C’est une oeuvre de jeunesse, écrite entre 1816 et 1822. Le théâtre du Panorama Dramatique  accepte la pièce en décembre 1822, mais elle n’est pas représentée. La pièce est publiée en 1863, mais n’a encore jamais été portée à la scène.
Distribution : 15 hommes, 6 femmes
Texte intégral à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre.

L’argument

Inez, la fille d’honneur de la Reine d’Espagne a caché les deux enfants qu’elle a eus avec don Pedro, fils du Roi. Pour affaiblir l’armée portugaise, Albaracin, le chef des Maures, informe indirectement la Reine  du lieu où se trouvent les enfants. A l’occasion d’une partie de chasse, le Roi et la Reine se trouvent dans la chaumière : les enfants donnent leur véritable nom et courent rejoindre leur mère. Un tribunal est constitué pour juger Inez. On apprend qu’Inez et don Pedro se sont mariés secrètement. Suivant le plan d’Albaracin, Don Pedro quitte le combat pour aller témoigner en faveur d’Inez. Mais sans attendre le jugement, la Reine fait empoisonner Inez, qui meurt dans les bras de don Pedro et de ses enfants. La guerre entre les Portugais et les Maures fait rage. Le Roi est tué. Don Pedro prend sa succession. Il se fait couronner roi dans le caveau près du cercueil d’Inez. Le fantôme d’Inez apparaît.

Pour aller plus loin

Le manuscrit sur Gallica

Loïc Le Dauphin, « Inez de Castro, approche succincte », Communication au Groupe Hugo du 24 janvier 2009 . Lien vers le site

Anne Frenzel-Philippe, « Vie et mort légendaire d’Inès de Castro », Babel [En ligne], 27 | 2013, mis en ligne le 30 juin 2014, consulté le 27 septembre 2016. URL : http://babel.revues.org/3395 ; DOI : 10.4000/babel.3395 

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Torquemada de Victor Hugo

Drame en cinq actes et en vers, écrit en 1869, publié en 1882. Jamais représenté du vivant de l’auteur.
Retraitement par Libre Théâtre à partir de l’édition des œuvres complètes, édition Hetzel, tome V, disponible sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37464m.
Distribution : 12 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

En Espagne, au XVe siècle, sous le règne de Ferdinand d’Aragon. Torquemada, un moine qui croit avoir trouvé le moyen de sauver l’humanité pécheresse par le feu, est condamné par le roi, pour son hérésie, à être enterré vivant. Il est sauvé par doña Rose et don Sanche, qui ouvre sa tombe grâce à une croix dont il se sert comme d’un levier. Soutenu ensuite par le pape Alexandre Borgia, Torquemada devient grand inquisiteur et met l’Espagne à feu et à sang. Il conduit le roi à organiser de grands bûchers pour brûler les hérétiques  et à expulser les Juifs d’Espagne.

Désireux de rendre leur bienfait à ses anciens sauveurs, Torquemada délivre Don Sanche et doña Rose, que le roi, pour empêcher leur mariage, avait condamnés au couvent. Mais apprenant par hasard le péché qu’ils ont commis en le délivrant – la croix arrachée – il décide de sauver leur âme… en les brûlant.

Une pièce sur le fanatisme religieux.

Extraits

Première partie. Acte II, Scène 2 : rencontre entre Torquemada et François de Paule

François de Paulese levant, et posant un doigt sur la tête de mort.
Voici ma sphère à moi..
Ce reste du destin qui naufrage et qui sombre,
La méditation de cette énigme, l’ombre
Que fait l’éternité sur ce néant pensif,
Ce crâne hors du gouffre humain, comme un récif,
Ces dents qui gardent, comme en leur aube première,
Le rire, après que l’œil a perdu la lumière,
Ce masque affreux que tous nous avons sous nos fronts,
Cette larve qui sait ce que nous ignorons,
Ce débris renseigné sur la fin inconnue,
Oui, sous ce froid regard sentir mon âme nue,
Penser, songer, vieillir, vivre de moins en moins,
Avec ces deux trous noirs et fixes pour témoins,
Prier, et contempler ce rien, cette poussière,
Ce silence, attentifs dans l’ombre à ma prière,
Voilà tout ce que j’ai ; c’est assez.

(…)                L’homme est sur terre
Pour tout aimer. Il est le frère, il est l’ami.
Il doit savoir pourquoi, s’il tue une fourmi.
Dieu de l’esprit humain a fait une aile ouverte
Sur la création, et, sous la branche verte,
Dans l’herbe, dans la mer, dans l’onde et dans le vent,
L’homme ne doit proscrire aucun être vivant.
Au peuple un travail libre, à l’oiseau le bocage,
À tous la paix. Jamais de chaîne. Point de cage.
Si l’homme est un bourreau, Dieu n’est plus qu’un tyran.
L’évangile a la croix, le glaive est au koran.
Résolvons tout le mal, tout le deuil, toute l’ombre,
En bénédiction sur cette terre sombre.
Qui frappe peut errer. Ne frappons jamais. Fils,
Hélas, les échafauds sont d’effrayants défis.
Laissons la mort à Dieu. Se servir de la tombe!
Quelle audace! L’enfant, la femme, la colombe,
La fleur, le fruit, tout est sacré, tout est béni,
Et je sens remuer en moi cet infini
Quand, jour et nuit, rêveur, du haut de cette cime,
Je répands la prière immense dans l’abîme.
Quant au pape, il est pape, il faut le vénérer.
Fils, toujours pardonner et toujours espérer,
Ne rien frapper, ne point prononcer de sentence,
Si l’on voit une faute en faire pénitence,
Prier, croire, adorer — c’est la loi. C’est ma loi.
Qui l’observe est sauvé.

Dans la scène suivante, un chasseur se mêle à la conversation.

Le Chasseur
Par ma foi, tous mes joueurs de luth
Ne m’amuseraient pas, fils, plus que vous ne faites.
Je viens de vous entendre avec plaisir. Vous êtes
Deux idiots. J’étais en bas, et je chassais.
J’ai planté là les chiens, les pièges, les lacets,
Et j’ai dit : Allons donc là-haut voir ce bonhomme.
J’arrive. Ah ! vous m’avez diverti ! Mais, en somme,
Vivre, ce serait fort ennuyeux, si c’était
Ce que vous dites.
Il avance, croise les bras, et les regarde en face.
Dieu — s’il existe, il se tait,—
Certes, en faisant l’homme, a fait un sot chef-d’œuvre.
Mais la progression du ver à la couleuvre,
Du serpent au dragon, du dragon à Satan,
C’est beau.
Il fait un pas vers Torquemada.
Torquemada, je te connais. Va-t’en.
Retourne en ton pays. J’ai reçu ta demande.
Je te l’accorde. Va, fils. Ton idée est grande.
J’en ris. Rentre en Espagne et fais ce que tu veux.
Je donne tous les biens des juifs à mes neveux.
Fils, vous vous demandiez pourquoi l’homme est sur terre.
Moi, je vais en deux mots le dire. À quoi bon taire
La vérité ? Jouir, c’est vivre. Amis, je vois
Hors de ce monde rien, et dans ce monde moi.
Chacun voit un mot luire à travers tous les prismes.
À François de Paule.
Toi, c’est prier; moi, c’est jouir.
Torquemada, regardant alternativement François de Paule et le chasseur.
Deux égoïsmes.
Le Chasseur
Le hasard a pétri la cendre avec l’instant;
Cet amalgame est l’homme. Or, moi-même n’étant
Comme vous que matière, ah ! je serais stupide
D’être hésitant et lourd quand la joie est rapide,
De ne point mordre en hâte au plaisir dans la nuit,
Et de ne pas goûter de tout, puisque tout fuit !
Avant tout, être heureux. Je prends à mon service
Ce qu’on appelle crime et ce qu’on nomme vice.
L’inceste, préjugé. Le meurtre, expédient.
J’honore le scrupule en le congédiant.
Est-ce que vous croyez que, si ma fille est belle,
Je me gênerai, moi, pour être amoureux d’elle ?
Ah çà ! mais je serais un imbécile. Il faut
Que j’existe. Allez donc demander au gerfaut,
À l’aigle, à l’épervier, si cette chair qu’il broie
Est permise, et s’il sait de quel nid sort sa proie.
Parce que vous portez un habit noir ou blanc,
Vous vous croyez forcé d’être inepte et tremblant,
Et vous baissez les yeux devant cette offre immense
Du bonheur, que vous fait l’univers en démence.
Ayons donc de l’esprit. Profitons du temps. Rien
Étant le résultat de la mort, vivons bien !
La salle de bal croule et devient catacombe.
L’âme du sage arrive en dansant dans la tombe.
Servez-moi mon festin. S’il exige aujourd’hui
Un assaisonnement de poison pour autrui,
Soit. Qu’importe la mort des autres ! J’ai la vie.
Je suis une faim, vaste, ardente, inassouvie,
Et le monde est pour moi le fruit à dévorer.
Mort, je veux t’oublier. Dieu, je veux t’ignorer.
Vivant, je suis en hâte heureux; mort, je m’échappe!
François de Paule, à Torquemada.
Qu’est-ce que ce bandit ?
Torquemada
Mon père, c’est le pape.

Dans la deuxième partie, acte II, scène 3, le grand rabbin Moïse Ben-Habib vient plaider la cause des Juifs.

Moïse Ben-Habib, grand rabbin, à genoux.
Altesse de Castille, altesse d’Aragon,
Roi, reine ! ô notre maître, et vous, notre maîtresse,
Nous, vos tremblants sujets, nous sommes en détresse,
Et, pieds nus, corde au cou, nous prions Dieu d’abord,
Et vous ensuite, étant dans l’ombre de la mort,
Ayant plusieurs de nous qu’on va livrer aux flammes,
Et tout le reste étant chassé, vieillards et femmes,
Et, sous l’œil qui voit tout du fond du firmament,
Rois, nous vous apportons notre gémissement.
Altesses, vos décrets sur nous se précipitent,
Nous pleurons, et les os de nos pères palpitent ;
Le sépulcre pensif tremble à cause de vous.
Ayez pitié. Nos cœurs sont fidèles et doux ;
Nous vivons enfermés dans nos maisons étroites,
Humbles, seuls; nos lois sont très simples et très droites,
Tellement qu’un enfant les mettrait en écrit.
Jamais le juif ne chante et jamais il ne rit.
Nous payons le tribut, n’importe quelles sommes.
On nous remue à terre avec le pied ; nous sommes
Comme le vêtement d’un homme assassiné.
Gloire à Dieu ! Mais faut-il qu’avec le nouveau-né,
Avec l’enfant qui tète, avec l’enfant qu’on sèvre,
Nu, poussant devant lui son chien, son bœuf, sa chèvre,
Israël fuie et coure épars dans tous les sens !
Qu’on ne soit plus un peuple et qu’on soit des passants !
Rois, ne nous faites pas chasser à coups de piques,
Et Dieu vous ouvrira des portes magnifiques.
Ayez pitié de nous. Nous sommes accablés.
Nous ne verrons donc plus nos arbres et nos blés !
Les mères n’auront plus de lait dans leurs mamelles !
Les bêtes dans les bois sont avec leurs femelles,
Les nids dorment heureux sous les branches blottis,
On laisse en paix la biche allaiter ses petits,
Permettez-nous de vivre aussi, nous, dans nos caves,
Sous nos pauvres toits, presque au bagne et presque esclaves,
Mais auprès des cercueils de nos pères ; daignez
Nous souffrir sous vos pieds de nos larmes baignés!
Oh ! la dispersion sur les routes lointaines,
Quel deuil ! Permettez-nous de boire à nos fontaines
Et de vivre en nos champs, et vous prospérerez.
Hélas ! nous nous tordons les bras, désespérés !
Épargnez-nous l’exil, ô rois, et l’agonie
De la solitude âpre, éternelle, infinie !
Laissez-nous la patrie et laissez-nous le ciel !
Le pain sur qui l’on pleure en mangeant est du fiel.
Ne soyez pas le vent si nous sommes la cendre.
Montrant l’or sur la table.
Voici notre rançon. Hélas ! daignez la prendre.
Ô roi, protégez-nous. Voyez nos désespoirs.
Soyez sur nous, mais non comme des anges noirs ;
Soyez des anges bons et doux, car l’aile sombre
Et l’aile blanche, ô rois, ne font pas la même ombre.
Révoquez votre arrêt. Rois, nous vous supplions
Par vos aïeux sacrés, grands comme les lions,
Par les tombeaux des rois, par les tombeaux des reines,
Profonds et pénétrés de lumières sereines,
Et nous mettons nos coeurs, ô maîtres des humains,
Nos prières, nos deuils dans les petites mains
De votre infante Jeanne , innocente et pareille
À la fraise des bois où se pose l’abeille.
Roi, reine, ayez pitié!

Torquemada sur le site de l’INA

Adaptation du drame romantique Torquemada de Victor Hugo par Jean Kerchbron diffusée le 2 septembre 1976. Le dénouement. Lien sur le site de l’INA 

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Marion de Lorme de Victor Hugo

Drame en cinq actes et en vers, représenté pour la première fois sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin le 11 août 1831, repris au Théâtre-Français le 8 mars 1838, puis remonté au même théâtre le 10 février 1873. Retraité par Libre Théâtre à partir de l’édition des œuvres complètes de 1853 (Edition Hetzel), disponible sur Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5665481g).
Distribution : 21 hommes, 2 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

La courtisane Marion de Lorme a quitté Paris et vit retirée à Blois avec l’homme qu’elle aime, Didier qui ignore qui est elle réellement. Un ancien amant de Marion, le marquis Gaspard de Saverny la retrouve. Didier, après avoir sauvé la vie de Saverny pris dans une embuscade, le provoque en duel.
Mais le cardinal de Richelieu ayant fait signer au roi un décret interdisant les duels, les deux rivaux, qui se sont battus sur la place publique, encourent la peine capitale. Saverny se fait passer pour mort et Didier trouve refuge, avec Marion, auprès d’une compagnie d’acteurs ambulants. Mais ils sont bientôt découverts : Didier et Saverny sont arrêtés.
Marion parvient à arracher au roi la grâce des deux condamnés mais l’arrêt est révoqué.

Marion de Lorme a réellement existé mais Hugo n’a repris de son histoire que son nom et son statut de courtisane.

Quelques représentations

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438443h
Marion Delorme, estampe de Pouget, 1831. Source ; Bnf/Gallica

La pièce terminée en 1829 avait  à l’origine pour titre « Un duel sous Richelieu ». Elle fut interdite par la censure, sous Charles X.  qui voyait des allusions directes à sa propre situation, dans l’acte IV présentant le roi Louis XIII préoccupé uniquement de chasse et sous influence. Charles X proposa à Hugo une pension de quatre mille francs dédommageant son manque à gagner. Hugo, indigné, refusa cette somme considérable, ce qui fit aussitôt grand bruit dans les journaux.

Après la chute des Bourbons,  Marion de Lorme est mis en scène, le 11 août 1831  au Théâtre de la Porte Saint-Martin, avec dans le rôle principal l’une des égéries des auteurs romantiques, Marie Dorval. Hugo indique dans les notes : « Quant à Madame Dorval, elle a développé, dans le rôle de Marion, toutes les qualités qui l’ont placée au rang des grandes comédiennes de ce temps; elle a eu dans les premiers actes de la grâce charmante et de la grâce touchante. (…) Au cinquième acte, elle est constamment pathétique, déchirante, sublime, et, ce qui est plus encore, naturelle. Au reste, les femmes la louent mieux que nous ne pourrions faire : elles pleurent. »

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438444x
Estampe. Comédie Française 1873. Acte II, scène IV. Source : BnF/Gallica

La pièce est reprise au Théâtre-Français le 8 mars 1838, puis remontée dans le même théâtre le 10 février 1873 . Le rôle de Marion de Lorme est repris plus tard au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, par Sarah Bernhardt, qui jouera aussi la pièce à la Comédie-Française, avec Mounet-Sully dans le rôle de Louis XIII, en 1905.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84387172
Sarah Bernhardt dans « Marion de Lorme » au Théâtre de la Porte- Saint-Martin. 1885/ Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8438445b/f1.item
Estampe satirique, illustrant un article au vitriol sur la représentation de Marion de Lorme à la Comédie Française en 1873. Source : BnF/Gallica


Pour aller plus loin

Manuscrit autographe de Marion de Lorme sur Gallica

Manuscrit de la censure portant le titre « Un duel sous Richelieu. » sur Gallica

Sur le site de l’INA : reportage sur les répétitions de Marion de Lorme de Victor Hugo au théâtre de Lorient avec Jutta-Johanna Weiss dans le rôle titre. Interview du metteur en scène, Eric Vigner. 12 octobre 1998

Adaptation cinématographique en 1918 par Henri Krauss avec Pierre Renoir dans le rôle du roi, sur IMDB et sur le site à voir à lire .

Pour en savoir plus sur Libre Théâtre :
Le Théâtre de Victor Hugo
Biographie de Victor Hugo à travers son théâtre
Victor Hugo, metteur en scène de ses pièces
L’humour dans le théâtre de Victor Hugo

Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo

Drame en prose, divisé en trois journées, représenté pour la première fois au Théâtre-Français le 28 avril 1835. Traitement par Libre Théâtre à partir des Oeuvres complètes de Victor Hugo, disponibles sur Gallica.
Distribution : 9 hommes, 4 femmes
Texte intégral de la pièce à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

Actuellement sur scène à Paris dans une mise en scène de Raymond Acquaviva au Théâtre des Béliers Parisiens à 21h le lundi jusqu’au 22/11/21

L’argument

Padoue, 1549. Angelo, le podestat de Padoue, fait régner la terreur sur la ville. Par stratégie, il a épousé  Catarina Bragidini et a pour maîtresse la comédienne Tisbe. Tisbe est amoureuse de Rodolfo, qu’elle fait passer pour son frère. Mais Rodolfo est en réalité amoureux de Catarina, qu’il a rencontré à Venise, avant qu’elle ne disparaisse pour épouser Angelo. Il est à sa recherche. Tisbe, quant à elle, est à la recherche de la femme qui a sauvé la vie de sa mère alors qu’elle était enfant.

Homodei, un espion du Conseil des Dix, va cristalliser l’action : il apprend à Rodolfo que Catarina n’est autre que la femme du podestat, il dénonce à Tisbe l’amour de Rodolfo pour Catarina et fait savoir à Angelo que sa femme aime un autre homme. Angelo décide de tuer sa femme et demande l’aide de Tisbe, qui veut également se venger. Mais lorsque que Tisbe découvre que c’est Catarina qui a sauvé sa mère des années auparavant, elle décide d’aider les deux amants.

Une pièce féministe ?

Extrait de la préface de Victor Hugo :

« Mettre en présence, dans une action toute résultante du coeur, deux graves et douloureuses figures, la femme dans la société, la femme hors de la société ; c’est-à-dire, en deux types vivants, toutes les femmes, toute la femme. Montrer ces deux femmes, qui résument tout en elles, généreuses souvent, malheureuses toujours. Défendre l’une contre le despotisme, l’autre contre le mépris. Enseigner à quelles épreuves résiste la vertu de l’une, à quelles larmes se lave la souillure de l’autre. Rendre la faute à qui est la faute, c’est-à-dire à l’homme, qui est fort, et au fait social, qui est absurde. »

Extraits

Catarina
Parlons simplement. Tenez, il n’est pas question des Bragadini. Vous êtes infâme ! Ainsi vous venez froidement là, avec le poison dans les mains ! Coupable ? Non, je ne le suis pas. Pas comme vous le croyez, du moins. Mais je ne descendrai pas à me justifier. Et puis, comme vous mentez toujours, vous ne me croiriez pas. Tenez, vraiment, je vous méprise ! Vous m’avez épousée pour mon argent, parce que j’étais riche, parce que ma famille a un droit sur l’eau des citernes de Venise. Vous avez dit : Cela rapporte cent mille ducats par an, prenons cette fille. Et quelle vie ai-je eue avec vous depuis cinq ans ? dites ! Vous ne m’aimez pas. Vous êtes jaloux cependant. Vous me tenez en prison. Vous, vous avez des maîtresses, cela vous est permis. Tout est permis aux hommes. Toujours dur, toujours sombre avec moi. Jamais une bonne parole. Parlant sans cesse de vos pères, des doges qui ont été de votre famille. M’humiliant dans la mienne. Si vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse ! Oh ! il faut avoir souffert ce que j’ai souffert pour savoir ce que c’est que le sort des femmes. Eh bien, oui, monsieur, j’ai aimé avant de vous connaître un homme que j’aime encore. Vous me tuez pour cela. Si vous avez ce droit-là, il faut convenir que c’est un horrible temps que le nôtre. Ah ! vous êtes bien heureux, n’est-ce pas ? d’avoir une lettre, un chiffon de papier, un prétexte ! Fort bien. Vous me jugez, vous me condamnez, et vous m’exécutez. Dans l’ombre. En secret. Par le poison. Vous avez la force. — C’est lâche !

….

La Tisbe
Je vais te dire. Écoute-moi seulement un instant. J’ai toujours été bien à plaindre, va. Ce ne sont pas là des mots, c’est un pauvre coeur gonflé qui déborde. On n’a pas beaucoup de pitié de nous autres, on a tort. On ne sait pas tout ce que nous avons souvent de vertu et de courage. Crois-tu que je doive tenir beaucoup à la vie ? Songe donc que je mendiais tout enfant, moi. Et puis, à seize ans, je me suis trouvée sans pain. J’ai été ramassée dans la rue par des grands seigneurs. Je suis tombée d’une fange dans l’autre. La faim ou l’orgie. Je sais bien qu’on vous dit : mourez de faim ! mais j’ai bien souffert, va ! Oh ! oui, toute la pitié est pour les grandes dames nobles. Si elles pleurent, on les console. Si elles font mal, on les excuse. Et puis, elles se plaignent ! Mais nous, tout est trop bon pour nous. On nous accable. Va, pauvre femme ! marche toujours. De quoi te plains-tu ? Tous sont contre toi. Eh bien, est-ce que tu n’es pas faite pour souffrir, fille de joie ? — Rodolfo, dans ma position, est-ce que tu ne sens pas que j’avais besoin d’un cœur qui comprît le mien ? Si je n’ai pas quelqu’un qui m’aime, qu’est-ce que tu veux que je devienne, là, vraiment ? Je ne dis pas cela pour t’attendrir, à quoi bon ? II n’y a plus rien de possible maintenant. Mais je t’aime, moi ! O Rodolfo ! à quel point cette pauvre fille qui te parle t’a aimé, tu ne le sauras qu’après ma mort ! quand je n’y serai plus ! Tiens, voilà six mois que je te connais, n’est-ce pas ? six mois que je fais de ton regard ma vie, de ton sourire ma joie, de ton souffle mon âme ! Eh bien, juge ! depuis six mois je n’ai pas eu un seul instant l’idée, l’idée nécessaire à ma vie, que tu m’aimais. Tu sais que je t’ennuyais toujours de ma jalousie, j’avais mille indices qui me troublaient. Maintenant cela m’est expliqué. Je ne t’en veux pas, ce n’est pas ta faute. Je sais que ta pensée était à cette femme depuis sept ans. Moi, j’étais pour toi une distraction, un passe-temps. C’est tout simple. Je ne t’en veux pas. Mais que veux-tu que je fasse ? Aller devant moi comme cela, vivre sans ton amour, je ne le peux pas. Enfin il faut bien respirer. Moi, c’est par toi que je respire ! Vois, tu ne m’écoutes seulement pas ! Est-ce que cela te fatigue que je te parle ! Ah ! je suis si malheureuse, vraiment, que je crois que quelqu’un qui me verrait aurait pitié de moi !


Pour aller plus loin

Illustrations de la création en 1835 au Théâtre-Français

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64006385
Mlle Mars dans le rôle de la Tisbe, lors de la création. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64006385/f2.item
M. Beauvallet dans le rôle d’Angelo, lors de la création. Source :  Bnf/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b64006385/f3.item
Mme Dorval dans le rôle de Catarina lors de la création. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405470n/f2.item
Estampe extraite des documents d’accompagnement de la création au Théâtre-Français. Source : BnF/Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8405470n/f4.item
« Ah!, c’est une clef ! » Estampe extraite des documents d’accompagnement de la création au Théâtre-Français. Source BnF/Gallica


Illustrations de la reprise d’Angelo en 1905 au Théâtre Sarah Bernhardt

Avec Sarah Bernhardt dans le rôle de la Tisbe (Source : BnF/Gallica)

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Dossiers pédagogiques

Mise en scène de Christophe Honoré (2009, 2010) : lien vers le dossier pédagogique de l’Inspection académique des Yvelines, lien vers un reportage sur le site de l’INA (reportage et interview d’Emmanuel Devos et de Marcial Di Fonzo Bo lors du Festival d’Avignon 2009).

Mise en scène de Paulo Correia au Théâtre National de Nice en janvier 2014. Dossier Pièce (dé)montée. Lien vers le site

Cromwell de Victor Hugo

Drame romantique édité en 1827. Représenté pour la première fois, en 1956,  dans une version abrégée d’Alain Truta, mise en scène par Jean Serge dans la cour carrée du Louvre.
Texte retraité par Libre Théâtre à partir de l’édition des Oeuvres complètes de Victor Hugo, Editions J. Hetzel sur Gallica.
Distribution : environ 70 personnages, dont plusieurs peuvent être joués par un seul acteur. Au total, une vingtaine de rôles masculins et une dizaine de rôles féminins.
Texte intégral de la pièce (et de la préface) à télécharger gratuitement sur Libre Théâtre

L’argument

Une conjuration réunit royalistes et républicains contre Cromwell, le Lord Protecteur d’Angleterre : les uns ne lui pardonnent pas l’exécution de Charles I ; les autres n’admettent pas qu’il se fasse couronner. Cromwell déjoue le complot dont il est averti par Carr, un puritain exalté. Une nouvelle conjuration s’organise mais au dernier moment, le jour du sacre, Cromwell refuse la couronne.

Extrait de la Préface de Cromwell.

« Comme tout le monde, l’auteur de ce livre s’en tenait là. Le nom d’Olivier Cromwell ne réveillait en lui que l’idée sommaire d’un fanatique régicide, grand capitaine.
C’est en furetant la chronique, ce qu’il fait avec amour, c’est en fouillant au hasard les mémoires anglais du dix-septième siècle, qu’il fut frappé de voir se dérouler peu à peu devant ses yeux un Cromwell tout nouveau. Ce n’était plus seulement le Cromwell militaire, le Cromwell politique de Bossuet ; c’était un être complexe, hétérogène, multiple, composé de tous les contraires, mêlé de beaucoup de mal et de beaucoup de bien, plein de génie et de petitesse ; une sorte de Tibère-Dandin, tyran de l’Europe et jouet de sa famille ; vieux régicide, humiliant les ambassadeurs de tous les rois, torturé par sa jeune fille royaliste ; austère et sombre dans ses mœurs et entretenant quatre fous de cour autour de lui ; faisant de méchants vers ; sobre, simple, frugal, et guindé sur l’étiquette ; soldat grossier et politique délié ; rompu aux arguties théologiques et s’y plaisant ; orateur lourd, diffus, obscur, mais habile à parler le langage de tous ceux qu’il voulait séduire ; hypocrite et fanatique ; visionnaire dominé par des fantômes de son enfance, croyant aux astrologues et les proscrivant ; défiant à l’excès, toujours menaçant, rarement sanguinaire ; rigide observateur des prescriptions puritaines, perdant gravement plusieurs heures par jour à des bouffonneries ; brusque et dédaigneux avec ses familiers, caressant avec les sectaires qu’il redoutait ; trompant ses remords avec des subtilités, rusant avec sa conscience ; intarissable en adresse, en pièges, en ressources ; maîtrisant son imagination par son intelligence ; grotesque et sublime ; enfin, un de ces hommes carrés par la base, comme les appelait Napoléon, le type et le chef de tous ces hommes complets, dans sa langue exacte comme l’algèbre, colorée comme la poésie.
(…) Il y a surtout une époque dans sa vie où ce caractère singulier se développe sous toutes ses formes. Ce n’est pas, comme on le croirait au premier coup d’œil, celle du procès de Charles Ier, toute palpitante qu’elle est d’un intérêt sombre et terrible ; c’est le moment où l’ambitieux essaya de cueillir le fruit de cette mort. C’est l’instant où Cromwell, arrivé à ce qui eût été pour quelque autre la sommité d’une fortune possible, maître de l’Angleterre dont les mille factions se taisent sous ses pieds, maître de l’Écosse dont il fait un pachalik, et de l’Irlande, dont il fait un bagne, maître de l’Europe par ses flottes, par ses armées, par sa diplomatie, essaie enfin d’accomplir le premier rêve de son enfance, le dernier but de sa vie, de se faire roi. L’histoire n’a jamais caché plus haute leçon sous un drame plus haut. Le Protecteur se fait d’abord prier ; l’auguste farce commence par des adresses de communautés, des adresses de villes, des adresses de comtés ; puis c’est un bill du parlement. Cromwell, auteur anonyme de la pièce, en veut paraître mécontent ; on le voit avancer une main vers le sceptre et la retirer ; il s’approche à pas obliques de ce trône dont il a balayé la dynastie. Enfin, il se décide brusquement ; par son ordre, Westminster est pavoisé, l’estrade est dressée, la couronne est commandée à l’orfèvre, le jour de la cérémonie est fixé. Dénouement étrange ! C’est ce jour-là même, devant le peuple, la milice, les communes, dans cette grande salle de Westminster, sur cette estrade dont il comptait descendre roi, que, subitement, comme en sursaut, il semble se réveiller à l’aspect de la couronne, demande s’il rêve, ce que veut dire cette cérémonie, et dans un discours qui dure trois heures refuse la dignité royale. — Était-ce que ses espions l’avaient averti de deux conspirations combinées des cavaliers et des puritains, qui devaient, profitant de sa faute, éclater le même jour ? Était-ce révolution produite en lui par le silence ou les murmures, de ce peuple, déconcerté de voir son régicide aboutir au trône ? Était-ce seulement sagacité du génie, instinct d’une ambition prudente, quoique effrénée, qui sait combien un pas de plus change souvent la position et l’attitude d’un homme, et qui n’ose exposer son édifice plébéien au vent de l’impopularité ? Était-ce tout cela à la fois ? C’est ce que nul document contemporain n’éclaircit souverainement. Tant mieux ; la liberté du poète en est plus entière, et le drame gagne à ces latitudes que lui laisse l’histoire. On voit ici qu’il est immense et unique ; c’est bien là l’heure décisive, la grande péripétie de la vie de Cromwell. C’est le moment où sa chimère lui échappe, où le présent lui tue l’avenir, où, pour employer une vulgarité énergique, sa destinée rate. Tout Cromwell est en jeu dans cette comédie qui se joue entre l’Angleterre et lui.
Voilà donc l’homme, voilà l’époque qu’on a tenté d’esquisser dans ce livre.
L’auteur s’est laissé entraîner au plaisir d’enfant de faire mouvoir les touches de ce grand clavecin. »

La préface

La préface de Cromwell  est un véritable manifeste en faveur du drame romantique. Hugo distingue tout d’abord trois  grandes époques dans l’histoire de l’humanité auxquelles correspondent des expressions littéraires spécifiques
 : les temps primitifs
 (l’âge du lyrisme), 
les temps antiques (le temps de l’épopée) et les temps modernes
 (l’âge du drame).

Victor Hugo développe ensuite les caractéristiques du drame :

  • le refus de la règle des trois unités :  les unités de temps et de lieu sont contraires à la vraisemblance. Seule l’unité d’action doit être maintenue. Dans Cromwell, les cinq actes se déroulent dans cinq décors : la taverne des Trois-Grues, la salle des banquets à White-Hall, la chambre peinte à White-Hall, la poterne du parc de White-Hall et la grande salle de Westminster.

  • le mélange des genres (Cromwell en est un excellent exemple) : mêler le grotesque au sublime pour peindre le réel. Hugo alterne dans Crowmwell scènes historiques, comiques, mélodramatiques et tragiques.

  • le mélange des vers et de la prose. Dans Cromwell, drame en vers avec quelques chansons et extraits de lettres en prose, Hugo s’amuse avec la versification et ose même une réplique : « Ah Dieu ! que de rimes en ite ! »
  • La couleur historique et géographique  : « le drame doit être radicalement imprégné de cette couleur des temps ». Le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (voir plus bas) montre les recherches effectuées par Hugo pour rendre compte à travers les dialogues du contexte historique très particulier de l’époque de Cromwell. À propos de  l’épisode où Richard Cromwell boit à la santé du roi Charles dans une taverne avec les conjurés royalistes, Hugo tient à préciser dans une note : « Historique. Au reste, afin d’épargner au lecteur la fastidieuse répétition de ce mot, nous le prévenons qu’ici, comme dans le palais de Cromwell, comme dans la grande salle de Westminster, l’auteur n’a hasardé aucun détail, si étrange qu’il puisse paraître, qui n’ait ou son germe ou son analogue dans l’histoire. Les personnes qui connaissent à fond l’époque lui rendront cette justice que tout ce qui se passe dans ce drame s’est passé, ou, ce qui revient au même, a pu se passer dans la réalité. »

Une pièce injouable ?

lica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b2200128r/f6.item
Acte I, scène V :] Lord Rochester [à Carr] : Tu radotes! A quoi vous serviraient alors vos grandes bottes? S’il ne pleut point sur vous, pourquoi ces grands chapeaux .Illustration de Cromwell par J. A. Beaucé, dessinateur Pouget, Pisan, graveur. 1866. Source: BnF/Gallica
Extrait de la Préface :

« Il est évident que ce drame, dans ses proportions actuelles, ne pourrait s’encadrer dans nos représentations scéniques. Il est trop long. On reconnaîtra peut-être cependant qu’il a été dans toutes ses parties composé pour la scène. C’est en s’approchant de son sujet pour l’étudier que l’auteur reconnut ou crut reconnaître l’impossibilité d’en faire admettre une reproduction fidèle sur notre théâtre, dans l’état d’exception où il est placé, entre le Charybde académique et le Scylla administratif, entre les jurys littéraires et la censure politique. Il fallait opter : ou la tragédie pateline, sournoise, fausse, et jouée, ou le drame insolemment vrai, et banni. La première chose ne valait pas la peine d’être faite ; il a préféré tenter la seconde. C’est pourquoi, désespérant d’être jamais mis en scène, il s’est livré libre et docile aux fantaisies de la composition, au plaisir de la dérouler à plus larges plis, aux développements que son sujet comportait, et qui, s’ils achèvent d’éloigner son drame du théâtre, ont du moins l’avantage de le rendre presque complet sous le rapport historique. Du reste, les comités de lecture ne sont qu’un obstacle de second ordre. S’il arrivait que la censure dramatique, comprenant combien cette innocente, exacte et consciencieuse image de Cromwell et de son temps est prise en dehors de notre époque, lui permît l’accès du théâtre, l’auteur, mais dans ce cas seulement, pourrait extraire de ce drame une pièce qui se hasarderait alors sur la scène, et serait sifflée. »

Comme le montre  Florence Naugrette  dans un article de 2004, publié dans le recueil Impossibles théâtres et disponible sur le site Fabula Publier Cromwell et sa Préface : une provocation fondatrice, ce sont principalement les circonstances politiques qui ont rendu injouable cette pièce à l’époque de Victor Hugo.
Aujourd’hui, un metteur en scène ambitieux et astucieux pourrait porter  un tel projet (sans doute avec quelques coupes pour éviter que la pièce ne dure quatre heures) : tout l’art de Victor Hugo est déjà présent dans cette pièce aux accents shakespeariens.    On retiendra surtout pour notre part les très nombreuses répliques et situations comiques, qui désamorcent systématiquement  les scènes les plus tragiques. Le personnage de Rochester est à ce titre particulièrement réussi : poète médiocre qui veut faire écouter ses vers alors que les conjurés sont en pleine discussion, amoureux de la fille de Cromwell mais qui souhaite tout de même assassiner le père,  galant homme qui aime jurer mais qui doit se déguiser en chapelain puritain pour parvenir jusqu’à Cromwell, obligé d’épouser une duègne pour éviter d’être tué… « Mêler le grotesque au sublime pour peindre le réel »….

Pour aller plus loin

Manuscrit autographe sur le site de Gallica

Adaptation pour la radio par la Société des Comédiens Français, le 27 avril 1952, sur le site de l’INA  (version intégrale payante).
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